jeudi 23 juin 2022

Aux sources de la vie - Éric Karsenti

Aux sources de la vie - Éric Karsenti

Il y a certainement plein de choses passionnantes dans Aux sources de la vie d'Éric Karsenti, mais pourtant je n'ai guère apprécié cette lecture, pour diverses raison. Déjà, l'auteur veut caser trop d'informations dans trop peu de texte. Le bouquin est trop court pour son propre bien, et de nombreux concepts qui mériteraient détails et développements pour être pleinement saisis sont abordés à la vitesse de l'éclair. Ce problème est lié à un autre : l'auteur ne maitrise pas l'art de la narration. Il n'y a pas vraiment de fil rouge ni de thèse claire à démontrer, on a a plutôt l'impression de lire un assemblage d'articles Wikipédia. Et l'auteur aurait facilement pu éviter cet écueil, par exemple en prenant comme fil conducteur ses années passées sur un navire qui a fait de longues croisières pour étudier les minuscules organismes marins. Il en parle un peu, mais en vrac, sans mener nul part. Il aurait pu utiliser cette expérience unique pour à la fois créer un fil narratif et des liens logiques vers les idées scientifiques qu'il veut transmettre.

Autre problème : l'auteur aime taper sur le néodarwinisme et la sélection naturelle. Pourquoi pas, encore faut-il avoir des arguments. Il est franchement dérangeant de voir un scientifique ayant une certaine stature manquer autant de capacité d'argumentation. Par exemple : « En fait, la complexification de l'œil n'a, à mon avis, rien à voir avec la sélection naturelle, comme je vais tenter de le démontrer : ce sont les phénomènes biochimiques et physiques qui permettent l'auto-organisation de telles structures et leur complexification. » C'est une sacrée affirmation. J'ai lu attentivement la suite, et s'il décrit en effet les mécanismes de création de l’œil, il n'offre aucune preuve contre la sélection naturelle. On dirait un plombier qui affirme que la gestion de l'eau est uniquement une question de tuyaux et n'a aucun rapport avec le budget de la municipalité ni les conditions climatiques. La conclusion est particulièrement gênante sur ce plan. Exemple : « L'évolution créatrice est faite de complémentarité et de partage, de coopération, de fécondité collective dans le grand mixer océanique, pas de compétition, d'une lutte débridée pour la vie où seul le plus apte survit ! » C'est un pur sophisme de type homme de paille, hélas très commun : la sélection naturelle n'exclut en rien la coopération à diverses échelles (voir notamment Le gène égoïste). Et quelques pages plus loin : 

Selon moi, l'efficacité de ces différents fuseaux ne provient donc pas de leur amélioration progressive par sélection naturelle de gènes, mais plus probablement de la robustesse intrinsèque des mécanismes physiques et moléculaires auto-organisés, contraints par le reste de la cellule – ce que les physiciens appellent un « attracteur ».

Quoi ? Une « robustesse intrinsèque » ? Mais le maintien à travers le temps et les générations de cette vivante robustesse au détriment de ce qui n'est pas robuste, n'est-ce pas pas justement la sélection naturelle ? Et quelques lignes plus bas, pour encore une fois attaquer la sélection naturelle :

De même, nous disons que les yeux à facette sont les mieux adaptés pour les insectes car ils leur prodiguent une vision panoramique plus large que nos yeux, ce qui leur donne un avantage sélectif. Je dirais plutôt que c'est… juste comme ça. Il se trouve que la nature a essayé cette combinaison de gènes et que ça a marché ! Peut-être qu'une mouche ayant nos yeux de mammifères montés sur une machine rotative qui lui permettrait de scanner l'environnement à toute vitesse s'en tirerait tout aussi bien.

Dire une chose aussi grosse, dans sa conclusion, sans prendre le temps de développer le moindre argument ni raisonnement, c'est franchement pas sérieux. Il est possible que ce soit moi qui ne saisisse pas ce que je devrais saisir (après tout je n'ai pas fait d'études scientifiques), mais il ressort de tout ça l’impression que l'auteur essaie de mettre en avant cette triste interprétation moraliste de la biologie : que la sélection naturelle serait une vision égoïste de la vie et qu'il faudrait la balayer au profit d'une vision coopérative.

Comme éléments plus intéressants, je ne vais pas rentrer dans les détails de la biologie cellulaire, mais il y a des pages éclairantes sur la mitose. Notion plus facile à retenir, le mouvement brownien, ou le fait que la physique de notre univers permet le mouvent aléatoire des particules dans un fluide. Tout vie naît dans les bordures, les interactions, et le mouvement brownien aurait pu permettre les interactions ayant initié la vie. Notons aussi l'expérience de Miller, qui serait à l'origine de la classique idée de « soupe primitive », qui voit la vie naître dans la chaleur des profondeurs marines, près des fumeurs noirs. Pour finir, je retiens cette explication particulièrement claire des découvertes du moine Mendel qui, en expérimentant sur les petits pois, a été un pionnier de la génétique :

Première loi, au sein des organismes, il existe des « particules » (le généticien et botaniste danois Wilhelm Johannsen les appellera « gènes » en 1909) qui peuvent exister sous deux formes, A ou a. La première, A, est la forme « dominante » : elle passe « chez l'hybride complètement ou presque sans modification » ; a est la forme « récessive » : elle « s'efface ou disparaît complètement chez les hybrides pour reparaître sans modifications chez leurs descendants ». Dans notre exemple, des pois ronds et fripés, le caractère rond est dominant (A), puisqu'après un croisement de la plante avec une plante à pois fripés (a), la première génération ne produit que des pois ronds.

Deuxième loi, chaque organisme adulte possède une paire de particules A. Cette paire peut être AA, Aa ou aa. Dans notre exemple, la plante AA produit des pois ayant une forme ronde, une plante Aa a donne aussi des pois ronds (A est dominant), les plantes aa produisent des pois fripés. C'est la raison pour laquelle le croisement de pois ronds avec des pois fripés ne fournit que des pois ronds à la première génération : les plantes sont toutes Aa. En revanche, la seconde génération donne statistiquement ¾ de ronds, car les plantes AA (¼) et Aa (½) fabriquent des pois ronds, et seules les plantes aa font des pois fripés. Chaque plante a donc un « génotype » composé de deux formes d'un même gène (A ou a). Une forme, un « phénotype », lui est donnée par l'activité de ces gènes, transmis de façon aléatoire par les gamètes, le spermatozoïde et l'ovule des parents, qui n'ont qu'une des deux formes du gène, soit A soit a.

jeudi 16 juin 2022

Faucher et récolter à la main - Ian Miller

Un livre qui a le mérite d'explorer un sujet capital mais souvent oublié : la gestion des jardins, prés, prairies, champs, etc., sans combustibles fossiles, à la faux. Je note avant tout que j'ai une expérience avec le sujet, mais une expérience très modeste : j'ai déjà fauché quelques fois dans le passé (plus que maladroitement) et depuis peu je possède (avec trois autres personnes) un terrain dont j'envisage de gérer la couche herbacée uniquement à la faux. En lisant ce livre, j'avais donc l'occasion en parallèle de m'exercer en conditions réelles avec une faux de qualité (mais pour l'instant mal maniée et peut-être mal aiguisée).

Il y a des infos intéressantes dans le livre de Ian Miller, sans aucun doute, j'en relève quelques-unes ci-dessous, mais au final c'est assez court et il passe la plupart de son temps à parler d'autre chose. C'est bienvenue quand il est question de l'historique des faux et de leur forge, un peu moins quand il disserte sur la méditation transcendantale ou des recettes de pain au levain. Il parle aussi longuement du fauchage des céréales à la faux... tout en avouant qu'il a lui-même abandonné tant c'est compliqué ! Au final, et c'est paradoxal, il ne parle pas tant de ça des faux : j'aurais voulu des chapitres entiers sur les différents types de lame, comment fabriquer un manche maison, la gestion de différents types de terrain... Je ne veux pas ne pas recommander Faucher et récolter à la main, ça vaut le coup de le lire quand on débute à la faux, mais pour être honnête, la lecture de quelques articles et le visionnage de quelques vidéos offre un peu la même chose sans les digressions.

L'auteur insiste bien sur la supériorité des faux autrichiennes, ou plus largement des faux d'Europe continentale, qui sont forgées et donc peuvent être travaillées au marteau et à l'enclume, ce qui est indispensable pour leur efficacité et durabilité. Le type de martelage de la lame dépend aussi du type de végétation à faucher : plus la végétation est coriace et ligneuse, plus il faut marteler et aiguiser grossièrement. Quelques schémas sont utiles pour mieux comprendre le martelage, l'étape peut-être la plus intimidante, et que je n'ai pas encore pratiquée (mais ça ne saurait tarder !). Et je note ce détail potentiellement capital que n'avais pas clairement intégré auparavant : pendant le fauchage, le dos de la lame doit toucher le sol, glisser sur l'herbe. Dans les pentes, l'auteur conseille de faucher de bas en haut, en diagonale, de façon à ce que la gravité aide le mouvement de la faux. L'auteur développe aussi avec moult détails la fabrication du foin destiné aux animaux, comment optimiser sa qualité en prenant en compte tous les facteur possibles, comment faire divers types de meules, etc. Intéressant. Après tout, le foin est la principale raison d'exister de la faux, et pour ceux qui n'ont pas ou peu d'animaux à gérer, il sert de paillage au potager.

jeudi 9 juin 2022

The Clockwork Rocket - Greg Egan

The Clockwork Rocket - Greg Egan

Je commence à avoir bien exploré les romans de Greg Egan, avec Schild's Ladder, Isolation, La cité des permutants, L'énigme de l'univers et Diaspora. Il me semble qu'au cours des quinze dernières années, Greg Egan s'est lassé de la physique de notre étroite réalité et a décidé d'explorer des univers aux lois différentes. C'est le cas avec la trilogie Orthogonal (dont The Clockwork Rocket est le premier volume) puis avec Dichronauts (2017) et The Book of All Skies (2021). 

C'est assez frustrant : The Clockwork Rocket contient à la fois le meilleur et le pire de Greg Egan. D'un côté, l'auteur, cette fois, maitrise étonnamment l'aspect humain de sa narration, ce qui est paradoxal car les protagonistes ne sont pas des humains. Il s'agit de créatures intelligentes qui vivent dans un univers où les différentes longueurs d'onde de la lumière ne se déplacent pas à la même vitesse. Egan est étonnamment gentil avec son lecteur : le roman commence à peu près "normalement", c'est-à-dire sans dissertation universitaire sur la physique quantique, mais en mode récit initiatique pour notre protagoniste Yalda. Et ça fonctionne très bien : on est doucement introduit à cet univers, à ses règles physiques, biologiques et sociales, via un cadre narratif accueillant et intriguant. Ces créatures ont notamment la capacité de modifier à volonté leur propre corps : ainsi, par exemple, elles écrivent en créant des rides sur leur propre peau, et pour imprimer, il leur suffit d'appliquer un support sur leur peau recouverte d'encre. Le trait le plus singulier est sans doute celui-ci : il n'y a pas de reproduction sexuée (pas étonnant de trouver ça chez Egan), les mères se divisent simplement en quatre, comme des cellules, pour donner naissance. Problème : elles meurent inévitablement au cours du processus. Ainsi aucune mère ne peut connaitre ses enfants, et la pression sociale pour trouver un mâle qui les élèvera est colossale. En ville, il existe bien une drogue qui permet d’inhiber ce processus, mais ne pas avoir de partenaire est très mal vu. Cet aspect du roman, orienté xénobiologie, ou xéno-fiction, si j'ose dire, est passionnant, mais Egan reste plus intéressé par la physique.

Dans les romans de Greg Egan, j'ai l'habitude de ne pas complètement saisir les aspects scientifiques, et particulièrement ce qui touche aux mathématiques et à la physique. Mon degré de perplexité a varié d'un livre à l'autre, mais je n'ai jamais trouvé que mes limitations personnelles m'empêchaient de saisir le propos d'Egan ou d’apprécier sa vision. Ici, en revanche, c'est plus problématique. C'est comme si Egan n'essayait même plus de mélanger science et narration : les exposés scientifiques, certes réalisés à travers les personnages, sortent de la narration comme l'huile de l'eau. Le procédé est toujours le même : tout d'un coup, Yalda commence à monologuer sur des questions de physique et les pages se retrouvent envahies de nombreux schémas. Puis, plus tard, la narration reprend. Pas très fluide, d'autant plus que la physique explorée ici est presque totalement fictive, ce qui la rend encore plus difficile à saisir pour un simple amateur. Pour la première fois, j'ai été lire quelques explications détaillées sur le site de Greg Egan. Il faut bien le reconnaitre, il a un vrai talent de vulgarisateur, et comme souvent j'ai été envahi d'une profonde amertume envers le système éducatif qui essaie de faire gober les maths aux gamins sans à aucun moment prendre la pleine de leur expliquer le rapport pourtant si stupéfiant entre les maths et la réalité. Mais bref, le fait est que dans le dernier quart du roman, je me suis mis à sauter ces passages d'exposition scientifique.

Il est aussi regrettable que l’intérêt retombe dès que nos protagonistes embarquent dans leur vaisseau, à la recherche des mystères de la physique. En effet, en quittant la planète, on perd une bonne partie de la richesse culturelle et sociétale qui rendait passionnante la découverte de cet univers. Il y a aussi quelque-chose d'étrange à voir Egan écrire un vaisseau aussi farfelu : une montagne entière projetée dans l'espace à coup d'explosifs. Une vraie montagne, comme le mont Blanc. Non seulement ça n'a aucun rapport avec la couverture de cette édition, mais ça tranche franchement avec les leçons de physique hyper sérieuses.

Bref, il y a là de très bonnes choses, une profonde originalité, une richesse scientifique peut-être inégalée et un don pour attiser la curiosité, mais aussi suffisamment de problèmes pour ne pas vraiment me donner envie de lire la suite.