jeudi 29 juillet 2021

Under a White Sky: The Nature of the Future - Elizabeth Kolbert

Under a White Sky: The Nature of the Future - Elizabeth Kolbert

Elizabeth Kolbert est l'auteure de La sixième extinction, classique du genre que j'avais commencé sans le finir il y a des années. Dans Under a White Sky: The Nature of the Future, elle se penche sur un phénomène intrinsèquement lié à la sixième extinction : le contrôle du contrôle de la nature, ou comment les humains se retrouvent à devoir gérer par la technique leur tentatives foireuses de contrôler la nature par la technique. Notons aussi que Elizabeth Kolbert, pour chacun des chapitres (consacrés à des cas différents), va sur le terrain parler aux gens concernés. Et pourquoi "sous un ciel blanc ?" C'est la couleur que prendrait le ciel en cas de mise en place de vastes projets de géo-ingénierie solaire.

Le premier chapitre se penche sur l'artificialisation des rivières américaines (du genre changer leur sens ou les relier par des canaux) et des conséquences sur les populations animales. Ces espèces, en bonne partie, comme les carpes asiatiques, ont été introduites elles aussi artificiellement pour, à l'origine, contrôler les herbes aquatiques, devenues elles-mêmes incontrôlables à cause des rejets azotés de l'agriculture... Ainsi des portions de rivière sont littéralement électrifiées dans une tentative de contrôler les mouvements de ces poissons introduits par les humains pour gérer des problèmes causés par les humains. A noter que c'est le Printemps silencieux de Rachel Carson, livre fondateur de l'écologie, qui a popularisé cette idée de contrôle biologique : même avec les meilleurs intentions du monde, tripoter la complexité des systèmes naturels entraine toujours des conséquences imprévues. En plus des barrières électriques, l'auteure explore une myriade de tentatives de luttes toutes plus douteuses les unes que les autres, mention spéciale à la dernière : transformer les carpes en plats gourmets, quitte à les expédier au Vietnam pour transformation avant de les réimporter. Symbolique.

Le second chapitre s'intéresse à la Louisiane qui, a cause du contrôle du Mississippi, s'effondre sous les eaux. En effet, les crues naturelles du fleuve venaient apporter de la nouvelle "terre" pour compenser l’affaissement naturel de cette région sans guère de substrat rocheux. Or, les humains modernes n'aiment pas les crues, alors ils construisent des digues, ce qui entraine un affaissement général, ce qui entraine des inondations, contre lesquelles il faut de plus grosses digues... Les natifs du coin, eux, se contentaient de bouger au rythme de l'eau. Aujourd’hui, toutes les 5 minutes, la Louisiane perd l'équivalent d'un terrain de tennis. Des sommes et des efforts fantastiques sont dépensés pour "reconquérir" des terrains ridicules qui, de toutes façons, seront inévitablement engloutis de nouveau par l'océan sous peu. Des sommes et des efforts encore plus fantastiques servent à "recréer le phénomène naturel de sédimentation" à coup d'infrastructures colossales.

On quitte les rivières pour un petit trou d'eau paumé dans la Vallée de la Mort, le Devils Hole. C'est le seul endroit où vit une petite espèce de poisson, sans doute l'espèce vertébrée avec l'habitat le plus petit du monde. Les poissons de cette espèce pèsent peut-être 100 grammes en tout. Et, alors que les espèces disparaissent à un rythme alarmant autour du monde, des efforts considérables sont déployés pour protéger celle-là. L'auteure utilise un terme aussi amusant que dramatique  : espèce Stockholm. En passant, la nappe phréatique dont le trou n'est qu'un détail est si grande qu'elle a des marées. En plus des efforts passés, comme empêcher le pompage dans la nappe, un faux trou a été construit, comme pour Lascaux. A la fin de ce chapitre, l'auteure se livre à quelques songeries dans sa chambre à Vegas. Elle exprime un sentiment qui m'occupe presque en permanence ces temps-ci, alors je ne résiste pas à l'envie de la citer :

That night, my last in Nevada, I stayed on the Strip, at the Paris, in a room with a view of the Eiffel Tower. This being Vegas, the tower rose out of a swimming pool. The water was the blue of antifreeze. From somewhere near the pool, a sound system pumped out a beat that reached me, dull and throbbing, through the sealed windows of the seventh floor. I really wanted a drink. But I couldn’t bring myself to go back down to the lobby, past Le Concierge, Les Toilets, and La Réception, to find a faux French bar. I thought of the Devils Hole pupfish in their simulated cavern. I wondered: is this how they felt in their darker moments?

Ensuite, les coraux. Ils accueilleraient la diversité de vie la plus importante au monde, supérieure à celle de l'Amazonie (à surface équivalente). Bien sûr, ils sont foutus, mais plein d'apprentis-sorciers cherchent des "solutions". Dans des labos sont simulées les conditions que connaitront les océans dans le futur, et des croisements sont effectués entre coraux qui, dans la nature, ne vivent pas aux mêmes endroits. C'est sans compter les plans du genre fécondation des coraux par robots et brouillard artificiel pour leur faire de l'ombre, bref, toutes sortes de "amazingly imaginative innovation". L'auteure ne commente pas les déclarations de ce type, énoncées par les gens qu'elle rencontre.

En Australie, les énormes crapaud-buffles, introduits par les humains encore une fois dans un but foireux de contrôle biologique (contre des nuisibles de la canne à sucre), déciment la faune locale : ils sont toxiques, mais les animaux australiens, n'ayant pas évolué à proximité d'une telle bestiole, ne le savent pas. Ils mangent le crapaud (extrêmement abondant) et meurent. Donc, comment gérer ce problème crée par une tentative de gérer un problème ? La réponse est sincèrement stupéfiante : le génie génétique a désormais les connaissances nécessaires pour modifier génétiquement des populations entières d'animaux sauvages. Sans doute le truc que j'ignorais le plus dingue de tout le livre : j'avais déjà vu passer cette idée à propos des moustiques, où je crois elle ne va pas tarder à être appliquée à grand échelle, mais sans en comprendre toutes les implications. Il s'agit de forçage génétique : la capacité d'un gène à dépasser les 50% de chances de transmission et d'ainsi éliminer le gène concurrent. C'est un phénomène qui existe naturellement, mais il est désormais possible de créer un forçage génétique artificiel, dans ce cas en modifiant le gène qui provoque la toxicité des grenouilles (par exemple le remplacer par un gène de toxicité bien plus modérée). Ainsi on prend des crapauds, on modifie génétiquement leur descendance en remplaçant le gène cible par un autre (processus effectué sur l’œuf, c'est-à-dire avant la division cellulaire de l'embryon), puis une fois que ceux-ci sont grands, on les relâche. Ainsi, quand ils se reproduiront, ils transmettront à coup sûr le gêne artificiel au détriment du gène naturel, et sur le long terme, paf, contrôle génétique des populations sauvages. Et pour aller plus loin, l'idée de "suppression drive" : le forçage génétique d'un trait si délétère qu'il entraîne la fin d'une espèce, par exemple en forçant la transmission des chromosomes XY au lieu des XX, entrainant une descendance intégralement mâle. Cette idée est sérieusement envisagée pour des îles envahies par des souris (introduites par les humains) qui détruisent les populations d'oiseaux locaux. Jusqu'à présent, la méthode de lutte était le largage de grandes quantités d'anticoagulant par hélicoptère. Par contre, si quelques souris s'échappent...

Les chapitres suivants s’intéressent aux solutions de géo-ingénieries du type aspirer le carbone de l’atmosphère ou bloquer les rayons du soleil en injectant je ne sans quelles substances dans l’atmosphère. Le premier point, l'auteure l'explore, est complétement utopique, tant les procédés non seulement coûteraient indiciblement cher, mais surtout demanderaient eux-même énormément d'énergie, et d'où viendrait cette énergie ? Comme exploré d'une façon tout aussi utopique dans The Ministry for the Future par Kim Stanley Robinson, cette dernière idée, celle de la modification atmosphérique pour réduire l'intensité solaire, risque fort de devenir réalité, car il suffit qu'un seul pays se lance en solitaire. Ce procédé, même s'il fonctionnait sans conséquences négatives, ne changeraient rien aux causes du changement climatique. Ce ne serait qu'un palliatif temporaire qui, pour compenser le réchauffement, devrait être maintenu de façon permanente et exponentielle. Si jamais il prenait fin, pour une raison ou une autre, un réchauffement incroyablement brutal s'abattrait sur la Terre : tous les degrés de réchauffement remis à plus tard arriveraient d'un seul coup. On tient là un candidat sérieux sur la liste des Grands Filtres.

Et pour conclure, une idée sur l’origine des civilisations liée au climat. Avant l'optimal climatique qui a permis la naissance de l'agriculture il y 12000 ans environ, les températures variaient drastiquement et brutalement. Les cultures naissantes ne pouvaient pas donc jouir d'une stabilité suffisante pour durer dans le temps. Avec le changement climatique anthropique, d'une échelle sans précédent depuis l'extinction des dinosaures, c'est clairement la fin de cet optimal climatique : l'âge des migrations est de retour. Un chiffre pour saisir l'ampleur des modifications anthropiques : aujourd'hui, une molécule de CO2 sur trois présente dans l'atmosphère a été rejetée par les humains. Et ça grimpe, ça grimpe.

L’optimal climatique, ou l'âge des civilisations, mis en perspective.

lundi 26 juillet 2021

Deathworld - Harry Harrison

Deathworld - Harry HarrisonDeathworld - Harry Harrison

Œuvre assez peu connue de l'auteur de l'excellent Soleil vert, Deathworld (1960) est une trilogie dont la dernière édition française regroupe en un seul volume les trois tomes. J'ai fait ma lecture en VO, et ce compte-rendu ne concerne que le premier tome, roman parfaitement indépendant.

Ça commence comme du bon gros pulp. Jason, notre héros, est un aventurier qui gagne sa vie en écumant les casinos de toutes les planètes grâce à ses pouvoirs psi. C'est immédiatement plaisant, la scène du casino n'a pas été sans me rappeler les péripéties de James Bond, et on se laisse gentiment prendre au jeu. L'auteur ne perd pas son temps et Jason choisit volontairement, quand il en a l'opportunité, d'aller faire un tour sur le deathworld. Car Jason est un aventurier qui s'ennuie, et il voit là un défi à sa hauteur : j'ai apprécié cette motivation simpliste mais crédible, car qui d'autre qu'un casse-cou trop sûr de lui irait se fourrer dans ce bourbier ?

Le deathworld, c'est une planète très peu peuplée où l’environnement est en guerre déclarée contre les quelques humains qui s'y attachent. Gravité double de celle de la Terre, météo pire qu'en Islande, et surtout, absolument toutes les formes de vie locales ne sont faites que pour une chose : exterminer du bipède. On s'en doute, les humains locaux sont coriaces : montagnes de muscle, armés jusqu'aux dent, surentrainés et terriblement belliqueux. Harry Harrison parvient très bien à donner de la chair à cette planète et à ses dangers, grâce notamment à un long développement au cours duquel il accumule les détails et les indices. Jason doit ainsi passer des mois à s'entrainer à affronter la faune avant d'avoir le droit de mettre le nez dehors.

L'auteur est un minimum subtil et il ne s'agit finalement pas d'un simple récit d'aventure : les mystères ne tardent pas à émerger, et Jason va devoir utiliser son cerveau encore plus que ces muscles, ce qui est bon signe pour la qualité du roman. La lutte des habitants du deathworld n'est-elle pas vouée à l'échec ? Pourquoi donc la planète s'est-elle retournée contre eux ? Et y aurait-il d'autres habitants qui parviennent à vivre en harmonie avec elle ? Comment réconcilier ces factions aux idéologies radicalement opposées ?

Certes, le fond du roman est assez simpliste et on devine ses grandes lignes très rapidement : en gros, la nature se retourne contre les humains car elle les perçoit comme une menace. Aujourd'hui, c'est un poncif extrêmement banal, mais en 1960, deux ans avant le Printemps silencieux de Rachel Carson, c'était sans doute différent. On peut aussi regretter des détails bancals, comme par exemple le fait que les habitants du deathworld savent que la nature devient de plus en plus pacifique quand on s'éloigne de leur cité, mais ça n'a pas l'air de les frapper... Au bénéfice de l'auteur, l'un des sujets est l’extrémisme idéologique, et on peut admettre qu'ils sont simplement aveuglés par leur culture.

Finalement, on ne fera pas de Deathworld un chef-d’œuvre, mais ça ne manque pas non plus de qualités pour le lecteur avec un faible envers la SF à tendance environnementaliste. Harry Harrison, sous une forme dynamique façon pulp, et malgré un propos un peu simpliste, parvient à poser un univers frappant tout en prenant le temps d'explorer comment les humains, physiquement et idéologiquement, s'y adapteraient ou ne s'y adapteraient pas.

vendredi 23 juillet 2021

Défaillances système - Martha Wells (AssaSynth/Murderbot 1)

Défaillances système - Martha Wells (AssaSynth/Murderbot 1)Défaillances système - Martha Wells (AssaSynth/Murderbot 1)

Roman court et premier tome d'une série, j'ai lu All Systems Red (2017) de Martha Wells en VO, sans savoir, jusqu'à une minute avant d'écrire ces lignes, que c'était en France la série traduite sous le titre (douteux) Journal d'un AssaSynth (en VO, c'est Murderbot).

Je comprends très aisément le succès de cette série. Notre Murderbot est un androïde qui a piraté son propre système de contrôle et d'obéissance : il est donc est un agent libre que les humains croient être une simple machine. Au cours d'une mission sur une planète inhabitée où il est garde du corps de quelques humains, face à une situation qui part en cacahouète, il va enfin sortir (un tout petit peu) de sa coquille pour socialiser avec les sacs à viande.

Il est clair que la trame n'est qu'un prétexte pour mettre en scène le personnage de Murderbot, sa personnalité et ses interactions de grand timide avec les humains. Difficile de nier que de ce côté, c'est un succès : l’androïde, cynique et désespéré, mal dans son métal, ne sachant que faire de sa liberté, est indubitablement attachant. En revanche, il m'a semblé que c'était un peu racoleur, façon syndrome Harry Potter/Jane Eyre, c'est-à-dire que Murderbot est le typique héros au grand cœur incompris par la société, ce qui est avant tout une facilité pour que le lecteur s'identifie avec le protagoniste. Il est peu doué socialement et accro aux séries, c'est d'ailleurs les deux traits essentiels de sa personnalité, traits qui correspondent de façon suspecte au lectorat potentiel de ce genre de littérature... 

Avec ce focus sur Murderbot, on a vraiment l'impression que l'auteure ne se soucie guère de sa trame (voire s'en fout complètement), trame qui prend fin d'une façon abrupte sans guère de résolution. Certes, ça reste carré, propre, professionnel ; ça se lit tout seul et je suppose que, en un sens, c'est ce qui compte... J'explorai peut-être la suite, ce n'est pas comme si ça prenait très longtemps à lire de toutes façons, dommage que ma motivation principale d'entamer le tome suivant serait la facilité.

mardi 20 juillet 2021

The Great White Space - Basil Copper

The Great White Space - Basil Copper

The Great White Space (1974) de Basil Copper est un énième médiocre pastiche de Lovecraft. Dès les premières lignes, on sait à quoi on a affaire : référence presque  directe aux Montagnes hallucinées et personnage qui s'appelle Clark Ashton quelque-chose, comme Clark Ashton Smith, l'auteur ami de Lovecraft.

Se déroule donc un récit plus pulp qu'horrifique où notre narrateur, photographe, se laisse embarquer gentiment dans une expédition sans même chercher à savoir où il va, ni pourquoi il y va. La fine équipe trouve le moyen de traverser la moitié du monde avec des espèces de tanks ; le narrateur insiste sur le fait qu'il ne peut pas révéler l'endroit de l'horreur indicible avant de nommer les villes juste à côté ; les aventuriers plongent dans les entrailles de la terre dans une quasi-réécriture du classique de Lovecraft pour y une trouver une horreur pas très passionnante. Et nos héros se fraient un passage à coup de grenades et de fusils-mitrailleurs avant une fuite éperdue qui n'arrive pas à la cheville de celle des Montagnes hallucinées.

Comment dire ? Ce n'est pas absolument nul, mais c'est tellement dérivatif, tellement trop long, tellement vu et revu, qu'autant relire Lovecraft pour la douzième fois. J'ai traversé la deuxième moitié du roman en sautant un paragraphe sur deux. Il y a une idée potentiellement sympa dans cette anomalie souterraine qui sert de carrefour dimensionnel pour êtres indicibles, mais la structure narrative est tellement soporifique que ça n'a guère d'effet. La subtilité de Lovecraft vaut mieux que toutes les explosions de ses imitateurs.

samedi 17 juillet 2021

A l'aube de la 6e extinction - Bruno David

A l'aube de la 6e extinction - Bruno David

J'ai lu pas mal de livres sur ces questions, et A l'aube de la 6e extinction (2021) de Bruno David, président du muséum d'histoire naturelle, ne fait certainement pas partie des meilleurs. Ce n'est pas activement mauvais, mais ça fait plus livre inoffensif pour collégien, divisé en minuscules chapitres thématiques, que bouquin défendant ou explorant sérieusement une thèse. Les derniers chapitres qui explorent les "solutions" sont particulièrement plats et banals.

Je ne veux pas trop médire, pour une première lecture de ce genre A l'aube de la 6e extinction ne serait pas si mal, d'ailleurs je relève ci-dessous quelques faits intéressants, mais comme trop souvent, le ton franchement gentillet voire consensuel est en totale contradiction avec l'horreur du titre et du message de fond. Ainsi, inviter le lecteur à "mieux respecter l'eau" ou ne plus emmener ses enfants à l'école en voiture, merci bien. Ou tout simplement des trucs faux : l'auteur dit que dans un régime non carné, il faut compenser artificiellement le manque d'acides aminés essentiels. Non, les acides aminées ne sont absolument pas un problème tant qu'on ne mange pas que des pâtes et de la sauce tomate. Quitte à critiquer les régimes non carnés, autant mentionner la B12 (ce qu'il ne fait pas), qui pour le le coup doit être compensée artificiellement. Mais après tout, on ne va quand même pas se passer de viande, il ne faudrait pas être, je cite, "austère ou moralisateur", ce n'est pas comme si on parlait de la 6e extinction... Et ça continue : après l'évocation des ravages de la pêche industrielle, Bruno David dit "Je ne dis pas qu'il ne faille plus manger de thon". Apparemment, il suffit de continuer à manger du thon tout en ayant "conscience" des problèmes. Pratique.

A noter que ce n'est même pas une question d'apologie du végétarisme de ma part : j'ai tendance à penser que la consommation modérée de produits animaux (au-delà de la question éthique) pourrait parfaitement avoir sa place dans une société post-croissance, ou écologique, quel que soit le nom qu'on lui donne. Mais considérer le végétarisme comme "extrême" quand on écrit littéralement un livre sur la sixième extinction... C'est assez dingue.

Ça n'en finit pas : "Parce que si je pousse le raisonnement trop loin, il faudrait que j’arrête de me chauffer, de me laver trop souvent, de manger de la viande, de consommer tout légume qui ne serait pas local, de me déplacer autrement qu’à pied et surtout de me reproduire. Malgré cette liste infernale, je continuerais à avoir une empreinte, à respirer, à me nourrir. Seul le suicide, solution ultime, permettrait de mettre un terme à cet impact, solution que je déconseille avec la plus grande vigueur." Il est sérieusement en train de comparer le végétarisme, la consommation locale et la vie sans voiture, choses "infernales", avec le suicide ? Arg. Si c'est ça les meneurs de l'écologie, bonne chance.

  • Les vendanges françaises, au cours des 60 dernières années, ont progressivement été décalées de 3 ou 4 semaines, car la floraison et la maturation des fruits sont de plus en plus précoces.
  • Dans le monde, la consommation d'énergie primaire a doublé en 40 ans et porte à 80% sur les énergies fossiles.
  • Les émission de CO2 liées au transport ont été multipliées par 3000 depuis 1760.
  • Conséquence fatale et oubliée de la fragmentation des environnements naturels : les sous-populations ainsi divisées voient leur diversité génétique drastiquement réduite, ce qui peut être fatal en soi.
  • En France, entre 1980 et 2019, le nombre de véhicules en circulation a doublé, passant de 21 millions à 40 millions.
  • L'expérience de l'îlot de Pod Mrcaru, ou l'évolution considérable en 30 ans d'une population de lézards isolés dans un nouvel environnement : la preuve de l'évolution par empirisme.
  • En France, l'urbanisation et le goudron dévorent tous les 7 à 8 ans 1% du territoire, soit l'équivalent d'un département. 
  • Perturbateurs endocriniens : en 50 ans, la fertilité masculine en Europe a chuté en 52%. 
  • Le fait que nombreux sont nos médicaments qui viennent directement de la richesse du vivant : l'exemple plus évident étant l'aspirine, qui vient d'un composé du saule.
  • Effondrement des stocks de poisson : pour pêcher un kilo de poisson, il faut aujourd'hui dépenser 17 fois plus d'énergie qu'en 1890. Énergie fossile, évidemment.

mercredi 14 juillet 2021

Récolte de prunes et diverses plantes sauvages (ail des vignes...) dans un verger abandonné

Hop, dans cette vidéo je récolte des prunes et diverses plantes sauvages (ail des vignes, calament, ...) dans le verger abandonné d'un magnifique domaine livré à lui-même depuis bien des années. J'ai laissé tombé la voix pour l'instant, au profit de plus de focus sur la narration visuelle. Dans tous les cas, je continue à apprendre des trucs sur les plantes. Les prunes, je les utilise surtout pour faire des pancakes !

Lien direct vers la vidéo et sous-titres français disponibles.

dimanche 11 juillet 2021

Dans un mois, dans un an - Françoise Sagan

Dans un mois dans un an - Françoise Sagan

Après Bonjour tristesse, après Un certain sourire, Dans un mois, dans un an (1957) est le troisième roman de Françoise Sagan, qui a alors 22 ans, si j'ai bien calculé. Exactement comme les deux précédents, je l'ai gobé d'une seule traite, en un peu plus de 2 heures il me semble. Je ne m'y attendais pas forcément, mais je l'ai beaucoup plus apprécié que son second.

Cette fois, pas vraiment de protagoniste principal : on fait face à une tripotée de parisiens plus ou moins dépressifs, tous trompant et couchant les uns avec les autres. En ce sens, c'est un roman extrêmement moderne : ils ne croient en rien, ils sont futiles, ils n'ont pas grand-chose d'autre que leurs désirs amoureux et sexuels. Comme la relation intime est pour la plupart d'entre eux la colonne vertébrale de l'existence, ils sont définis par leurs tendances relationnelles. Il y a les cyniques fatigués de la vie avant d'avoir vécu, sans doute image de Sagan elle-même, il y a le jeune naïf qui va apprendre une leçon de vie, il y a celui qui à travers le rejet découvre sa faiblesse et l'attrait de l'alcool, il y a l'introverti solide comme un roc qui par cette intangibilité parvient à plaire à une jeune cynique, et il y a l'actrice qui fait des ravages avec son joli minois, mais pour qui l'amour n'est qu'un outil au service de son ambition. Celle-là "réussit", mais elle est vide.

Finalement, tout ça n'est pas follement original, mais c'est comme si Sagan en avait conscience, car elle va à toute vitesse. C'est court et dense, ce qui comme souvent n'est pas pour me déplaire : la forme va avec le propos, ces enfantillages relationnels sont d'une inévitable banalité, alors contentons-nous de les effleurer...

jeudi 8 juillet 2021

L'origine des espèces - Darwin

L'origine des espèces - Darwin

Un très, très gros morceau avec L'origine des espèces (1859) de Charles Darwin. Sans doute l'un des livres les plus importants de l'histoire de l'humanité, rien que ça. Il se trouve qu'au fil des années, j'ai acquis un lien puissant avec ce qu'on appelle la théorie de l'évolution : c'est devenu pour moi, je crois, le principal filtre théorique faisant sens de la réalité. C'est-à-dire que quand on s'interroge sur le sens de tel ou tel comportement humain, ou de presque n'importe quoi d'autre ayant un vague rapport avec le vivant, la perspective évolutionnaire est, à coup sûr, une importante clé explicative. J'avais sans doute des prédispositions pour apprécier cette perspective, mais c'est par mon goût précoce pour la science-fiction, puis par la lecture de nombreux livres scientifiques, ceux présents sur ce blog et d'autres (comme le renversant Evolutionary Psychology de David Buss), qu'elle s'est ancrée en moi.

Revenons à Darwin. Je le savais avant de m'y plonger : lire des livres scientifiques qui ont plus de 150 ans, aussi important soient-ils, ce n'est pas toujours la joie. Darwin, évidemment, à l'époque, devait convaincre de sa théorie d'une façon minutieuse. Ainsi, il passe des dizaines de pages sur ce qui, aujourd'hui, pour certaines personnes du moins, va de soi, ou ne mérite pas une telle quantité d'argumentation. Et en même temps, il écrit d'une façon pressée, car quelqu'un d'autre menace de faire connaitre des idées similaires (acquises en toute indépendance de Darwin). C'est d'autant plus bancal que, bien entendu, Darwin, en tant que précurseur, manquait, en comparaison avec le contemporain, d'informations et d'outils. Par exemple, on s'en doute, il n'est pas question de génétique. A la place, Darwin doit batailler en utilisant l'observation et la logique. Bien entendu, il faut replacer dans le contexte, et ainsi L'origine des espèces est fascinant, mais ça ne m'a pas empêché d'avoir du mal à le traverser. J'ai aussi sauté quelques chapitres sur la fin, notamment celui sur l'hybridité (parce que je n'y comprenais pas grand-chose) et celui sur l’insuffisance des archives géologiques (parce qu'au contraire j'étais déjà plus que convaincu).

Ainsi, pour qui veut comprendre l'évolution, il y a sans aucun doute des livres contemporains plus pertinents. Mais d'un point de vue philosophique et d'histoire des idées, il y a là de quoi faire.

Darwin ne sort pas ses idées de nulle part, elles sont notamment basées sur celles de Lamark, qui, dès 1800, suggère une théorie de la transformation des espèces de la simplicité vers la complexité, et en fonction de leur environnement. (Mais, pour contextualiser, Larmark croyait encore en la génération spontanée.) Le contre-argument principal est l'absence de formes « intermédiaires » entre les espèces, argument que Darwin passe une bonne partie de son livre à réfuter. Après ses 5 ans sur le Beagle (1831-1836), Darwin se fait connaitre avec le récit de son voyage, puis, libéré des questions financières grâce à la fortune de sa femme, il se consacre à plein temps à ses passions.

Il est frappant de constater à quel point, dans L'origine des espèces, Darwin se fait modeste sur ses connaissances. Il mentionne régulièrement que les lois de la nature, de l’hérédité, sont en bonne partie inconnues. Il utilise beaucoup les pigeons domestiques et les chiens pour mettre en avant la sélection effectuée par l'homme, avant d'en arriver à la sélection naturelle. Apparemment, la plupart des éleveurs n'avaient pas clairement conscience de ce travail de sélection et pensaient que la plupart des races (ou variétés) d'une même espèce ne pouvaient pas venir d’ancêtres communs. Darwin résume : 

La nature fournit les variations successives, l'homme les accumule dans certaines directions qui lui sont utiles. La valeur de ce principe de sélection n'est pas hypothétique. Il est certain que plusieurs de nos éleveurs les plus éminents ont, pendant le cours d'une seule vie d'homme, considérablement modifié leurs bestiaux et leurs moutons.

De même pour les plantes où, avec la maitrise des croisements, les humains se sont rapidement mis à produire des tas de nouvelles variétés avantageuses. Il y a d'ailleurs tout un débat entre sur les frontières des notions d'espèces et de variété, question qui semblait avoir une grande importance à l'époque.

J'ai été surpris de constater que Darwin mentionnait déjà l'idée de coadaptation, exemples à la clé : c'est un bon point de départ pour expliquer à quel point les organismes évoluent non seulement par rapport à leur environnement, mais aussi les uns par rapport aux autres. C'est d'ailleurs quelques lignes plus loin que Darwin lance enfin le terme sélection naturelle (à moins que je n'aie pas pris en note une mention antérieure hors introduction) qui vient englober les idées déjà évoquées de lutte pour l'existence et de divergence des caractères. La sélection naturelle serait une « puissance aussi supérieure aux faibles efforts de l'homme que les ouvrages de la nature sont supérieures à ceux de l'art ». Et il mentionne la difficulté pour l'esprit humain, peu adapté aux vastes échelles du temps et de l'espace, que constitue cette perspective :

Rien de plus facile que d’admettre la vérité de ce principe : la lutte universelle pour la vie ; rien de plus difficile – je parle par expérience – que d’avoir toujours ce principe présent à l’esprit ; or, à moins qu’il n’en soit ainsi, ou bien on verra mal toute l’économie de la nature, ou on se méprendra sur le sens qu’il convient d’attribuer à tous les faits relatifs à la distribution, à la rareté, à l’abondance, à l’extinction et aux variations des êtres organisés.

Et une précision de vocabulaire : 

Je dois faire remarquer que j’emploie le terme de lutte pour l’existence dans le sens général et métaphorique, ce qui implique les relations mutuelles de dépendance des êtres organisés, et, ce qui est plus important, non seulement la vie de l’individu, mais son aptitude ou sa réussite à laisser des descendants.

C'est une perspective de la complexité de de l'inter-connectivité du vivant. Darwin a notamment passé beaucoup de temps à observer fourmis et insectes : il a remarqué que seuls les bourdons butinent le trèfle rouge, que la population de bourdons dépend de la population de mulots (qui apparemment mangent leurs nids), que la population de mulots dépend de la population de chats, et que donc la présence et l'abondance de certaines fleurs est déterminée par le nombre de chats dans les environs.

Les grandes régions géographiques seraient plus favorables à l'évolution, à l'apparition d'espèces nouvelles, car dans un environnement plus vaste, les niches potentielles sont plus nombreuses et la concurrence est plus rude : c'est pour cette raison que, quand ils sont mis en contact, les animaux des continents tendent à écraser ceux des îles, plus spécialisés et habitués à une concurrence moins féroce.

Ensuite, une idée que je trouve un peu étrange : le non-usage de certaines parties du corps, certains organes, entrainerait leur disparition. Et c'est parfaitement exact : par exemple, sur certaines îles isolées, les oiseaux, faute de prédateurs, tendent à perdre leurs ailes et leur capacité à voler. En effet, d'un point de vue évolutionnaire, les oiseaux ayant tendance à par exemple être plus forts, ou à stocker plus de graisse, seraient avantagés par rapport à ceux qui conserveraient la capacité de voler au détriment de ces nouveaux avantages. Mais j'ai eu l'impression que Darwin accusait le non-usage lui-même, et pas la pression évolutionnaire. Que j'aie mal compris ou non, Darwin était sur la bonne piste.

Un argument particulièrement convainquant et limpide : la fait que les animaux adaptés à des environnements particuliers qu'on retrouve partout sur le globe, comme les cavernes, entretiennent des lien de parenté avec les animaux de leur région géographique plus qu'avec les autres animaux cavernicoles du monde entier. En effet, ce sont les formes de vie d'un endroit donné qui se sont peu à peu adaptées aux cavernes locales, et, contrairement à ce qu'impliquerait le créationnisme, il n'y a pas un modèle donné d'animaux pour un environnement donné (ici les cavernes), mais différentes espèces confrontées à des problèmes similaires tendent à évoluer des adaptations similaires.

Darwin évoque aussi la sélection sexuelle, c'est-à-dire, sous sa plume, les traits évolués dans le but d'attirer le sexe opposé. Je suis prudent sur le vocabulaire, car il me semble qu'aujourd'hui la sélection sexuelle est plus complexe que ça : ce qu'entend ici Darwin est je crois appelé sélectivité intersexuelle, mais le terme de sélection sexuelle peut aussi servir pour parler de compétition au sens large, c'est-à-dire que ce qui compte n'est pas la survie d'un individu, mais sa capacité à assurer sa descendance.

Et il me semble que Darwin évoque aussi, à propos des abeilles, ce qu'on appelle aujourd'hui sélection de groupe, pavant ainsi la voie pour la perspective de la sélection multi-niveaux : « En effet, si l’aptitude à piquer est utile à la communauté, elle réunit tous les éléments nécessaires pour donner prise à la sélection naturelle, bien qu’elle puisse causer la mort de quelques-uns de ses membre. »

Toujours à propos des abeilles, Darwin prend le temps d'expliquer comment leur ruches à priori si complexes et si géométriques peuvent être expliquées par la sélection naturelle : c'est, bien sûr, une question d'optimisation, la pression évolutionnaire ayant petit à petit guidé les abeilles vers une  organisation particulièrement avantageuse où, par exemple, elles utilisent la quantité strictement minimale de cire pour former leurs rayons :

La cause déterminante de l’action de la sélection naturelle a été la construction de cellules solides, ayant la forme et la capacité voulues pour contenir les larves, réalisée avec le minimum de dépense de cire et de travail. L’essaim particulier qui a construit les cellules les plus parfaites avec le moindre travail et la moindre dépense de miel transformé en cire a le mieux réussi, et a transmisses instincts économiques nouvellement acquis à des essaims successifs qui, à leur tour aussi, ont eu plus de chances en leur faveur dans la lutte pour l’existence.

Abrégeons et venons-en à la conclusion, qui résume l'ensemble d'une façon efficace, et où Darwin rappelle les limitations humaines : « L’esprit ne peut concevoir toute la signification de ce terme : un million d’années ; il ne saurait davantage ni additionner ni percevoir les effets complets de beaucoup de variations légères, accumulées pendant un nombre presque infini de générations. » Plusieurs autres choses intéressantes. Déjà, ce petit passage qui ferait presque une citation crédible de Marc Aurèle :
« Toute l’histoire du monde qui nous est connue, bien que d’une durée presque incommensurable pour nous, n’apparaîtra que comme un simple fragment de temps, comparée aux âges qui se sont écoulés depuis que fut créée la première créature, ancêtre de descendants innombrables vivants et éteints. » 

Il se trouve aussi que Darwin était chrétien, et que sa théorie évolutionnaire était, dans son esprit, en lutte avec sa religiosité. D'ailleurs, dans L'origine des espèces, il ne se fait pas athée : « Certains auteurs éminents semblent pleinement satisfaits de l’hypothèse que chaque espèce a été créée d’une manière indépendante. À mon avis, il me semble que ce que nous savons des lois imposées à la matière par le Créateur s’accorde mieux avec l’hypothèse que la production et l’extinction des habitants passés et présents du globe sont le résultat de causes secondaires, telles que celles qui déterminent la naissance et la mort de l’individu. » Et enfin, détail d'autant plus marquant qu'il s'agit de l'avant-dernier paragraphe du livre, Darwin évoque une perspective existentielle bizarrement optimiste et indubitablement dépassée :

Comme toutes les formes actuelles de la vie descendent en ligne directe de celles qui vivaient longtemps avant l’époque silurienne, nous pouvons être certains que la succession régulière des générations n’a jamais été interrompue, et qu’aucun cataclysme n’a bouleversé le monde entier. Nous pouvons donc compter avec quelque confiance sur un avenir d’une incalculable longueur. Or, comme la sélection naturelle n’agit que pour le bien de chaque individu, toutes les qualités corporelles et intellectuelles doivent tendre à progresser vers la perfection.

samedi 3 juillet 2021

Poèmes III

Carel Willink - Siméon le Stylite


Nouvel amas de poèmes, après Poèmes I, Poèmes II et un long machin narratif. Ceux-là commencent à dater un peu, les plus récent sont de janvier. Les sujets comme les formes sont plutôt variés.



        Soleil assassin

Hier, des échos de nouvelle guerre froide
Tensions entre États-nations — modernes croisades
Gouvernements renversés — séniles tyrans
Anciens rites résurgents — religions du sang

Ce matin se lève le soleil assassin
Dernière aube contre laquelle tout est vain
Globe de flammes qui digère l’univers
Rond et croissant comme le ventre d’une mère

Déjà les caresses de la chaleur m’effleurent
Je brûle et pourtant je ne ressens pas de peur
Car il y a longtemps que je suis parti loin

Sur ma poignée de cendres la pluie sera noire
Et les fleurs qui pourront s’en nourrir seront rares
Ce matin se couche le soleil assassin

11/10/20


        Zeitgeist

Jamais une telle chape de plomb n’avait
Annihilé si puissamment l’imaginaire
Des invraisemblables légions qui s’inventaient
Autrefois une fière destinée stellaire.

Le ciel, jadis point d’interrogation, s’est fait
Point de suspension — point final — révélation
Que pas la moindre secte en quête du parfait
N’a su intégrer à sa glauque gestation.

Que les cultes fantomatiques soient bernés,
Certes, rien de neuf pour le voyant, mais nos pleurs
Coulent sur la tombe de la réalité
Tant adorée — pour toi cette gerbe de fleurs.

Moi et mes amis morts depuis longtemps avons
Rêvé à la vie qui pouvait se déchaîner
Dans l’ailleurs si vaste, dans les derniers tréfonds
Que même l’alliée science s’entêtait à nier.

Science, nous pensions — nous espérions précéder
Tes investigations qui sans le moindre doute
Ne tarderaient pas à trouver une entité
Quelconque, une escale sur la longue route.

Hélas, tu ne découvris rien d’autre que les
Bornes qui nous damnent ensemble, ainsi nos pleurs
Coulent sur la tombe de la réalité
Tant adorée — pour toi cette gerbe de fleurs.

4/11/2020



        Un peu d'air

L'herbe au soleil, la rosée du matin
Ne disent rien à rien
Les algues de la jalle hiératique
Se noient dans l’heuristique

Un parc, animal dompté, jouet d’enfant
Beauté, étiolement
Un vieillard seul parmi les herbes mortes
Un vieillard, mon escorte

Dans un champ trop clair pour ceux qui ruminent
La forteresse en ruine
Contraste avec le béton aliéné
Splendeur, terrain privé

Je pars sous le regard accusateur
Rêverie sans labeur
Pavillons, devantures mystifiantes
Le lavoir, son eau lente

Réserve, cabanes d’ornithologues
Eau croupie, analogue
Le héron en cage, c’est mon essence
Marais, mène la danse

Dans le tram, la démence a forme humaine
Dehors, dedans, amen
Surface de Mars, une termitière
Ivre, sans atmosphère

29/11/20



        Vertiges

Obscurantisme qui se porte sur la tête
Résidence des lilas
Béton, érosion, la mort a quatre roues
Grand Filtre, au quotidien
Progrès, progrès, sauvons le bourg
Chronopost s'engage pour la planète
École des métiers de la com, explosion
Jeunes gens qui sourient, épanouis
Ragondin, ce nuisible
Un cimetière sans arbres, tombes stériles
Greenwashing
Publicité Coca Cola lgbt
Le plaisir d'offrir
Une piscine, de l'eau morte
Une flasque, de l'eau-forte
Un chat se réchauffe sur la tôle
Super U, terminus
Descente de tous les voyageurs à bientôt sur nos lignes
Terreur lisse, blanche, pâle, vide
Culture subventionnée
Ville fleurie, territoire labellisé
« N'avalez pas ce que dit la pub » dit la pub
Solitude ? SOS amitié à l'écoute
Parodie, pastiche, une balle dans la tête
Rire, l'esprit, les sens en fête
Exaltation, une ombre de réel
Son du vent dans les roseau secs
Le sang, si rouge, si vif, intarissable
Vertiges, la vie est un liquide trop fluide
Vertiges, mon existence est un pillage
Vertiges, une baie rouge, enfin

01/01/21



        Memento Mori

Je suis mort quand j’avais quelques mois d’âge
Une longue cicatrice déchire
Mes cheveux de toutes façons jamais sages
Et me rappelle que tout pourrait être pire

L’avantage d’être déjà mort
C’est qu’on n’a rien à craindre
Alors quels que soient les coups du sort
Ils peinent à me faire geindre

Rien à perdre, mais aussi rien à gagner
Malédictions de l’indifférence
Et de trop d’amour éparpillé
Me font manquer d’adhérence

Pure matérialité, nihilisme total
Et univers de l’inconséquence
N’empêchent pas amour primal
Et appréciation radicale de l’existence

Conjugaison des forces opposées
Dualité salvatrice et seule vérité
Faire l’amour à la réalité

25/01/21


        Je suis je suis je suis

Il y a des gens qui parlent d’eux-mêmes
Comme s’ils étaient cohérents
But, baby, it’s just a game
Chuchote ce qu’il me reste d’inconscient

Moi-même — allons, je m’offre un Ô
Comme dans les anciens poèmes
Qui accordaient un certain sérieux aux flots
Aujourd’hui réduits à des amas de mèmes

Une balle dans la tête —
Non, pardon, je disais Ô
Existence, éternelle fête
Ô existence, toi qui n’as rien de faux

J’aimerais être aujourd’hui le même qu’hier
À cette heure le même que ce matin
Mais les perpétuelles marées de mes mers
Viennent balayer mon être incertain

Jamais le même
Perpétuel renversement
Il n’y a rien qui tienne
Je suis un effondrement

29/01/21


        La mort de mes grand-parents

Le canon du fusil dans la bouche
Goût du métal, goût malsain
La pression d’un doigt trop peu farouche
Et la cervelle étalée sur le papier peint

Le canon de la cigarette dans la bouche
Goût du tabac, goût malsain
L’inspiration d’une gorge trop peu farouche
Et la corruption des poumons tout de noir repeints

Pour les femmes, c’est au ralenti
Existence physique, mort de l’esprit
Alzheimer

29/01/21

 

        La mort de mon père

Comment est-il possible que la mort de mon père
Soit essentiellement dessinée par mon imagination ?
Réponse : mon oncle et les autres ont tenu à se taire
Et je n’ai pas posé de questions

Enfant, j’ai appris la mort de mon père par intuition
Quand mon oncle au téléphone a voulu parler à ma mère
À travers mon ignorance j’avais déjà percé ces machinations
Avant que les mots ne soient prononcés par ma mère : « Ton père… »

Je me souviens dans l’église aujourd’hui effondrée
De mon cousin qui s’est retourné en souriant
Et sur le moment je l’ai détesté
Avant plus tard de comprendre ce qui est important

Je me souviens des larmes de ma grand-mère
Soutenue par mon oncle, le dernier « homme »
Je crois que moi aussi j’ai jeté une poignée de terre
Mais ma mémoire est floue et ma santé est une gomme

Je connais bien la tombe épurée
Dans le cimetière du village où nous étions châtelains
Village où j’ai écoulé tant d’étés
Et où désormais nous ne sommes plus rien

Je me souviens si bien du médiocre palace
Et de son terrain qui m’a fait aimer la boue
Certes, je préférais lire sur la terrasse
Mais c’est là que la terre m’a fait aimer son goût

Je me souviens des dessins faits par les prisonniers allemands
Et de la cave qui m’effrayait
Le coq du clocher criblé de balles tirées par mon père inconscient
Et la salvia divinorum qui m’enfumait

Je me souviens de la gâchette sous mes doigts
Je me souviens des tonneaux de cidre gâché
Je me souviens des vaches au ventre gras
Et de mes cousins avec qui je me suis tant enivré

Mon oncle, faute de nouvelles
Est allé chez mon père
Il a trouvé un cadavre — amen !
Et ce cadavre était mon père

Comment est-il possible que la mort de mon père
Soit essentiellement dessinée par mon imagination ?
Réponse : certaines morts sont délétères
Et le remède est fantasmé dans l’omission

29/01/21