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jeudi 20 octobre 2016

Point oméga - Don DeLillo


Point oméga - Don DeLillo

Deux hommes, seuls dans une maison paumée au milieu du désert. L'un, jeune, plus ou moins réalisateur, veut faire un film sur l'autre, vieux, qui a l'air de bien connaitre les rouages du pouvoir. Un film d'une seule séquence, plan fixe de son visage. Puis la fille du vieux arrive. Et disparait. Ce récit central est entouré par deux chapitres dans lesquels un homme est obsédé par une projection au ralenti de Psychose.

Voilà voilà.

Il ne se passe pas grand chose, les personnages papotent étrangement, sans avoir l'air de bien se comprendre, selon le style de DeLillo, et ils sont très doués pour boire de l'alcool et ne rien faire. Je suppose que ce petit roman a pour thèmes l'image, le temps et leur déformation. Que ce soit dans les immensités du désert ou face à un film étiré pour durer 24 heures, la perception du temps change, et change les personnages. Don DeLillo sait écrire, alors ça passe plutôt bien. C'est le genre de roman froid et opaque qui offre une petite plongée à la fois prenante et chiante dans le vague de l'expérience humaine. Est-ce que cette expression veut dire quelque-chose ? Aucune idée. Mais elle me semble approprié.

139 pages, 2010, Actes Sud

mercredi 21 mai 2014

Cosmopolis - Don DeLillo


Cosmopolis - Don DeLillo

Cosmopolis commence par l'épigraphe suivant : "à Paul Auster". Au début cela semble amusant car Eric Packer, contrairement aux héros de Paul Auster, tentés par la fuite et l’errance, est la réussite incarnée. Immensément riche, du genre à s'acheter un avion de chasse pour le plaisir, il a aussi un authentique requin en aquarium dans son appartement de 42 pièces en plein New York. Cet argent vient du monde très opaque de la finance où Eric semble exceller. Des chiffres défilent sur les écrans, Eric échange quelques paroles avec ses collaborateurs, donne un ordre, et des centaines de millions de dollars changent de main, se gagnent et se perdent. La limousine, autre objet d'un luxe absurde, va balader Eric tout le long du roman dans les rues d'un New York agité, voir un peu surréaliste. On enterre une star du rap avec des honneurs dignes d'un pharaon, le président est de sortie et du coup de nombreuses routes sont bloquées, des émeutes anticapitalistes éclatent, on tourne une étrange scène de nu pour un film qui a perdu son budget ... Entre le début et la fin du roman, le sens s'envole. Il n'y en a déjà pas beaucoup au début, mais au fil de son voyage en limousine Eric va être pris d'une folie autodestructrice après avoir échoué à prévoir l'évolution du yen.

C'est un peu le contraire d'un voyage initiatique, c'est un voyage de renoncement qui va mener jusqu'au meurtre et au suicide. Eric est plus ou moins traqué par un homme pas moins dérangé que lui, c'est peut-être l'aspect de l'intrigue le plus classique. Pour le reste, Cosmopolis est très perturbant. Plus encore que dans Bruit de fond, les dialogues sont souvent irréalistes et la véritable communication semble impossible. Les situations sont improbables, comme par exemple les nombreuses rencontres entre Eric et sa femme. Ils se croisent par hasard, tentent vainement de communiquer, échangent peut-être un peu de tendresse, et s'évanouissent à nouveau dans la ville. Eric est une intelligence prodigieuse qui s'est élevée au sommet en écrasant son prochain, ce qui ne l’empêche pas d’être torturé par les insomnies. Le sommet en question n'apporte ni joie ni sens, et l'on rêve à ce qu'aurait pu accomplir Eric s'il avait tourné son génie dans une autre direction. Cosmopolis est une impressionnante peinture d'un monde moderne confus et paniqué, hanté par un système économique hors de l'échelle humaine. Un roman difficile à saisir mais offrant une vision puissante et marquante.

Un autre avis.

222 pages, 2003, Babel

lundi 21 avril 2014

Bruit de Fond - Don DeLillo


Bruit de Fond - Don DeLillo

Bruit de Fond, c'est une plongée dans la classe moyenne américaine. Une petite ville tranquille, une grande maison pleine de produits alimentaires aux emballages colorés, la télé ou la radio toujours allumées dans un coin. Quelques enfants d'ages variés issus de l'un des nombreux mariages des deux adultes, Jack et Babette. Jack, enseignant chercheur spécialiste d'Hitler, ayant toujours son exemplaire de Mein Kampf à portée de main, est le narrateur. A première vue, rien de bien extraordinaire dans ces vies. Si ce n'est le bruit de fond en question, qui n'est autre que la peur de la mort. Dès le début du roman les références sont multiples. Dans leur vie routinière pleine de sécurité, la mort à un visage bien particulier. Elle est à la télé, dans les médicaments, dans les radiations, dans les ondes diverses et variées. Elle est confuse, indéfinissable. Sauf qu'à l'occasion d'une énorme fuite de gaz toxique, on se retrouve en plein roman catastrophe et la mort devient bien plus claire, elle prend une forme très réelle, celle d'un gigantesque nuage noir de produits chimiques mortels. Auxquels Jack est exposé. Voilà qui ne risque pas d'arranger ses névroses. Sans parler de Babette, modèle de femme ouverte et attentionnée, qui pourtant semble accro à un étrange médicament.

Le thème de la peur de la mort est sans conteste au cœur du roman, mais aussi celui de l’omniprésence des médias : le bruit de fond, c'est aussi au sens propre le murmure de la télé et de la radio. Ces deux thèmes s'ancrent dans le contexte bien particulier de la typique amerian way of life, qui est aussi sujet à la critique de l'auteur, mais d'une façon bien particulière. En effet, le narrateur ne remet pas grand chose en question, il se complait dans un mode de vie qui pourtant ne le rend pas heureux, il est assez centré sur lui même et ses obsessions. Assez antipathique, même. D’ailleurs, à la fin, alors que la situation devient extrême, je me suis senti particulièrement détaché de lui, je ne le comprenais plus. Pas bien grave, puisque sur l'ensemble du roman cela permet un ton très agréablement original. Par exemple, en sortant du supermarché : « Il me semble que Babette et moi, par la quantité et la variété de nos achats, par la parfaite plénitude que suggèrent ces sacs bourrés, par leur poids, leur taille et leur nombre, par l'éclat et la couleur de leurs emballages, par leur taille géante, par les paquets familiaux, par les autocollants fluorescents, par l'impression d'achèvement qu'ils nous procurent, par le bien-être, la sécurité et le contentement qu'ils apportent à quelque coin de notre âme douillette, il nous semble que nous avons atteint un épanouissement de l’être qui est ignoré de ceux qui n'ont pas besoin de tout ça, dont les désirs sont moindres et qui bâtissent leur vie autour de promenades solitaires à tombée de la nuit. »

C'est grâce à ce genre de phrases, à ce point de vue à la fois si drôle et si tristement réaliste, que le roman m'a accroché. Don DeLillo a une écriture très saccadée : les paragraphes se succèdent parfois sans lien direct, les ellipses sont nombreuses, on a parfois des phrases brèves qui semblent en dehors du récit, des bruits de fond qui appartiennent à l'environnement médiatique et publicitaire. J'aime cette écriture, c'est vif et surprenant. Certains pourront trouver que Don DeLillo fait beaucoup de blabla. Dans un sens, c'est le cas. Il y a beaucoup de situations banales et de dialogues qui semblent un peu vain. Pourtant, c'est à chaque fois plein d'une délicieuse absurdité. Je pense notamment à ces dialogues surréalistes entre les universitaires collègues de Jack. Ils se posent des questions totalement aléatoires comme « Où étiez-vous quand James Dean est mort ? » ou « N'avez-vous jamais déféqué dans des toilettes où il n'y avait pas de siège ? », puis ils y répondent avec tout leur sérieux avant de passer à un autre sujet tout aussi insensé. Et c'est du même genre pour les conversations de famille. La communication semble la plupart du temps très limitée, et quand les personnages échangent vraiment, comme parfois entre Jack et Babette, c'est pour déterrer de nouvelles angoisses.

Bruit de Fond m'a semblé être un roman particulièrement glacial. Délicieusement glacial. Englué dans sa normalité, désespéré, Jack s’accroche pourtant comme un fou à sa vie, qui se partage entre angoisses nocturnes, maintient d'une image illusoire de lui-même à son travail, visites au supermarché et contemplation d'enfants incompréhensibles. Avec à l'occasion un nuage de produits industriels mortels, ou une simulation préventive de nuage de produits industriels mortels.

470 pages, 1985, Babel