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dimanche 22 mars 2020

In the dust of this planet - Eugene Thacker

In the dust of this planet - Eugene Thacker

Je suis tout à fait intéressé par les liens entre philosophie et SF / horreur. A première vue, In the dust of this planet (2011) d'Eugene Thacker semble parfaitement s'insérer dans cette petite niche : il y évoque toute sorte de sujets qui s'entremêlent, du black metal à Schopenhauer en passant la démonologie et bien évidemment Lovecraft. Son ton est au début plutôt clair, et il y a de quoi se laisser agréablement happer. Par contre, plus ça avance, et particulièrement dans le dernier tiers, plus l'auteur m'a complètement et absolument perdu : il tourne vainement en rond dans des abstractions absconses et jargonneuses. En plus, et je comprends pourquoi ce livre plaît à Thomas Ligotti (dont l'essai The conspiracy against the human race m'est rapidement tombé des mains), Eugene Thacker ne se contente pas d'étudier des positions négatives et nihilistes : il se fait négatif et nihiliste, ce qui ne fait qu'accentuer la lourdeur de ses piétinements.

Ceci dit, j'ai apprécié certaines des idées du début. Il se penche particulièrement sur l'inconnaissable, le non-humain. Ainsi il distingue trois "mondes" différents :
  • Le monde-pour-nous : le monde que les humains interprètent, celui auquel ils donnent du sens et auquel ils s'attachent, avec lequel ils ont des relations. Son petit nom : le Monde.
  • Le monde-en-soi : c'est le monde qui résiste aux désirs humains, qui refuse d'être le monde-pour-nous. Mais, paradoxalement, dès que l'humain s'en empare, il est sur le point de devenir le monde-pour-nous, car l'humain lui donne des significations. Exemple typique du monde-en-soi : les catastrophes naturelles. Il est comme la frontière de la connaissance humaine. Son petit nom : la Terre.
  • Le monde-sans-nous : celui-là ne coexiste pas avec l'humain. Il est donc, par définition, inconnaissable. Le point de vue cosmologique, celui, je suppose, de l'horreur cosmique. Son petit nom : la Planète.
Une idée pour illustrer cet inconnaissable : sachant qu'une majorité des cellules du corps humain ne sont pas directement humaines, mais celles de bactéries par exemple, et s'il en était ne même pour la pensée ? Et si la pensée était non-humaine ?

On retrouve un peu cette division triple dans une analyse du black metal que je trouve particulièrement pertinente. Déjà, le côté satanique : on est dans l'inversion des valeurs, mais on reste bel et bien au cœur des valeurs humaines, de la façon dont l'humain fait sens du monde. Ensuite, l'aspect païen : cette fois, on retourne au monde-en-soi, à la "nature", aux éléments, à la roche, aux océans. Il ne s'agit plus tant d'un retournement des valeurs que d'un autre point de vue, plus ancien, pré-chrétien. Et enfin, le caractère cosmique : on sort totalement de l'anthropomorphique pour plonger dans le chaos impersonnel du réel. En somme, on explore le non-humain, le monde-sans-nous.

Pour conclure, sur ce que je vois comme une sorte de mystique matérialiste :
In a sense, the nihil negativum is not just about the limits of language to adequately describe experience; it is about the horizon of thought as it confronts the unthought, the horizon of the human as it struggles to comprehend the unhuman. Yet, as Schopenhauer notes, “such a state cannot really be called knowledge, since it no longer has the form of subject and object; moreover, it is accessible only to one’s own experience that cannot be further communicated.”

lundi 13 janvier 2020

Je suis Providence (t.2) - S.T. Joshi

Je suis Providence (t.2) - S.T. Joshi

Après un premier tome enthousiasmant, je lis le second tome de Je suis Providence, la biographie de Lovecraft par S.T. Joshi. C'est le même constat : malgré certains passages longuets à force de détails sur la vie quotidienne de Lovecraft et quelques jugements un peu saugrenus de la part de Joshi (et une montagne de coquilles), ça se dévore fort bien. Il reprend par la ruine du mariage avec Sonia, continue avec le retour à Providence, les difficultés financières, le large réseau d'amis et de correspondants qui permettent à Lovecraft de voyager énormément en Amérique du Nord et conclut avec son héritage littéraire, en prenant le temps d'examiner le rôle de Derleth, dont les élucubrations qu'il tente de faire passer pour des collaborations posthumes m'avaient hérissé le poil il y a déjà 7 ans. Ci-dessous je m’intéresse surtout à quelques citations de Lovecraft.

Sur le mariage :
Je n'ai rien à redire de cette institution, mais je crois que les chances de succès pour un individu fortement individualiste, têtu et imaginatif sont bien réduites. [...] Le mariage peut être plus ou moins normal et socialement essentiel de façon abstraite, mais rien sur la Terre comme au ciel n'est plus important que l'esprit et l'imagination de l'homme et la préservation de l'intégrité de sa vie cérébrale — son intégration et son indépendance farouche en tant qu'entité fière et solitaire face à l'immensité du cosmos.
Frappant. Évidemment, ce genre de considération me touche sur le plan personnel, et c'est d'ailleurs là l'attrait de Lovecraft : il est une sorte de figure de proue des individus « fortement individualistes, têtus et imaginatifs » (rajoutons matérialistes). À partir d'une question sociale basique telle le mariage il se catapulte vers des abstractions intellectualistes, et il est d'ailleurs aisé de lui reprocher de s'y cacher, de se calfeutrer dans sa tour d'ivoire loin des terreurs du monde social. Mais ce serait inapproprié : il a vraiment un pied dans l'abstrait (et quelques orteils de l'autre). Ce n'est pas une posture. Et cela ne l'empêche d'être hautement sociable et altruiste. Sur l'attache au passé :
En fait, New York a bien failli avoir raison de moi ! Je constate que je tire l'essentiel de mes satisfactions de la beauté & du calme exprimés par les villes pittoresques, & dans la vision des anciennes régions de forêt & de fermage. Une évolution lente et continue avec le passé pour point de départ est pour moi une condition sine qua non — en fait, il y a longtemps que j'ai accepté l'archaïsme comme la force principale qui me motive.
Essayons de comprendre ce conservatisme apparent. Dans une mégalopole, l'humain est plongé dans un chaos perpétuellement neuf et tourné vers l'avenir — mais un avenir qui reste flou, imprécis. Pour quelqu'un comme Lovecraft, qui n'accorde pas sa foi au progrès, il n'y a là que dissipation de l'esprit et de la beauté. Au contraire, dans un cadre stable, aux dimensions plus humaines, l'esprit peut se déployer sans s'encombrer de l'agitation vaine. Et n'est-ce pas un besoin que d'avoir des racines ? Plus la ville est grande, plus l'être est isolé dans une société atomisée et ère dans des rues où il n'a pas grandi envahies de gens qu'il ne comprend pas et s'occupe de façons qu'il n'a pas choisies. N'est-ce pas un besoin naturel que de désirer une « évolution lente et continue avec le passé » ? Autrement dit : un lien avec le passé ? Après tout, l'accélération et la densification du temps sont des phénomènes incroyablement modernes : paradoxalement, malgré le développement des sciences, la monde s'élance vers une incompréhensibilité toujours croissante. Et Lovecraft, s'il meurt comme Épicure, ne me semblait pas chercher autre chose que le même jardin : du temps pour penser, pratiquer les arts et converser avec ses amis sur la valse insensée des atomes.

Peut-être mes sentences favorites de Lovecraft :
Contrairement à ce que vous pourriez croire, je ne suis pas pessimiste mais indifférentiste. C'est-à-dire que je ne commets pas l'erreur de croire que le résultat des forces naturelles qui entourent et régissent la vie organique à quoi que ce soit à voir avec les souhaits ou les goûts de n'importe quelle partie de cette même vie organique. Le pessimisme est tout aussi illogique que l'optimisme : tous deux envisagent que les desseins de l'humanité sont unifiés, et ont un lien direct (soit de frustration, soit de satisfaction) avec le cours inévitable des motivations et des évènements terrestres. C'est-à-dire que ces deux écoles conservent des vestiges du concept primitif d'une téléologie consciente — d'un cosmos qui se soucierait des désirs et du bien-être des moustiques, des rats, des poux, des chiens, des humains, des chevaux, des ptérodactyles, des arbres, des champignons, des dodos ou toute autre forme d'énergie biologique. 
J'ai l'impression de voir là les stoïques — mais j'ai tendance à les voir partout. Comme dirait Marc Aurèle, s'il y a des dieux, très bien, mais si tout n'est que chaos, alors ne te laisse pas aller toi aussi au chaos. L'univers n'est pas hostile, juste indifférent. Il y a là aussi du Nietzsche dans ce détachement radical des concepts normatifs humains. Il y aurait aussi à dire sur les opinions politiques de Lovecraft, qui évoluent beaucoup avec le temps et sont basées sur l'opinion que « la personnalité consiste en la floraison de l'intellect et des émotions, sans aucun lien avec la lutte pour l'existence ». Mais bref.

samedi 28 décembre 2019

Je suis Providence (t.1) - S.T. Joshi

Je suis Providence (t.1) - S.T. Joshi

Je n'ai pas pour habitude de lire des biographies, et pourtant, c'est la deuxième biographie de Lovecraft que je m'aventure à fréquenter (c'est dire l’attrait quasi obsessionnel que déclenche le personnage chez une certaine frange plus ou moins marginale de la population dont je fais apparemment partie). La première était celle de Houellebecq, il y a longtemps, qui, si je me souviens bien, parlait indirectement plus de Houellebecq que de Lovecraft. Le pavé de S.T. Joshi est autrement plus sérieux (et massif : 700 pages pour ce premier tome). J’apprécie l'introduction qui prend la peine de mentionner les divers choix de traduction, bien que l'indéniable qualité de la traduction soit entachée par une impressionnante quantité de coquilles et de fautes.

S.T. Joshi va dans les détails, c'est le moins qu'on puisse dire, et si j'ai parfois survolé quelques passages, le plaisir de lecture est incontestablement là. Je reprocherais peut-être à Joshi une certaine tendance à taper sur les doigts de Lovecraft à propos de ses opinions les plus douteuses, son racisme notamment. Et si on comprend bien le désir du biographe de se détacher ainsi de certains aspects de Lovecraft, on aimerait que nous soient épargnées ces leçons de morale basique. Ce premier tome commence par la famille de Lovecraft, explore son enfance, sa précocité intellectuelle, son adolescence (si le mot est adapté) solitaire, sa passion pour le journalisme amateur, ses nourritures littéraires et philosophiques, ses premières gloires d'écrivain et la première moitié de son mariage avec Sonia à New York.

Je ne vais pas citer Joshi, mais surtout Lovecraft. Ainsi, une auto-analyse de ses intérêts : « a) Amour de l'étrange et du fantastique. b) Amour de la vérité abstraite et de la logique scientifique. c) Amour de l'ancien et du permanent. Les diverses combinaisons de ces trois tendances expliqueront sans doute tous mes goûts étranges et mes excentricités. » (1920) En effet, ces trois idées se contredisent partiellement : ainsi Lovecraft a bien conscience de l'unité discutable que constitue une personnalité, à commencer par la sienne.

Dès son enfance (12, 13 ans) il lit énormément de science et écrit de nombreux essais d'astronomie ou de chimie. Il va jusqu'à écrire et imprimer lui-même des dizaines de journaux amateurs divers. Un petit exemple de ce qu'il écrit à 13 ans, à propos des canaux de la lune : « Concernant la théorie du professeur Pickering, à savoir qu'ils constituent des traces de végétation, je dois dire que n'importe quel astronome intelligent considérerait cette remarque comme indigne d'être relevée. »

Son rapport au catéchisme :
J'avais 12 ans et cette institution me désespérait. Aucune des réponses de mes pieux précepteurs ne me satisfaisait, et je le irritais à force de réclamer qu'ils cessent de prendre les choses pour acquises. Le raisonnement était quelque chose de fondamentalement nouveau dans leur petite mythologie sémite. Finalement, je me suis aperçu qu'ils étaient prisonniers de traditions et d'un dogme infondés, et j'ai alors cessé de les prendre au sérieux. (1920)
L'apport de l'astronomie :
À 13 ans, j'étais complètement convaincu de la futilité et de l'insignifiance de l'homme, et à 17 ans, à l'époque où j'écrivis des textes particulièrement détaillés sur le sujet, je possédais, pour l'essentiel, les vues pessimistes sur le cosmos qui sont miennes à présent. La futilité de toute existence commença à m'oppresser et à m'accabler et je montrai de moins en moins d'enthousiasme et d'espérance vis-à-vis du progrès humain.
Une petite phrase de Joshi que j’apprécie, à propos de la SF comparée au fantastique : « Dagon lui-même peut être considéré comme de la proto-science-fiction car le phénomène de l'intrigue étend étend nos compréhensions de la réalité plus qu'il ne les défie. » (p.338)

Mentionnons la folie (relative) des deux parents de Lovecraft. Son père qui finit dans un asile et sa mère à la fin pas si différente. Dans un passage frappant, une voisine décrit la mère de Lovecraft comme évoquant « des créatures étranges et fantastiques qui surgissaient de derrière les immeubles et des recoins à la nuit tombée ».

Sur sa position artistique : « Le rapport de l'homme avec lui-même ne me captive pas. C'est sa relation au cosmos - à l'inconnu - qui seul parvient à enflammer mon imagination créative. La pose authropocentrée m'est impossible, car je ne puis acquérir la myopie primitive qui magnifie la terre et ignore l'arrière-plan. » Mais pourtant, dans la perspective cosmissiste d'un univers indifférent, que reste-t-il à part le rapport de l'homme à lui-même ?

Aussi, je n'avais pas pleinement réalisé ce que Lovecraft doit à la philosophie antique (notamment les épicuriens, Lucrèce), à Schopenhauer et surtout à Nietzsche (notamment ici : « Si un acte correspond à nos désirs, c'est la nature à travers nous qui a formulé ce désir, et assuré son accomplissement. »). Et un extrait où on croirait lire les stoïciens : « Dans la perspective de l'infinité cosmique, la victoire d'un enfant aux billes n'a rien à envier à celle d'Octave à Actium. » Plus loin : « Quelle importance si personne n'entend jamais parler du fruit de mon travail, ou si ce travail n'affecte que les médiocres et les affligés ? Il est sans aucun doute important d'offrir à ces malheureux le plus de bonheur possible ; et celui qui se montre gentil, serviable et patient avec ses frères de misère ajoute autant de capital de sérénité du monde que celui qui, doué de plus grandes facultés, promeut la naissance d'empires, ou fait avancer le savoir de la civilisation et de l'humanité. » Une idée qui prend particulièrement sens quand on considère l'opinion de Lovecraft que l'humanité ne va nulle part en particulier sinon vers sa propre fin ; ainsi la notion de progrès devient quasi absurde.

Pour conclure ce premier tome, peut-être le passage de plus drôle : quand, à New York, un ami de Lovecraft veut lui donner le job de rédacteur en chef de... Magazine of Fun !

samedi 11 février 2017

Retour au meilleur des mondes - Aldous Huxley


Retour au meilleur des mondes - Aldous Huxley

Plus jeune, enthousiasmé par Le meilleur des mondes, j'étais tombé en librairie sur ce petit livre. J'ai cru que c'était un roman, et la quatrième de couverture est habillement ambiguë sur le sujet. La suite est facile à prévoir : déçu, m'attendant à totalement autre chose, je n'ai lu quelques pages avant de le poser dans un coin où il est resté pendant des années.

En fait, cet essai de 1958 examine la propagande et la manipulation des masses comme des individus par les structures de pouvoir. Chose étrange, Huxley donne dès les premières pages l'impression de ne même pas avoir relu son roman original avant de prendre sa plume (« J'ai oublié la date exacte des événements rapportés dans ma fable... »), ce qui ne l’empêche pas de le citer plus tard. Enfin, pourquoi pas. Il est fort intéressant de lire les inquiétudes d'Huxley concernant l'avenir. Une bonne partie de son argumentation tient compte de la surpopulation à venir, les difficultés qu'elle entrainerait encourageraient la montée des régimes totalitaire. Sans compter bien sur que les masses sont bien plus aisément manipulables que les individus, et qui dit surpopulation dit plus de masses. Huxley, contrairement à bien des auteurs de SF, est extremement septique quand à l'avenir spatial de l'humanité, qui permettrait de limiter la croissance démographique. A juste titre, comme l'histoire l'a démontré jusqu'à maintenant. Ses considérations sur la vie urbaine n'ont guère pris d'age :
La vie urbaine est anonyme et pour ainsi dire abstraite. Les êtres ont des rapports non pas en tant que personnalités totales, mais en tant que personnifications de structures économiques ou, quand il ne sont pas au travail, d'irresponsables à la recherche de distraction. Soumis à ce genre de vie, l'individu tend à se sentir seul et insignifiant ; son existence cesse d'avoir le moindre sens, la moindre importance.
On croirait lire Houellebecq. Pour Huxley, l'homme n'est un animal que « modérément grégaire », et il s'inquiète des excès d'organisation qui tendent à aller contre cette nature. Il se souvient quand, pendant son enfance, les hommes portaient des haut-de-formes et prenaient des trains, regardant de haut les violences et les misères du monde, pour quelques années plus tard subir et commettre des atrocités lors de la Grande Guerre. Ainsi l'idée de progrès est bien légère, et ce genre de chose arrivera à nouveau. Pour Huxley, la propagande n'est ni bonne ni mauvaise : il y a la rationnelle et l’irrationnelle. Il décrit longuement les méthodes de propagande en démocratie, qui se mêlent intimement avec le marketing, et en dictature, qui peuvent prendre des formes bien plus radicales. Les exemples ne manquent pas et me font voir avec une nouvelle lumière la longue séance de torture de 1984, aussi bien du coté des techniques de torture et de suggestion mentale que du celui du pouvoir autoritaire et de sa recherche de l'uniformité. Cette exploration de la suggestibilité humaine est assez captivante. Huxley s'inspire par exemple de l’hypnose et des placebos pour démontrer la vulnérabilité de l'esprit aux illusions, et se demande quel impact cette suggestibilité a sur les notions de liberté et démocratie.

Quand il en vient aux pistes à explorer pour le futur, Huxley se montre d'un environnementalisme qui, s'il avait été appliqué à l'époque, nous arrangerait bien aujourd'hui :
Que faire ? De toute évidence, diminuer le plus vite possible la natalité jusqu'à un point où elle n'excède pas la mortalité. En même temps, il nous faut augmenter le plus vite possible la production de denrées alimentaires, instituer et mettre à exécution un plan mondial pour la conservation des sols et des forêts, créer pour nos combustibles actuels des produits de remplacement, si possible moins dangereux et moins vite épuisés que l’uranium...
Huxley conseille aussi la décentralisation des pouvoirs : la démocratie ayant montré ses limites avec le régime nazi, il part du principe que de petits groupes autonomes sont bien moins vulnérables à la « dictature par référendum ». Huxley consacre également de longs passages à l'hypnopédie et à la suggestion subliminale, qui l'inquiétaient beaucoup. Il voyait par exemple les politiciens du futur s'en servir massivement. Que ses hypothèses se révèlent pertinentes aujourd'hui ou non, ce petit Retour au meilleur des mondes n'en est pas moins captivant. A lire pour qui s'intéresse à la manipulation des esprits.

154 pages, 1958, pocket

samedi 9 juillet 2016

Le monde d'hier - Stefan Zweig


Le monde d'hier - Stefan Zweig

Le monde d'hier est une autobiographie. Mais Zweig ne parle guère de sa vie personnelle. On se saura rien de sa vie de famille, ni de son éducation amoureuse. Zweig se concentre sur le monde qui l'entoure. Même quand il évoque son enfance, ce n'est pas tant pour détailler sa vie que pour analyser l'assurance de l'Europe avant la guerre, un système éducatif aussi rigide qu'hypocrite ou encore le puissant tabou entourant tout ce qui touche à la sexualité. Puis Zweig grandit, voyage, devient un écrivain reconnu, s'engage pour l'unité de l'Europe. Quand il parle de ses amitiés, il est très marquant de constater à quel point le monde de l'art semblait petit à cette époque, du moins pour qui peut se permettre de naviguer entre les capitales. Rilke, Hofmannsthal, Rodin, Valery, Freud, Romain Rolland, Wells, Joyce... Certains étaient juste des rencontres, d'autre des amis de longue date. Et Zweig enchaine ainsi les portraits. Que dire, sinon que c'est passionnant ? Et au-delà du climat intellectuel, c'est l'état de toute l'Europe qui est décrit. La Grande Guerre, le chaos économique de l'inflation, la montée du national-socialisme... Et Zweig, pacifiste convaincu, chassé de son Autriche natale, désespère. On sent venir son suicide. Pour dire les choses simplement, Le monde d'hier est une merveille. D'un point de vue littéraire, c'est brillant. J'avais presque envie de pleurer vers la fin tant Zweig parvient avec tact à transmettre sa peine d'exilé, sa souffrance à voir le monde sombrer dans la violence. Et d'un point de vue documentaire, c'est tout aussi brillant. J'ai l'impression d'avoir doublé ma compréhension du vingtième siècle à la lecture de ce livre. Impression certainement illusoire, mais qui en dit beaucoup sur l’efficacité d'un tel mélange de talent littéraire et d'analyse historique.

506 pages, le livre de poche

dimanche 26 mai 2013

Épouvante et surnaturel en littérature - Lovecraft


Épouvante et surnaturel en littérature - Lovecraft

Un petit panorama de la littérature fantastique par Lovecraft, c'est plutôt tentant.

Lovecraft commence comme il se doit par une introduction définissant ce qu'il entend par épouvante et surnaturel en littérature. Il défend bien sur ardemment le genre, tout en convenant qu'il ne passionnera jamais vraiment qu'une petite partie de la population. Il évoque également une notion qui reviendra tout au long de l'ouvrage, l'horreur cosmique, qui constitue pour lui le summum de tout récit surnaturel. Par la suite, on rentre dans le vif du sujet, découpé en plusieurs chapitres. On commence par la "naissance du conte fantastique" et on termine par les "maitres modernes", en passant entre autres par "l'apogée du roman gothique" ou encore "la tradition du roman fantastique en Amérique". Ce tour d'horizon est donc organisée de façon chronologique et géographique. Et finalement, on se retrouve face à une considérable liste d'ouvrages élaborée par un passionné.

Lovecraft évoque nombre d'auteurs : Poe, Lord Dunsany, Arthur Machen, Maupassant, Ambrose Bierce, Maturin, Hawthorne, Oscar Wilde, et des dizaines et des dizaines d'autres ... Sur chacun il nous livre ses impression personnelles, quelles sont selon lui leurs meilleurs œuvres et quelles sont leurs qualités et défauts, il résume un grand nombre de nouvelles et de romans. C'est donc l'occasion de mieux connaitre ses gouts et de savoir quelles œuvres l'ont influencé. Et le plus important, c'est qu'à travers son ton très subjectif, il parvient facilement à transmettre sa passion au lecteur. Toutes les dix pages, je me disais "ouais, ça a l'air génial ça" ou encore "ce bouquin là il faut que je le lise". Cette édition a également la bonne idée de proposer un index des auteurs évoqués par Lovecraft. Il fait 14 pages, et ne sera pas de trop pour s'y retrouver dans ce foisonnement de talents. Par contre, la traduction (ou l'écriture de Lovecraft) est parfois un peu bizarre, notamment au niveau la ponctuation, mais rien qui gâche vraiment le plaisir de lecture.

Épouvante et surnaturel en littérature n'est pas un essai riche et profond sur la littérature fantastique. C'est plutôt un inventaire subjectif fait par un passionné sur l'histoire et les œuvres les plus marquantes de cette littérature. Je ne sais pas quand exactement a été écrit ce bouquin, mais Lovecraft, grand modeste, ne se mentionne pas une seule fois lui même (je me demande ce qu'il aurait pensé de la place qu'il occupe aujourd'hui dans la littérature fantastique). Bref, pour qui cherche à faire des découvertes ou est juste vivement intéressé par "l'épouvante et le surnaturel en littérature", nul doute que Lovecraft sait se montrer enthousiasmant.

166 pages sans compter l'index, 10/18

Lire les avis de Cachou, Camille, Spooky, Woland

lundi 30 juillet 2012

Paul Auster - Le Diable par la queue / Pourquoi écrire ?

Paul Auster - Le Diable par la queue / Pourquoi écrire ?

Paul Auster nous livre avec Le Diable par la queue une petite autobiographie. Celle ci débute lors de l'enfance de l'auteur, pour s'achever à sa première publication romanesque. L'ensemble est court et ne fait que 164 pages, on se doute donc que Paul Auster a du choisir avec soin ce qu'il allait nous raconter.

En effet, j'ai trouvé que 3 grands aspects étaient mis en valeur : la volonté de l'auteur (qui souhaite très tôt être indépendant et vivre à sa façon), ses rencontres et activités, et surtout son rapport à l'argent, ou plutôt la contradiction entre sa volonté de ne pas en faire le centre de sa vie et le fait qu'il soit très souvent obligé de ne penser qu'a ça pour survivre. C'est assez amusant de faire le lien entre certains de ses souvenirs et des éléments de ses romans. Après tout, l'inspiration ne sort pas du néant. Mais plus que cela, ce récit est intéressant car Auster prend du recul par rapport à lui même, en ne donnant par exemple aucun détail sur sa vie intime, ne s'attardant pas sur ce qu'il aurait pu étaler, et se concentrant sur son activité d'écrivain. Le récit est donc dense et rapide, ce qui le rend tout aussi rapide et plaisant à lire.

Au final, on a là quelques belles tranches de vie d'un écrivain fauché courant après ses rêves d'indépendance et de création et obligé d'y renoncer faute d'argent et de capacité à "se vendre". A ce propos, le récit se termine sur ces mots : "Et voilà comment on écrit des livres pour faire de l'argent. Voilà comment on se vend." Une fin étonnante, mais l'on peut se réjouir que Paul Auster ne sombre pas dans l’autosatisfaction. Il ne prend même pas la peine de raconter sa "réussite", qui on l’espère lui a apporté la liberté créatrice apte à démentir les derniers mots de cette intéressante autobiographie.

Ensuite, Pourquoi écrire ? nous offre sur une vingtaine de pages quelques souvenirs, en vrac. Cela ne nous aide absolument pas à comprendre pourquoi Paul Auster écrit, mais ça se lit tout seul.

1996/1995, 179 pages, Le livre de poche