mardi 31 octobre 2023

Le noisetier - Michel Roussillat

Le noisetier - Michel Roussillat

Elle est tentante cette collection, avec des livres d'une petite centaine de pages sur chaque espèce d'arbre, mais il faut se rendre à l'évidence : c'est exhaustif, certes, mais on a quand même l'impression que pour remplir ces pages, il faut gratter les fonds de tiroir. Alors, on apprend quoi sur le noisetier ? 

Déjà, ce n'est pas un arbre, mais un arbrisseau : il ne dépasse pas 7 mètres et reste ramifié en touffe dès sa base. Il rejoint là aubépine, églantier, prunellier, cornouiller, sureau, etc. Chaque branche principale meurt au bout de 20 ou 30 ans, mais tant que la souche émet de nouveaux rejets, elle peut vivre bien 100 ans. Le noisetier est monoïque, c'est-à-dire que chaque individu porte fleurs femelles et mâles. Les mâles, ce sont les chatons, qui apparaissent à l’extrémité des rameaux courts dès la fin de l'été pour s'épanouir au printemps suivant. Chaque chaton mâle peut libérer 4 millions de grains de pollen. Les fleurs femelles sont bien plus discrètes. Comme elles fleurissent ainsi très précocement, les fleurs sont sensibles aux gelées.

Notons qu'il existe plusieurs espèces de noisetiers, qu'on ne différencie guère dans l'usage commun. Corylus avellana est le noisetier commun, indigène en France, mais on plante aussi Corylus maxima, ou noisetier de Lombardie, originaire du sud de l'Europe. Les variétés fruitières sont souvent des hybrides entre les deux espèces. 

Le baladin, un petit charançon, est le principal insecte prédateur des noisettes. Ce sont les femelles qui percent la coque des noisettes encore jeunes pour y déposer leurs œufs. Le trou se referme comme une cicatrice, et le nouveau trou que l'on voit sur les noisettes matures est celui creusé par la larve qui sort de sa coquille. La larve passe l'hiver dans le sol sous forme de nymphe avant de reproduire le cycle l'année suivante. 

Les fruits se trouvent sur les pousses latérales d'un an, ce qui motive à la taille du noisetier : on peut supprimer les branches ayant déjà fructifié. On coupe les touffes qui partent vers le centre de la touffe, histoire d'aérer. L'auteur donne aussi les bases des techniques permettant de faire de la vannerie avec du bois de noisetier. Il convient d'abord, avec adresse, de prélever de fines lanières sur des rameaux soigneusement choisis.

vendredi 27 octobre 2023

Valuable Humans in Transit - qntm

Valuable Humans in Transit - qntm

Un petit recueil de nouvelles par l'auteur du très digne d'intérêt There is no antimemetic division. Il a une certaine tendance à laisser ses histoires à l'état d'ébauches, on a souvent l'impression de lire le synopsis d'un roman, mais même dans ce cas, les idées explorées valent le coup. A son meilleur, qntm s'avère très convainquant, explorateur de grands concepts qui traversent l'espace et le temps, presque à la façon de Greg Egan ou Liu Cixin. La plupart des nouvelles sont lisibles gratuitement par ici.

Lena (5/5 pour le concept). Écrit à la façon d'un article Wikipédia. Dans un futur proche, les esprits humains peuvent être scannés et utilisés en tant que programmes exécutables. Au début, tout le monde est très naïf, mais on se rend vite compte de l'horreur de la situation : esprit humain devenu sujet d'expérience, ou bien plus probablement programme utilisé dans je ne sais quelle industrie, esprit humain dont existent peut-être des centaines de milliers d'instances en parallèle, et qu'il faut réinitialiser après quelques milliers d'heures parce qu'il devient dingue. Excellent.

If You Are Reading This (2/5). Le ton m'a fait penser à Lovecraft qui écrirait de la hard SF, avec le récit imbriqué, le narrateur qui recueille le récit moyennement fiable d'autrui. Malheureusement, ça se finit complètement en queue de poisson.

The Frame-by-Frame (5/5). Encore une fois, c'est un concept avant tout, mais très bien exécuté. Les différents systèmes d'une voiture autonome débattent de la conduite à tenir face à un piéton vulnérable. Il s'avère qu'elle n'est pas programmée pour considérer tous les humains comme digne du même droit à la vie... Toute la narration ne dure que quelques secondes en temps réel.

The Difference (3/5). Une histoire d'IA (ou pas ?) sous la forme de conversation web, avec une touche de ces films d'horreur sadiques à la Saw. Intriguant, mais c'est de nouveau une fin pas satisfaisante.

Gorge (4/5). Ah, nous voilà enfin dans l'espace avec des vaisseaux spatiaux ! C'est un peu plus classique, avec une humanité exploratrice confrontée à une menace indicible. Des ingrédients éprouvés et bien menés, l'entité dont il est question parvient à ne pas trop sentir le réchauffé (et ce n'est pas si facile), même si, comme annoncé en intro, on a clairement l'impression de lire le synopsis d'un roman.

cripes does anybody remember Google People (3/5). Sous forme de fil de forum, des internautes explorent un énième projet abandonné de Google, une sorte de réseau social fantôme où des IA chelous se font passer pour les utilisateurs. C'est comme un réseau social hanté. Idée sympa, mais ça ne cristallise pas.

Driver (5/5). Une suite à Lena. Cette fois, il est question d'un esprit scanné utilisé pour manager et optimiser d'autres esprits scannés. C'est franchement glauque, et stimulant sur le plan éthique.

I Don't Know, Timmy, Being God Is a Big Responsibility (5/5). Une histoire de simulation, qui parvient à aborder la théorie du même nom d'une façon extrêmement frappante et visuelle. Comme deux miroirs mis face à face, et nous au milieu...

A Powerful Culture (3/5). C'est presque la même idée, celle de mondes parallèles, mais on se rapproche de Liu Cixin : il y a compétions entre ces mondes parallèles, l'univers est trop petit et ils s'envahissent les uns les autres. Mais, au risque de me répéter : on a l'impression de lire le synopsis d'un roman.

Valuable Humans in Transit (4/5). Narrativement c'est moyen, la fin est un peu confuse, et l'idée centrale est déjà lue ailleurs, notamment dans l'excellent Friendship is optimal, mais l'exécution est excellente : pour réagir à une menace imminente (astéroïde), une IA a 15 minutes pour sauver l'humanité. Et c'est plus facile de créer un monde virtuel que de se compliquer la vie avec le réel...

lundi 23 octobre 2023

Éloge du ver de terre - Christophe Gatineau

Éloge du ver de terre - Christophe Gatineau

Ok, je sais que je ne suis pas le public cible, mais tout de même : c'est atroce. Vraiment atroce. Exemple. (Il s'adresse à un ver de terre, procédé qui court dans tout le bouquin.)

Quant au mot nègre, il est perçu comme péjoratif car il est lié à une période tragique de l'humanité. C'est même une insulte qui vise à humilier les personnes à la peau noire. C'est ça la condition humaine, des conditions inhumaines pour la grande majorité et un contexte qui te permet de mieux comprendre l'absence de considération que nous avons à l'égard de ton peuple. Nous vous maltraitons avec la même malveillance qu'entre nous. Et ta condition n'est pas pire que celles des Noirs pendant leurs heures les plus sombres, des êtres humains à la peau noire considérés bien moins qu'une vache ou un âne. Ils n'existaient plus en qualité d'être mais d'avoir.

Même si nous passons notre temps à chanter l'amour, nous sommes devenus des êtres tordus et méchants comme la gale entre nous, léchant le cul de ceux qui nous dominent avec l'espoir de prendre leur place, humiliant ceux que nous considérons comme inférieurs. Parce que nous sommes des êtres insatisfaits par notre condition, et que l'insatisfaction est un cocktail explosif qui incite les individus à se chamailler et à s'entre-tuer. Et nos dominants usent de ce stratagème pour contrôler ce qu'ils appellent la masse, autrement dit les soumis qui rêvent de dominer les autres…

Oui, l'auteur fait une bizarre fixation sur le mot nègre. (Passons sur le niveau d'analyse.) Vous me demanderez : qu'est-ce cette bouillie a à voir avec les vers de terre ? Rien du tout, comme la grande majorité de ce livre heureusement court. Je n'exagère pas : on pourrait réunir les informations concernant les vers de terre sur peut-être 5 pages. En plus, le (très) peu que l'auteur raconte d’intéressant est une description d'un documentaire qu'il a vu à la télé ! Par contre, il trouve le temps de s'auto-congratuler à propos de son analyse pointue (je cite). Le reste, c'est la logorrhée incohérence d'un auteur qui n'a pas dû lire beaucoup de livres avant d'en écrire. Enfin, si, il a lu Bernard Werber, qu'il cite comme une référence philosophique majeure.

Sans parler du ton abyssal, terriblement vulgaire: salope, pute, couille, bite (je cite). Blagues du style : je ne suis pas zoophile (je cite toujours). Allez, une perle parmi d'autres, qu'on trouve juste avant un approfondissement sur le lesbianisme des vaches :

Dire que le ver de terre a une sexualité débridée serait tout aussi racoleur que de soutenir qu'il ne prend aucun plaisir. Pourquoi ? D'abord, parce que tout le monde ignore s'il en prend, lui seul pourrait répondre, ensuite parce que l'Histoire nous a appris à nuancer nos certitudes pour ne pas la gober. Une certitude tout de même, chez le lombric terrestre, on ne tire pas comme un lapin. Et sans vouloir offenser certains hommes, il prend même ce temps nécessaire au plaisir de l'échange. Soyons clairs, mon but n'est pas ici de réveiller certaines frustrations féminines, même si nous devons admettre que les préliminaires font partie intégrante de la sexualité du ver de terre. Bref, j'imagine que ça peut faire rêver certaines. [...] Par exemple, comment savent-ils que leur voisin de palier a la même envie qu'eux au même moment ? J'écris voisin de palier parce que le ver de terre baise avec sa voisine. Le premier voisin qui sort la tête de son trou, pan : prends ça dans le cornet, voisine. Pour ceux qui commencent bêtement à s'exciter, je rappelle que sa voisine est un voisin.

Bon, j'arrête. Que peut-on retenir sur les vers de terre ? Le sol fonctionne comme un estomac, avec son lot d'organismes qui digèrent la matière organique. Le ver de terre mange du végétal, mais parfois de la viande. Le labour leur fait pas du bien, et les produits chimiques leur font du mal. Le ver de terre peut faire prédigérer sa nourriture par des micro-organismes. Il peut transporter des bouts de végétaux dans sa bouche. 

C'est tout. Vraiment. Il ne décrit même pas, ne serait-ce que succinctement, les différents types de vers de terre. Au moins, ça m'aura donné envie de lire un livre sérieux sur le sujet.

jeudi 19 octobre 2023

Venoumous Lumpsucker - Ned Beauman

Venoumous Lumpsucker - Ned Beauman

Un très bon p'tit roman, qui captive par ses idées plus que par ses personnages ou sa trame. Dans un futur relativement proche, l'apocalypse climatique et environnemental se poursuit le plus tranquillement du monde. Au lieu de faire des pirouettes avec des crédits carbone, les multinationales jouent avec les crédits d'extinction : si par exemple un projet minier s'apprête à rayer de la carte une espèce déjà menacée, pas grave, on se paie un crédit d'extinction. Et si l'espèce risque d'être classifiée intelligente, pour éviter de débourser un peu plus, on fait appel à un expert indépendant, qui, s'il comprend bien son boulot, devrait classer l'affaire sans suite : c'est le job de notre protagoniste. Complètement abattue par son job, sa motivation pendant tout le roman est de se suicider d'une façon élaborée, c'est-à-dire de motiver des venoumous lumpsuckers à se venger sur elle de leur disparition annoncée. Elle est rejointe par un corpo, un cadre de la grosse société minière pour laquelle elle travaille, qui, lui, a spéculé (et perdu) avec les crédits d'extinction de sa boite. Bref, les deux courent après le mystérieux poisson.

Comme les motivations des personnages, la narration est un peu artificielle, on sent que l'auteur cherche avant tout à nous faire passer d'idée en idée. Et je ne m'en plains pas, car ces idées prospectives sont nombreuses, à la fois marrantes, pertinentes et crédibles. On pourrait dire qu'on est dans une ambiance pré-cyperpunk, voire biopunk, où l'humanité n'a toujours pas fait le deuil de la croissance et pour lui courir après continue tranquillement à détruire toute vie sur Terre. Oui, ça me semble plus crédible que le techno-utopisme de The ministry for the future. Je vais lister quelques-unes de ces idées ci-dessous, mais pour qui est tenté, mieux vaut la surprise.

  • Déjà, le génie des crédits d'extinction, et l'évocation du lobbyisme et de la spéculation dont ils font l'objet.
  • Le délire utilitariste des yayflies (que je traduirais youpimouches), moucherons crées artificiellement dans l'unique but de ressentir un maximum de plaisir dans les quelques heures que dure leur vie.
  • Cette maladie fongique qui déforme les visages des vaches (puis des humains) et évolue dans un contexte d'élevage entièrement automatisé par algorithme : la sélection naturelle sélectionne donc les mutations qui déforment la tête des vaches de façon à ce que les algorithmes ne les reconnaissent plus comme des vaches et donc n'interviennent pas pour stopper la maladie. 
  • La façon dont est narré le repli sur soi de l’Angleterre post-brexit : le pays est évoqué sous un autre nom et semble tout d’abord ressembler plus à la Corée du Nord, jusqu'à ce que le lecteur comprenne de lui-même, à force d'indices, que c'est bien l'Angleterre.
  • Le business de la création d'espèces artificielles, qui sert à faire croire à la sauvegarde d'espèces rares (en fait crées pour l'occasion) afin de récolter des crédits d'extinction.
  • Sans tout révéler : l'évocation de la démence narcissique des milliardaires de la tech, qui se noient dans leurs propres techno-délires.
  • Ah, et le fait que l'auteur parle de biologie d'une façon sérieuse : After all, every feature of every animal is a solution to a technical problem.

dimanche 15 octobre 2023

The world until yesterday - Jared Diamond (Le Monde jusqu'à hier)

The world until yesterday - Jared Diamond (Le Monde jusqu'à hier)

On trouve dans ce pavé le meilleur de Jared Diamond, mais pas que. D'un côté, il y a les considérations anthropologiques, passionnantes. Diamond s'appuie sur son expérience intime de la Nouvelle-Guinée, territoire à l'incroyable foisonnance de vie, de cultures et de langages (on y trouve ou trouvait 1000 des 7000 langages connus). La Nouvelle-Guinée a aussi cet incroyable avantage, si on peut dire, d'abriter de nombreux peuples qui n'ont été « contactés » que très récemment, au cours du vingtième siècle. Bref, Diamond n'oublie pas de se pencher sur d'autres régions du monde, pimente le tout de quelques anecdotes personnelles très plaisantes à lire, et se met à tenter de comprendre comment vivaient les petites sociétés primitives.

Hélas, quand Diamond cherche à en tirer des leçons et se met à parler de la modernité... Eh bien, je n'irai pas jusqu'à dire que c'est mauvais, loin de là, mais disons que le niveau n'est pas follement élevé ; ça édifierait certainement un lycéen, mais guère quelqu'un de raisonnablement cultivé. Oui les langages disparaissent, oui il y a des avantages au bilinguisme, oui les américains mangent mal, oui il y a une atomisation sociale dans les sociétés modernes, etc. Donc j'ai sauté pas mal de pages, surtout dans le dernier tiers.

En revanche, je fais plus confiance à Diamond qu'à d'autres anthropologues idéologues, par exemple ceux de Au commencement était. S'il est biaisé, il le cache bien. Il a l'avantage d'avoir passé une partie non négligeable de sa vie sur le terrain, au contact des autochtones. Un point particulièrement marquant, sur cette absence d'idéalisation des société primitives, est son évocation de la façon dont les autochtones ont une tendance non négligeable à accueillir à bras ouverts la « modernité ». Déjà, parce que l’État (chose nouvelle) met fin aux souvent incessantes guerres tribales et autres vendettas, et aussi pour le confort : vêtements, nourriture, médecine, un toit sur la tête, ou même un simple parapluie. Difficile de dire non à tout ça. Je soupçonne que ceux qui tendent vers le nomadisme (le côté chasseurs-cueilleurs) sont plus difficile à convaincre que les sédentaires coincés entre des voisins agressifs.

En Nouvelle-Guinée traditionnelle, la densité de population était relativement élevée, et il est frappant de constater à quel point la violence était commune. Les guerres tribales, en proportion de la population, tuaient beaucoup, beaucoup plus que les guerres modernes, y compris les deux guerres mondiales. Le rapport aux frontières est saisissant : des groupes littéralement voisins parlent des langues différentes, se considèrent mutuellement comme des sous-humains, observent des frontières strictes ou controversées selon des règles complexes, et leurs relations sont parsemées de meurtres, guerres, intermariages, droits de passages, conflits de territoire, etc. Comme entre deux États en tension mais à une échelle microscopique. (Par rapport à la modernité, il y avait beaucoup plus de coopération d'endogroupe mais beaucoup plus de violence d'exogroupe.) Globalement, plus une société est sédentaire (grâce à l'agriculture ou une source de ressource abondante), plus elle a une forte tendance au territorialisme. A l'inverse, chez les chasseurs-cueilleurs, le rapport à l'espace est généralement moins claustrophobique.

Dans le même ordre d'idée, selon Diamond, le concept de voyage, disons, était complètement inexistant tant le moindre étranger était immédiatement perçu comme une menace à éliminer. En effet, un étranger a peut-être des intentions innocentes, mais peut-être qu'il est là pour continuer une vendetta décennale, et les humains réagissent inévitablement en se basant sur les probabilité négatives, car c'est une question de vie ou de mort. Pour trouver un terrain d'entente avec un étranger, il fallait réussir à trouver un lien de parenté, parfois en s’asseyant et en énumérant tous les gens que l'on connait. D'ailleurs, on peut clairement observer la culture sous la poigne de l'évolution : dans toutes les vendettas et tueries, la meilleure façon de s'en sortir était le lien de parenté. On peut noter une certaine absence de l'idée d'amitié au sens moderne : soit un individu était un membre du groupe, soit il ne l'était pas.

Un petit paragraphe édifiant qui évoque à la fois les origines des conflits, l'origine de l'argent et les rapport entre les genres. C'est assez croustillant et je me contente de le reproduire :

As for New Guineans ranking pigs on a par with women as causes of war, recall that pigs to a New Guinean are not mere food and the largest available source of protein: they are the main currency of wealth and prestige, and are convertible into women as essential components of bride-price. Like women, pigs are prone to wander and desert their "owners", are easily kidnapped or stolen, and thus provoke endless disputes.
Si je tends à être sceptique quand Diamond tente de faire des comparaisons de valeurs entre sociétés primitives et modernes, il y a une qui me semble pertinente : le traitement des enfants. L'enfant a tendance à être beaucoup, beaucoup plus proche de la mère, à avoir accès presque à volonté à l'allaitement jour comme nuit (l'enfant dort avec la mère presque contre sa poitrine), et globalement à moins pleurer car ses besoins sont plus immédiatement satisfaits. Cela a aussi pour effet de retarder la possibilité physiologique pour la mère d'enfanter à nouveau grâce à des pirouettes hormonales un peu obscures. L'autonomie laissée à l'enfant est également surprenante, du bébé qui joue avec un couteau ou un feu sous les yeux imperturbables de la mère, à l'enfant de 10 ans qui se barre une semaine dans la forêt, de sa propre volonté, pour accompagner Diamond. L'idée de punition semble être liée au type de société : chez les chasseurs-cueilleurs, peu de punition (car peu d'enjeux), chez les agriculteurs, plus de punition (plus d'enjeux avec les stocks), et encore plus de châtiments chez les éleveurs (forts enjeux liés aux troupeaux). Parfois, les mères avaient l'autonomie de tuer le nouveau-né si la situation ne permettait pas une survie probable, par exemple en cas de jumeaux : impossible pour une nomade de transporter deux enfants en plus du barda habituel.

Et j'ai appris un truc passionnant : pourquoi ces sociétés primitives, qui pratiquaient l'agriculture dans une certaine mesure, choisissaient d'avoir une dizaine de petits jardins éparpillés dans une très vaste zone au lieu d'un grand jardin optimisé ? A première vue, ça semble être un stupéfiant manque d'efficacité : ils passent plus de temps à marcher de jardin en jardin qu'à les travailler ! Il a fallu un certain temps pour que les occidentaux comprennent. L’objectif de ces agriculteurs primitifs n'est pas de maximiser leur récolte moyenne mais de ne jamais passer sous la barre de la famine. Et là, ça fait sens. D'un point de vue moderne, on fait un joli champ bien optimisé, et même si une année il est ravagé par une tempête ou une maladie, on a toujours, en moyenne, de super récoltes. Mais dans une société primitive, quand une année de récolte est ravagée, il n'y a pas de commerce possible pour s'en sortir, et tout le monde crève. Donc, en multipliant les jardins dans des environnements différents, on réduit drastiquement les chances que tous soient ruinés par la météo, la sécheresse, une maladie, des ennemis, des animaux sauvages, des problèmes de fertilité, etc.

Alors, au final, d'où viennent les comportements humains ? Ce n'est pas un scoop, mais ma perspective est renforcée par cette lecture de Diamond : à vue de nez, une grande majorité de pure biologie les comportements étant des réponses situationnelles façonnées par l'évolution pour atteindre subsistance et reproduction  et une louche de chaos mémétique, le genre de truc qu'on appelle culture, et qui est aussi la conséquence du processus évolutionnaire, conséquence un poil moins directe le bruit de la sélection naturelle. Par exemple, la religion en temps que conséquence des uniques capacités du cerveau humain à déduire cause, effet et intention, à formuler des explications causales.

jeudi 12 octobre 2023

Poems for the lost because I'm lost too - Exurb1a

Poems for the lost because I'm lost too - Exurb1a

Donc, c'est supposé être de la poésie, et il est inévitable que je commence par là : est-ce que revenir à la ligne en plein milieu des phrases est vraiment le facteur essentiel qui définit la poésie ? Parce que pour la plupart des textes ici rassemblés, rien d'autre ne les rattache à ce genre. Il y a des aphorismes, de l'autofiction, de la micro-fiction, et certes, quelques autres plus rythmés, mais à part ces derniers, ils me semble que ces textes sont diminués par cette convention arbitraire. C'est juste des aphorismes et de la fiction avec des retour à la ligne tout le temps, ça ne sert à rien, ça n'est aucunement « poétique », et inclure un texte pour se moquer de cette manie ne l'excuse en rien.

Heureusement, ça n'empêche pas le tout d'être très sympa — du moins pour un type de lecteur, le lecteur qui se reconnait dans l'auteur. D'un côté, je trouve un peu facile cette technique qui joue sur l'identification du lecteur à l'auteur, le « on est trop pareil ». Je suppose que beaucoup de ceux qui vont aimer ce livre vont l'aimer parce qu'ils se reconnaitront dans ces lignes qui s’adressent aux introvertis-intellos-rationnels-dépressifs-créatifs avec une forte tendance à l'addiction (je m'y reconnais). Et ça me gêne, car c'est confondre lien humain et bonne littérature.

Heureusement (encore), il y a d'autres qualités. La succession de court textes variés fait qu'on est toujours curieux de découvrir ce qui nous attend par la suite, aussi bien sur le fond que sur la forme (hors retours à la ligne). C'est souvent drôle, malgré un abus d'auto-dépréciation. D'ailleurs, je me suis dit régulièrement que j'aurais pu écrire les mêmes trucs, mais pas avec l'humour. Le ton pessimiste manque un peu de chair, c'est sans doute plus superficiel que ça voudrait l'être (voire embrassant : associer stoïque à apathique), mais il y a quelques passages, quelques textes, qui font particulièrement mouche, comme Church of the Godless.

Et là au milieu, il y a une excellente nouvelle, The Good Ship Lightship Ikkarad. Encore une fois, impossible de ne pas sentir une certaine proximité avec l'auteur, puisque j'ai moi-même écrit une petite nouvelle sur quasiment le même sujet : premier contact entre humains et entité démiurgique, cette dernière n'étant finalement pas plus avancée que les premiers sur les questions de satisfaction et de sens. (J'ai même là-dessus un roman en cours qu'il faudra bien que je termine un jour.) Oui, une excellente petite nouvelle, un poil confuse dans sa forme qui se veut « poétique » (comprenez : phrases découpées en morceaux), mais dont l'essence n'a pas manqué de me parler.

mardi 3 octobre 2023

La peste écarlate - Jack London

La peste écarlate - Jack London

Une nouvelle post-apocalyptique publiée pour la première fois en 1912. Comme c'est une édition adressée aux classes de cinquièmes, on pouvait s'en douter : on ne retrouve pas là l'engagement politique de London pour le socialisme, tel qu'on pouvait le trouver dans Le talon de fer ou indirectement dans le documentaire Le peuple de l'abime

Ce qui m'a tout d'abord irrité un peu le poil, c'est la traduction. Par exemple, cet enfant primitif qui ne comprend pas le mot « friandise » , mais qui, littéralement la ligne suivante, utilise tout naturellement le mot « sobriquet », ou encore, page suivante, quand on nous parle de « l’enthousiasme paralytique du vieillard », ce qui n'a aucun sens, d'autant plus que le vieillard n'est absolument pas paralysé, puisqu'il est littéralement (encore) en train d'accomplir un mouvement vif. Bon, ce n'est pas trop gênant, mais tout de même.

Sinon, narrativement, il faut bien avouer que c'est assez dénué d'intérêt pour qui a déjà lu quelques vieux livres de SF apocalyptique. Le grand-père raconte à ses petits sauvages l’effondrement du monde civilisé, et on y trouve les poncifs habituels : épidémie, incendies, hordes pillardes, ensauvagement, etc. Il y a bien quelques vagues touches originales, mais rien n'est développé. J'ai cependant apprécié les pages finales, où le vieillard s'efforce de semer dans les crânes de ses petits sauvages les graines de la science et de la raison, alors que ces derniers sont appâtés par le disque d'accrétion de la superstition et de l'obscurantisme. Car la superstition est une source de pouvoir aisée pour qui la manipule sans scrupules, voire s'en convainc lui-même.