lundi 31 janvier 2022

Jamais seul : Ces microbes qui construisent les plantes, les animaux et les civilisations - Marc-André Selosse

Jamais seul : Ces microbes qui construisent les plantes, les animaux et les civilisations - Marc-André Selosse

Marc-André Selosse commence son livre avec quelques exemples frappants : je retiens celui des pins. Les diverses espèces de pin sont toutes issues de l’hémisphère nord, et les tentatives initiales d’introduire les pins au sud se sont soldées par des échecs. Par la suite, on comprit qu’il suffisait d’importer de jeunes pins avec le sol présent naturellement autour de leurs racines : ainsi les pins se sont mis à pousser, jusqu’à devenir envahissant, grâce aux champignons avec lesquels ils vivent en symbiose.

Les hyphes sont les filaments microscopiques qui forment la partie pérenne et végétative des champignons. En masse, ils forment le mycélium. De part leur taille, ils ont un coût de mise en place très inférieur aux racines : pour une même longueur, un hyphe représente 100 fois moins de biomasse qu’une racine. Le sol en contient une quantité colossale : chaque mètre de racine correspond environ à 10 km d’hyphes de champignons mycorhiziens, c’est-à-dire symbiotiques avec les plantes. Cette symbiose permet aux plantes d’accéder à des ressources autrement inaccessibles : les minéraux insolubles et la matière organique du sol. De nombreux champignons ont leurs propres spécialités. La diversité des champignons dans un sol est de très loin supérieure à la diversité végétale en surface, et les champignons sont souvent connectés à plusieurs plantes en même temps, causant des échanges entre les plantes. Ainsi, certaines plantes spécialisées peuvent survivre sans chlorophylle. D’autres, comme les orchidées, qui d’ailleurs dépendent des champignons pour leur germination, sont aussi partiellement dépendantes des plantes proches via le réseau des hyphes. On estime que, en forêt européenne, l’équivalent de 4 % de la photosynthèse des arbres est transmis à d’autres plantes. En plus des flux de nutriments, les réseaux des hyphes peuvent aussi participer au transfert d’eau. En somme, 90 % des plantes dépendraient de leurs compagnons champignons via l’organe mixte qu’est la mycorhize, lien symbiotique entre le champignon et la racine. Parfois, on est plus dans le parasitisme que la symbiose : on estime que 15 % des relations plante-champignon se traduisent par un retard de croissance de la plante.

En Europe, on estime que tous les jours 500 spores se déposent sur chaque feuille, contre 20 000 dans les jungles. Les symbioses plantes-champignons peuvent avoir toutes sortes d’effets, comme donner à une graminée la capacité de tolérer des températures jusqu’à 65 °C. Les lactaires, eux, bien connus pour leur « jus » blanc quand on les brise, possèdent parfois ce même jus dans leurs hyphes : en cas de rupture, le jus toxique se répand et protège la mycorhize des prédateurs qui viennent de causer la rupture. Les modes d’action des bactéries rhizosphériques sont variés, mais la plupart jouent un rôle important dans la croissance des végétaux, en produisant des analogues aux hormones végétales, en solubilisant des ressources minérales, en fixant l’azote atmosphérique avant de le relâcher par fuite cellulaire ou à la mort de l’organisme (les fixateurs d’azote), en favorisant la croissance des champignons mycorhiziens et, souvent, en ayant une action antibiotique de protection contre les pathogènes. D’ailleurs, ce sont en partie les plantes elles-mêmes qui sélectionnent ces organismes en sécrétant dans le sol des substances qui modulent la composition du microbiote rhizosphériques. Les fleurs elles-mêmes possèdent un riche microbiote, transmis par les butineurs, qui influence directement leur odeur.

Un cas étonnant de symbiose : l’élagage naturel. Pour les arbres, les branches mortes constituent des faiblesses, de potentiels points d’entrée pour ravageurs. Or l’arbre forestier doit pousser haut pour atteindre la lumière, et donc perdre ses branches basses devenues inutiles : on a l’habitude des arbres aux longs troncs nus. Cet élagage naturel est en fait microbien : des champignons spécialisés dans la niche que sont les branches mortes, spécifiques à chaque espèce d’arbre. Symbiose : l’arbre est débarrassé d’une faiblesse et le champignon a son repas. Et quand ces arbres sont introduits dans les environnements sans leurs champignons symbiotiques, on constate que leurs branches mortes restent sur leur tronc.

Quand on parle de plantes fixatrices d’azote, on pourrait aussi parler de plantes qui hébergent en symbiose les bactéries qui fixent l’azote atmosphérique, dans les nodosités de quelques millimètres qu’on peut voir dans leurs racines. Les apports de sucre issus de la photosynthèse nourrissent les bactéries : près d’un quart des produits de la photosynthèse. C’est donc une symbiose très coûteuse.
La fixation de l’azote chez les Légumineuses résulte d’une modification des partenaires et de leur physiologie, l’un par l’autre : la plante déforme ses racines pour abriter des bactéries, dont l’allure est souvent elle-même modifiée, et le microenvironnement endosymbiotique obtenu, ajouté aux ressources fournies par la plante, permet au rhizobium de fixer l’azote. La fixation de l’azote n’est donc la propriété d’aucun partenaire, et il n’y a pas ici d’“auberge espagnole”, mais une propriété qui émerge par rencontre au cœur de la symbiose.
La vache, elle, fait fermenter l’herbe dans son rumen et y cultive des bactéries, des champignons et des organismes unicellulaires. Ce sont eux qui produisent le méthane qu’émettent les vaches (5 % des gaz à effet de serre), par fermentation. La vache a ainsi un radiateur intérieur, qui la réchauffe en plus de la nourrir. Dans l’estomac puis dans l’intestin, ce sont ces organismes et leurs sous-produits nutritifs qui sont digérés et donnent à la vache l’essentiel de son énergie : la vache est donc microphage. La rumination sert à briser les brins d’herbe pour favoriser l’action des microbes, et la vache injecte aussi de grosses quantités de salive, qui sert à refroidir le rumen. Comme beaucoup d’animaux qui vivent en symbiose avec les microbes, la vache, contrairement à nous, n’éjecte pas les déchets comme l’urée par son urine : l’urée et le phosphate sont libérés dans la salive, comme engrais pour le microbiote, qui peut ainsi produire pour la vache entre 1 et 3 kilos de protéines par jour et diverses vitamines autrement inaccessibles.

D’autres animaux, comme les lapins, mangent certaines de leurs crottes : ce sont des crottes spéciales, bourrées de bactéries et riches en protéines. Beaucoup de rongeurs, comme les rats, font de même. Parfois, les petits ce certaines espèces, comme les chevaux et les iguanes, mangent les déjections de leurs parents dans le but d’obtenir leur microbiote. Le transfert du microbiote est un problème capital pour de nombreuses espèces. Les pucerons, par exemple, contiennent chacun 6 millions de bactéries, indispensables pour l’obtention des acides aminés essentiels qui n’existent pas dans la sève qui, pourtant, est leur aliment. Les pucerons privés de leurs bactéries, que la mère répand normalement sur les œufs, se développent mal, car ce sont elles qui synthétisent les acides aminés et diverses vitamines pour leurs hôtes. Certains coléoptères font de même, enrobant leurs œufs de leur levure symbiotique pour en assurer la transmission. Plus de 20 % des insectes ont des bactéries héréditaires. Les bactéries symbiotiques sont très spécialisées, et plus elles sont spécialisées, moins elles possèdent de gènes. C’est la rançon de vivre dans un environnement stable et sécurisé : la perte d’indépendance et d’adaptabilité.

Chez l’humain, le microbiote de la peau participe à sa protection en monopolisant les ressources alimentaires, qui donc ne sont plus disponibles pour les pathogènes, en plus d’un rôle antibiotique. Dans un microbiote sain, les pathogènes sont souvent présents, mais restent bridés par les organismes non nuisibles. L’auteur insiste régulièrement sur les dangers de l’abus d’hygiène, notamment les bactéricides : j’y ai vu un parallèle avec les pesticides utilisés en agriculture intensive, où quand on tue l’écosystème on tue en même temps toute auto-régulation. Les bactéries jouent un rôle dans notre système immunitaire.

Le gros du microbiote est dans les six mètres et demi de l’intestin. Si on connaît 4000 espèces au total, chaque individu n’en contient que 500 environ, ce qui correspond à plus d’un kilo de bactéries et de levures par personne. Le surplus est éliminé par les selles, dont 60 % du volume est constitué de microbes. Le mode de vie hygiénique moderne a conduit à un appauvrissement drastique du microbiote. Ainsi un grand singe abrite un microbiote plus diversifié que celui de 12 humains modernes combinés, et les derniers chasseurs-cueilleurs ont un microbiote jusqu’à 2 fois plus varié. Le microbiote intestinal est en partie hérité et en partie défini par l’environnement et l’alimentation.

L’enfant est stérile à la naissance, et les enfants nés par césarienne n’ont pas l’occasion d’obtenir les microbes « normaux » par contact avec la zone vaginale, ce qui peut causer un microbiote problématique. Le microbiote acquis au tout début de la vie peut jouer un rôle plus tard dans l’asthme, le diabète de type 1 et les maladies auto-immunes. Une antibiothérapie prolongée peut causer les mêmes problèmes qu’une césarienne. Un autre facteur est l’utilisation de lait artificiel, de loin inférieur au lait maternel.
Un allaitement au sein favorise un “bon” microbiote de deux façons. D’abord, la surface du mamelon et les orifices des glandes mammaires sont sources de bactéries : il y en a jusqu’à 1 million par millilitre de lait maternel, alors que le lait stérilisé et la tétine désinfectée en sont dépourvus. Mais le mécanisme le plus époustouflant est que le lait contient… un aliment pour les bactéries favorables ! On parle souvent des anticorps du lait, qui, de fait, régulent aussi favorablement la composition du microbiote de l’enfant, mais on ignore souvent un autre constituant. Le lait humain contient en abondance des oligosaccharides, formés de 3 à 5 molécules de sucres reliées entre elles, qui sont par leur abondance (15 grammes par litre) le troisième constituant du lait, après le lactose et les lipides, mais devant les protéines ! Comme ils ne sont pas digérés par l’enfant, on a longtemps méconnu leurs fonctions biologiques et ils n’ont pas été ajoutés aux laits maternisés, dérivés de laits bovins qui en sont dépourvus. Or, ces oligosaccharides ont, indirectement, un rôle majeur pour l’enfant.
L’allaitement maternel pendant les 6 premiers mois améliore donc la santé, le développement physique et cognitif et l’espérance de survie, en bonne partie grâce au microbiote ainsi favorisé.

Des souris rendues axéniques (sans microbiote) consomment 20 à 30 % de nourriture en plus pour une prise de poids similaire, soulignant ainsi le rôle du microbiote dans la digestion. Nous autres humains, nous sommes postgastriques, comme les souris et contrairement aux vaches, donc nous ne digérons pas notre microbiote, car il se multiplie en aval de l’estomac, mais nous bénéficions des molécules qu’il libère dans notre intestin.

Un microbiote diversifié est lié à une meilleure santé, ainsi les enfants de milieux ruraux développent 3 fois moins d’allergies que les enfants des villes. Il semble que l’hygiène urbaine aille jusqu’à entraver le développement du système immunitaire. « La vie occidentale trop aseptisée entraînerait une colonisation du tube digestif moins diverse, plus tardive et souvent entravée par les antibiothérapies, fixant parfois irréversiblement un état fonctionnel immature ou aberrant du système immunitaire. Il est évident que les conditions modernes ne correspondent plus à celles où notre système immunitaire et son développement ont été sélectionnés au cours de notre histoire, et notre organisme ne répond donc pas toujours à ces nouvelles conditions d’une façon adaptée. » De plus, comme le démontrent des expériences sur des souris, le microbiote influe directement sur le comportement. Certaines bactéries ont des effets dépressifs, d’autres des effets calmants.

La richesse du microbiote est un outil incroyable pour l’adaptabilité : on trouve en effet dans notre microbiote une variété génétique 100 fois plus grande que celle de notre propre génome. On peut ainsi parler de « phénotype étendu » de l’humain.

J’avoue avoir un peu perdu le fil quand on arrive à l’échelle cellulaire, mais retenons que la symbiose avec les bactéries est présente dès cette échelle, et résumons avec quelques définitions :

EUCARIOTES : un des trois grands groupes du monde vivant, avec les Bactéries et les Archées. Les Eucaryotes peuvent être unicellulaires (levures, paramécies, algues unicellulaires…) ou pluricellulaires (animaux, champignons, plantes, algues pluricellulaires…). Ils se caractérisent par des cellules où l’ADN, molécule porteuse des gènes, est situé dans un compartiment spécial de la cellule, le noyau. Tous ont (ou ont eu) des mitochondries ; les plantes et algues, qui sont photosynthétiques, ont également des plastes.

MITOCHONDRIE : composant cellulaire entouré de deux membranes où a lieu la respiration chez les Eucaryotes et qui libère l’énergie utilisable pour le fonctionnement cellulaire. La mitochondrie réalise aussi des synthèses de composés vitaux pour le métabolisme cellulaire. C’est en fait une bactérie qui vit en endosymbiose dans la cellule.

PLASTE : composant cellulaire entouré de deux membranes qui contient la chlorophylle et effectue la photosynthèse chez les végétaux ; c’est en fait une cyanobactérie ou une algue qui vit en endosymbiose dans la cellule. Le plaste réalise aussi des synthèses de composés vitaux pour le métabolisme cellulaire et stocke l’amidon, deux fonctions réalisées dans les cellules des plantes situées à la lumière mais aussi à l’ombre.
 
Revenons aux sols et aux effets de l’agriculture moderne. Les symbiontes racinaires sont très utiles en sol pauvre, car les nutriments supplémentaires qu’ils apportent aux plantes sont indispensables. Mais plus un sol est fertile, plus la plante peut se débrouiller sans eux. Dans un sol très fertile, ils peuvent être présents mais n’avoir aucun effet sur la plante qui de toute façon nage dans les nutriments. Par exemple, dans les forêts tropicales où les microbes du sol produisent plein de nitrates, de nombreuses légumineuses ont perdu la capacité de former des nodosités. Il se passe la même chose dans l’agriculture intensive avec le labour, qui remonte les nutriments profonds, et l’ajout massif d’engrais industriel : les plantes n’ont plus besoin de nodosités et de mycorhizes. Quand on compare les variétés modernes avec les variétés historiques, on constate que la sélection ne s’est plus faite sur les capacités symbiotiques, qui diminuent. De nombreuses céréales modernes semble avoir perdu cette capacité. En conséquence, ces plantes deviennent encore plus dépendantes des engrais industriel et aux pesticides, et on se retrouve en plein cercle vicieux.

En temps normal, ces symbioses poussent à une permanente coévolution : même dans un environnement stable, chaque membre de la symbiose peut trouver avantage à prendre plus de ressources à l’autre et donc à devenir un parasite. Chacun des deux organismes doit donc évoluer par rapport à l’autre.

Dans la toile infiniment complexe des relations entre plantes, champignons, bactéries, etc., certains organismes en favorisent d’autres, jusqu’à créer de grands mouvements de population :
Survolons quelques instants les grandes forêts inexploitées du Nord du Canada. La forêt primaire défile, avec l’homogénéité vert sombre des canopées de conifères. Pourtant, d’endroit en endroit apparaissent de gigantesques plages circulaires au vert plus tendre, parfois larges de centaines de mètres de diamètre. Là dominent des érables et des bouleaux au feuillage plus clair : que s’est-il passé ? Les plantules de ces espèces ne supportent pas l’ombre, et ne se développent pas en forêt ; à l’opposé, les plantules de conifères exigent de l’ombre, et, en germant sous les érables et les bouleaux, elles les remplacent progressivement partout. Les plages d’érables et de bouleaux, inattendues donc, sont en fait dues à des foyers de champignons parasites du sol, les armillaires, qui attaquent les conifères par leurs racines, les tuent, puis en digèrent le bois. Pendant quelque temps, dévorant les troncs et les racines mortes de leurs victimes, les armillaires autorisent, dans la lumière revenue, la germination des érables et des bouleaux qui sont insensibles à ce pathogène. Progressivement, les armillaires finissent par mourir de faim, faute de conifères. Les conifères peuvent alors de nouveau germer sous les érables et bouleaux, et restaurent bientôt la forêt initiale.
Les derniers chapitres sont sur la nourriture, et je note ceci dans l’espoir d’enfin m’en souvenir : les vins blancs et rosés sont obtenus par fermentation du jus, au détail près que les rosés voient la peau du raisin rester brièvement avant d’être enlevée, alors que pour le vin rouge, la chair et la peau participent à la fermentation. Les vins rouges sont donc obtenus avec une activité microbienne plus intense. Il existe aussi des vins orange qui sont faits comme du vin rouge, avec des raisins blancs. L’azote est un facteur limitant pour la fermentation, et historiquement, avant qu’il devienne facile d’ajouter toutes sortes d’ingrédients, on n’hésitait pas à uriner en foulant le raisin. Le foulage, comme le brassage de la bière, rappelle la rumination de la vache.

J’avais appris il y a quelque temps et avec surprise, en lisant des livres sur la fermentation, que le saucisson est un aliment fermenté. Quelques détails ici : le sucre ou sirop de glucose ajouté dans les saucissons sert à nourrir les ferments qui produisent en retour acide acétique et acide lactique, qui protègent la viande, aidés par les pénicilliums qui poussent sur la peau du saucisson. Et, bien sûr, le sel joue son rôle classique dans la conservation.

On oublie aujourd’hui que la fermentation a certainement joué un rôle crucial dans la domestication de nombreux aliments qui, dans leur forme originelle, étaient toxiques, ou du moins toxiques sur le long terme. Le levain, par exemple, grâce à ses enzymes qui attaquent les phytates, semble avoir contribué à rendre les céréales comestibles, d’autant plus que le levain synthétise des acides aminés essentiels absents ou rares dans les céréales. De même pour la choucroute, dont le processus de fermentation servait historiquement à détoxifier les premiers choux. Et on pense aussi à nos microbiotes intestinaux qui, pour certains, ont appris à digérer le lactose, rendant d’autant plus avantageuse la domestication. Au début, quand personne ne le digérait encore, la consommation du lait se faisait exclusivement sous forme de fromage. D’ailleurs, sachant qu’environ 50 % de la population française est toujours intolérante au lactose, le fromage reste plus avantageux.

Si originellement les fromages se faisaient avec des bactéries naturellement présentes, aujourd’hui, on pasteurise souvent le lait avant de réintroduire des bactéries soigneusement choisies. Encore une fois, on arrive à une grande réduction de la variété microbienne. En France, seuls 10 % des fromages sont encore produits au lait cru. Le lait est à présent si stérile qu’il ne fermente plus spontanément. L’auteur rappelle que toute cette réduction de la richesse microbienne contribue aux épidémies d’obésité, de diabète, d’allergie, d’asthme, maladie de Parkinson et Alzheimer… La simple consommation de produits au lait cru par la mère semble réduire significativement la probabilité de ces problèmes chez l'enfant.

lundi 24 janvier 2022

Prométhée enchaîné - Eschyle

Prométhée enchaîné - Eschyle

Il y a déjà quelques années, j'avais apprécié les tragédies de Sophocle. Chez son confrère Eschyle, Prométhée enchaîné est la pièce centrale d'une trilogie dont les deux autres parties sont perdues, et on retrouve cette narration qu'on peut qualifier de désuète, où les personnages défilent et monologuent sans que, finalement, il se passe quoi que ce soit. Ça ne m'a pas empêché d'aimer cette petite pièce, notamment grâce à la figure intemporelle de Prométhée, qui a été recyclé par le christianisme en Satan/Lucifer. D'ailleurs, en latin, Lucifer signifie « porteur de lumière » : on peut difficilement rendre le lien avec Prométhée plus évident.

Face à un Zeus tout-puissant, qui est la personnification du chaos et de la fatalité, Prométhée est le lien avec les humains. Impossible de lire Prométhée enchaîné sans songer au Paradis perdu de Milton. Comme Satan, qui fait don à l'humanité de la conscience c'est-à-dire du feu intérieur et qui en conséquence est condamné et déchu par Dieu jaloux, Prométhée fait don à l'humanité du feu littéral, mais aussi d'une longue liste de cadeaux (les mathématiques, l'écriture, la domestication des animaux, les navires, la médecine, la divination, le travail du métal...) et est en conséquence châtié par Zeus jaloux. La façon dont Prométhée évoque l'état de l'humanité avant ses dons est saisissante de similarité avec l'ère du jardin d’Éden, qui précède l'ère de la conscience venue du fruit de l'arbre de la connaissance :

L'Homme, tout en voyant, souffrait de cécité,
Il écoutait mais il n'entendait pas ; semblable
Aux fantômes d'un songe, il traînait, misérable,
Sa vie, et se trompait sur tout, aveuglément.

Baudelaire, dans les Litanies de Satan, évoque comment la figure ultime du paria engendre « l'Espérance », se fait « bâton des exilés », c'est-à-dire de tout humain, et offre l'aveuglement nécessaire à toute vie :

Toi dont la large main cache les précipices
Au somnambule errant au bord des précipices

De la même façon, Prométhée a offert aux humains cet aveuglement salvateur :

Prométhée : J’empêcherai les mortels de voir la Destinée.
Le chœur : Quel remède à ce mal mis-tu en leur pouvoir ?
Prométhée : J'éclairai leur esprit par un aveugle espoir.

C'est le même aveuglement qu'évoque Nietzsche dans De l'utilité et des inconvénients de l'histoire pour la vie :

L'homme crée seulement quand il aime, quand il baigne dans l'illusion de l'amour, c'est-à-dire quand il croit de façon inconditionnelle à quelque chose de juste et de parfait.

Il y a donc deux types d'aveuglement. Tout d'abord, celui qui est synonyme d'ignorance et qui fait de l'humain un animal, aveuglement qu'il convient de surpasser. Mais cette illumination, cette naissance de la conscience, inévitablement, engendre la perception du néant et risque de mener vers le nihilisme. Vient donc pour atténuer ces maux le second aveuglement : l'espérance de Baudelaire, l'aveugle espoir d'Eschyle.

En plus de ces dons de Prométhée, toute la pièce semble évoquer l’intransigeante fatalité, incarnée par Zeus : nul n'y échappe, mieux vaut donc, comme Prométhée, s'y résigner courageusement. Mais cette résignation n'est pas synonyme de lâcheté, au contraire : Prométhée préfère souffrir fièrement que de se soumettre à Zeus. Plus encore, Prométhée ne cesse de donner des indices concernant l'inévitable chute de Zeus qui se profile à l'horizon : il semble donc que Zeus lui-même n’échappe pas à la fatalité, au chaos, et qu'en conséquence l’univers tout entier, sans exception, y est soumis.

jeudi 20 janvier 2022

De l'utilité et des inconvénients de l'histoire pour la vie - Nietzsche

De l'utilité et des inconvénients de l'histoire pour la vie - Nietzsche

Retour à Nietzsche, avec sa seconde considération inactuelle : De l'utilité et des inconvénients de l'histoire pour la vie, publié originellement en 1874. Tout d'abord, juste quelques mots pour évoquer à quel point l'écriture est frappante. Dès la première page, j'ai été à la fois complètement enthousiasmé et un peu dépassé par cette plume enflammée. Ça me parle, ça me parle beaucoup, et en même temps j'ai bien conscience de ne pas tout saisir. Quoi qu'il en soit, Nietzsche s'attaque ici à l'histoire. Il ne fait pas encore d'aphorismes, mais déjà il jongle avec son concept central, il le reformule et l'assaille de divers côtés. En gros, à son époque, il estime qu'il y a dans la société une overdose d'histoire, overdose qui étouffe la vitalité. Or, si j'ai été attiré par ce texte, c'est qu'il me semble qu'au contraire la modernité est en manque d'histoire. Ci-dessous, je relève de nombreux passages remarquables et, ramolli par l'ardeur de Nietzsche, je me laisse aller à diverses élucubrations.

Dès la première page, la thèse est claire :

Certes, nous avons besoin de l'histoire, mais nous en avons besoin autrement que le flâneur raffiné des jardins du savoir, même si celui-ci regarde de haut nos misères et nos manques prosaïques et sans grâce. Nous en avons besoin pour vivre et pour agir, non pas pour nous détourner commodément de la vie et de l'action, encore moins pour embellir une vie égoïste et des actions lâches et mauvaises. Nous ne voulons servir l'histoire que dans la mesure où elle sert la vie.

C'est bien sûr un lieu commun que la capacité d'oublier est essentielle au bonheur, ou, du moins, à la satisfaction. Nietzsche évoque aussi la nécessité « organique » qu'est l'oubli. Et s'il critique l'overdose d'histoire, il ne nie pas, bien sûr, la valeur du savoir historique. Cependant, selon lui, la capacité d'absorber l'histoire est réservée aux natures fortes, profondes, à racines vigoureuses, à des êtres qui seraient capables d'embrasser la totalité du passé sans pour autant que ce passé ne dévore leur présent. Or l'humain commun, lui, doit vivre avec des barrières :

C'est une loi générale : chaque être vivant ne peut être sain, fort, fécond qu'à l'intérieur d'un horizon déterminé ; s'il n'est pas capable de tracer autour de lui un tel horizon ou s'il est, inversement, trop égocentrique pour enfermer son regard dans un horizon étranger, il se consume dans l'apathie ou dans une activité fébrile, et ne tarde pas à dépérir. La gaieté, la bonne conscience, l'activité joyeuse, la confiance en l'avenir — tout cela dépend, chez l'individu comme chez le peuple, de l'existence d'une ligne de démarcation entre ce qui est clair et bien visible et ce qui est obscur et impénétrable, de la faculté d'oublier opportunément aussi bien que de se souvenir à propos, de la faculté de sentir avec un puissant instinct quand il est nécessaire de voir les choses sous l'angle historique et quand non.

En effet, et Nietzsche revient souvent là-dessus, toute la culture historique possible ne garantit rien à l'être qui la possède : ni le bonheur, ni la santé, ni la vigueur. Au contraire, l'homme ignorant peut posséder cette vitalité, sans parler des animaux. Ignorer l'ampleur historique des choses parait donc une clé capitale, car la fertilité ne peut pas naître de l'amas étouffant du passé. La non-historicité est essentielle pour qui veut créer, conquérir de la terre ou sa liberté :

Un tel point de vue pourrait être qualifié de « supra-historique » dans la mesure où quiconque l'adopterait, ayant reconnu que la cécité et l'injustice de l'individu sont les conditions de toute action, ne se sentirait plus tenté de vivre et de participer à l'histoire. Il serait même guéri, désormais, de la tentation de prendre l'histoire trop au sérieux ; il aurait appris à trouver partout — en chaque homme et chaque événement, parmi les Grecs ou les Turcs, à un moment quelconque du Ier ou du XIXe siècle — la réponse à la question du pourquoi et du comment de l'existence.

Plus encore sur cet état idéal de supra-historicité :

Les esprits supra-historiques n'ont jamais pu se mettre d'accord pour décider si le sens de cet enseignement était le bonheur ou la résignation, la vertu ou le repentir ; mais ils admettent unanimement, contre toutes les règles de l'analyse historique, que le passé et le présent sont une seule et même chose, à savoir un ensemble immobile de types éternellement présents et identiques à eux-mêmes, par-delà toutes les diversités, une structure d'une valeur immuable et d'une signification inaltérable. De même que les centaines de langues différentes expriment toujours les mêmes besoins typiques de l'homme, de sorte que l'intelligence de toutes les langues n'apprendrait rien de nouveau à celui qui aurait su comprendre ces besoins, de même le penseur supra-historique éclaire-t-il de l'intérieur toute l'histoire des peuples et des individus, devinant avec une pénétration d'extralucide le sens originel de ces différents hiéroglyphes et détournant même avec lassitude le flot intarissable des signes nouveaux.

Retour sur valeur de l'histoire, valeur qui me rappelle les opinions de Lovecraft : 

Le sentiment opposé, le bien-être que l'arbre tire de ses racines, le bonheur de savoir que l'on est pas totalement arbitraire et fortuit, mais que l'on est issu d'un passé dont on est l'héritier, la fleur et le fruit, et que l'on est par conséquent excusé, voire justifié d'exister —  voilà ce que l'on désigne aujourd'hui comme le véritable sens historique.

Et c'est ce « véritable sens historique » qui me semble manquer aujourd'hui, dévoré par le marché tout-puissant et ses conséquences négatives : atomisation et déracinement. La grande course en avant est aveugle, elle nie le passé tout en fonçant vers un futur flou qui, finalement, n'importe pas plus que le passé. Si ce sens historique est à mon sens absent des forces socio-économiques dominantes, l'histoire reste une part non négligeable de l'éducation officielle, de l'enfance jusqu'à la vie universitaire, et c'est en ce sens que ce paragraphe suivant me semble aujourd'hui pertinent :

L'homme moderne finit par avoir l'estomac chargé d'une masse énorme de connaissances indigestes qui se heurtent et s'entrechoquent dans son ventre. Ce bruit révèle la caractéristique la plus intime cet homme moderne : la remarquable opposition — inconnue aux peuples anciens — entre une intériorité à laquelle ne correspond aucune extériorité et une extériorité à laquelle ne correspond aucune intériorité. Le savoir, dont on  se gave sans, le plus souvent, en éprouver la faim, parfois même malgré un besoin contraire, n'agit plus comme une force transformatrice orientée vers le dehors, mais reste dissimulé dans une certaine intériorité chaotique, que l'homme moderne désigne avec une singulière fierté comme sa « profondeur » spécifique.

Sur le sentiment de supériorité que procure le regard en arrière :

Vous devriez, comme juges, être supérieurs à ceux que vous jugez — or vous n'êtes pas supérieurs, vous êtes seulement venus plus tard. Il est juste que les derniers venus, dans un banquet, reçoivent les dernières places — et vous voudriez, vous, avoir les premières ? Faites au moins quelque chose de grand et de sublime, peut-être alors vous fera-t-on place, bien que vous soyez arrivés les derniers.

Sur la nécessité, pour la vitalité, d'une certaine forme d'aveuglement, aveuglement qui serait donc compromis par trop d'histoire :

L'examen historique met au jour tant d'erreur, de grossièreté, d'inhumanité, d'absurdité, de violence qu'il tue inévitablement la pieuse illusion dans laquelle seule peut vivre tout ce qui veut vivre ; or l'homme crée seulement quand il aime, quand il baigne dans l'illusion de l'amour, c'est-à-dire quand il croit de façon inconditionnelle à quelque chose de juste et de parfait.

Nietzsche surestime peut-être un peu ce qui pousse les humains à la création, mais l'idée est néanmoins limpide. C'est de cette façon qu'il interprète le déclin du christianisme, religion qui s'est ouverte, ou qui a été ouverte, à l'examen historique. Bien que ce ne n'est évidemment pas celui souhaité, la religion reste un moyen de lutte contre le nihilisme :

Tout être vivant a besoin d'être enveloppé dans une atmosphère, dans un voile de mystère ; si on lui enlève cette enveloppe, si on condamne une religion, un art, un génie à graviter comme des astres privés d'atmosphère, on ne doit pas s'étonner de les voir bientôt se dessécher, devenir durs et stériles.

Nietzsche craint que la science, en révélant tout, ne soit le « fossoyeur » de cette atmosphère vitale. Or il me semble que ce n'est pas la science qui s'est révélée être ce fossoyeur, mais, j'y reviens : le marché, qui, je crois, domine la science, l'a avalé et la digère perpétuellement pour déféquer de la technique sous forme de marchandise. Je veux dire que la science pourrait être l'outil de n'importe quel système de valeur, mais qu'elle s'est retrouvée (peut-être inévitablement) en symbiose avec le marché globalisé, système totalisant qui au fond n'a pas de valeur, pas d'idéal, pas de but autre que sa perpétuelle (et impossible) croissance. La science que l'on pourrait qualifier de publique est certes là, mais minoritaire, et souvent au service du marché, sur le plan de l'énergie notamment.

Mais revenons à l'overdose d'histoire qui pousserait au nihilisme :

Le jeune homme est ainsi devenu un déraciné qui doute de toutes les coutumes et de toutes les idées. Il le sait à présent : peu importe ce que tu es, puisque jamais deux époques n'ont vu les choses le même manière. Dans une mélancolique indifférence, il regarde passer devant lui le défilé des opinions (...).

Je ne peux pas nier que ce genre de sentence me touche intimement, bien que les causes ne soient pas les mêmes qui celles qu'évoque Nietzsche. Pourtant, ces causes-là, Nietzsche les perçoit déjà :

Les mots « usine, marché du travail, offre, productivité » — avec toute la terminologie usuelle de l’égoïsme — viennent inévitablement aux lèvres, lorsqu'on veut dépeindre la nouvelle génération de savants. La médiocrité constitutive devient de plus en plus médiocre, la science de plus en plus profitable au point de vue économique.

Remarquable d'actualité. Je ne blâmerait pas les « savants» eux-mêmes, mais le système dans lequel ils évoluent. Et, comme toujours, pas d'idéalisme, je sais bien que la prospérité économique ne manque pas d'avantages, mais les perspectives à long terme étant ce qu'elles sont, cette prospérité est comme une corne d'abondance sournoisement toxique, une fontaine de Jouvence qui donne une immortalité illusoire tout en multipliant des tumeurs rendues fatales par leur discrétion. Et si Nietzsche, lui, parle d'une corruption interne, une corruption de l'esprit, aujourd'hui, ses sentences résonnent plus sombrement encore :

Présomptueux Européen du XIXe siècle, tu perds la tête ! Ton savoir ne parachève pas la nature, il ne fait que tuer ta nature propre. Mesure ta grandeur comme homme de science à ta petitesse comme homme d'action. Il est vrai que tu montes au ciel sur les lumineux rayon de ton savoir, mais tu descends aussi par le chaos sur le même chemin. Ta manière de progresser, c'est-à-dire l'escalade scientifique, est ta fatalité ; la terre ferme s'évanouit à ta vue dans un regard incertain ; ta vie ne trouve plus de points d'appui, plus que des fils d’araignée, que déchire chaque nouveau progrès de ta connaissance.

Ici, il me semble retrouver (comme partout) des traces des stoïciens conjuguées à un profond appel pour un dépassement de la réalité post-chrétienne, la réalité nihiliste qui, pour le bien de la vie, ne doit pas être nihiliste :

Pourquoi le « monde » existe-t-il, pourquoi l'« humanité ? » Tout cela ne doit pas nous inquiéter pour le moment, à moins que nous ne soyons en mal de divertissement : car la présomption du petit ver humain est bien la chose la plus comique et la plus réjouissante sur la scène du monde ; mais pourquoi tu existes, toi, comme individu, cela tu dois te le demander, et si personne ne peut te le dire, tâche donc de justifier pour ainsi dire a posteriori le sens de ton existence en te donnant à toi-même un but, un objectif, une haute et noble raison d'être. [...] Si en revanche les doctrines qui enseignent la souveraineté du devenir, l'instabilité de tous les concepts, de tous les types et de toutes les espèces, l’absence de toute différence fondamentale entre l'homme et l'animal — doctrines que je tiens pour vraies, mais pour mortelles — , si ces idées sont, dans la fureur d'instruction qui sévit actuellement, assenées au peuple pendant encore une génération, il ne faudra pas s'étonner si celui-ci, écrasé par tant de misérable mesquinerie, meurt d'ossification et d'égoïsme ; on le verra alors se décomposer et cesser d'être un peuple, pour peut-être céder la place, sur la scène du futur, à des systèmes d'égoïsmes individuels, à des associations visant le pillage et l'exploitation des non-associés, et autres créations de la vulgarité utilitariste.

Eh bien, quel passage ! J'aime vraiment cette perspective sur l'individu, perspective finalement classique mais si adroitement formulée : la réalité, c'est le néant, l'absurde, le pure matérialisme, mais pour s’accomplir, l'individu doit dépasser cette réalité. Non pas la nier par je ne sais quel système de croyance arbitraire et illusoire, mais l'expérimenter, et l'utiliser comme fondation saine pour une construction honnête. Cependant, à l'échelle d'un peuple, le besoin de forces unificatrices reste, forces qui aujourd'hui, dans l’Europe à priori séculière, sont dangereusement faibles, car le marché tout-puissant n'est que le chaos tout-puissant. Je précise que je n'ai guère de propositions pour des alternatives saines, si ce n'est un mouvement environnementaliste inévitablement réactionnaire, et peut-être vain, car arrivé trop tard.

Pour conclure :

De même qu'un tremblement de terre ravage et dévaste des villes, et que l'homme craint de de se construire une éphémère demeure sur un sol volcanique, de même la vie s’effondre, elle perd force et courage, quand l’ébranlement intellectuel suscité par la science ôte à l'homme le fondement de toute certitude et de toute quiétude, la croyance en une réalité constante et éternelle. La vie doit-elle dominer la connaissance, la science, ou bien la connaissance doit-elle régner sur la vie ? Laquelle de ces deux puissances est supérieure à l'autre, laquelle doit l'emporter ? Personne ne doutera que c'est la vie, car un savoir qui détruirait la vie se détruirait lui-même. La connaissance présuppose la vie, et elle a donc à la sauvegarde de la vie le même intérêt que tout être à sa propre conservation ? Ainsi, la science a besoin d'être surveillée et contrôlée par une instance supérieure : il faut étroitement associer à la science une hygiène de la vie, dont un des principes serait que les forces non historiques et supra-historiques constituent l'antidote naturel à l'envahissement de la vie par l'histoire, à la maladie historique.

dimanche 16 janvier 2022

Plantes sauvages comestibles en centre-ville

Hop, une courte vidéo sur des plantes sauvages comestibles dénichées en centre-ville, notamment du maceron et du mouron des oiseaux. Mon précédent téléphone ayant décédé, j'ai été obligé de m'en procurer un nouveau, et, peut-être cédant à un consumérisme futile, j'ai investi de façon à pouvoir faire de la vidéo d'appoint avec. Cette petite vidéo a donc été filmée entièrement avec ce téléphone, sans accessoires.

Lien direct vers la vidéo, avec sous-titres français dispos.

mercredi 12 janvier 2022

L'homme-chevreuil - Geoffroy Delorme

L'homme-chevreuil - Geoffroy Delorme

Un bouquin hélas soporifique pour une aventure à priori passionnante. Geoffroy Delorme passe 7 ans à vivre à plein temps dans les bois en compagnie des chevreuils et autres bestioles. Je respecte profondément le bonhomme pour son épopée et toute la richesse qu'elle a dû contenir, dommage qu'il n'aie pas la plume pour évoquer cette richesse. L'écriture est simpliste, enfantine ; les rares et courtes réflexions sont peut-être justes, mais surtout banales et superficielles.

Il n'est pas question d'humains, on passe tout notre temps avec l'auteur, mais il n'a pas l'air d'avoir une vie intérieure plus riche que celle d'un cerf. Je ne dis pas ça méchamment, après tout, pour vivre ainsi, il faut une tournure d'esprit épurée, mais le fait est que c'est très chiant à lire. On ne sait pas ce qu'il pense, on ne connait pas ses opinions, on ne saura jamais rien sur sa relation glaciale avec ses parents : on sait juste qu'il aime les chevreuils. Les chevreuils, quant à eux, sont nettement moins intéressants que des humains.

J'ai dû sauter deux lignes sur trois pour ne pas m'ennuyer face à cet étonnant manque de profondeur. Pour une approche plus réfléchie de la vie sauvage, lire L'année sauvage de Mark Boyle, et pour une histoire d’ermite avec plus d'élan narratif, lire Le dernier ermite de Michael Finke.

dimanche 2 janvier 2022

La ballade de Black Tom - Victor LaValle

La ballade de Black Tom - Victor LaValleLa ballade de Black Tom - Victor LaValle

Encore un pastiche lovecraftien qui, à la façon du médiocre Lovecraft Country, s'attaque à l'héritage de Lovecraft via l'angle du racisme. Pour être plus spécifique, La ballade de Black Tom de Victor LaValle est une réécriture de L'horreur à Red Hook. Avec La rue, c'est à la fois l'une des plus racistes et l'une des plus mauvaises nouvelle de Lovecraft.

Toute la première moitié de ce court roman est consacrée à Tom, jeune Noir qui vit à Harlem d'arnaques et de filouteries. Pour parvenir à se déplacer en territoire blanc avec une très relative sécurité, il s'habille en jazzman et ne se sépare jamais de son étui à guitare. Petit à petit, il se retrouve impliqué dans une intrigue hautement suspecte et devient la cible de deux inspecteurs blancs. On le comprend rapidement, le propos de cette première moitié du récit est de mettre en scène la « chute » de Tom. Acculé par la violence raciste de son quotidien, il dérive de sympathique antihéros vers grand méchant. Déjà, narrativement, c'est agréable à suivre. Le New York des années 20, imbibé de lovecrafteries, est un chouette cadre, et le protagoniste est, à l'inverse de ceux de Lovecraft Country, très humain : il change, il évolue avec les événements. L'auteur parvient à offrir un petit récit fantastique plaisant tout en ayant une approche pertinente et non sermonneuse de la question du racisme.

Mais, alors que notre antihéros fait (littéralement) le pas qui le fait passer du côté des méchants cultistes qui veulent, évidemment, réveiller Chtulhu, voilà qu'on délaisse Tom au profit d'un autre protagoniste : l'inspecteur Malone, le plus aimable des deux inspecteurs qui embêtaient Tom. Malone est un amateur d'occulte, il va donc parvenir à remonter la piste jusqu'à Tom et l'organisation à laquelle il s'est jointe. Le dénouement est assez moyen, avec sacrifices humain, symboles occultes peints avec du sang, invocation de Cthulhu, etc., mais, surtout, le sens de la narration semble aller à contre-courant de celui développé dans la première partie. Le propos était de suivre l'état d'esprit de Tom pour comprendre comment une organisation sociale violente et oppressive parvient à lui enlever l'idée que la vie vaut le coup d'être vécue, sujet passionnant dans un cadre lovecraftien mais voilà que l'on ne sait plus du tout ce qu'il se passe dans sa tête alors qu'il prend le rôle de vrai grand méchant, meurtrier, assassin, et potentiel fossoyeur de l'humanité. En conséquence, on a du mal à s'intéresser aux causes de son changement, et il n'apparait plus que comme un énième vil antagoniste.

Il me semble que si on avait pas quitté le point de vue de Tom au profit de celui de Malone, l'auteur aurait pu passer plus de temps à décrire, expliquer et justifier son évolution morale, pour donner la consistance nécessaire à un changement aussi radical. Tom passant de sympathique escroc à destructeur de l'univers, soit il faut réduire les enjeux, soit il faut prendre bien plus de temps pour évoquer son évolution. En l'état, on se retrouve avec un petit récit agréable mais pas à la hauteur de ses ambitions.