mercredi 27 juillet 2022

La conspiration des milliardaires - Gustave Le Rouge & Gustave Guiton

La conspiration des milliardaires - Gustave Le Rouge & Gustave Guiton

La conspiration des milliardaires, de Gustave Le Rouge et Gustave Guiton, est un long roman paru en feuilleton entre 1899 et 1900, et il n'est question ici que de la première partie sur quatre ou cinq, je ne suis pas certain. J'ai un faible pour ce genre de littérature, de type proto-SF farfelue et inventive, comme on en trouve au début du vingtième siècle en Europe : Jacques Spitz, Karel Čapek, Varlet & Joncquel, J.H. Rosny... Ici, on est en plein dans cette veine et toutes les qualités qui vont avec, mais hélas on doit se farcir en prime le tirage à la ligne d'un auteur feuilletoniste.

Notons pour commencer le style : c'est plus que charmant, un peu désuet, plein d'imparfait du subjonctif. Décidément, la plume de la littérature populaire était bien différente il y a 120 ans ! En somme il y a à la fois le rythme rapide du feuilleton et un niveau de vocabulaire qui serait aujourd'hui considéré comme élevé voire recherché, et je suis certes gentil, mais le fait est que c'est un vrai plaisir à lire, même si on doit parfois faire face aux résumés du début de chapitre inhérents au format feuilleton.

La trame débute d'une façon franchement frappante. Un milliardaire américain met un point un plan machiavélique : utiliser la toute puissance de la science pour monter une armée qui intimiderait l'Europe et donnerait à l'Amérique la force de conquérir économiquement le monde. Pas mal vu de la part des auteurs, quand on sait ce qui a suivi dans le siècle.

Depuis quelque temps, il se livrait à de grandes démarches et répandait for à profusion dans le but de créer, en Amérique, un mouvement d'idées favorable à la guerre ; et voici à quel mobile obéissait le milliardaire : William Bollyn rêvait de faire des États de l'Union la première puissance du monde. Démesurément ambitieux, ayant nettement conscience de la force que lui donnaient ses milliards, il n'espérait rien moins que de devenir un jour une sorte d'empereur du capital, que l'univers entier saluerait avec respect [...] Comment ! disait-il, notre Parlement accepte docilement que nos produits soient frappés de taxes exorbitantes à leur arrivée sur le sol européen. Il n'a pas l'audace d'imposer les traités de commerce qu'il nous faudrait pour que nous puissions donner une libre extension à notre production.

Étonnant de lucidité ! La narration commence du point de vue des comploteurs, et tout ce premier roman est en somme le réveil moral de l'un d'entre eux : suite à un long séjour en France, il va apprendre à renier l'esprit américain, pratique et commercial, au profit de l'esprit français, plus détendu et philosophique. Une jolie française n'y est d'ailleurs pas pour rien. Il y a dans cette trame tout un lot d'invention technologico-délirantes, mais aussi quelques considérations appréciables sur le progrès, la technique et l'avenir de l'humanité . Classique, mais précurseur, car précédant la révélation qu'ont été les deux guerres mondiales : à quoi bon le progrès si on s'en sert pour construire de toujours plus gros canons, à quoi bon la course en avant s'il n'y a rien d'autre dans l'existence que la carotte du profit ? Et certains des reproches toujours aussi modernes faits aux puissants sont évoqués avec humour : 

Fred Wikilson, qui avait autrefois étudié pour être clergyman, et qui était long, maigre et cérémonieux comme un ministre presbytérien, se leva à son tour, et dans un petit speech rempli d'images bibliques, montra, dans un avenir radieux, tous les peuples réduits à la condition d'ouvriers, dans des usines qui couvriraient toute la surface du monde, et où les citoyens américains seraient tous directeurs, ingénieurs, inspecteurs.

Pour agrémenter tout ça, on a quelques péripéties amoureuses, qui ne sont pas déplaisantes car profondément liées au progrès moral du personnage principal. En revanche, les divers épisodes plus aventureux ou humoristiques sont, eux, le gros point noir. L'épopée en sous-marin passe encore, c'est lié aux recherches militaires des vils américains, mais les interminables gags avec Tom Punch, le personnage ostensiblement comique, qui par ailleurs ne sert à rien, sont très pénibles. Les auteurs interrompent la trame pour des chapitres entiers de bouffonneries qui n'ont guère de lien avec le reste, et ce n'est même facile de sauter ces passages car on ne sait pas quand la vraie narration va reprendre.

Il y a un vrai plaisir de lecture à trouver dans cette vision d'une époque ou le progrès technique semblait encore si riche en promesses : la science va-t-elle n'être que l'outil des puissants pour asservir leur dominance ou va-t-elle démolir les barrières entre les peuples et faire advenir un âge d'or ? Sans compter, encore en fond dans ce premier tome, l'autre piste que représente le spiritisme, tout un nouveau domaine ouvert à la science. La forme narrative est souvent regrettable, mais je pourrais me laisser tenter à lire un peu la suite, ça reste stimulant et pétillant, et rapide à parcourir.

samedi 23 juillet 2022

Souvenirs décimés II

Un poème écrit pour l'essentiel il y a quelques mois, avant mon déménagement à la campagne. Pour voir les précédents : Poèmes, Poèmes II, Brouillard, Poèmes III, Logorrhée et autres poèmes, En ville et Souvenirs décimés.

Coincé avec mes nerfs sur un dromadaire
J’ai huit ans et j’erre en plein désert
Sur le sable blond détale un scorpion
Et l’horizon n’est qu’une vaste omission

Sur le papier glacé j’ai la pleine santé
Mais je n’y vois qu’un enfant étranger
Un visage que je n’ai jamais habité
Des traits d’usage et dénués d’identité

Dans la rue ça empeste la mort
Ça se corrompt vite un corps
Après quinze jours de faisandage
Mon père aussi n’a plus de visage

J’essaie de me souvenir mais c’est dur
Ma mémoire se conjugue au futur
Je suis seul dans une grande demeure
Il y a des livres mais ni frère ni sœur

J’ai dix ans et je passe mes journées
À lire Tolkien allongé sur le canapé
Il y avait bien un vague jardin urbain
Mais mon moi ancien n’en pensait rien

J’aurais voulu un salon plein d’êtres agités
Parlant du bien du mal voire de la réalité
Parlant d’art de philosophie d’économie
De quoi faire naître et peupler mon esprit

J’aurais voulu qu’on me donne envie
De fréquenter le monde comme un ami
Il y a une part de moi qui s’en moque
Car on ne dépasse pas son époque

Je suis faible et la ville est tentation
Mais ma faiblesse est une création
Je suis faible car sur cette fondation
La force n’est pas une option

Je délire je déborde j’ai des hallucinations
Ça s’agite au bord de mon champ de vision
Mes perceptions grillent par consomption
Y’a des trucs qui frétillent dans mon imagination

J’me détraque j’ai les nerfs en vrac
Rien pour focus j’en ai ma claque d’Isaac
Y’a Colas qui décap un chausse-trape
Flacon-crâne pour Bailey maison qui décape

Un mec déclame des vers qui émanent
D’une autre âme il appelle ça slam
J’me sens vieux j’ai trop peu vécu
Au fond je suis envieux de leur tohu-bohu

C’est la cour des miracles des drags des mignons
Un grand spectacle de schlagues à chignons
Oripeaux cosy fesses à l’air et pieds nus
Les reins à l’agonie et le goût de l’absolu

Y’a des excités des égarés des vieux blasés
Des décolletés des jambes épilées
Y’a des ermites des troglodytes
C’est loin d’une faillite quand t’es un vrai cynique

La dissolution rime avec l’art faut croire
Même sans gloire la sensibilité est un départ
Un départ qui t’emmène nulle part
Qui tourne en rond jusqu’au prochain soir

Je titube et danse sur les trottoirs
Qui nous mènent de mouroir en mouroir
Je murmure aux murs « Le chaos mène
Le chaos mène, y’a rien qui tienne… »

Deux heures sur le sommier j’suis décalqué
On se fixe en silence avec le banquier
« Ce qui compte au fond c’est l’art et la philosophie »
Qu’il me dit dans l’antre des lupanars et de l’entropie

J’ai le doute dans la tête je m’éparpille
Tout vacille comme envahi par la potentille
J’ai la tête qui part en vrille sous la faucille
Tout vacille et y’a pas d’écoutille

Notre cause est un tourbillon sans glose
Notre mère Biologie est une overdose
De Physique dont la dernière clause
Je le sais est un tourbillon sans cause

Dans l’atelier on est les derniers paumés
À pleurer s’extasier et picoler
Je danse sur la bande-son du parapiégié
Qui résonne loin du rythme étranger

Mon père masse à la main
Plante un coin dans un rondin
Et frappe, frappe le bois nourricier
Né de sa terre fièrement héritée

Les chevêches s’envolent à la fraîche
Je sors en bottes avec ma bêche
Et creuse un potager naissant
Qui me nourrit dès le mois suivant

Dans un lac glacé des Pyrénées je suis paralysé
Par la morsure du gel qui m’empêche de nager
Le roc salvateur est trop glissant pour mes doigts
Et je crois mourir avant qu’on me tende le bras

Il y a un trou dans mon crâne et des bergers allemands
Qui cherchent à colorer le sentier avec mon sang
Je perds connaissance dans un rouleau et me réveille
Sur la rive comme R'lyeh après un éon de sommeil

Je marche dans les pas d’Épicure
— Le vrai, pas sa caricature —
Il y a un jardin, de l’air et de la terre
Mais toujours plus que le nécessaire

Comme l’atomiste je dirai à mes amis
« Fêtez ma mort et mon corps qui pourrit
Fêtez ma mort et votre précise essence ! »
Mais j’ai original une autre insistance

Je sens dans mes veines le sang persistant
De mes ancêtres inconsistants
Il y a une flamme abyssale et cavernicole
Qui exige de moi son obole

Venu de l’aube du temps et de la matière
Je sens un lien adultère
Qui m’attache à Vie et à Chair
Un lien qui ne saurait se complaire en jachère

Une chaîne me noue à la première molécule
Qui s’est agitée jusqu’à bâtir un véhicule
Puis la sensation la vision et la pensée
Pour me faire naître moi entre toutes éventualités

Née du chaos la frêle étincelle
Repose entre mes mains si belle
Elle est moi et je suis elle
Bien réelle mais toujours inactuelle

Je suis déjà mort et tout le reste est gratuit
Ils me sont offerts tous les fruits qui trônent ici
Je suis déjà mort et chaque jour je meurs encore
Il n’y a pas de remord dans l’humus qui nous dévore

lundi 18 juillet 2022

Destination ténèbres - Frank M. Robinson

Destination ténèbres (The Dark Beyond the Stars) de Frank M. Robinson commence excellemment. On est en plein dans un thème classique de la SF, exploré aussi par exemple dans La nef des fous de Richard Paul Russo : le vaisseau générationnel. Notre narrateur commence avec la mémoire effacée, comme d'habitude c'est bien pratique pour l'auteur, mais admettons qu'il parvient à très bien intégrer ce point de départ à sa trame. Le fait est que dès le début la plume accroche et les mystères esquissés attisent la curiosité. Quelque chose ne va pas dans ce vaisseau, quelque chose cloche, la paranoïa s'installe, et on veut en savoir plus.

La tension qui habite le roman, c'est la lutte entre deux perspectives. D'un côté les croyants, qui après 2000 ans et de nombreuses générations espèrent toujours accomplir la mission originelle du vaisseau : trouver de la vie extraterrestre. Le capitaine est de ceux-là, et parmi les autres croyants, beaucoup le sont simplement grâce au charisme de leur chef, qui se trouve, lui, être un immortel. Quant à eux, les incroyants en ont marre d'errer vainement dans l'espace et ne demandent qu'à retourner sur Terre. A priori, superbe tension pour mener un roman dans un cadre de vaisseau générationnel, mais dans les faits, ça s'essouffle assez vite. Une fois les premiers mystères vaguement résolus, on déchante, on se rend compte qu'on passe la plupart de notre temps à suivre des dramas relationnels et une rébellion contre un chef tyrannique, thèmes éculés et traités d'une façon assez conventionnelle, on se croirait presque dans un bouquin pour ados. C'est un long roman, et au fond, il y a trop de péripéties pour trop peu de substance : l'auteur se repose essentiellement sur un suspense primal pour accrocher son lecteur plutôt que sur l'exploration d'idées qui, admettons-le, sont bien là, mais étalées trop finement sur l'épaisse tartine du suspense.

La fin relève l'intérêt quand la narration accélère follement et explore enfin pleinement la temporalité d'un immortel qui navigue sur le long terme avec des mortels, mais c'est trop peu trop tard, j'en étais déjà à somnoler à moitié devant des rebondissements à la chaine qui ne sont pas soutenus par une structure et des idées assez solides.

jeudi 14 juillet 2022

Fortress of Solitude (Doc Savage) - Lester Dent

Fortress of Solitude (Doc Savage) - Lester Dent

Fortress of Solitude est le soixante-huitième (!) roman de la série pulp Doc Savage et a été originellement publié en 1938. Surprise : ça reste bien sûr du pulp simpliste, mais c'est mieux que les deux précédents volumes que j'ai pris le temps de lire. D'ailleurs, c'est je crois le roman de la série le mieux noté sur Goodreads.

Les choses qui fonctionnent sont faciles à identifier. Déjà, comme le fera plus tard un autre auteur de pulp, Ian Flemming, dans From Russia With Love, Lester Dent consacre le début de son roman à la mise en scène de son grand méchant. Et c'est efficace : John Sunlight est un bon méchant. Ses capacités restent un peu floues, mais ce n'est pas vraiment un problème narratif car, comme dans le genre horrifique, c'est la suggestion qui fait le plus gros de travail. Après cette introduction, l'auteur reviendra en détail vers John Sunlight, notamment avec cette excellente scène où, afin d'ourdir ses viles machinations, il convoque de puissants hommes d'état des Balkans à la façon d'un recteur qui convoque des étudiants dissipés. Une autre scène, vers la fin, voit John Sunlight déjouer les plans de Doc Savage avec une aisance qui parvient à choquer ce dernier. Bref, de bons morceaux de narration qui réussissent à créer tension et enjeux.

Ce qui contribue aussi, c'est l'étonnante vulnérabilité de Doc Savage. La fortress of solitude du titre, c'est celle de Savage, c'est sa retraite paisible et cachée... et c'est aussi en utilisant les horribles trésors qui s'y cachent que Sunlight parvient à accomplir ses méfaits. Savage est donc plus que jamais responsable, sans compter que le méchant viole au passage sa plus profonde intimité, ce qui donne au Doc une vraie couche d'humanité. De plus, il me semble qu'il y a moins d'action vaine et plus de moments utiles narrativement, comme par exemple cette scène où Sunlight se venge d'un de ses ennemis d'une façon qui (on l'apprendra plus tard) prépare ses plans à venir. Fortress of Solitude ne va donc pas jusqu'à transcender son statut de pulp écrit en rafale, mais il représente un exercice réussit dans ce style.

lundi 11 juillet 2022

The Man of Bronze (Doc Savage) - Lester Dent

The Man of Bronze (Doc Savage) - Lester Dent / Kenneth Robeson

Le héros de pulp Doc Savage a vu le jour en 1933. Ses plus de 150 romans ont été essentiellement écrits par Lester Dent, sous le pseudonyme parfois partagé de Kenneth Robeson. Il en pondait un par mois ! Doc Savage est souvent considéré comme le premier super-héros : il aurait notamment inspiré Superman, crée la même année. Savage n'a pas de capacités surnaturelles, il est juste... surnaturellement entrainé depuis son enfance, dans le but d'être l'aventurier inébranlable, le pourfendeur des méchants aux quatre coins du monde, et, plus globalement, l'homme parfait.

Bon, clairement, c'est du pulp bas de gamme, écrit à la mitrailleuse. C'est extrêmement répétitif, bourré de poncifs, et je n'ai aucun doute que la formule sera strictement la même à chaque épisode. Les péripéties se multiplient jusqu'à l’absurde, les méchants enchaînent les coups fourrés, et il m'est arrivé plusieurs fois divaguer pendant des scènes d'action plus que dispensables.

Ceci dit, même en n’ayant plus 10 ou 11 ans, il y a là-dedans une certaine étincelle qui m'a tenu éveillé jusqu'au bout. Déjà, le caractère idéal de Savage est frappant. À une époque de déconstruction totale, où la plupart des héros doivent, à l'image de l'esprit de leur époque, être sombres, torturés, ambigus, dépressifs, narcissiques, etc., il y a un vrai plaisir à découvrir en Savage un héros... un héros tout court. Franchement, pour l'enfant qui suit les aventures de l'homme de bronze, il serait difficile de trouver un meilleur modèle. Savage est ce qu'il est certes en partie par héritage, mais surtout grâce à son travail et son entrainement quotidien. Il est hautement rationnel et cultivé, créatif et savant, à la fois polymathe surdoué et homme d'action hors du commun. Il lit des livres, se tient au courant des progrès scientifiques de son époque, et ses spécialités sont la médecine et la chirurgie. Il n'est même pas obsédé par la conquête du genre opposé, au contraire, il décline les avances de toutes les femmes qui (à raison) le trouvent parfait car il ne veut pas les mettre en danger à cause de son mode de vie peu raisonnable !

Par exemple, cette scène où Savage, par une démonstration de force et de courage (mettre KO un requin) sauve la vie d'un méchant qui, impressionné par le désintéressement de Savage, jure de changer de vie et de rentrer dans les ordres ! Quoi, les méchants pourraient (parfois) être chamboulés par des actes de générosité, vivre un choc existentiel et choisir de se réformer ? Certes, je suis très généreux avec ce vieux pulp, mais c'est au moins un minimum intéressant moralement.

Il y a aussi quelques passages qui étonnent. Par exemple : « But there's another way of looking at it. It's a lousy trick for a government to take some poor savage's land away from him and give it to a white man to exploit. Our own American Indians got that kind of a deal, you know. » Quoi, un pulp de 1933 qui commente ainsi la colonisation ? Dans la bouche du héros, en plus ! D'ailleurs, la civilisation Maya décrite (oui c'est une histoire de vallée perdue et cachée avec autochtones et trésor etc.) fait franchement envie, ces sauvages n'ont rien à envier aux américains, loin de là. D'ailleurs, chez eux, ce sont les criminels et les paresseux qu'on envoie dans l'armée, par punition ! Je soupçonne qu'à quelques années près cette vision aurait été trop impertinente pour être publiée. Allez, une dernière citation : « A faint smile warped Doc's strong bronze lips; appreciation glowed in his flaky golden eyes. The Mayan sovereign was as free of superstitious, heathen beliefs as any American. Probably more so than many. » Vraiment, un chef sauvage est moins superstitieux et païen (c'est-à-dire hypocrite) que nombre d'américains ? Étonnant (et plaisant) de trouver cette vision ici !

Franchement, ce n'est pas génial, loin de là, mais ces petites pointes régulières sont appréciables, à la fois en elles-mêmes et pour l'aspect historique et culturel. Aussi, j'avoue, j'aime bien les civilisations oubliées. Je vais essayer de repérer les meilleurs romans Doc Savage, et en lire quelques-uns jusqu’à ce que, inévitablement (et rapidement) la répétition millimétrée des poncifs me sature.

Il se trouve que je me suis immédiatement lancé dans un autre volume, Meteor Menace. On commence au Chili, où Savage, après avoir sauvé la situation, refuse d'être récompensé et demande à la place qu'on construise un hôpital. Et comme il est sincèrement modeste, il refuse de se montrer à la foule venue l'admirer. Quel homme !

Bref, des méchants viennent lui nuire, une jolie jeune femme apparait, il y a des bastons et des poings qui volent, etc. J’apprécie certains détails rigolos, comme la façon dont les tibétains parlent à coup de proverbes hors de propos, et le concept de ce mystérieux météore que les méchants invoquent à volonté et qui rend fou quiconque est à proximité de son passage.

Malheureusement, il y a tellement de péripéties sans intérêt (combats, captures, etc.) qui se succèdent sans cesse que c'en devient rapidement pénible. Avec moins d'action complètement vaine et un poil plus de développement des personnages et des idées, ça aurait pu être sympa. Le twist final, quant à lui, est limpide dès la moitié du livre.

jeudi 7 juillet 2022

Omelette avec champignons sauvages du jardin - Bolet granulé

Hop, dans cette petite vidéo, je récolte des champignons sauvages qui poussent en abondance dans le jardin, des bolets granulés, et j'en fais une omelette. Après un peu d'hésitation, c'est la première fois que je filme depuis mon déménagement, sur le terrain que je partage avec trois autres personnes. J'ai moins de temps, mais des choses intéressantes bien plus proches.

Sous-titres français disponibles et lien direct vers la vidéo.

mardi 5 juillet 2022

Oméga (The Status Civilization) - Robert Sheckley

Oméga (The Status Civilization) - Robert SheckleyOméga (The Status Civilization) - Robert Sheckley

Publié en 1960, ce petit roman de SF, comme je m'y attendais, n'échappe pas à son statut de pulp. Le rythme est effréné, il ne faut pas trop s'interroger sur la façon bien pratique avec laquelle les événements s'enchaînent, les personnages sont à peine effleurés, et il y a une mystérieuse minette qui tombe aisément dans le lit du protagoniste qui, lui, dégaine bien sûr le laser plus vite que son ombre... Ceci dit, The Status Civilization (Oméga en français) a suffisamment d'idées pour parvenir à accrocher l'intérêt du lecteur et en faire lecture plaisante, voire recommandable.

Le concept de la planète-prison est un classique de la SF, de Silverberg avec L'homme dans le labyrinthe et l'excellent Les déportés du cambrien jusqu'à Alien 3 en passant par des trames similaires comme Deathworld de Harry Harrisson. Ici, la particularité, c'est que cette société de criminels déportés sur la planète Oméga a érigé le crime comme loi et religion. Notre protagoniste, qui se retrouve là avec sa mémoire effacée (c'est bien pratique narrativement) va donc découvrir les coutumes locales, avec tout un lot de quiproquos à la clé. Si la satire sociale reste légère, c'est souvent cocasse, notamment quand un prêtre frappe à sa porte pour lui faire l'apologie du mal, quand il brise la loi en refusant de se rendre addict à une drogue, ou quand il se désole de ne pas avoir de tendances meurtrières, ce qui complique son intégration sociale. Il me semble que dans une telle société de criminels déportés, où il y a une femme pour six hommes, ce simple fait serait un élément crucial de la société, mais non, l'auteur ne s'aventure absolument pas du côté de ces problématiques.

Après un autre classique de la SF, les divers "jeux de la mort" à la romaine où, cela va de soi, notre héros s'illustre, on retourne sur Terre pour sans doute ma partie préférée du roman. La dystopie n'est esquissée que brièvement, mais la curiosité est attisée. La Terre se complait dans une hyper stabilité stérile, où toute innovation est considéré comme criminelle. Les ingénieurs n'ont rien autre à faire que regarder les machines faire le boulot, et chacun est conditionné pour être son propre délateur en cas de faux pas social. Encore un fois, c'est assez léger, mais amusant et stimulant. L'auteur parvient même à retomber sur ses pattes niveau scénario, notamment en justifiant l’amnésie des déportés sur Oméga. Au final, il faudra mélanger l'agitation destructrice d'Oméga et la mortelle placidité de la Terre pour retrouver une société équilibrée et féconde. Ce qui, étonnamment, n'est pas sans évoquer Le mariage du paradis et de l'enfer de Milton.

Today, since everyone is equal, there is only one class. The middle class. The only question then is—to what portion of the middle class does one belong? High, low, or middle?

 L'avis de Soleil Vert.

vendredi 1 juillet 2022

Album d'un pessimiste - Alphonse Rabbe

Album d'un pessimiste - Alphonse Rabbe

Alphonse Rabbe, atteint de syphilis, s'est suicidé en 1829 à 45 ans. Cet Album d'un pessimiste, publié à titre posthume, est en quelque sorte un testament philosophique. Un testament hélas hautement inégal. L'un des éditeurs le dit lui-même : « L'Album d'un pessimiste constitue, quoi qu'on en dise, un décourageant fatras, où les perles les plus rares voisinent avec les emprunts et les médiocres imitation de l'antiquité. »

Les quelques pages de brefs aphorismes sont très plaisantes et renferment en effet quelques perles. Pour les choses oubliables, on trouve notamment la plupart des poèmes en prose, complètement désuets, et aussi la plupart des courts essais, ou longs aphorismes, qui sont des méditations dépressives assez obscures et rébarbatives. Je relève cependant le texte Les adieux, qui, comme son titre l'indique, est un adieu de l'auteur à ses amis. Il parvient à y être touchant et limpide : la format court, ici une successions de brefs paragraphes, lui réussit bien plus que le format long. Le texte suivant, La mort, est lui aussi notable, et le pessimisme de l'auteur y trouve un ton agréablement tranchant : « Si tu souffres, c'est un bien de mourir. Si tu es heureux, ou si tu crois l'être, tu gagneras encore au trépas, puisque ton illusion n’eût pas été de longue durée. »

On dirait une version plus négative des stoïciens. D'ailleurs, c'est une bonne façon de décrire la pensée de Rabbe : il mentionne lui même les stoïciens, il les paraphrases régulièrement, et il pastiche leur pensée avec en plus une bonne dose de dédain actif pour l'existence. Ici par exemple, on est complètement dans la citation d'Épictète ou Marc Aurèle : « Ce n'est point la réalité des choses, c'est le fantôme de l'opinion qui trouble les hommes. » De même ici, sur la mort, en parlant à Dieu : « Je vous rend grâce de ce que vous m'avez créé ; j'ai usé de vos biens pendant que vous l'avez permis : vous voulez les retirer, je vous les rend, ils sont à vous. » Je pourrais citer des aphorismes entiers, pages 68 ou 76 notamment, qui semblent presque être une traduction personnelle des stoïciens.

Je conclus sur un petit texte de deux pages seulement, où Rabbe évoque la mélancolie provoquée par la contemplation sensible de la nature. Ce qu'il exprime là est encore plus valable pour nous contemporains, qui assistons en direct à l'anéantissement de la vie par surdose de civilisation. Même sans nier les avantages de la technique, et même sans idéaliser la vie primitive, comment ne pas la regretter malgré soi quand on songe aux méfaits de la civilisation et à son avenir vacillant ? Rabbe se pose des questions similaires en 1820 :

Il faut que de puissantes leçons soient écrites dans les pages d'une nature majestueuse et sévère, pour que ses harmonies fassent toujours entendre au fond de notre âme la voix du regret. Quand j'aperçois, au fond d'une vallée qui se resserre par degrés, un petit bois dominé par des rochers, et que je distingue à gauche, ou derrière, une petite maison, mon cœur bondit et s'écrie : voilà où je veux être, et point d'hommes !

Ce point d'hommes peut paraitre affreux, et Dieu sait pourtant si c'est l'accent d'une fâcheuse et haineuse misanthropie ! Non ; mais c'est que les hommes actuels sont en discordance absolue avec les choses de la nature. Je sens cela ainsi, au point que les environs de nos villes, si brillants et si cultivés, m'ont toujours serré le cœur. Je suis toujours tenté de crier aux cultivateurs : Semeurs de petites graines, ne labourez pas tant ; laissez un peu faire la nature qui garnit de bois épais les flancs des montagnes, et puis y place de féconds troupeaux. Rendez-moi les pasteurs d'autrefois ; rendez-moi ces hommes primitifs pour qui les montagnes étaient sacrées et paternelles !