mardi 6 février 2018

Les bienheureux de la désolation - Hervé Bazin


Les bienheureux de la désolation - Hervé Bazin

Roman inspirée d'une histoire authentique. La petite île volcanique de Tristan est l'une des terres les plus isolées du monde. Au début des années soixante, environ deux cent habitants y vivent dans un isolement uniquement brisé par la venue d'un bateau tous les deux ou trois mois. Et voilà qu'un beau jour, le volcan décide de se réveiller. Après avoir pas mal rechignés, les locaux acceptent l'évacuation et se retrouvent à vivre deux ans en Angleterre, Tristan étant un territoire britannique. Là, ils se prennent de plein fouet l’assommante modernité du vingtième siècle. Une chance pour eux, croit l'Angleterre. Les insulaires ne sont pas du même avis. Habitués à la nature, à la mer, au calme, mais surtout à jouir de leur indépendance, à être leurs propres patrons, à construire leurs propres maisons et suivre leurs propres horaires, les contraintes de la modernité que tente de compenser un consumérisme frénétique les laissent froids. Et à quelques exceptions prêt, ils retourneront sur leur île.

C'est à peu près l'histoire réelle et le synopsis que l'on trouve au dos du roman, et Hervé Bazin le suit très scrupuleusement. Ainsi Les bienheureux de la désolation ne réserve pas vraiment de surprise, tout y est connu d'avance. Le récit ne manque pas d'intérêt, cependant. Comme l'auteur s'attache avant tout à suivre une communauté, les personnages sont peu développés : ils ne servent qu'à représenter l'ensemble de la population de l'île. Ça leur donne un côté jetable, il n'y a personne qui soit particulièrement bien défini ou attachant. Le contraste entre la vie sur la petite l'île, Tristan, et celle sur la grande île, l'Angleterre, est exactement comme on peut se l'imaginer. Les insulaires restent attachés à leur indépendance, préférant braver une tempête en barque et ne quasiment rien gagner plutôt que de passer leurs journées à laver des voitures pour un salaire quatre fois plus élevé, préférant leur économie du partage et de l'échange plutôt que celle de l'accumulation et de la subordination. L'auteur leur prête régulièrement des petites phrases piquantes, pleine d'une justesse naïve, où leur instinct les fait critiquer le nouveau monde qu'il découvrent.

Mais le roman est le plus intéressant quand il devient nuancé. Ainsi, si la plupart des insulaires retournent sur leur île, certains se laissent dévorer par la modernité. Habitués à n'avoir qu'une ou deux dizaines d'amoureux potentiels, les voilà qui en ont des millions. Il y a l'eau chaude, les supermarchés, la musique et la danse moderne. Et, mieux encore, il y a l'éducation. Ainsi, même quand rentrent ceux qui en ont la force, ils rentrent changés. Ils ramènent avec eux un désir de technique, l'envie d'avoir routes, voitures, port, bloc opératoire... La petite utopie qui est esquissée, celle d'un idéal de vie simple en communauté, ne peut pas vivre séparément du monde moderne. Elle doit lui emprunter certaines choses, et en repousser activement d'autres. Elle veut son indépendance, mais dépend de l'extérieur pour tous les objets manufacturés, l'éducation, la culture... Et le serpent se mord la queue : il profitent des avantages de la modernité sans en assumer les inconvénients, qu'ils laissent volontiers aux continentaux. On les comprend. Et, faute d'une économie de l'abondance, on voit mal le modèle de l'île Tristan se développer ailleurs, à plus grande échelle.

Étrange histoire! dit Hugh.Vous vous êtes retirés hors du monde, mais dépendant de lui, pour ce que vous en recevez. Vous vivez dans l'air pur, le calme, la liberté, à condition que d'autres, qui fabriquent vos moteurs, s'enfument dans leurs usines. Toute légende à ses limites et la votre a reçu un coup de pouce.

242 pages, 1970, points

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