jeudi 28 avril 2022

En ville (poème)

Un petit poème urbain. Il est temps que je déménage, apparemment.

Budapest, 2015


Y’a rien à faire en ville, tu picoles
Tu papotes vainement, dans l’alcool
Y’a rien à faire en ville, rien à faire
L’hypersocialité, flasque et grégaire

Tout le monde déprime, solitaire
Entre quatre murs y’a rien à faire
Produire des mots ou du code
Pure vanité, la réalité s’érode

De quoi tu veux parler quand t’as rien à faire
Parler c’est la seule chose que t’as à faire
Tu parles dans le vide t’as pas de racines
Tu flottes dans la ville bien sûr que ça te mine

Faut taffer pour payer son clapier
De quoi tu te plains t’as un PC
Le soir tu peux jouer à PUBG
Désire et la bouffe est sur ton palier

Faut se justifier d’exister
Et quand t’as l’idée de vouloir parler
Rien d’autre à faire
Qu’échanger sa misère

J’sais pas quoi faire
Y’a rien à faire prends une bière
C’est impératif il me faut du hors-piste
Le diable existe, oui le diable existe 

 

25/04/22

lundi 25 avril 2022

Soumission - Houellebecq

Soumission - Houellebecq

Je savais à quoi m'attendre en ouvrant Soumission de Michel Houellebecq, gobé par
un samedi pluvieux. Le narrateur, inévitablement, est un connard cynique et dépressif, amateur de livres, qui nous tient au courant des pérégrinations de son pénis. C'est plus que remâché, mais ça reste marrant. Je suis convaincu que le succès de Houellebecq est dû en bonne partie au caractère consolatoire de ses romans. Ses personnages sont tellement misérables que le lecteur moyen, lui-même probablement englué dans un désespoir silencieux, peut à la fois s'identifier et se sentir bien loti en comparaison.

Cette fois, notre connard et avatar de l'auteur est prof de lettres, spécialiste de Huysmans. On croit que Houellebecq va jouer à faire de Huysmans ce que Huysmans faisait de Gilles de Rais dans Là-Bas, mais pas tant que ça. Huysmans ne semble qu'être un ingrédient de plus dans la soupe : les références littéraires pour faire sérieux, le protagoniste misérable pour consoler, et une bonne dose de provocation pour vendre. Sinon, il faut bien avouer qu'entre la fac de lettres, les voyages en TGV, l'escale à Rocamadour, les nuitées en monastère et la forte influence d'auteurs défunts, Soumission a été une lecture hautement confortable pour moi, passons donc à ce qui est, à priori, provoquant.

Un président musulman est élu, la France s'islamise, et les français se soumettent bien gentiment. Déjà, je respecte l'audace de s'attaquer à un sujet à la fois important et extrêmement tabou, un sujet si propice à l'auto-censure. Houellebecq met les pieds dans le plat, et tant mieux. L'exécution, quant à elle, est très discutable. On peut à juste titre parler de l'apathie des peuples, du néant idéologique et spirituel de la modernité dominée par le marché, certes, mais l'aisance avec laquelle la France s'islamise dans le roman me semble extrêmement improbable, pour ne pas dire complètement inconcevable. Sur ce plan, Houellebecq se plante : je suis persuadé qu'un changement culturel aussi radical non seulement n'a pas (encore) de raison de se produire, mais serait de toutes façons rendu impossible (du moins dans l'échelle de temps dont il est question) par une population mine de rien attachée à quelques valeurs fondamentales, sinon motivée par un simple nationalisme. De même, le niveau de censure décrit, avec la mise sous silence de multiples émeutes et tueries dans les villes de France, n'est pas crédible. La politique-fiction est foirée. Il aurait fallu s'embêter à imaginer un futur plus lointain et complexe, mais ça se vendrait moins bien.

Cependant, le roman avançant, et le narrateur s'approchant de la conversion à l'islam, mon intérêt s'est réveillé. En effet, la perspective devient essentiellement psychologique, ce que l'auteur gère mieux. Là où la modernité libérale n'a à offrir au narrateur qu'alcool et solitude, l'islam vient avec un avantage certain : les femmes. Des femmes jeunes, très jeunes, soumises, obéissantes, et multiples. Sans compter le statut social : être parmi les premiers convertis, c'est finalement être membre du Parti. Et, plus globalement, il y a une sincère demande pour le traditionalisme qu'offre le gouvernent islamique : une importance renouvelée de la cellule familiale, des liens sociaux pas uniquement déterminés par le marché et un sentiment de puissance individuelle, puissance ici offerte à l'homme sur la femme. Ces demandes pourraient-elles être comblées par autre chose qu'un culte funeste et totalitaire ? Tout le roman est un non retentissant.

vendredi 22 avril 2022

Récolte de compagnon blanc, de bugle rampante et autres plantes sauvages

Hop, dans cette petite vidéo contemplative, j'explore un jardin abandonné et je récolte une variété de plantes sauvages comestibles : bugle rampante, moutarde sauvage, alliaire, compagnon blanc, ail des vignes... Cet endroit qui a l'automne dernier avait été complètement rasé reprend au printemps une vie nouvelle.

Sous-titres français disponibles et lien direct vers la vidéo.

vendredi 15 avril 2022

Climat : dernier avertissement - Mark Lynas

Climat : dernier avertissement - Mark LynasClimat : dernier avertissement - Mark Lynas

Il faut que je lise régulièrement ce genre de livre pour me rappeler que non, je ne suis pas fou, ce n'est pas moi qui suis fou. La majorité de ce que l'auteur raconte, je le savais déjà, j'ai lu plein de bouquins sur le sujet : c'est d'ailleurs le cinquantième livre à être référencé dans la catégorie "environnement" sur ce petit blog. Mais quand, en lisant ces pages suffocantes, on s'accorde une pause et on lève les yeux vers un monde humain qui fait, à quelques détails près, comme si de rien n'était, c'est à devenir dingue. Il n'y a rien, rien de plus important. Tout, absolument tout, est futile en comparaison.

Et le livre est très bien. Climat : dernier avertissement de Mark Lynas est structuré en six chapitres, un sur chaque degré supplémentaire qui nous attend potentiellement d'ici la fin du siècle, et sinon un peu plus tard. L'horreur va croissante, les romanciers ne peuvent pas faire plus renversant.

La première page frappe dur :

When I started writing this book I thought that we could probably survive climate change. Now I am not so sure. As you will read in these pages, we are already living in a world one degree warmer than that inhabited by our parents and grandparents. Two degrees Celsius, which will stress human societies and destroy many natural ecosystems such as rainforests and coral reefs, looms on the near horizon. At three degrees I now believe that the stability of human civilisation will be seriously imperilled, while at four degrees a full-scale global collapse of human societies is probable, accompanied by a mass extinction of the biosphere that will be the worst on Earth for tens or even hundreds of millions of years. By five degrees we will see massive positive feedbacks coming into play, driving further warming and climate impacts so extreme that they will leave most of the globe biologically uninhabitable, with humans reduced to a precarious existence in small refuges. At six degrees we risk triggering a runaway warming process that could render the biosphere completely extinct and for ever destroy the capacity of this planet to support life.

Il est tentant, avec l’hubris humain, d'oublier les boucles de rétroactions (feedback loops) : le réchauffement humain active des phénomènes naturels qui nourrissent eux-mêmes le réchauffement. Ainsi, même si par un improbable miracle les humains arrivaient à volontairement et drastiquement réduire leurs émissions, ces boucles de rétroactions, qui d'ailleurs sont déjà enclenchées, pourraient précipiter le réchauffement. Notons notamment les feux de forêts, et en particulier l’effondrement de l'Amazonie, qui est l'un des plus gros réservoir de carbone du monde ; la diminution de l'effet albédo à cause de la fonte des glaces de pôles, mais aussi des neiges et glaciers des montagnes ; la fonte du permafrost et le méthane émis en conséquence...

On peut s'attendre à une hausse des eaux de 2 mètres (chiffre très incertain) d'ici la fin du siècle, mais la fonte totale de la plupart des glaces est probablement déjà enclenchée, ce qui fait que hausse ne ferait que croitre par la suite. La montée des eaux tue déjà, par salinisation, des dizaines de milliers d'hectares de forêt. On peut s’attendre à 500 millions de réfugiés avec juste 2 mètres de hausse. Et c'est sans compter les centaines de millions de réfugiés dont les nations deviennent, littéralement, invivables à cause de la chaleur. Et c'est aussi sans compter les famines causées par la sécheresse et la chaleur. Les grands pays exportateurs de grain risquent de ne plus être en mesure de produire de surplus à exporter. Pour chaque degré supplémentaire, sans prendre en compte le manque d'eau, les récoltes baissent de 3 à 8%, en fonction des endroits, et leur qualité nutritionnelle diminue.

Dans l'hémisphère nord, les zones climatiques se déplacent vers le nord à une vitesse... visible à l’œil nu : 20km par an, soit 54 mètres par jour, soit un demi-millimètre par seconde.

Et le drame, le clou dans le cercueil, c'est que l'inévitable idée que les humains, pour lutter contre les effets immédiats du changement climatique, vont devoir brûler du combustible fossile. Avec +2°C, l'Afrique pourrait consommer en 2050, rien que pour l'air conditionné, l'équivalent de l'électricité consommée en tout par les USA, l'Europe et le Japon. Et on le voit partout, à des échelles certes moindres : ici, près de Bordeaux, pour éviter que les vignes éveillées par les chaleurs précoces se fassent assassiner par le gel, on fait bruler des braséros toute la nuit. Et ça sent le cramé en ville. 

A +3°C, l’hypothèse très optimiste pour la fin du siècle, on est dans un climat jamais connu par l'espèce humaine. Plus d'un milliard de personnes sont exposées chaque année à des température qui rendent impossibles le travail extérieur. La zone méditerranéenne se désertifie. Les glaciers, pour la plupart, n'existent plus. Il n'y a plus de glace dans les Alpes et bien d'autres massifs, ce qui provoque une aridité croissante dans les bassins habituellement nourris par l'eau de montagne issue des glaces, effet qui touche des centaines de millions de personnes dans le monde. Si à travers son effondrement l'Amazonie relâche la moitié du carbone qu'elle stocke en biomasse et dans ses sols, c'est l'équivalent de 10 ans d'émissions humaines. Nous connaitrons probablement de notre vivant la fin de l'Amazonie, et elle impliquera des feux colossaux.

Depuis 500 millions d'années, il n'y a qu'une occasion où la planète a connu un tel cataclysme lié à l'émission de carbone : l'extinction du Permien-Trias, il y a 252 millions d'années. Les humains n'ont pas encore émis autant de carbone et autres gaz à effet de serre que les probables éruptions volcaniques de l'époque, loin de là, mais... ils le font au moins 10 fois plus vite. Il n'y a donc peut-être jamais eu en 500 MA un réchauffement aussi rapide sur notre planète. Il n'est pas à exclure que ce chemin nous emporte vers un dérèglement total du cycle du carbone qui mène à une "vénusisation" de la Terre par un emballement climatique (runaway greenhouse effect) nourri par les boucles de rétroactions. La probabilité de cette hypothèse est bien sûr difficile à estimer, mais elle est réelle. Et plus on émet de gaz à effet de serre, plus on s'en rapproche.

Cette perspective existentielle n'est qu'une potentialité, mais un réchauffement situé entre 3 et 6 degrés d'ici la fin du siècle est quasi certain, et un tel réchauffement va causer un bouleversement colossal, apocalyptique, des civilisations humaines. Que faire ? Choisir dès maintenant un effondrement plus tolérable en ne brûlant plus de combustibles fossiles et en les laissant tous dans le sol. Est-ce que ça arrivera ? Improbable.

J'invite vivement à la lecture de Climat : dernier avertissement de Mark Lynas, qui bien sûr va beaucoup plus loin dans les chiffres et les détails, avec une montagne de références scientifiques.

mardi 12 avril 2022

Vivre avec la terre III - Créer une microferme - Perrine & Charles Hervé-Gruyer

Vivre avec la terre III - Créer une microferme - Perrine & Charles Hervé-Gruyer

Troisième et dernier volume issu de l'expérience de la ferme du Bec-Hellouin, après le premier et le second. Je vais faire un bref résumé avant de conclure sur l'ensemble.

On commence avec un sujet particulièrement coriace et captivant : la reproduction des plantes, et comment bien la comprendre pour pouvoir faire ses propres graines. Le chapitre sur la production de semences est de la très bonne vulgarisation scientifique, et je ne vais pas en relever des passages ici, tant l'ensemble est déjà hautement condensé. C'est sans doute le passage le plus dense des trois tomes, tant il s'agit de saisir des notions précises de botanique et de génétique, et il faudra que je relise plusieurs fois ce chapitre en intégralité pour espérer me rentrer tout ça dans le crâne.

Notons simplement les avantages de la production locale traditionnelle de semences :

  • Avec le temps les variétés s'adaptent aux conditions spécifiques d'un lieu précis.
  • Les plantes cultivées ont (où plutôt avaient) l'occasion et le temps de coévoluer avec leurs bioagresseurs locaux.
  • Les variétés traditionnelles n'étaient pas sélectionnées pour nécessiter des engrais, mais pour être simplement fertilisées avec fumier et compost. 

En somme, moins de rendement mais plus de résilience. Or 75% de la diversité génétique des plantes a été perdue entre 1900 et 2000. La majorité des variétés a disparu. Aujourd'hui, l'uniformisation règne, et, pour les légumes, une majorité des graines utilisées sont des hybrides non reproductibles. De plus, les variétés modernes sont sélectionnées pour dépendre de conditions idéales qui nécessitent pesticides, herbicides, fertilisants, irrigation... Les auteurs ont pris conscience de leur totale dépendance aux producteurs de graines, et ont donc décidé de travailler à gagner plus d'autonomie, tout en soulignant que la production de certaines semences est très complexe. 

Quant aux pesticides, il semblerait qu'à cause de l'adaptabilité des ravageurs, leur efficacité ne soit pas si claire. Aux USA, l'usage de pesticides à augmenté de 3300% (!) depuis 1945 sans pour autant diminuer les pertes de récolte totales. Pourquoi ?

  • Les monocultures n'existent pas dans la nature : elles sont inévitablement une opportunité pour les ravageurs.
  • L'artificialisation (pas d'arbres, de haies, de mares...) ne permet pas la survie de tous les animaux auxiliaires qui régulent normalement les ravageurs.
  • Le sol lui aussi est artificialisé (travail mécanique intense, engrais chimiques, pesticides...), ce qui affaiblit les plantes.
  • Les variétés sélectionnées pour leur productivité le sont au détriment de leur rusticité.

Le bio industriel, sauf concernant l'usage de molécules chimiques, ne résout pas vraiment ces problèmes. Pour favoriser les auxiliaires régulateurs, c'est simple : richesse et diversité écologique.

Il y a donc des avantages à créer des variétés locales, et les auteurs font de même avec les moutons : créer une race locale adaptée aux conditions de leur ferme. Les moutons d'Ouessant sont bien rustiques, mais trop petits. Ils les ont donc croisé avec une race de moutons à viande, ce qui a fonctionné, sauf que les moutons avaient gardé un trait indésirable des Ouessant : n'avoir qu'un agneau par an. Un nouveau croisement a été fait avec les Shetland, une race rustique qui peut avoir deux petits par portée : succès. Les descendants de ces croisement sont relativement autonomes et agnèlent seuls.

Les auteurs expérimentent aussi avec la traction animale, pour les légumes de garde et ceux pour lesquels la demande est très forte (pommes de terre, poireaux, oignons...), mais aussi  pour produire du blé. Si les légumes sont rentables, le blé est purement expérimental : son coût de production est énorme comparé à celui de l'agriculture classique. Là aussi les auteurs créent leur propre variété de blé. Ils sèment un mélange d'une trentaine de variétés anciennes, à forte diversité génétique, sur 1500m². Chaque année une partie de la récolte sert au semis suivant. L'objectif est, en quelques années, d'arriver à un blé adapté aux conditions locales : les variétés adaptées prospèrent, les autres régressent, et en même temps elles s'hybrident à hauteur de 5% par an.

Il est aussi question du blé "de jardin". Il s'agit de s'inspirer d'un savoir antique en bonne partie perdu, c'est donc très expérimental. Le fait est que la Chine et l’Égypte antiques nourrissaient de vastes populations sans combustibles fossile... avec des rendements parfois bien supérieurs à ceux d'aujourd'hui, aussi bien en terme de grains par épi qu'en quintaux par hectare. Comment est-ce possible ? Si les techniques étaient certainement multiples, il semble que les grains pouvaient être plantés un par un, très espacés et régulièrement buttés et sarclés, ce qui favorise le tallage (capacité des céréales à donner plusieurs tiges et épis à partir d'un seul grain). En France, Marc Bonfils se serait livré à des expériences de ce genre. Je précise que ce point est un peu flou, mais c'est une piste à explorer pour se préparer un monde post-pétrole.

Ensuite, j’apprécie les chapitres sur l'outillage et la construction. Ceux dédiés à la création d'une microferme sont stimulants mais un peu vagues. Je regrette que le dernier chapitre conclue sur un quasi mysticisme avec en prime accroyoga et dance autour d'un mandala de fleurs en se tenant la main. Heureusement, la brève conclusion qui suit nous laisse sur l’évocation des problèmes profonds qui sous-tentent tout le livre et lui donnent sa valeur : le désastre climatique et environnemental qui est en cours et qui va façonner l'avenir proche de l'humanité. La seule énergie propre, c'est l'énergie biologique. Il n'y a pas d'espoir dans une course en avant technicienne basée sur la foi.

Ceci dit, je voudrais citer l'avant-dernier paragraphe de cette conclusion et le commenter un peu.

Nous sommes de plus en plus nombreux à prendre conscience qu'une vision matérialiste de l'existence nous ampute d'une part essentielle de nous-mêmes. Prendre soin de la Vie sous toutes ses formes, se sentir relié à la nature, à ses sœurs et ses frères humains, à son être profond, donner le meilleur de soi pour une cause qui nous dépasse : n'est-ce pas là l'essence de toutes les formes de spiritualité ?

Je ne partage pas cette perspective dualiste. La modernité que vilipendent les auteurs n'est pas synonyme de matérialisme. Le matérialisme, c'est une perspective philosophique qui ramène tout à la matière, pour laquelle il n'y a rien au-delà de la matière. A l'inverse, la spiritualité tend à trouver une vérité au-delà de la matière, et il me semble qu'ici il ne s'agit pas simplement de la vie de l'esprit humain : donc une vérité qui donc flirte inévitablement avec le religieux. Or, la modernité a sa part de spirituel : comment appeler autrement la foi dans le progrès, la religion du marché ou l'espoir que la technique et l'ingéniosité résoudront tous les obstacles ? De la même façon, le futur écologique qu'appellent les auteurs est profondément matérialiste : n'est-ce pas matérialiste que de vouloir des conditions de vie saines, un écosystème durable, un avenir pour ses enfants et des sensations plaisantes à travers un lien avec la nature ? Bref, cette opposition matérialisme/spirituel ne me semble pas pertinente. Pire que ça, en tant que dualisme réducteur, elle me semble nuisible.

Pour finir, quelques mots sur l'ensemble de ce pavé de 1000 pages. La forme aurait gagné à un peu plus de retenue (moins de pages blanches, des photos plus sévèrement sélectionnées) et on peut reprocher au fond d'être parfois un peu vague, la faute à l'énormité de ce qui est exploré. Pour cette même raison, certains chapitres sont nécessairement moins intéressants que d'autres. Malgré tout, ces trois tomes de Vivre avec la terre réussissent là où c'est le plus important : ils donnent des perspectives pratiques sérieuses, crédibles et documentées pour amortir les chocs qui nous attendent dans le futur proche. Il est très appréciable que l'ensemble soit basé sur une expérience personnelle, intime : c'est ce qui permet de croire en ce qu'on lit, la condition nécessaire pour accorder notre confiances aux auteurs sur des sujets aussi lourds et complexes.

samedi 9 avril 2022

Récolte de fragon petit-houx

Hop, dans cette petite vidéo je récolte du fragon petit-houx, une sorte d'asperge sauvage délicieuse mais peu connue. J'ai failli laisser tomber cette vidéo pour deux raisons. Déjà, j'ai déconné : je n'ai pas vérifié les batteries de ma caméra avant de partir, et j'ai dû finir de filmer avec mon portable. Ensuite, je dis pendant toute la vidéo "young shots" au lieu de "young shoots" (jeunes pousses), ce qui est horriblement gênant. L'inconvénient de s'aventurer à parler dans un langage qui n'est pas le sien. Je me suis résolu à sortir la vidéo quand même, parce que le parfait est l'ennemi du tolérable, ou quelque-chose comme ça.

Sous-titres français disponibles et lien direct vers la vidéo.

samedi 2 avril 2022

Vivre avec la terre II - Cultures vivrières et forêts-jardin - Pierrine & Charles Hervé-Gruyer

Vivre avec la terre II - Cultures vivrières et forêts-jardin - Pierrine & Charles Hervé-Gruyer

Après un excellent premier tome : la ferme du Bec-Hellouin, second tome, le plus massif. Toujours un peu trop d'illustrations pleine page, et les 50 pages de tableaux sur les légumes ne sont pas un modèle d’ergonomie ni d'économie de papier, mais, le plus important, toujours un contenu riche, dense et passionnant.

On commence avec la butte de culture permanente, qui a pour avantage d'augmenter la profondeur du sol. Sa permanence fait qu'elle n'est jamais piétinée ou tassée, et que l'ajout de compost et de mulch contribue année après année à créer une terre qui gagne en fertilité. De plus, en densifiant les cultures sur ces buttes, on peut réaliser ses amendements de façon plus dense. Les buttes étant surélevées, leur réchauffement est favorisé au printemps et le ressuyage du sol est favorisé (la perte de l’excédent d'eau au printemps). Les auteurs avancent que les potagers plus traditionnels, où les rangs de cultures sont séparées par des allées, ne sont la plupart du temps pas justifiés : tout cet espace serait nécessaire avant tout aux bêtes de trais et aux machines, pas aux plantes. En resserrant les cultures, on augmente l’efficacité globale et on réduit les besoin de désherbage, qui peuvent se faire à la main. L'idée est que les feuilles des légumes se touchent quand ils atteignent les 3/4 de leur développement, afin de former une "canopée". De plus, dans le cas des buttes rondes, la courbe offre un espace de culture supérieur à un simple sol plat. Notons que les pommes de terre, qui nécessitent de "détruire" la butte à la récolte, et les courges, qui prennent beaucoup de place, ne sont pas forcément adaptées aux buttes. Sur les buttes rondes, il n'est pas question d'utiliser des semoirs mécanique et l'usage de voiles de forçage est limité (ce qui n'est guère un problème pour l'amateur). Dans les climats très chauds, la butte n'est pas une bonne idée car elle favorise l'évaporation, et mieux vaudrait cultiver au contraire en creux. Mais on n'en est pas encore là en France.

La morale générale est de faire aussi petit et aussi soigné que possible. Il ne faut pas créer une plus grande surface que celle que l'on est capable d'entretenir et de désherber, ne jamais semer dans un sol qui n'est pas impeccable (décompacté, fertilisé, sans adventices). Le désherbage régulier, quand les adventices sont encore très jeunes, est capital.

La butte permanente n'est pas une invention : son usage est répandu depuis des millénaires. Mais, bien sûr, elle n'est pas compatible avec la mécanisation. Les buttes rondes ne doivent pas être trop hautes, pour éviter le ruissellement de l'eau et des graines. Idéalement, les allées sont paillées pour limiter les adventices, ce qui peut nécessiter l'apport, 3 fois par an, d'une grande quantité de biomasse. Et en échange les allées peuvent produire plusieurs centimètres de compost par an. Lors de la création de la butte, ne pas oublier de bien décompacter le sol. Les buttes elles aussi sont quasiment toujours muchées, sauf peut-être quelques semaines au printemps, voire un ou deux mois, pour réchauffer la terre et réaliser des faux semis. Avant nouveau paillage et pendant ces semaines d'exposition, plusieurs sarclages superficiels pour tuer les adventices et casser la croute de battance. Les planches plates sont utilisées notamment pour les semis directs, avec semoir pro, et ce sont elles qui dominent sous la serre. Notons que les auteurs déconseillent l'apport de bois dans les buttes. D'après leur expérience, les bûches remontent avec le temps et les pointes de la grelinette se plantent dedans. Dans la nature, le bois se décompose en surface et les organismes qui causent cette décomposition vivent en aérobie. Dans les pays d'Afrique, cette technique fonctionne grâce aux termites.

Les apports de paillage et de compost n'apportent pas immédiatement des nutriments : les nutriments sont libérés progressivement par les organismes du sol et seront utiles sur le moyen terme. L'idée est de maintenir la présence de tous les stades de décomposition pour une assurer une fertilité dans l'immédiat comme sur la durée. Les auteurs n'utilisent pas d'engrais classique. Comme n'y a pas encore d'étude scientifique approfondie sur les apports de fertilité par la biomasse, le dosage se fait encore à l'instinct et à l'expérience.

Afin de relativiser l'idée d'autofertilité, je note la composition du substrat à semi de la ferme : 40% de substrat bio du commerce, 40% de compost maison tamisé et mûr, et 20% de sable de rivière. Je ne crois que le sable de rivière soit une ressource renouvelable.

Au Bec-Hellouin, les arrosages sont très modérés : après les semis et repiquages, en quantité stable mais modérée pour stimuler la croissance profonde des racines, et en période de sécheresse. Il leur arriverait, certaines années, de ne pas arroser hors semis et jeunes plans, sans doute grâce à la combinaison mulch et richesse organique du sol. Leurs planches plates sont équipées de tuyaux d'arrosages au goutte à goutte. Les bons outils pour le travail pro à la main ne sont pas monnaie courante, et ils prennent le temps de conseiller sur ces questions. Je ne noterai ici que la nécessité, pour les récoltes notamment, d'un bon sécateur à lames longues, souvent mentionné.

Le gros morceau suivant est l'association des cultures. Comme pour la forêt-jardin, l'idée est d'optimiser en associant des végétaux complémentaires, pour des raisons très pratiques. Notons que les plantations se font en quinconce, et que s'il s'agit bien de densifier, quitte à ce que certains légumes soient plus petits que la norme, il y a évidemment un juste milieu à trouver. Il s'agit aussi de remettre en question l'idée que les légumes auraient toujours besoin du plein soleil, et, plus compliqué, de prendre en compte les différences parfois considérables entre les nombreuses variétés d'une même plante. Les associations sont un facteur important dans l'efficacité au mètre carré de la ferme du Bec-Hellouin (mais pour les amateurs, ne pas oublier l'avantage considérable que représente leur grande serre).

Quelques avantages de cette pratique des associations :

  • Feuillages variés et donc optimisation de la captation des rayons du soleil
  • Plus de protection du sol contre le soleil, qui stérilise les premiers centimètres du sol
  • Optimisation de l'espace : un légume qui pousse en hauteur accompagne d'autres qui couvrent le sol
  • De même pour les systèmes racinaires : un système profond et un système superficiel ne sont guère en concurrence pour l'eau et les nutriments
  • La densité favorise un microclimat moins venteux et plus humide, où les écarts de températures sont moins élevés
  • Les différents végétaux créent des barrières physique et chimiques pour les ravageurs
  • Les fixateurs d'azote peuvent être utiles aux autres plantes
  • L’augmentation de la biomasse produite par mètre carré donne de quoi faire plus de much
  • Plus de masse racinaire signifie plus de fertilité après décomposition
  • La richesse des micro-organismes est favorisée
  • La variété augmente la résilience
  • Bien menées, les associations offrent un plus fort rendement par unité de surface
  • Et c'est plus agréables pour les humains

Notons aussi les inconvénients : essentiellement une complexification du système qui laisse la place à plus d'erreurs possibles (compétition, manque d'espace..). Les auteurs ne manquent pas de préciser que certaines tentatives ont été des catastrophes. Des tableaux offrent un classement des plantes par famille, taille des systèmes foliaires et racinaires, et durée du cycle de culture. Une bonne idée est aussi de définir dans chaque association une culture prioritaire, au profit de laquelle les autres peuvent être récoltées en avance si besoin. Le repiquage facilite les choses, en donnant de l'avance à un légume particulier, et il s'agit aussi de semer de façon décalée. De nombreux exemples d'association viennent ensuite illustrer ces principes, mais gardons en tête que si ce n'est pas une science exacte, loin de là, il s'agit pourtant de ne pas faire les choses à la légère et de bien songer à tous les facteurs. Un exemple simple : ail et mâche. C'est comme une simple culture d'ail, sauf qu'on plante de la mâche entre les pieds d'ail. La mâche est récoltée à la moitié du cycle de l'ail, ce qui libère l'espace pour la croissance de l'ail.

Je prends le temps de commenter l'association peut-être la plus connue : la milpa (courge-maïs-haricot). Plutôt que de semer les 3 ensemble en terre, comme j'ai eu l'occasion de le faire, voici le procédé pratiqué par les auteurs : repiquage de plants de maïs, un mois plus tard désherbage et semi des haricots (alors que les maïs font déjà 40 cm), et deux semaines plus tard repiquage des courges, qui vont couvrir le sol. Encore deux semaines plus tard, désherbage et paillage, et le tout en aidant les haricots à grimper sur le maïs avec l'aide de piquets de palissage. Par la suite, la biomasse est utilisée en paillage. On voit donc comment un système complexe doit être géré bien plus finement qu'en semant simplement 3 graines ensemble. Je note aussi le compagnonnage facile de la courgette et du maïs : comme une simple plantation de courgette, mais avec du maïs en bonus.

Sur la culture en toutes saisons : il s'agit de planter assez tôt ses légumes d'hiver pour réaliser l'essentiel de leur croissance quand il y a encore assez de soleil. Par ailleurs, les légumes supportent mieux le gel à l'état de jeune pousse qu'adulte. Et, encore fois, choisir les variétés pertinentes à la saison et la localisation de culture. Si les serres non chauffées n'offrent qu'une protection marginale face au gel (en fin de nuit la température n'est supérieure que de 1 ou 2 degrés à la température extérieure), ce qui compte pour la croissance des végétaux, c'est la température moyenne, qui elle est bien plus élevée. Les serres facilitent aussi le palissage, qui peut multiplier les rendements par 3 pour les tomates et les concombres. Les végétaux souffrent plus du dégel que du gel, il faut donc éviter les montées de température rapide après un gel. Donc, ventiler la serre tôt dans ce cas. Les eaux de pluie récupérées du toit de la serre peuvent y servir de batterie thermique. D'ailleurs, les auteurs ont même installé des petites marre dans leur serre. La présence du poulailler dans la serre contribue sensiblement à la réchauffer. Par exemple, les vignes de la serre qui poussent près du poulailler sont plus précoce d'une dizaine de jour que celles plus éloignées.

Les couches chaudes, faites avec une quarantaine de centimètres de fumier, réchauffent les jeunes plants posés dessus et toute la serre avec. Cette technique est aussi un héritage des maraichers parisiens, elle a été abandonnée avec le déclin de la traction animale et la raréfaction du fumier, puis par l'abondance d'énergie fossile à bas coût. Les couches chaudes peuvent aussi fonctionner dehors, surtout avec un voile de forçage. Attention : l'abondance de jus de fumier peut tuer les arbres à proximité. La couche chaude n'offre pas que de la chaleur, mais aussi, selon son niveau de décomposition par la suite, du paillis et un riche compost.

Les pommes et poires sont les légumes les plus évidents à conserver sans transformation, et quand on on cultive à la fois variétés précoces et tardives, il est possible de longuement étaler la récolte. La sélection variétale est une fois de plus capitale. Je note aussi la présence d'un petit chapitre sur un sujet particulièrement intéressant pour l'amateur : les légumes vivaces. Concernant les aromatiques (sauge, menthe...), je note quelles sont tout à fait utilisables et même bénéfiques en mulch, ce que j'aurais pas eu le réflexe de faire.

Ensuite, on arrive au dernier gros morceau : les forêts-jardin et leurs variantes. C'est l'un des axes majeurs de leur recherche, mais, évidemment, ça prend du temps pour obtenir des données. Concernant l'agroforesterie, rappelons que par exemple une production de blé + noyer offre 36% de gain de productivité par rapport à une production en parcelles séparées. Pour les fruitiers, une attention encore plus aiguisée est à donner aux variétés à cause de la complication des greffes. Les fruitiers basse-tige ne sont pas à privilégier dans une perspective long-terme (ils s'épuisent plus vite), et les haute-tige permettent plus aisément d'intégrer des animaux. Les auteurs soulignent aussi l'importance du paillage au pied des fruitiers, surtout quand ils sont jeunes, pour augmenter les chances de reprise, limiter les arrosages et globalement augmenter la vitesse de croissance d'un facteur de 1,5. Ne pas oublier non plus que pour maintenir une productivité optimale, un fruitier, ça se taille.

Il y a aussi un chapitre sur les haies, détruites pour la plupart au cours des dernières décennies, et je ne vais pas lister ici leurs très nombreux avantages. D'ailleurs les haies peuvent aussi servir de fourrage animal, ou être des haies fruitières. L’agroforesterie est une vielle tradition européenne (oliveraies, châtaignerais...).

  • Les prés-vergers sont la combinaison d'arbres et d’animaux, qui bénéficient de l’abri des arbres et pour lesquels les fruits tombés constituent une source supplémentaire de nourriture. Les animaux détruisent ainsi les parasites au passage. Pour l'arbre, la concurrence de l'herbe est réduite et les excréments fertilisent. Cependant, il vaut mieux protéger les arbres des gros animaux.
  • Les vergers maraîchers combinent arbres et légumes, et permettent ainsi une optimisation de l'énergie solaire. C'est particulièrement valables pour les légumes qui tolèrent l'ombre.

Les forêts-jardin sont quand à elles divisées en deux versions :

  • La forêt-jardin intensive a une forte productivité mais demande beaucoup d'entretien. C'est la forêt-jardin "idéale" de Martin Crawford, avec différentes strates, de nombreux arbustes et couvre-sols. Les études réalisées au Bec-Hellouin pointent vers une viabilité économique de ce système, viabilité essentiellement portée par les baies et les plantes couvre-sols. Les baies sont souvent greffées sur de petits troncs pour faciliter les récoltes et libérer l'espace au sol. Une bâche biodégradable est utilisée pour maitriser les plantes au sol. Les allées sont paillées et décaissées. Les auteurs voient dans ce système, encore balbutiant en occident, une piste d'avenir.
  • La forêt comestible produit moins mais nécessite peu d'entretien. Elle est probablement à plus grande échelle, la strate herbacée est donc, à moins de beaucoup de main d’œuvre, incontrôlable, et si les plantes naturelles (orties, fougères...) peuvent néanmoins service de mulch, des animaux peuvent être utilisés pour garder le contrôle. On peut aussi semer des légumes à basse maintenance, comme des courges, ou introduire des pérennes.