samedi 24 juin 2023

De greffes en greffes, la forêt fruitière - Maurice Chaudière

De greffes en greffes, la forêt fruitière de Maurice Chaudière est un livre que, après quelques recherches, j'avais activement choisi d'éviter quand je cherchais à me procurer de la documentation à ce sujet. En plus, j'ai eu un très mauvais aperçu des éditions Terran avec L'urine, de l'or liquide au jardin, un livre tellement brouillon que je l'ai trouvé illisible. Bref, j'ai eu l'occasion de lire celui-là — ou plutôt de le survoler tant il y a peu à lire — chez quelqu'un d'autre, et en effet, c'est plus que dispensable.

C'est constitué de plusieurs textes différents qui répètent la même chose, avec quelques pauvres pages de pratique à la fin. On n'a l'impression qu'il n'y a aucun travail d'édition, comme si l'auteur — qui connait son sujet, je n'en doute pas — s'était juste mis à écrire quelques pages de temps en temps selon son inspiration du moment, sans éditeur pour le guider, lui dire quoi élaguer, quoi approfondir, etc. Tout est si vague, si répétitif, que le travail d'écriture aurait dû être repris de zéro. L'auteur va jusqu'à écrire que « le greffage de l'aubépine mériterait un chapitre entier ». Oui, je suis bien d'accord, alors pourquoi ne pas l'écrire, ce chapitre ? Pourquoi croit-il qu'on lit ce bouquin ? Tout le livre est comme ça, ce qui pourrait être intéressant n'est qu'à peine effleuré, faute de travail d'édition. 

Je retiens l'idée de greffer les ronces, avec des tayberries par exemple, mais encore une fois, il n'y a absolument aucun détail, aucun approfondissent sur cette pratique. Même chose pour la greffe par l'approche de l'olivier, que je pourrais avoir envie de mettre en pratique sur quelques-uns de nos oliviers communs : juste quelques photos où on ne distingue rien, c'est tout.

lundi 19 juin 2023

La Terre, le vivant, les humains : Chapitre III : Histoire(s) des humains et de leurs sociétés

Troisième chapitre du gros recueil La Terre, le vivant, les humains, publié par le muséum d'histoire naturelle. Cette fois, je n'ai fait que survoler l'intro dispensable avant de plonger dans les articles, mais je note page 228 une jolie carte de "l'avancée de la néolithisation en Europe", c'est-à-dire de l’arrivée progressive de moutons, chèvres, blés et pois depuis le Proche-orient à partir de -8500. 

Chapitre I : Histoire(s) de la planète

Chapitre II : Histoire(s) de la vie

Chapitre III : Histoire(s) des humains et de leurs sociétés

Ce n'est pas une évidence : les néandertaliens avaient un plus gros cerveau que les Homo sapiens du paléolithique, 1600cm³ contre 1500cm³ (en moyenne). Encore moins évident, cette taille a depuis diminuée, tombant à 1350cm³. Ainsi, s'il y a évidemment une certaine corrélation entre taille du cerveau et intelligence, difficile de tirer la moindre conclusion de cette information. La taille du cerveau a dans l'ensemble augmenté progressivement depuis les origines de l’humanité, origines qu'un superbe graphique résume page 239 : on y trouve les diverses espèces humaines, contemporaines ou non d'Homo sapiens, dont nous avons connaissance. Et, quand on juge du caractère très récent de la découverte de certaines de ces espèces, nul doute que cette connaissance est encore fragmentaire. Si sur le tableau toutes les espèces sauf la nôtre ont l'apparence d'impasses évolutionnaires, il ne faut pas oublier les hybridations qui ont eu lieu.

L'article "La violence est-elle propre aux humains ?" évoque une question passionnante dont le traitement en une mince double page laisse un peu frustré. On le sait, les animaux aussi s'entre-tuent : des rouge-gorges aux marmottes en passant par les hyènes, on se massacre pour le territoire et la dominance. On pourrait multiplier les anecdotes peu ragoutantes. "Il apparait que la violence létale survient lorsque les espèces sont à la fois sociales et territoriales." Et cette violence a un fort caractère inné, elle s'hérite. Chez les humains et leurs ancêtres, on note une nette progression de la violence avec le temps : de primates à grands singes puis humains, la violence augmente. Ceci dit, une fois que les humains forment société (sociétés fortement décidées par la géographie), le degré de violence devient plus déterminé par la société que par, disons, la nature humaine. Les petits royaumes sont toujours plus violents que les grands États, car ces derniers sont bien plus efficaces à maintenir le monopole de la violence. Les rôles de la violence dans la nature sont certainement multiples, mais la protection du territoire est un facteur capital, car le territoire influe de manière directe sur la capacité à avoir et faire survivre une progéniture. Elle sert aussi à s'assurer des capacités reproductives (combats pour les femelles chez certaines espèces), à réaliser des infanticides (un mâle forçant ainsi une femelle a s'ouvrir à une nouvelle opportunité reproductive) ou au contraire à se protéger des infanticides.

Il y a beaucoup d'articles sur la domestications des plantes et des animaux, du chien au chat en passant par le cacao et le maïs. Il est toujours frappant de se rappeler à quel point le paysage végétal et animal du monde a si drastiquement changé au cours des 10000 dernières années. L'origine du palmier dattier par exemple, plante typique des régions désertiques, est, comme souvent, complexe. Il s'agit clairement d'une plante domestiquée qui s'inscrit dans des contextes artificiels, et j'apprécie cet aperçu des palmeraies traditionnelles, structurées en trois strates : les palmiers dattiers ombragent des fruitiers (orangers, bananiers, grenadiers, pommiers) qui eux-mêmes ombragent les plantes basses (maraichage, céréales, fourrage). Plus récemment encore, il est bon de se rappeler toutes ces plantes si familières qui n'existaient pas dans l'ancien monde avant d'être ramenées des Amériques : tomates, poivrons, haricots, pommes de terre, cacao, courges, piments...

Quand on s'intéresse au régime alimentaire de nos ancêtres, un biais surgit : la consommation de matières végétale ne laisse pas de traces, contrairement à celle de la viande, qui laisse derrière elle beaucoup d'os. Autre biais, moins fort mais bien réel : la variation du niveau de la mer fait que bien des habitats côtiers, où on mangeait beaucoup de poisson, sont désormais sous l'eau et inaccessibles. Mais depuis peu, on peut utiliser le tartre dentaire de nos ancêtres pour se faire une idée de leur alimentation végétale. On y trouve des traces de graines, de légumineuses et de tubercules, mais aussi de diverses plantes non comestibles mais médicinales, comme du peuplier (~aspirine) et de moisissures de Penicullium. La consommation occasionnelle de graines de graminées sauvages et de tubercules a dû jouer un crucial dans l'évolution d'un microbiote capable de digérer l'amidon (ce dont les autres primates sont incapables), première étape à l'avènement de l'agriculture.

Autre évolution des habitudes alimentaires, celle-là bien connue : la capacité à digérer le lait frais. Je déjà dû le lire, mais je le note encore : il semble que cette capacité ait évolué cinq fois différentes, belle exemple d'évolution convergente, et aussi bel exemple de l'adaptabilité de la génétique : il s'agit de cinq mutations proches, mais bel et bien différentes. Différents chemins pour un même but.

vendredi 9 juin 2023

Les chasseurs-cueilleurs ou L'origine des inégalités - Alain Testart

Commençons par ce qui me chiffonne avec le titre à rallonge de Les chasseurs-cueilleurs ou L'origine des inégalités d'Alain Testart, publié initialement en 1982 : il s'agit de cette idée bizarre qu'il y aurait une origine aux inégalités entre les êtres, et d'autant plus que cette origine aurait forcément un rapport avec nous autres humains. Quand on se tourne un peu vers la biologie, il apparait que les inégalités entre les êtres sont un facteur intrinsèque à la vie elle-même. C'est justement parce que les êtres sont inégaux entre eux que la sélection naturelle peut agir et sélectionner les traits adaptatifs, sélection sans laquelle la vie ne saurait être. Et les humains ne se sont certainement pas extraits de cet état de fait. Ainsi j'aurais préféré un titre comme par exemple L'évolution des inégalités, mais bref, je ne parle sans doute pas de la même chose que l'auteur, passons. 

Les chasseurs-cueilleurs ou L'origine des inégalités est un excellent bouquin d'anthropologie, un vrai classique, à placer à côté de Sapiens et de The dawn of everything. Comme le second il constitue une masse passionnante d'informations sur les peuples plus ou moins anciens et leurs modes de vie, et comme le premier, il offre une théorie sur les origines des structures sociales modernes. On connait l'idée populaire (et notamment popularisée par Sapiens ou encore Against the grain) que l'agriculture serait à l'origine des inégalités sociales, mais Alain Testart développe ici l'opinion que ce ne serait pas l'agriculture la "responsable", mais bien la technologie qu'est le stockage. Après tout, bien des sociétés de chasseurs-cueilleurs ont pu être à peu près sédentaires en se passant de l'agriculture, il suffisait d'avoir des sources abondantes de poissons, céréales sauvages ou autres ressources, de préférence d'une façon saisonnière pour encourager le stockage, et hop, on a des sociétés "complexes" de chasseurs-cueilleurs.

Les villages construits en dur précèdent l’agriculture. Les exemples ne manquent pas, et j'ai eu l'impression que The dawn of everything répétait en fait beaucoup de choses qui étaient déjà présentes ici. Ainsi il s'avère que la sédentarité (possible grâce au stockage) aurait conduit à l'invention de l'agriculture plutôt que l'inverse. On perd l'opposition nomade/sédentaire (de nombreux peuples partageant de toutes façons leur année entre ces deux façons de vivre) et on se retrouve avec cette nouvelle classification des peuples : ceux qui pratiquent le stockage (stockage qui permet l'accaparement des ressources par une minorité) et ceux qui ne le pratiquent pas (les ressources étant consommées globalement en commun sur le moment). Il y a dans cette séparation un profond saut culturel : quand on stocke, c'est qu'on ne fait plus confiance à la nature pour nous nourrir !

Rappelons aussi l'extraordinaire diversité des modes de vie anciens/traditionnels. Non seulement chaque peuple est adapté à des conditions géographiques très particulières, conditions auxquelles vient se greffer le chaos mémétique qu'est la culture : en combinant ces deux bases, on peut obtenir presque tout ce qui est imaginable. L'agriculture a existé à des tas de niveaux différents, et diverses sociétés qui pratiquaient plus ou moins l'agriculture, et la pratiquaient de plus en plus ou de moins en moins en  fonctions des conditions matérielles et culturelles, ont pu coexister pendant des millénaires. Par exemple, sur la côte ouest de l'Amérique du nord, on pouvait trouver au nord et au centre des sociétés plus ou moins sédentaires de pêcheurs (pratiquant le stockage par séchage ou fumage) et au sud d'autres sociétés dont les glands constituaient la base de l'alimentation (et étaient stockés). (Voir carte p.103 et pages alentour.)  Dans les terres, hors proximité de ressources abondantes (fleuves à saumons, voire plaines de céréales sauvages), la tendance au nomadisme était plus forte pour faire face à des ressources plus rares.

Le facteur limitant de ces sociétés de chasseurs-cueilleurs déjà à peu près sédentaires, ce n'est pas tant la quantité de ressources disponibles de façon saisonnière (poisson par exemple) que leur capacité à stocker ces ressources de façon à passer la saison creuse. Déjà les techniques, non seulement de pêche/chasse mais surtout de stockage, façonnent la vie et la survie des peuples. Dessication, fumage, macération, fermentation, conservation au froid... Les techniques sont conditionnées par la géographie. Le fameux pemmican, quant à lui, concerne plus les classiques chasseurs-cueilleurs : compliqué à fabriquer, il offre un concentré nutritif parfait pour des peuples mobiles qui peuvent plus difficilement, par exemple, conserver le poisson en fosse. Bien entendu, un même peuple peut multiplier les techniques de conservation de façon à servir des buts différents et à limiter les risques, si le climat le permet : ainsi on ne fait du surgelé qu'au nord, on ne sèche pas si on est dans une zone humide, etc. Toutes les proies ne se prêtent pas aussi aisément à conservation. Ainsi, seuls les poissons à chair maigre peuvent être séchés avec efficacité.

On oublie vite la vision idéaliste des chasseurs-cueilleurs égalitaires. La côte nord-ouest, où on vit surtout de la pêche, est la zone la plus peuplée d'Amérique du Nord, et tout le monde s'occupe beaucoup de prestige. Les puissants dominent, la propriété de la terre existe, il y a des tributs, des esclaves qui peuvent être exécutés à loisir, sans compter les guerres... Un chef peut avoir plusieurs dizaines d'esclaves, qui font l'objet d'un commerce. En Californie du nord-ouest, la richesse est une véritable obsession, tout à une valeur, chaque offense se paie, et le rang social est la première des préoccupations (p.122-123). Ainsi la guerre sert de façon classique à piller l'ennemi, s'approprier des esclaves et des terres. 

Les sociétés sont profondément liées au rythme des saisons, comme le montre le petit schéma page 136, où on voit les diverses activités d'un peuple qui pratique à la fois la chasse, la pêche et l'agriculture : chaque activité a son moment. Les différences géographiques permettent une certaine économie de marché entre les peuples : quand la densité de population le permet, on échange ce qui est abondant dans un territoire contre ce qui est abondant dans un autre. On trouve aussi des exemple de division du travail (hors la classique division hommes/femmes), d'utilisation de monnaies d’échange, de spécialisation de villages dans la fabrication d'objets destinés à l’exportation, et même de destruction des biens précieux pour prévenir l'inflation !

Le stockage semble bien plus rare dans les régions tropicales car 1) l'absence de saisons fait qu'il n'y a pas une saison d'abondance et une autre de pénurie et 2) les écosystèmes sont moins spécialisés et plus variés, ce qui favorise l'abondance d'une grande diversité de ressources plutôt qu'une ressource unique comme glands, noisettes ou poisson. Il y a donc moins de raisons de stocker, d'autant plus qu'un climat chaud et humide est très défavorable à la conservation. Cette difficulté est même progressive du nord vers l'équateur : au nord la glace rend aisée toute conservation, et plus on descend, plus les conditions deviennent hostiles au stockage.

dimanche 4 juin 2023

What if? - Randall Munroe

What if? - Randall Munroe

Quand Randall Munroe, l'auteur de xkcd, se met au format livre, c'est un succès (commercial) retentissant. La principale qualité de What if?, c'est sa grande lisibilité : la recette qui se déploie ici est terriblement stimulante et parvient à éveiller la curiosité avec une force rare. On se demande toujours à quelle idée surprenante l'auteur va s'attaquer à la page suivante, quelle logique capillotractée il va lui appliquer, de quels dessins marrants il va accompagner son texte...

Et si les questions explorées frôlent souvent avec l'absurde, elles sont souvent l'occasion d'évoquer des sujets plus que dignes d'intérêt et de faire quelques jolis passages de vulgarisation scientifique humoristique. Par exemple, je retiens le chapitre sur le rhume qui donne quelques bases de virologie. J'aime l'idée que chaque personne ayant ce qu'on appelle au sens large le rhume (en fait divers rhinovirus) infecte, en moyenne, exactement une autre personne : si c'était moins, le virus s'évanouirait, si c'était plus, tout le monde le chopperait en même temps. Et ces exemples historiques de navires de ravitaillement s’amarrant sur des îles isolées et répandant à chaque fois un virus qui infecte toute la population de l'île avant de s’éteindre, car il n'a plus personne à infecter qui n'ait pas développé d'immunité, donne une image claire de la façon dont se baladent les virus. J'ai aussi beaucoup aimé ce chapitre sur l'auto-fertilisation, qui donne cette fois des passionnantes bases de génétique. 

If someone produces a child on their own, it dramatically increases the likelihood that the child will inherit the same chromosome on both sides, and thus a double multiplier.

In general, if you have a child with yourself, 50 percent of your chromosomes will have the same stat on both sides. If that stat is a 1—or if it’s a multiplier—the child will be in trouble, even though you might not have been. This condition, having the same genetic code on both copies of a chromosome, is called
homozygosity.

In humans, probably the most common genetic disorder caused by inbreeding is spinal muscular atrophy (SMA). SMA causes the death of the cells in the spinal cord, and is often fatal or severely disabling.

SMA is caused by an abnormal version of a gene on chromosome 5. About 1 in 50 people have this abnormality, which means 1 in 100 people will contribute it to their children... and, therefore, 1 in 10,000 people (100 times 100) will inherit the defective gene from both parents.

If a parent has a child with his- or herself, on the other hand, the chance of SMA is 1 in 400—since if he or she has a copy of the defective gene (1 in 100), there’s a 1 in 4 chance it will be the child’s only copy.

Ce n'est là qu'un petit extrait hors contexte, mais c'est peut-être l'article qui vaut le plus le coup d'être lu. Je note aussi une belle phrase que j'espère avoir l'occasion de replacer :  « Self-fertilization is a risky strategy, which is why sex is so popular among large and complex organisms. »

Je pourrais citer d'autres passages particulièrement intéressants, mais il faut aussi évoquer quelques grammes de négativité ! Si l'humour ne fait pas toujours mouche (particulièrement les incessantes notes de bas de page), ce n'est pas trop grave. En revanche, c'est plus gênant quand c'est le cœur même de l'ouvrage qui déçoit : la vulgarisation scientifique. Bon, quand il y des formules mathématiques, très bien, je me contente de croire l'auteur sur parole, mais il y a des moments où je me dis que je devrais comprendre un truc, mais c'est expliqué de façon si expéditive que ça m'est impossible. Par exemple, l'idée que chaque lettre de la langue anglaise contient entre 1 et 1,2 bits d'information : j'ai beau relire les lignes en question, il n'y a aucune explication sur comment on en arrive à cette conclusion. Il y a d'autres occurrences de ce genre. Ainsi j'aurais préféré que Ranfall Munroe laisse tomber quelques-unes des questions les moins intéressantes pour aller se concentrer sur l'étoffement de certaines des réponses.

Bref, quelques réserves, mais What if? reste le genre d'objet littéraire qui mérite le détour. En revanche, un point est impardonnable. Il y en couverture un T.rex alors qu'on en trouve aucun dans le livre. Bon, pourquoi pas, mais en quatrième de couverture on nous promet la réponse à question suivante : « How many humans would a rampaging T-rex need to eat each day? » Et cette question n'est absolument pas présente dans le livre ! Ni sa réponse d'ailleurs. Blague à part, c'est sans doute une erreur d'édition, mais ça reste pas cool du tout. Il faut aller par là pour voir sa curiosité satisfaite.