vendredi 24 février 2023

Les fruits retrouvés, patrimoine de demain - E. Leterme & J-M. Lespinasse

Les fruits retrouvés, patrimoine de demain - E. Leterme & J-M. Lespinasse

J'ai dégoté d’occasion ce monstrueux volume de plusieurs kilos. Je crois que c'est de très loin le plus gros livre que je me sois jamais procuré. Sur plus de 600 pages sont énumérées et décrites des centaines de variétés fruitières traditionnelles du sud-ouest. Évidemment, je n'ai pas lu en détail toutes ces descriptions, mais le livre ne manque pas non plus de passages plus généraux et informatifs. Et même si on se contente de les feuilleter, ces innombrables descriptions de variétés, agrémentées de photos et dessins, contribuent à donner une profonde conscience du potentiel des fruitiers.

Le rôle des fruitiers et des vergers à drastiquement changé au cours des siècles passés, et en particulier au cours du vingtième siècle. Il y a eu inévitablement un fort déclin de l'autoconsommation au profit de productions rationnellement organisées pour le commerce à grande échelle. Au passage, il y a eu optimisation des variétés, sélection des plus performantes et oubli de la grande majorité, qui souvent étaient extrêmement locales et destinées à un usage familial. Notons que la sélection contemporaine a des objectifs particuliers : uniformité, adaptation à diverses machines, capacité à tolérer le transport... Ces qualités peuvent être différentes de celles recherchées pour un usage locale à petite échelle qui, elles, tendent donc à disparaitre. L'optimisation moderne a aussi causé la disparation des polycultures, notamment les jouales, qui associaient les fruitiers avec des vignes, voire avec des céréales ou des légumes. Les haies fruitières ont été ravagées à l'occasion du remembrement (et même avant). Les haies, en plus de leur action de lutte contre l'érosion, étaient un haut lieu de création variétale fruitière : des variétés greffées y côtoyaient des semis plus ou moins sauvages, et des hybridations très intéressantes pouvaient apparaitre naturellement.

Le verger moderne, avec ses rangées de fruitiers greffés sur porte-greffe nanifiant (pour faciliter la récolte et la mise à fruit rapide) arrosés de pesticides, est extrêmement récent. Or, c'est pour lui que se font la plupart des sélections variétales modernes, dans des contextes centralisés et privés. Aujourd'hui, une nouvelle variété optimisée peut envahir le marché en quelques années, alors qu’autrefois, les échanges se faisaient lentement à travers le territoire, au fil de la progression géographiques des semis, greffons et boutures. Là où les variétés commerciales modernes sont très limitées génétiquement, il y a dans les variétés anciennes un énorme potentiel génétique, qui pourrait se révéler capital dans l'adaptation au changement climatique et peut-être à d'autres modes de gestion du territoire.

J’apprécie page 72 le chapitre sur la rusticité supposée des variétés anciennes : parasites, maladies, adaptation climatique... On s'en doute, il est beaucoup question de la différence d'objectif des productions : par exemple, dans un cadre local, les pommes abimées ne sont pas perdues, elles servent à nourrir les animaux ou sont transformées sur place, etc. De même, l'homogénéité n'était pas un critère capital. Notons par ailleurs que même les clones peuvent "évoluer" et présenter des variations : par mutation. Ce n'est à priori pas si rare (voir page 67).

lundi 13 février 2023

Trees of Power - Akiva Silver

Trees of Power - Akiva Silver

Akiva Silver gère une pépinière familiale dans l'état de New York. Il a une petite présence sur Youtube, avec quelques vidéos courtes filmées téléphone à main mais souvent pleines d'infos et de passion. Ici un petit tour de son terrain filmé par quelqu'un qui se soucie un poil plus de la forme. Bref, j'aime beaucoup Akiva. Il a un background de marginal qui passe la moitié de sa vie à survivre dans les bois, il est intimement passionné par les arbres et leur propagation tout en gardant le focus sur l'aspect pratique de comment en vivre, et ses quelques débordements mystiques peuvent certainement être un peu douteux mais restent avant tout emprunts d'un profond amour pour les différentes formes de vie terrestres.

I would rather partner with trees than any bank, institution or lawmaker.

Le livre est divisé en 4 parties. La première, courte, est une sorte de manifeste idéologique qu'on pourrait qualifier de post-écologique, comme chez Mark Boyle et Paul Kingsnorth. C'est-à-dire que la lutte militante, pourquoi pas, certes, mais au bout d'un moment, il peut être bien plus pertinent (pour la "cause" comme pour sa santé mentale) de cesser de croire qu'on va changer le monde entier et de commencer, de façon économiquement réaliste, à changer sa propre intégration dans ce monde. La seconde partie s'attaque aux méthodes de propagation des arbres, bouture, greffe, marcottage, semis, etc. Le style est sec et l'auteur plein d'expérience. La quatrième partie est la plus importante : un focus sur 10 espèces d'arbres particulièrement intéressants. C'est avant tout d'une perspective géographiquement nord-américaine, j'ai donc sauté quelques pages, mais il y a tout de même de quoi intéresser l'européen. La très brève conclusion se fait un peu mystique et l'auteur donne quelques exercices pratiques plus ou moins bizarres pour prendre soin de sa santé mentale.

Un point central pour souligner l'importance des arbres est que quand le sol est exposé, la matière organique se volatilise ; la matière organique est essentiellement du carbone, et quand le carbone rencontre de l'oxygène, hop, ça fait du CO₂ et ça part dans l’atmosphère. On le voit de ses propres yeux face à une pile de compost qui, petit à petit, s’évapore littéralement. C'est le sort de tous les sols de toutes les monocultures intensives. En plus de protéger le sol, les plantes absorbent et stockent le carbone. Il est étonnant d'entendre tous les discours techno-utopiques sur des grosses machines qui absorberaient du carbone (payées par qui ? avec quelle énergie ?) alors qu'un arbre est déjà une machine à absorber du carbone, et en plus ça produit de la nourriture et du bois. L'auteur avance la théorie qu'il y avait plus de nourriture disponible en Amérique du Nord avant l'invasion des européens : c'est crédible, en prenant en compte toutes les hordes d'animaux sauvages (bisons par dizaines de millions, pigeons migrateurs littéralement par milliards, etc.) et la quantité inimaginables d'arbres fruitiers sauvages anciens (châtaigniers, pacaniers, etc.) favorisés par les humains locaux. Il est difficile de se représenter à quel point le territoire était différent et fourmillait de vie.

L'auteur souligne qu'au delà des variétés connues, il est toujours possible de trouver dans la nature des arbres fruitiers sauvages anormalement généreux pour qui sait observer : le grand mélange génétique s'y fait toujours contrairement aux vergers où les plantes sont des clones — et ça vaut le coup d'y faire attention. Il suggère aussi de s'approprier la création de variétés en plantant une grande variété de semis, en sélectionnant les meilleurs et en les laissant s'hybrider. 

Sur le plan des conseils pratiques de propagation, je suis en train d'apprendre ces choses-là par empirisme et les conseils d'Akiva sont riches, il ne fait pas perdre son temps au lecteur ; je relirai plus tard ce chapitre pour prendre plus sérieusement des notes. Je n'ai pas trouvé en français de livre de ce style tourné vers l'art de la propagation. Je note les avantages du transport de jeunes arbres en racines nues :

  • En pot, non seulement il y a usage de plastique, mais surtout usage de substrat : à grande échelle, il s'agit d'une quantité colossale de matière perdue pour le pépiniériste.
  • Les arbres qui grandissent dans un vrai sol bénéficient d'une richesse de sol impossible en pot.
  • En pot, l'eau traverse et quitte le substrat, emportant avec elle des nutriments. D'ailleurs, le substrat des pots sèche drastiquement plus vite qu'un vrai sol.
  • En pot, les racines tournent littéralement en rond, alors qu'en sol, elles peuvent adopter une forme naturelle.
  • Faire grandir les arbres dans du sol riche nécessite moins de place et pas de bâches de plastique pour protéger le dessous et le dessus des pots.
  • Et comme ils sont bien plus simples, les arbres en racines nues sont moins chers. Notons aussi que l'échange de plantes de pots est un phénomène récent, facilité par le plastique. Pour les racines nues, il suffit de faire les échanges en saison de dormance et protéger les racines dans un matériau humide.

Je ne recopie pas la tragique odyssée du châtaigner américain, on peut facilement en lire l'essentiel ailleurs.

mardi 7 février 2023

Trous noirs et distorsions du temps - Kip S. Thorne

Trous noirs et distorsions du temps - Kip S. Thorne

Après avoir enfin été captivé par un livre de physique avec Le Chat de Schrödinger, j'ai décidé d’approfondir le sujet. Je me suis d'abord tourné vers le livre de physique peut-être le plus lu au monde : Une Brève histoire du temps de Stephen Hawking. Ce petit volume commence très bien avec une histoire de la physique dont j'avais sans doute déjà lu l'essentiel ailleurs, mais 1) c'est bien le genre de chose qu'en tant que simple curieux il faut relire de nombreuses fois pour enfin l'intégrer et 2) la narration de Hawking est particulièrement fluide et agréable à lire. En revanche, quand le livre passe aux véritables concepts de physique, il souffre énormément de sa superficialité : l'auteur utilise les mots, il évoque les concepts, il fait sans doute des métaphores, etc., mais au final il n'y a pas assez de matériau et de développement pour que le lecteur puisse espérer en retirer une véritable compréhension. Je n'ai pas fini le bouquin.

Trous noirs et distordions du temps est aussi écrit par un acteur de l’odyssée de la physique, Kip S. Thorne, et cette fois, je ne vais pas accuser le livre de superficialité : avec ses 600 pages en petit caractères agrémentées de dizaines et de dizaines de schémas, l'auteur prend le temps d'aller dans les détails. Je n'ai pas trouvé le résultat aussi magiquement passionnant que Le Chat de Schrödinger, mais de très haute volée tout de même. On explore les concepts à une allure modérée, avec une véritable perspective historique qui touche aussi à la politique, et on est aidé par les nombreux schémas ; j'ai beaucoup aimé. J'avoue cependant qu'après avoir gobé 400 pages relativement rapidement et avec grand plaisir, j'ai fait une pause, et ensuite, impossible de parvenir à m'y replonger, mais ce n'est pas la faute du livre.

Comme d'habitude avec ce genre d'ouvrage, je fais face à la question suivante : comment en parler ? Je suis bien incapable d'en faire un "résumé" par exemple. Certains des concepts explorés restent obscurs à mes yeux, mais même quand au cours de ma lecture je comprends, même quand le déclic se fait dans mon esprit et que la logique des concepts m'apparait relativement clairement (dans une version inévitablement simplifiée), cette logique s'évanouit et se perd presque inévitablement par la suite. Pour réellement progresser dans ces domaines, et à moins d'avoir une tournure d'esprit rare, il faudrait traiter ces livres comme des cours et leur lecture comme du travail d'étudiant.

Je prend en note juste un détail. Les marées océaniques, ici évoquées pour introduire les "marées" gravitationnelles : je suis toujours outré quand je découvre que je ne comprends en fait pas clairement des concepts à priori aussi basiques. La gravité de la Lune attire plus les océans (plus élastiques que la Terre) qui lui font face, et ils se dilatent vers la Lune, ok. Mais du côté opposé, le plus éloigné de la Lune, il y a aussi dilatation, cette fois vers "l'arrière". Et sur les côté de la Terre, l'attraction de la Lune se fait légèrement en biais, les océans sont donc comprimés vers la Terre. Tout ça, ce sont les marrées gravitationnelles. De plus, le Soleil exerce des forces de marrée similaires ; les marées réelles sont donc la combinaison des forces gravitationnelles de la Lune et du Soleil.

mercredi 1 février 2023

La Pollinisation au jardin - Vincent Albouy

La pollinisation au jardin - Vincent Albouy

Les éditeurs aiment beaucoup ces petits livres-objets jolis et aguichants qui n'impressionnent pas et constituent un achat facile. Il est inévitable qu'avec ses 60 pages en bonne partie remplies de photos, La Pollinisation au jardin de Vincent Albouy souffre de sa brièveté ; en effet, c'est un peu superficiel, mais il faut reconnaitre qu'en même temps c'est habilement dense et très bien mis en page. Ce dernier point me frappe particulièrement après ma tentative de lecture de L'Urine, de l'or liquide au jardin aux éditions Terran, un autre livre assez bref : le travail d'édition est tellement approximatif qu'on a l'impression de parcourir un carnet de note fouillis et mal imprimé, c'est hautement pénible et, franchement, à peine lisible.

Bref, ce petit livre m'a été donné par mes voisins, alors que je leur apportais une tarte et venais m'enquérir de leurs variétés de fruitiers rares afin de tenter de préparer mon apprentissage du greffage. J'en retiens notamment cette différenciation que je n'avais pas clairement en tête entre le pollen et le nectar : le pollen est l'organe reproductif mâle, dont certains insectes se nourrissent, et le nectar est une substance nutritive pour les insectes, qui sert à les attirer pour qu'au passage ils répandent le pollen. Toutes les fleurs n'ont pas de nectar, et chaque insecte a tendance à être spécialisé dans l'un au l'autre. D'ailleurs, chaque espèce a des fleurs qui attirent des insectes bien particuliers, et même si beaucoup viennent y jeter un œil, c'est souvent une petite minorité qui fait le vrai travail de pollinisation. Et parmi les pollinisateurs, on oublie souvent la simple gravité, qui peut faire le travail quand la plante est autofertile.

Dans les fruits à pépins et à grains, chacun des pépins ou grains correspond (globalement) à une fécondation particulière ; ainsi, quand la fécondation est imparfaite, le fruit est souvent difforme en conséquence. Et j'ai réalisé une chose pourtant évidente : pourquoi certains arbres ont-ils besoin d'autres variétés pour une bonne fécondation ? Eh bien tout simplement car deux arbres d'une même variété sont en fait des clones reproduits par bouture ou greffe, ils sont la même plante, et une même plante ne peut se reproduire seule si elle est auto-incompatible ! Je disais quelques mots récemment sur les figuiers domestiques commun de nos contrées qui (pour la plupart) n'ont pas besoin du blastophage pour se reproduire, mais je crois que je n'avais pas réalisé qu'en conséquence, les fruits sont stériles ; ils ne peuvent produire de graines, ce qui souligne le caractère extrêmement domestique, artificiel, de ces figuiers. Ils ont été sélectionnés génétiquement pour cette qualité (qualité du point de vue humain) et ne se reproduisent que végétativement, par bouturage.