dimanche 19 décembre 2021

L'année sauvage - Mark Boyle

L'année sauvage - Mark BoyleL'année sauvage - Mark Boyle
 

Dès les premières lignes de L'année sauvage (The Way Home), Mark Boyle annonce clairement ses références : D.H. Lawrence, Thoreau, Edward Abbey, Wendell Berry, John Muir, etc. On est en terrain connu. A noter aussi sa proximité avec Paul Kingsnorth, qui, je crois, est le Paul avec lequel il va chaque semaine se poser au pub. Ce projet d'année sans technologie est nécessairement arbitraire : en somme, il renonce à tout ce qui est électrique et il tend globalement à autant d'autonomie que possible (sur le plan alimentaire, de la construction, etc.) sans pour autant jeter les technologies mécaniques comme le vélo.

On peut reprocher à Mark Boyle des analyses pas toujours très aiguisées, du genre "les jeunes aujourd'hui ils sont accros à leur portable ils n'ont plus de vrai lien", mais, globalement, sa sensibilité n'a pas manqué de recouper la mienne. Je pourrais aisément, dans ce petit compte-rendu, parler plus de moi que de Mark Boyle, mais je vais essayer de trouver un équilibre. Mes projets me portent également vers, disons, une sorte de retour à la terre, mais un retour plus modéré, notamment parce qu'il implique d'autres personnes : nous serions deux couples, avec des perspectives d'enfants, et donc il est question de compromis, de conserver un pied dans la modernité, ne serait-ce que pour ne pas fermer de portes à nos futurs enfants — en plus, bien sûr, de notre propre confort.

Mark Boyle, dans un coin reculé d'Irlande, a construit sa maisonnette en bois. Il compte manger essentiellement des pommes de terre, il s'agit donc de transformer une partie de son sol inculte (mais fertile en vie) en source de nourriture. Pour deux, il est question, je crois, de 4000m² de champ de pommes de terre — soit 150kg de tubercules. Le reste de son assiette est rempli par diverses plantes sauvages, de la verdure sauvage ou du jardin, des œufs des poules du jardin, des poissons pêchés dans les lacs et rivières du coin, et l'occasionnel cerf, sans compter les choses expérimentales, comme la culture d'oca. L'eau, bien sûr, vient d'une source locale. Pour lutter contre son rhume des foins, il utilise le plantain, et ça marche plutôt bien.

Dans cet endroit reculé, les gens sont âgés, mais il reste une vie sociale campagnarde. Il n'est pas si loin le temps où le meilleur endroit où stocker la viande de cerf, c'était dans l'estomac de ses voisins. Quand Mark Boyle veut construire un fumoir, pour conserver ailleurs la viande de cerfs, il est accompagné d'un ami et le bâti de ses mains avec du bois ramassé dans la forêt voisine, ou du moins une partie de la forêt qui n'a pas été ravagée par les machines. La peau, il la tanne, notamment avec la vieille technique qui consiste à utiliser le cerveau de la bête.

Pour lui, il est normal de faire 12 kilomètres allez-retour, à pied ou à vélo, pour aller au bureau de poste (qui ne tarde pas à fermer). De même pour aller pêcher, aller au pub (qui ne tarde pas à fermer) ou allez voir des amis : 10 kilomètres à vélo, 20 kilomètres à vélo, 40 kilomètres à vélo, potentiellement sous la pluie, une journée à faire du stop... Moi qui rêve encore de vivre sans voiture, lire ces passages m'a rassuré.

Comme Paul Kingsnorth, il a laissé derrière lui l'environnementalisme au profit du lien direct avec la terre moins d'éoliennes et plus de poêles à bois, moins de panneaux solaires et plus de forêts. Comme moi, il a laissé derrière lui de longues années de végétarisme au profit d'une éthique de l'autonomie — la vie est certes la valeur suprême, mais tendre vers l'autonomie permet une certaine reprise de contrôle sur sa propre vie et résout bien des problèmes environnementaux. Pour moi, ce n'est encore que l'idée, et pour Mark Boyle, c'est autant l'idée que la pratique.

Les lois et décisions politiques se mettent en travers de son chemin : la pêche est réglementée, les arbres sont coupés, les lieux de vie sont fermés... Il se souvient qu'avant l'invention du thermos, les travailleurs se regroupaient autour du pot qui bouillonnait sur le feu. Cette tradition communautaire, comme tant d'autres, n'existe plus mais les maisons de retraite sont arrivées.

Mark Boyle n'a pas d'emploi, mais il travaille beaucoup, tous les jours. Il écrit, certes, mais surtout, il s'occupe de son jardin, des animaux, du bois, du terreau qu'il faut retourner (pour réintroduire de l'air et faciliter la décomposition) et il y a constamment des coups de main à donner aux voisins. Il faut aussi faire la lessive à la main, et ça incite à l'économie : en été, il ne fait qu'une lessive par mois, en utilisant des plantes à saponine comme lessive. Lui lave seul, mais, traditionnellement, l'activité était commune, sociale. Il fait de l'alcool maison avec du cassis (qu'il ramasse ou qu'on lui donne par kilos), des mûres, du miel... Il fait ses propres bougies avec la cire de ses abeilles et du jonc comme mèche. Pour effrayer les cerfs qui viennent manger ses plantes, il fait un épouvantail, et ça semble fonctionner. A d'autres moments, il faut récolter le fumier des chevaux d'un voisin pour nourrir la terre du potager. Ou alors il faut entretenir les outils, passer la matinée à aiguiser la faux. Une ballade dans les bois ? Il revient avec des baies et une bûche sur chaque épaule.

Dans cette vie qui, inévitablement, est radicale, je ne peux même pas reprocher à Mark Boyle un certain retour vers ce que j’appellerais de l’animisme. Je suis habituellement impitoyable avec n'importe quel mysticisme foireux, mais là, j'en ai fait l’expérience, quand on a un pied dans les bois et l'autre dans les joncs, les choses de la nature prennent une importance, une force, qui pour la plupart des gens est oubliée. Alors par exemple, si un jour on pose des pièges à limace (artisanaux) et que, plus tard, on se prend de remord face aux limaces agonisantes et qu'on les libère, pourquoi pas ? Il n'y plus de contradiction entre épargner des limaces et manger une truite, il n'y que des êtres vivants en lien les uns avec les autres, des êtres vivants qui parfois doivent remplir notre estomac et parfois sont imbus, par le simple fait de vivre, d'une aura toute-puissante. Ensuite, ce sont les grenouilles de la nouvelle mare qui viennent s'occuper des limaces. Et les humains ne sont pas en reste : à côté de sa maisonnette, Mark Boyle a bâti une auberge gratuite, non référencée sur la toile, ou n'importe qui peut venir poser son oreiller — à condition de certifier ne pas être venu en voiture ou en avion.

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