lundi 27 septembre 2021

Récolte de plantes sauvages comestibles d'automne : origan, noisettes, aubépine...

Hop, de retour à gambader dans les prés avec ma caméra, mon trépied et un sac pour ramasser toutes sortes de choses. Je ne sais pas si c'est une utilisation raisonnable de mon temps, mais au moins c'est plaisant : je fais un truc créatif tout en étant actif en extérieur et en apprenant des trucs sur les plantes.

Je voulais faire cuire des châtaignes dans mon hobo stove, mais c'est encore trop tôt : j'espère pouvoir faire ça sous peu. J'ai aussi été désagréablement surpris par les derniers développements de la situation à Bel Sito, cette grande propriété abandonnée que j'aime fréquenter : bientôt, comme pour le terrain du Château du Dragon, ce ne sera plus qu'une zone pavillonnaire de plus.

Sous-titres français disponibles, et lien direct vers la vidéo.

vendredi 24 septembre 2021

La cité des permutants - Greg Egan

La cité des permutants - Greg EganLa cité des permutants - Greg Egan

J'ai du mal à comprendre pourquoi La cité des permutants (1994) semble être le roman le plus populaire de Greg Egan : je l'ai trouvé très, très inférieur à Isolation (1992) et à Schild's Ladder (2002). Il échoue sur les parties essentielles : la trame narrative et l'idée hard SF centrale.

Déjà, il y a quasiment pas d'enjeux. Pendant la moitié du roman, on suit des personnages qui font des expériences en réalité virtuelle sans comprendre où on va. Certes, l'univers est riche en bonnes idées, qui tournent pour la plupart autour de ces scans du cerveau qui permettent aux riches de continuer à vivre dans des mondes virtuels. Quelles sont les conséquences éthiques, morales et légales ? Comment s'occuper quand on est immortel dans le virtuel ? Comment vivre quand on peut littéralement choisir ce qu'on est, quand on peut modifier à volonté ses désirs et ses pulsions, quand on peut manipuler sa propre psyché comme un programmeur manipule un logiciel ? Et, plus loin dans le roman, comment porter sur ses épaules le poids de l'infini et les pouvoirs démiurgique d'un Dieu ? Bref, ce sont ces aspects-là du roman qui font qu'on s'accroche.

Les personnages sont pour la plupart antipathiques, la narration est à la fois trop vague, trop éparpillée et trop longue, mais le pire, c'est le concept central : non seulement il est gros comme une maison, mais surtout, Greg Egan ne s’embarrasse guère d'explications. En résumé, tout programme informatique qui serait "éteint" continuerait en fait à tourner quelque part dans la trame de l'univers, et donc, il suffirait de créer un monde virtuel pour que, comme par magie, il se mette à tourner dans la "poussière de l'univers" et profite de capacités computationnelles proches de l'infini. Dans l'absolu, pourquoi pas, mais Greg Egan ne parvient absolument pas à convaincre que ce qu'il raconte tient debout, ne serait-ce que dans les règles propres au roman. On a l'impression qu'il n'essaie même pas. Pareil pour le personnage qui porte le projet, censé avoir été réincarné 26 fois d'une façon franchement incompréhensible.

Le niveau est un peu relevé dans le dernier tiers, quand on explore enfin Permutation City, la ville virtuelle qui existe magiquement dans l'éther. Les créateurs se font dépasser par leur création : une espèce intelligente, née dans un univers de poche via des règles physiques et biologiques simulées. D'une façon qui encore une fois n'est absolument pas assez expliquée pour qu'on y croie, cette espèce, par la force de ses déductions logiques, refaçonne la nature du virtuel où vivent les humains. Vraiment, les grands concepts explorés dans La cité des permutants sont plus que bancals, et je ne crois pas que ce soit faute de comprendre la science sous-jacente au contraire, il me semble que ces concepts sont bien moins solides et argumentés que ceux qu'explore Greg Egan dans les deux autres romans cités plus haut.

Le seul personnage sympathique et dont j'ai apprécié suivre les pérégrinations est Peer, assez riche pour se faire virtualiser mais trop pauvre pour jouir d'un haut niveau de vie dans le virtuel. Membre de l'auto-proclamée nation solipsiste, il explore toutes les possibilités du virtuel pour tenter d'y trouver une once de sens. De plus, faute d'argent, il ne peux pas se payer la puissance de calcul pour "tourner" à la même vitesse que les riches : son temps subjectif est donc 60 fois plus lent que celui du réel, contre 17 fois plus lent pour les élites. Puis, quand il s'embarque avec sa copine en passager clandestin dans Permutation City, il va expérimenter de nouveaux niveaux de solitude qu'il affrontera en s'imposant des passions arbitraires et aléatoires. Ça change des éplorations interminables des autres personnages.

mardi 21 septembre 2021

Climat : Comment éviter un désastre - Bill Gates


Bill Gates, l’un des hommes les plus riches et puissants du monde, vient de publier un livre sur la crise climatique et environnementale. À première vue, on peut être plus que sceptique : le mode de vie de Bill Gates est certainement un million de fois plus polluant que celui de l’humain moyen, alors de quel doit viendrait-il nous donner des leçons ? (Sans compter tout ce qu'il représente.) Heureusement, il a lui-même conscience d'une partie du problème, et il prend le temps de l’adresser :
Oui, mon empreinte carbone personnelle est scandaleusement élevée. J’en éprouve depuis longtemps de la culpabilité. Je suis conscient du haut niveau de mes émissions, et en rédigeant ce livre, j’ai compris qu’il était temps que je fasse tout mon possible pour les réduire. Le moins que l’on puisse exiger de quelqu’un qui se trouve dans ma position, qui se soucie du changement climatique et qui appelle publiquement à agir, c’est qu’il commence par réduire sa propre empreinte carbone.

On peut douter de telles déclarations, mais au moins Bill Gates ne fait pas comme si de rien n’était. Je vais donc le prendre au sérieux et examiner ce qu’il exprime de pertinent dans son livre. Ensuite, on pourra se pencher sur les limites de sa position.

Déjà, quand il s’agit d’expliquer la crise climatique, Bill Gates s’en sort bien : il ne nie pas la gravité de la situation. Par exemple, il mentionne que l’augmentation de la température aura des effets exponentiels :

Sous bien des aspects, une augmentation de 2 degrés ne serait pas seulement 33 % plus grave que 1,5 degré. Elle pourrait être 100 % pire. Le nombre d’individus peinant à se procurer de l’eau potable serait multiplié par deux. De même, dans les tropiques, la chute de la production de maïs doublerait.

Sources de l'électricité mondiale
D’ailleurs, la situation est tellement grave qu’il propose un objectif de zéro émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050, du moins pour les pays développés. Un objectif incroyablement ambitieux, tant les combustibles fossiles ont une place capitale dans nos vies : quasiment tous les objets du quotidien doivent leur existence, d’une façon ou d’une autre, aux combustibles fossiles. Et pour cause : le pétrole est incroyablement abordable, au litre, il est même moins cher que le soda, du moins aux USA. Et la situation est d’autant plus tendue qu’avec la croissance démographique, l’équivalent d’une ville comme New York est construit chaque mois, et la demande en électricité va exploser dans les décennies à venir.

L’une des idées principales de Bill Gates est la Green Premium : c’est-à-dire la différence de prix entre une ressource classique et une ressource dite « propre ». Il passe une bonne partie de son livre à essayer de trouver comment réduire ces Green Premium, c’est-à-dire comment rendre les énergies « propres » abordables financièrement. La principale solution qu’il propose, c’est de passer au tout électrique : en effet, l’électricité, contrairement à l’essence, ne produit pas de gaz à effet de serre — mais, bien sûr, tout dépend de comment on obtient cette électricité : si c’est avec des centrales à charbon, on a fait un pas en avant pour faire un pas en arrière. À première vue, les énergies renouvelables semblent être la réponse à ce problème.

Pourtant, les énergies renouvelables sont loin d’être parfaites. Bill Gates évoque notamment le problème des barrages et donc de l’énergie hydraulique :

La création d’un réservoir entraîne l’exode de la population et de la faune. Quand on recouvre la terre d’eau et qu’il y a beaucoup de carbone dans le sol, ce dernier finit par se transformer en méthane qui s’échappe dans l’atmosphère. Des études montrent ainsi que, selon le lieu où il est construit, un barrage peut en réalité se révéler un pire émetteur que le charbon pendant cinquante ou cent ans, avant qu’il ne compense tout le méthane dont il est responsable.
Quant à elles, les énergies solaires et éoliennes sont complètement dépendantes de la météo. C’est le problème de l’intermittence :
Le soleil et le vent sont des ressources intermittentes ; ils ne produisent pas d’électricité vingt-quatre heures sur vingt-quatre, 365 jours par an. Or notre besoin d’électricité, lui, n’est pas aussi intermittent : nous en voulons tout le temps. Par conséquent, si le solaire et l’éolien doivent constituer une grande partie de notre combinaison électrique et que nous souhaitons éviter des coupures majeures, il nous faut d’autres solutions pour les moments sans soleil ou sans vent. Soit nous devrons stocker le surplus d’électricité dans des batteries (ce qui est excessivement cher), soit nous devrons ajouter d’autres sources d’énergie qui utilisent des combustibles fossiles, comme les centrales au gaz naturel qui ne fonctionneraient que quand nous en avons besoin.


Voilà qui limite déjà la valeur du solaire et de l’éolien, mais ce n’est pas tout :
Malheureusement, l’intermittence nocturne n’est pas le problème le plus difficile à régler. La variation saisonnière entre été et hiver constitue un obstacle bien plus important.
En effet, on ne peut pas compter sur le soleil pour se chauffer en hiver, ni même sur le vent, qui n’offre pas de certitude. Mais pourrait-on résoudre ces problèmes de variabilité en stockant l’énergie dans des batteries ? Par exemple, quelle quantité de batteries faudrait-il pour alimenter une ville comme Tokyo pendant 3 jours complets ? Réponse : il faudrait plus de batteries que le monde n’en produit en une décennie. On comprend donc que le problème de l’intermittence du solaire et de l’éolien n’est pas près d’être résolu par les batteries, et ça risque de rester le cas pendant très longtemps :
Les inventeurs ont étudié tous les métaux que nous pourrions utiliser, et il semble peu probable qu’il existe des matériaux qui aboutissent à des batteries nettement plus performantes que celles que nous produisons déjà. Je pense que nous pourrions les améliorer d’un facteur de 3, mais pas d’un facteur de 50.
Et c’est sans compter le fait que les besoins en électricité vont drastiquement augmenter :
Nous aurons besoin de beaucoup plus d’électricité propre. La plupart des experts reconnaissent qu’avec la poursuite de l’électrification des autres processus générant de grandes quantités de carbone – telles la fabrication de l’acier et l’utilisation des voitures –, l’approvisionnement en électricité dans le monde va nécessairement doubler, voire tripler d’ici 2050. Sans compter l’accroissement de la population, ou le fait que les gens s’enrichiront et utiliseront donc plus d’électricité. Par conséquent, le monde aura besoin de bien plus que trois fois la quantité d’électricité que nous produisons aujourd’hui. »

Il va donc falloir tripler la quantité d'électricité produite pendant les 30 prochaines années si nous voulons conserver nos habitudes de vie. Les besoins en nourriture vont eux aussi continuer à augmenter : à cause de la croissance de la population, bien sûr, mais aussi parce que plus le niveau de vie des populations augmente, plus elles consomment. Et c’est une contradiction qui traverse tout le livre : il est positif d’augmenter le niveau de vie des populations, mais en augmentant leur niveau de vie, on augmente en même temps leurs besoins énergétiques et leurs émissions de gaz à effet de serre. « Plus les gens progressent dans l’échelle sociale, plus ils produisent d’émissions. » 


Le premier problème majeur qu’on trouve dans ce livre, c’est celui des « énergies propres ». Bill Gates emploie ce terme comme si les énergies dites renouvelables étaient vraiment propres, alors qu’en même temps, il donne les éléments pour comprendre qu’aucune des énergies dite renouvelable n’est vraiment propre. Les éoliennes exigent des quantités énormes de métal et de béton, deux matières dont la fabrication émet des quantités énormes de CO2, sans compter que les éoliennes ont une durée de vie limitée, de l’ordre de 20 ou 30 ans. Ainsi, par exemple, la fabrication d’une tonne d’acier produit environ 1,8 tonne de dioxyde de carbone, et pour la fabrication d’une tonne de ciment, on obtient une tonne de dioxyde de carbone.


Les panneaux solaires eux aussi exigent de vastes quantités de minerais, notamment la silice, dont la production émet beaucoup de CO2. Quant à l’énergie hydraulique, Gates a directement évoqué ses problèmes, comme on l’a vu. Ces méthodes de production d’énergie sont également bien moins efficaces que les combustibles fossiles ou le nucléaire sur le plan de l’espace qu’elles exigent sur nos territoires. 


La logique est la même pour les voitures électriques : leur construction exige de vastes quantités de matières premières polluantes, et il faudra toujours plus d’électricité pour les nourrir, de l’électricité qui avec un peu de chance proviendra de sources certes moins « sales » que le charbon, mais des sources qui ne seront jamais vraiment « propres », malgré leur nom.

Le problème fondamental de Bill Gates est récurrent : il refuse complètement le moindre changement systémique. Certes, on peut avancer que son « pragmatisme » et son « réalisme » sont des qualités, mais comme j’essaie de le démontrer, cela ressemble plus à de l’aveuglement. Voici un exemple parlant : Gates mentionne quatre façons de réduire les émissions liées aux transports.

1. Moins se déplacer en véhicule motorisé – sur les routes, dans les airs, sur les mers.

2. Utiliser moins de matériaux qui sont sources de carbone dans la construction automobile (c’est assez vague)

3. Utiliser plus efficacement nos carburants (encore une fois, assez vague)

4. Passer aux véhicules électriques et aux carburants alternatifs
Alors, quelle est la méthode la plus efficace ? Selon Bill Gates, c’est… l’idée numéro 4. Selon lui, le passage aux véhicules électriques et aux carburants alternatifs est plus efficace que de tout simplement moins se déplacer, alors qu’en même temps il explique qu’il n’existe pas encore de carburant alternatif sérieux. Toute modération, tout changement de nos sociétés tendant ne serait-ce que légèrement vers la décroissance est inenvisageable pour lui. Il le dit clairement ailleurs : « Comment bénéficier de tous les avantages des voyages et des transports sans rendre le climat invivable ? » La réponse simple est : c’est impossible. Il est impossible de continuer à vivre comme aujourd’hui sans en subir les conséquences. Mais Bill Gates est incapable de dire ça, alors sa seule option est de pointer vers des solutions technologiques miracles. C’est dans le titre : « Les innovations nécessaires ». Nécessaires pour maintenir notre rythme de vie, oui, mais ce n’est pas parce qu’elles sont nécessaires qu’elles vont devenir réalités ! À chaque fois que Bill Gates fait face à des contradictions insolubles parce qu’il refuse d’envisager de réels changements sociétaux, il écrit quelque chose comme : « Il nous faudra trouver des innovations. » Certes, il faudrait. Mais pour l’instant, c’est juste de la foi, de l’espoir.

Une autre citation révélatrice : « Il faut que notre système énergétique cesse de faire toutes ces choses que nous n’aimons pas tout en continuant à faire toutes celles que nous aimons. » Ou, autrement dit, il nous faut le beurre et l’argent du beurre. Malheureusement, ce n’est pas comme ça que fonctionne la réalité.

Pour conclure, je voudrais me concentrer sur quelques points particulièrement pertinents, à commencer par le rôle du nucléaire, qui souffre d’une grande crise de confiance. Pourtant,

…c’est la seule source d’énergie sans carbone qui puisse distribuer de l’énergie de manière fiable jour et nuit, peu importe la saison, presque partout sur Terre, et qui ait démontré son efficacité à grande échelle. […] Il est difficile d’envisager un avenir où l’on décarbonerait notre réseau électrique de manière abordable sans utiliser davantage d’énergie nucléaire.

Quant aux dangers du nucléaire, ils sont à relativiser en les comparant à la pollution atmosphérique que causent les combustibles fossiles, pollution qui cause des millions de morts précoces. Ainsi, la pollution due au charbon tue chaque année plus de personnes que tous les accidents nucléaires additionnés. De plus, le prix des énergies fossiles est encore plus fort quand on prend en compte les dégâts considérables que causera le changement climatique. Il ne s’agit pas d’idéaliser le nucléaire, mais simplement de ne pas se concentrer sur ses risques tout en oubliant les dangers plus diffus mais encore plus dévastateurs que représentent les autres énergies fossiles, à cause de leur émission de gaz à effet de serre.


Bill Gates est sans doute un capitaliste impitoyable, mais sur les questions climatiques, il a le bon goût le reconnaître l’importance cruciale des États :  « Nous avons besoin que le gouvernement intervienne massivement pour offrir les avantages appropriés et veiller à ce que l’ensemble du système profite à tout le monde. » En effet, ce sont les décisions politiques à grande échelle qui peuvent avoir des impacts concrets. Et si Bill Gates suggère aux individus des choses classiques voire ridicules comme « réduisez les émissions de votre maison » ou « achetez une voiture électrique », voilà quel est son premier conseil :  « La chose la plus importante que chacun d’entre nous puisse faire pour aider à éviter un désastre climatique est de s’engager dans le processus politique. »

Difficile de le contredire sur ce point. Simplement, j’ai tendance à penser que cet engagement doit se faire en gardant en tête l’idée capitale que la croissance infinie dans un monde fini est impossible, idée que l’on ne trouve nulle part dans les pages du livre de Bill Gates.

Pollution des transports par type de véhicule

samedi 18 septembre 2021

Isolation (Quarantine) - Greg Egan

Isolation (Quarantine) - Greg EganIsolation (Quarantine) - Greg Egan

Isolation, ou Quarantine en VO, publié en 1992, est le premier vrai roman de hard SF de Greg Egan. Il met un certain temps à se développer. On plonge tout d'abord dans un futur cyberpunk relativement familier en compagnie d’un détective privé qui doit enquêter sur une disparition. À priori, banal et pas très palpitant. Heureusement, en attendant que la trame se déploie, l’univers relève l'intérêt. Déjà, un artéfact à priori alien isole le système solaire du reste de l'univers (R.C. Wilson reprendra l'idée dans Spin). Pourquoi ? Pour l'instant, mystère. Ensuite, des mods neuronaux permettent toutes sortes de contrôle du la psyché : être calme et rationnel quand on est un policier en service, s'endormir à volonté, combler le manque d'un être aimé décédé...

Au tiers du roman, notre narrateur se fait implanter de force un mod de loyauté : voilà que, soudain, un conglomérat d'entreprise qu'il ne connaissait pas jusque-là devient la chose la plus importante au monde pour lui, de façon la plus sincère possible. Qu'est-ce que la liberté dans un tel contexte ? Ce n'est pas le seul mod qui vient explorer le thème de l'auto-détermination, et cet aspect du roman m'a profondément enthousiasmé. Les modifications de la personnalité causées par les mods, volontaires ou subies, sont-elles fondamentalement différentes des évènement aléatoires, du mélange inné/acquis, qui fait de chacun ce qu'il est ? Greg Egan prend le temps d'explorer ce concept en profondeur, avec quelques vrais écarts philosophiques, et c'est peut-être ma partie favorite du récit.

Puis, vers la moitié du roman, on l'attendait et la voilà : paf, physique quantique. Cette fois, c'est plus simple que dans Shild's Ladder : si pas mal de détails sont restés un peu confus, j'ai aisément compris l'essentiel (mais qu'on me pardonne mes explications foireuses — je n'ai aucune base sérieuse sur ces sujets). En physique quantique, le principe d'incertitude indique qu'a un niveau fondamental, les particules n'ont pas d'état stable : différents états coexistent (que l'on exprime sous forme d'une fonction d'onde), et ce n'est que quand on les observe qu'elles se figent en un état unique. Greg Egan extrapole sur la base de ce principe et le rend valable avec les humains, qui, à un moment de leur évolution, auraient évolué la capacité de figer leur champ d'observation en un état unique ; la nature de l'univers ayant originellement été la coexistence d'une infinité d'états. Donc, en observant l'univers, les humains déciment une quantité hallucinante de potentialités, d'où l'intervention alien : ces "aliens" seraient des êtres qui existent dans la complexité totale des états parallèles, et donc il est naturel qu'ils cherchent à empêcher l’effondrement des réalités que provoquent par inadvertance les humains.

Wow ! Ce concept est captivant. Ensuite, la trame tourne autour de la prise de contrôle de ce champ des possibles, grâce à un mod basé sur le cerveau d'une personne qui sort de l'ordinaire : si le mod permet tout d'abord à celui qui le possède de sélectionner l'état d'un atome, notre narrateur se retrouve par la suite à pouvoir sélectionner n'importe quel état concernant n'importe quoi. C'est-à-dire que toute chose ayant une certaine probabilité d'arriver, aussi infime soit-elle, il lui est possible de sélectionner l'une des infinités de réalités parallèles où la chose désirée arrive, quitte à ce qu'une infinité de ses moi parallèles soient effacés une fois qu'il fait s’effondrer les potentialités vers le résultat souhaité.

En revanche, pas besoin d'avoir un prix Nobel de physique pour comprendre que c'est un peu gros, c'est-à-dire que l'auteur va tellement jusqu'au bout de son idée qu'on accepte plus de le suivre pour l'expérience de pensée que parce qu'on y croit narrativement. Ainsi, dans son dernier quart, le roman m'a poussé dans un certain détachement et sa fin a eu bien moins d’impact que les quelques grosses révélations qui essaiment le récit. Ceci dit, ça reste excellent, et j'aime le parallèle que Greg Egan fait entre sa physique quantique maison et le quotidien de chacun : si, pour nous, chaque décision est la mort d'une autre vie qui aurait pu être la nôtre, pour le narrateur de Quarantine, ce problème devient littéral.

mercredi 15 septembre 2021

Schild's Ladder - Greg Egan

Schild's Ladder - Greg Egan

De Greg Egan, je n'avais lu que Axiomatique et Radieux, il y a longtemps. D'excellents recueils de nouvelles, mais je n'avais jamais effleuré ses romans, qui ont la réputation d'être assez hermétiques. Schild's Ladder (2002) n'a jamais été traduit en Français, et en effet il faut avoir une certaine tolérance envers les longues considérations sur la physique. Il faut croire que j'ai cette tolérance, mais c'est avant tout parce que l'ensemble est plus que réjouissant.

An 23000 environ. Une bande de joyeux aventuriers de la physique se lance dans la création d'un nouvel état de la matière, ou quelque chose du genre ce n'est pas comme si je comprenais la physique sous-jacente, la fictive comme la réelle. Ils y parviennent, mais, pas de bol, leur création est en expansion et bouffe l'univers humain à la moitié de la vitesse de la lumière. Bien des centenaires plus tard, d'autres aventuriers de la physique sont à bord d'un vaisseau qui surfe près du bord de l'anomalie qui a déjà dévoré bien des systèmes solaires. Ils tentent de la comprendre, voire de l'arrêter : deux factions sont en compétition, l'une ne songe qu'à protéger l'univers humain, les autres voient dans l'anomalie une énorme valeur potentielle. On le devine, ce sont ces derniers qui auront raison — ce ne serait pas marrant sinon.

En plus de cette trame autour de la recherche scientifique, et de l’atmosphère qui va avec, on a droit à quelques plongées dans cet univers et les habitudes humaines de l'époque. Le cerveau biologique est un peu dépassé, mais également les genres : les humains développent des organes sexuels spécifiques à chaque relation ! Greg Egan explore admirablement bien cette partie de son récit, sans faire n'importe quoi avec les pronoms et sans faire du militantisme mal placé, ce qui ne va pas de soi. J'ai aussi beaucoup aimé l'étude du concept des anachronautes, ces humains de l'ère ancienne qui voyagent à des vitesses "lentes" et qui ne parviennent pas à accepter la fin des genres, ni d'ailleurs à dépasser une certaine fermeture d'esprit propre au vingt-troisième siècle apparemment — je n'ose pas imaginer à quel point les humains des siècles précédents devaient être attardés.

J'ai trouvé que contrairement à bien des auteurs de hard SF, Greg Egan maitrisait très bien ses personnages — pour qui n'a rien contre les introvertis hyper-rationnels qui débattent calmement éthique et physique quantique en toutes situations. Certes, ils ne sont pas aussi importants que les concepts explorés, mais l'alchimie entre concepts et personnages est assez irréprochable. La découverte de l'intelligence dans l'anomalie est mise en parallèle avec une expérience d'enfance des deux personnages principaux : ils ont caché l'existence, sur leur planète natale, d'une forme de vie primitive, pour éviter l'évacuation planétaire. Beau dilemme moral. Et encore une chouette idée : le slowdown, ralentissement général du temps subjectif de tous les humains d'une planète quand un membre de cette société est en voyage inter-système, pour éviter le drame des décalages temporels causés par les voyages relativistes.

Que j'aime toute cette foisonnance de concepts captivants ! Et la fin est une véritable plongée dans l'inconnu, dans un univers aux règles physiques différentes, un univers dont les plus petits composants sont eux-mêmes des formes de vie. Ça m'a fait du bien de lire Schild's Ladder : de la fiction intelligente et stimulante qui ne faiblit pas pour autant sur les plans esthétiques et humains. Je vais lire d'autres romans de Greg Egan, sans aucun doute.

lundi 13 septembre 2021

Les écologistes hypocrites

Mes précédentes tentatives de produire sous format vidéo étaient tout à fait plaisantes et instructives. Elles avaient aussi l'avantage de me pousser à aller dans le dehors. Ceci dit, elles nécessitaient beaucoup de temps pour assez peu, disons, d'audience. Il m'a semblé nécessaire de revoir mon format.

Dans tous les cas, je passe pas mal de temps à lire, et à écrire sur ce que je lis. Alors faire de la vidéo à partir de ce matériau, ou du moins faire de la vidéo qui élabore sur ces bases que je pratique déjà, me semble naturel et plus viable, moins chronophage, et plus adaptable sur le long terme.

Plutôt que de simplement parler de livres, il m'a semblé pertinent de me spécialiser sur les questions environnementales. Il me semble que déblatérer sur ces questions, ou même aller jusqu'à produire (si j'y parviens) des choses sensées, constructives et instructives sur ces questions, n'est pas une totale perte de temps, aussi bien pour moi que pour qui regarde/écoute.

Bref, ci-dessus ma première tentative. La qualité de mon élocution est bien sûr discutable, de même que la façon dont j’utilise le format vidéo. Le ton juste n'est pas encore trouvé. Si je ne m'en lasse pas sous peu (ce qui est loin d'être improbable), j'espère m'améliorer. Tout retour est le bienvenu.

Lien direct vers la vidéo.

jeudi 9 septembre 2021

Carnet de voyage : Bivouac en Aveyron & séjour à Vienne


Je sens que le temps des grands voyages touche à sa fin pour moi, mais, chanceux, j’ai pu glisser quelques petites choses cet été. Pas de carnet de voyage concret cette fois, juste des souvenirs, après coup.

Audrey n’avait jamais fait de la rando, de la vraie rando, avec sa maison sur le dos. C’était un vide qu’il fallait combler, un pucelage qu’il me fallait dérober. La veille de notre départ, nous décidons de faire Rodez — Millau à pied, soit quelques jours de marche. Nous n’avons pas de tente pour deux personnes, et comme les magasins sont dévalisés et que nous nous y prenons littéralement au dernier moment, je jette mon dévolu sur une tente à 30 €. Je suis suspicieux, mais au final, elle nous servira fidèlement, sans faillir — mais je n’aurais pas aimé devoir traverser de vraies nuits pluvieuses là-dedans.

Audrey, agile, solide, se débrouille bien, elle s’adapte à merveille. Moi, je ne suis pas tendre : nous marchons toute la journée, jusqu’à ce qu’elle n’en puisse plus. Certes, j’aurais pu être plus modéré, mais c’est l’objectif : y aller vraiment, sans retenue ; lui offrir l’épuisement physique sain et véritable. Le second soir, un homme étrange passe dans le champ où nous campons, avec une horde de petits chiens mignons. Le moins timide vient me léchouiller avidement. Le troisième soir, nous sommes sur une crête ornée d’éoliennes. Une autre horde animale se jette sur nous : des fourmis volantes, des centaines de fourmis volantes. Sans qu’on comprenne pourquoi, elles se cantonnent exclusivement sur notre toile de tente, sur laquelle elles copulent inlassablement. Pour éviter de les bloquer entre les deux toiles, nous ne dormons qu’avec la toile intérieure. Le lendemain matin, le soleil se lève héroïquement entre les moulins de métal, et je ramasse des framboises sauvages. Une belette me montre son museau dans les fourrés avant de détaler, non sans m’avoir fixé curieusement auparavant. 


Un ruisseau nous offre son eau fraiche. Nous sommes nus sous les arbres, entre les fougères, dans ce microcosme paradisiaque, et quel plaisir que de refouler notre crasse dans un contexte aussi privilégié. La lumière, incertaine, est celle d’un sous-bois mystérieux. Audrey évoque avec étonnement des sortes de vers aquatiques qui se dirigeraient vers elle. Des bestioles, c’est bien normal ! Et alors que j’énonce cette idée naïve, je sens quelque chose me chatouiller le pied. Je baisse instantanément les yeux et, surprise, des sangsues affamées escaladent ma peau. Je lâche un cri bien peu viril et je saute hors de l’eau. Des sangsues ! Le reste de la douche se fait avec plus de prudence.


Les chaussures d’Audrey ne sont ni récentes, ni de bonne qualité : voilà qu’une de ses semelles se barre. On rafistole avec de la ficelle, mais ce rafistolage est bien évidemment précaire. Elle crapahute tant bien que mal, et finit, sous mon insistance, par arracher l’autre semelle, histoire de ne pas marcher comme un dahu. Quelques averses viennent nous rafraîchir, et Audrey se jette sous les gouttes. Notre quatrième bivouac se fait avant la longue descente vers Millau, non loin de l’autoroute. Au petit-déjeuner, tripotée de mûres sauvages. Nous traversons un paysage qui m’enthousiasme, fait de collines encore livrées à elles-mêmes, à la végétation rase. Ça ne manque pas de plantes comestibles, un lapin sautille, et j’identifie un chêne-liège : voilà d’où viennent, ou venaient, les bouchons de nos bouteilles de vin. Audrey fatigue, en bonne partie à cause de ses chaussures qui désormais ressemblent plus à des chaussons, et, une fois à Millau, elle s’autorise, chose rare, un peu de mauvaise humeur ! Soit, soit, mais le bilan est positif.

Devant ces menus problèmes, nous abrégeons, et suivent quelques jours dans le jardin d’Audrey. Quel plaisir que de manger les haricots ramassés par nos doigts impatients, de déterrer des pommes de terre (bien que la récolte soit modeste), de prendre soin des tomates en lutte perpétuelle avec le mildiou. Quant à elles, blettes et courgettes prospèrent tranquillement, valeurs sûres. Armé d’une pelle-bêche, je ratiboise et déracine un coin laissé en friche, et nous arrachons les vénérables pieds de lierre qui depuis trop longtemps étouffent les pommiers fatigués. La volière n’est plus qu’une cage à hautes herbes, le poulailler un champ de menthe et d’ortie, et les lapins sauvages viennent manger les pieds de chou — j’aime les ruines. Et toujours, je me lasse, je trépigne, j’ai besoin d’aller m’agiter et m’ennuyer ailleurs.

Bernadette, mon amie autrichienne, vit dans une grande maison avec trois colocataires, elles aussi des jeunes femmes qui, à l’extrême limite des études, lorgnent avec méfiance, curiosité ou enthousiasme vers le monde qui attend de les gober. Quelle localisation exceptionnelle ! La maison est à deux minutes à pied d’une gare, et Vienne est à 15 minutes en train. Pour faire ses courses, il y a un supermarché encore plus près que la gare. Pour marcher, courir, ou se perdre dans les fourrés, les hautes collines boisées sont toutes proches, à quoi, 10 minutes ? Et le jardin, chaotique, en pente, était auparavant géré par des botanistes : les restes d’une incroyable variété de plantes s’y bataillent encore. La baraque est ancienne, il n’y a pas de couloir, et l’isolation sonore est déplorable, mais qu’importe, je veux ce contexte, j’aime ce contexte.


Errer dans Vienne ne m’intéresse guère ; les grandes villes, j’ai eu ma dose, merci bien. Néanmoins, il me faut un minimum honorer la capitale, et nous allons rencontrer la sœur de Bernadette dans un typique café viennois. En boisson, je prends un café à je ne sais quoi, un café appelé « mélange » — détail frappant, car je suis en train de relire Dune. Bernadette s’installe comme écoutant un podcast pendant que j’assaille sa sœur, étudiante en psychologie. Mettant comme souvent tout tact de côté, je la questionne, je glisse autant que possible mes doigts curieux dans son esprit. Nous papotons pendant des heures, et, comme c’est souvent le cas, elle bat en retraite quand j’évoque sans retenue l’avenir sous l’angle de la crise climatique. Elle sait, elle comprend, mais elle choisit ne pas en parler, de ne pas y penser — voilà notre perte. Autre instant qui me revient : elle me demande ce que je pense de « l’appropriation culturelle ». Ah, voilà donc les problèmes qui occupent la gauche, voilà les vrais problèmes ! Je lui dis que c’est un concept parfaitement stupide, puisque tout vient de quelque part. Oui, les idées et les cultures évoluent, changent et bougent, entre des mains différentes, c’est le principe même des idées et des cultures. Elle est étonnée : c’est la première fois qu’elle entend cette opinion.

Pendant les huit jours que je passe là-bas, je gambade dans trois musées : L’Albertina, que j’avais déjà visité il y a bien longtemps, le Kunsthistorisches Museum et le Belvédère. Plein de trucs qui me laissent froid, évidemment, en particulier les expos de photos qui prennent une place considérable, mais il y a aussi tout un tas de belles choses qui me touchent. Kandinsky m’enthousiasme, Dürer, Bosh, Michel-Ange, Bernardo Bellotto, Monet et ses nénuphars, Cézanne et sa Normandie… La Babel de Bruegel est encore plus renversante en vrai : la perspective foireuse qui fonctionne malgré tout, et tant de détails ! Je découvre aussi de lui quelques peintures que je ne connaissais pas. Klimt, en revanche, me laisse toujours aussi indifférent, sauf ses croquis de nus, allez savoir pourquoi. Et, oui, je m’autorise cette remarque impertinente : Klimt, c’est bien un truc de femmes !


Peut-être sans surprise, c’est Caspar David Frierich qui m’absorbe le plus longtemps, dans l’un de ses paysages de montagne. Peinture barrée par un arbre tombé, du humus humide envahi par les racines aux cimes nues balayées par les vents, il évoque toute l’expérience humaine sans représenter le moindre humain, il fait d’un paysage un miroir. Ma plus belle découverte, c’est certainement cette peinture d’Alexander Rodtschenko. Outre l’esthétique de la géométrie et des formes, il m’évoque de vastes constructions humaines dévorées par la rouille et le temps, ambition corrodée par les forces de la nature, symbolisée par ces sortes de trous noirs surpuissants ; mais quand l’ambition humaine se trouve en intersection avec la violence chaotique et indépassable du réel, alors surgit, furtivement, l’or. Je n’oublie pas d’honorer tous les autres, dont les noms ne sont pas autant gravés dans la mémoire collective.


Aussi, d’autres rencontres. D’abord, Patrick, qui entretient avec Bernadette une relation floue qui, attention, c’est important, n’est absolument pas une relation de couple. J’essaie de faire preuve d’un peu plus de retenue, mais, au bout d’un moment, je l’assaille lui aussi. Il répond avec beaucoup de prudence. Détail intéressant : il bricole son appart pour en faire une smart home open source. En une heure, je déterre pas mal de choses que Bernadette ignorait. Je le reverrai plus tard dans la semaine : après une soirée dans un Durchhaus, institution locale historique, nous allons gambader entre les vignes, sur les collines qui bordent la ville, au nord. Bernadette est elle-même très confuse par cette relation, mais Bernadette est globalement confuse, rien de neuf. Je rencontre aussi les parents de Bernadette, et je crois que je ne fais pas trop honte à leur fille. Autre rencontre, une amie de Bernadette et sa compagne, prof d’université française qui a quitté mari et enfants pour l’adorable petite jeunette qui collectionne les statuettes de crocodile. Le restaurant est bien trop bruyant pour que je sois capable de socialiser convenablement (je n’aime pas les restaurants), mais les nachos sont stupéfiants, délicieux ; une révélation.

Peut-être que le mieux, c’est simplement de rester dans ou autour de maison, avec Bernadette et ses colocataires élusives, allant et venant. Le cadre de vie, le contexte quotidien, c’est le but, c’est ce qui compte ! Dans la chambre qui est m’est attribuée, chambre d’une des colocataires absente (sous-colocataire pendant que la colocataire long-terme étudie des insectes dans les montagnes italiennes), pas de rideaux, quatre billets de 100 € laissés en vrac, et des capotes qui traînent. Je lis sur la table en bois devant la maison, je me morfonds sur mon matelas, je fais des crêpes et de la compote (sans sucre !) avec pommes du jardin et baies de sureau ramassées non loin, et je m’active dans le dehors. Avec Bernadette, je coupe, je coupe, je scie et je coupe ! Quel joyeux bordel, quel beau chaos, mais il faut faire un peu d’espace. Je suis heureux de manipuler une faux, ça faisait longtemps. Les branches tombent, je scie les plus grosses, j’arrache les lianes, je ramasse les pommes. Tout s’éclaire, le soleil passe mieux. Il nous faut éclaircir la glycine qui envahit dangereusement le trottoir. Un oiseau vient dévorer les raisins sur la vigne, Bernadette lui court après, un écureuil traverse le jardin, nous ramassons des plantes pour le prochain repas, l’unique brocoli est magnifique, je gobe les tomates cerise sans me soucier d’en laisser aux autres, et je me lasse, je vais lire une heure à l’ombre du sureau.


Dans les collines paradisiaques, je ramasse de la verge d’or, que je fais sécher ensuite. Bernadette me montre son chemin de course, qu’elle ne peut pas pratiquer en ce moment, horreur absolue : elle a mal à la cheville. Je m’extasie devant autant de plantes et de fleurs, juste-là, si près de la maison. Je vole des prunes dans un jardin, je vais tout seul lire au pied d’une petite chapelle, et l’orage éclate, je m’abrite au bord de cette minuscule et forestière maison de Dieu, mais je finis par courir sous la pluie pour aller manger avec Bernadette et Patrick. J’ai un point de côté, puis des courbatures les jours suivants — marcher et courir sont donc des activités si différentes ?

Je m’agite, je m’immobilise, je suis las et impatient, instable, incohérent. Je me heurte aux murs, je me heurte aux gens, je me demande ce que je fais là, je me demande pourquoi je n’habite pas là. Hannah, la colloque à frange blonde, joue du piano dans sa chambre — j’ai un faible pour les franges blondes, qu’y puis-je. À d’autres moments elle peint, un soir, elle coud, j’entends la machine qui ronronne, qui ronronne. Son copain est catholique, elle le vit un peu difficilement. Bernadette apprécie ma compagnie, car je ne la prends pas trop au sérieux, elle peut vomir sa confusion, que je balaie d’une blague, avant de répondre avec sérieux. Ses poignets portent encore et porteront toujours les nombreuses marques du couteau, c’est très simple. Un ami me parle de ses vagues projets de suicide, je lui dis d’attendre au moins la mort de ses parents. Moi, j’aime la vie, j’adore la vie ! Ce n’est pas moi qui cours après la mort, c’est elle qui me bouffe de dedans. Mon cousin Clément vadrouille toujours en Australie, heureux — son instabilité est plus ancrée que la mienne. Un autre ami se met au chômage pour, enfin, avoir le temps de finir sa thèse. Mais où trouve-t-il la foi pour ça ? Je suis las de toutes mes tentatives avant même de les mettre en pratique. Je lis Greg Egan, ah, oui, c’est stimulant ! Plus de limites, plus de frontière entre l’imagination et le réel, enfin, tout est possible, tout est faisable.

J’imagine une voie, je la parcours en esprit, je vais jusqu’à sa fin ; je n’ai plus de raisons de la vivre, je l’ai déjà vécue. Ce qui m’accroche encore, c’est le contexte, le contexte de vie : oui, cette maison, ses habitants, je veux ça, je veux fabriquer ça — mais quoi ensuite ? 

mardi 7 septembre 2021

3zekiel - Peter Cawdron

3zekiel - Peter Cawdron

3zekiel (2019) est le roman le plus acclamé de Peter Cawdron sur Goodreads. Wherever seeds may fall, Anomaly et Xenophobia n'étaient dans l'ensemble pas très brillants, mais je me suis entêté car le focus de l'auteur sur le thème du premier contact avait malgré tout réussi à m'accrocher. Mais là, ça devient pénible. Il y a sans doute un roman sympathique caché quelque part dans 3zekiel, un roman bien plus court, bien plus maitrisé. 

En Afrique, des aliens silencieux s'apprêtent à descendre sur Terre via un ascenseur spatial. Bizarrement, ils ont choisi un coin paumé au milieu du Congo. Le narrateur est le fils d'un missionnaire et se retrouve embarqué dans l'aventure avec un scientifique et un Navy SEAL. Les aliens se révèlent être une mission automatisée, et les méchants russes veulent tout faire sauter. Bof. Le pire, c'est l'écriture : la trame étant assez maigre, l'auteur rempli avec du vide. Vraiment, je ne comprends pas comment qui a déjà lu quelques livre de SF peut ne pas avoir envie de sauter deux paragraphes sur trois tant c'est creux.

Exemple : nos héros échappent de justesse à une embuscade des russes d'une façon improbable. Ils s'enfuient et pansent leurs blessures. Peu après, ils échappent de nouveau à une embuscade des russes d'une façon encore plus improbable. Puis ils pansent leurs nouvelles blessures. Avec beaucoup de blabla en prime. Mais pourquoi ? C'est tellement foireux comme narration, et c'est tellement évident que c'est foireux. J'ai lu la majorité du roman en diagonale, porté simplement par une certaine curiosité envers la résolution. Dans tous les cas, peu importe la résolution : difficile de lui donner la moindre force avec une écriture pareille, une écriture qui rame péniblement 10 pages derrière mon attention impatiente.

samedi 4 septembre 2021

Xenophobia - Peter Cawdron

Xenophobia - Peter Cawdron

Xenophobia (2013), un autre roman du prolifique Peter Cawdron, auteur du médiocre Anomaly (2011) et du sympathique Wherever seeds may fall (2021). Encore une histoire de premier contact, donc. Cette fois, c'est en Afrique : une médecin de MSF se retrouve isolée avec une bande de marines alors que les forces des Nations Unies se retirent après la confusion causée par l'arrivée en orbite d'un énorme vaisseau alien. Isolés, nos héros n'ont accès aux infos que sporadiquement, par la radio. Les aliens font des trucs d'alien, et nos héros se retrouvent, par le hasard de la guerre, confrontés à l'une de ces créatures, capturée par des rebelles africains.

Bof bof. Comme d'habitude, l’aspect humain est complètement foireux, et je ne vais pas m'embêter à énumérer les problèmes de ce côté. Je suis là pour les aliens, pour le premier contact, et je suis prêt à être tolérant pour le reste si les idées centrales sont percutantes. Ces idées, dommage qu'elles soient entourées d'autant de narration un peu superflue (j'ai sauté des pages), mais il y a néanmoins du bon. Le milieu du roman, quand nos deux héros sont confrontés un alien, puis forcés à cohabiter et à collaborer avec lui, est certainement le moment le plus efficace. La confrontation avec l'inconnu fonctionne, l'alien est vraiment alien, et on s'interroge sur sa nature et les motivations de son espèce.

Dommage que la fin, en plus d'être rendue confuse par une écriture maladroite, sombre dans la moralisation bas de gamme. Les humains sont violents, ils ne prennent pas soin de leur planète, blablabla. Pas subtil pour un sou. Mais pas grave, notre héroïne parvient néanmoins à changer l'avis des aliens (qui voulaient domestiquer ces humains tumultueux) en leur faisant un beau discours sur l'auto-détermination qui valorise la "raison". Ce qui est complètement stupide, la "raison" n'est pas un argument, puisque la position des aliens (donner un coup de pouce évolutionnaire) peut elle aussi être jugée raisonnable.

Néanmoins, je vais m’entêter à lire d'autres romans de Peter Cawdron. L'écriture simpliste fait que ça se mange très aisément, et qu'y puis-je, je suis comme l'auteur un peu obsédé par ces thématiques. Il arrive à titiller ma curiosité, et c'est déjà pas mal.