Une série d'histoires connectées prenant place dans l'univers participatif de la Fondation SCP. Le niveau global est très élevé, mais cela n'empêche pas There is no Antimemetics Division de tomber dans un écueil classique de la littérature fantastique. A l'inverse d'un mème, concept qui se répand à la façon d'un virus, un antimème est un concept — et dans ce cas des créatures — qui annihile toutes les informations à son sujet. Concrètement, c'est par exemple une créature qui dévore toute information, tout souvenir que l'on peut avoir d'elle, une créature qui existe mais qu'il est donc impossible de connaître.
Quel concept ! Et, surtout, l'auteur parvient à l'exploiter. J'ai lu beaucoup de littérature fantastique, qui souvent court après Lovecraft sans lui arriver à la cheville, et ça ne m'a pas empêcher de trouver dans There is no Antimemetics Division de la véritable originalité. Le cœur même du sujet est l’ineffable, l'indicible : les créatures dont il est question défient les sens humains, les capacités de raisonnement habituelles, et pour pouvoir espérer leur faire face, il faut jouer avec sa mémoire, traiter ses propres souvenirs comme des pièces de puzzle que l'on prend et que l'on retire selon les besoins. Face à des entités qui, parfois, n'existent que quand on sait qu'elles existent, on s'approche admirablement de l'horreur cosmique lovecraftienne : « La chose la plus miséricordieuse qui fut jamais accordée à l’homme est
son incapacité à faire le rapprochement entre toutes ses connaissances. Nous vivons sur une île d’ignorance placide, au beau milieu de mers noires et infinies... » L'ignorance devient une nécessité pour survivre, un atout à cultiver.
Ici, le style est sec, lapidaire. J'aime ça. Les premières nouvelles sont particulièrement efficaces, car leur échelle est modeste. L'une d'entre elle prend place essentiellement dans un bureau, une autre met en scène un homme confronté à une créature qui dévore son identité, le rendant ainsi invisible à autrui (c'est sans doute la meilleure). Petit à petit, l'échelle prend de l'ampleur, jusqu'à devenir apocalyptique et globale : c'est là que niveau baisse, car ce qui fonctionne en huis-clos devient bancal quand le monde entier est concerné. Les mémoires peuvent êtres effacées et récupérées, les créatures peuvent être invisibles et plus grandes qu'un immeuble, un personnage peut oublier les trois quarts de sa vie et s'en rappeler occasionnellement, toutes sortes de substances permettent de contrôler la mémoire d'une façon qui semble servir essentiellement d'outil narratif bien pratique pour l'auteur... En somme, au bout d'un moment, il se passe tellement de choses dans tous les sens, pour des raisons si complexes (manipulation de la mémoire, du réel, etc.) que l'auteur peut juste se permettre tout et n'importe quoi. La logique interne, forcément branlante sur des sujets aussi extraordinaires, parvient à faire illusion quand l'auteur fait preuve de retenue, mais est exposée à nue, dans toute sa faiblesse, quand il va trop loin. Malgré ces réserves, There is no Antimemetics Division s'impose aisément dans le haut du panier de la littérature fantastique : inventif, frappant, et avec une étincelle d'altérité radicale qui parvient à sortir de l'ombre de Lovecraft.
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