vendredi 16 février 2018

Les déportés de cambrien - Robert Silverberg


Les déportés de cambrien - Robert Silverberg

Relecture d'au autre classique de Silverberg. Au début du vingtième siècle, les USA se lancent dans quelques dérives totalitaires, et les opposants politiques ont la fâcheuse habitude de disparaitre soudainement pour ne jamais réapparaitre. Au début, il se font bel et bien liquider. Mais ensuite, le régime devient plus tendre : les opposants sont simplement déportés... un milliard d'années dans le passé.

Un autre auteur aurait pu céder à la facilité : les déportés se seraient retrouvés dans un monde hostile et auraient vécu de folles aventures pour survivre. Mais pas Silverberg. Dans le cambrien, il n'y a rien. Littéralement. Les continents sont simplement des masses de roche nue, avec à l'occasion un peu de mousse. Seuls les océans sont habités d'une vaste faune d'invertébrés, notamment toutes sortes d'espèces de trilobites. Pas de folles aventures, donc : simplement une grosse centaine de révolutionnaires bloqués au milieu de nulle part. Le récit est conté du point de vue de Barrett, le doyen du groupe. Il essaie tant bien que mal de préserver la santé mentale de ses compagnons, qui ont une fâcheuse tendance à sombrer dans la folie. L'un d'eux, par exemple, essaie de se fabriquer une femme en attendant que le tonnerre viennent frapper sa sculpture féminine pour lui apporter la vie. Oui, il n'y que des hommes : il ne faudrait pas qu'ils puissent avoir des enfants et réécrire l'histoire. Un élément perturbateur arrive sous la forme d'un nouveau venu qui n'a absolument pas l'air d'un vieux briscard de la révolution. Serait-il un espion ? Parallèlement, le lecteur suit la jeunesse de Barrett et le chemin de dissidence politique qui l'a mené jusqu'au cambrien.

Les déportés de cambrien dégage une certaine tristesse. Barrett passe toute sa vie à préparer une révolution qui ne vient jamais. Il y consacre sa vie, son énergie. Sa copine se fait rafler, son mentor se contente de la théorie, son ami d'enfance passe à l'ennemi, son pote mathématicien se lasse de cette bande de beaux-parleurs. Barrett commence à ressentir du désespoir : à quoi bon ? L'inertie des choses est si puissante, le pouvoir est si inébranlable, à quoi bon s'y cogner la tête ? Et une fois plongé dans le passé, il peine à assumer son rôle de chef. Ses vieux amis perdent la boule autour de lui, les concepts politiques qui autrefois définissaient son existence n'ont plus guère d'importance, et cet étrange nouveau venu n'est-il pas le précurseur de douloureux changements ? Barrett expérimente la faiblesse : celle de son corps, qui vieillit, et celle de son esprit, qui n'a pas aussi bien résisté qu'il l'imaginait au temps passé dans cette prison temporelle. Comme souvent avec Silverberg, l'écriture ne perd pas son temps et va droit au but. Cette bande de vieux révolutionnaires névrosés est très attachante, et la fin est étonnamment touchante. Excellent.

191 pages, 1968, le livre de poche

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