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jeudi 24 juillet 2025

How to - Randall Munroe

How to - Randall Munroe

Après What if ?, un autre bouquin très similaire de Randall Munroe, l'auteur de xkcd. Je serai bref : on y retrouve exactement les mêmes qualités et les mêmes défauts. C'est marrant, intelligent, surprenant, mais en même temps superficiel et décousu. J'aurais aimé que Randall Munroe mette ses multiples talents (d'auteur, de dessinateur, de vulgarisateur scientifique) au service d'une œuvre moins éparpillée, plus ambitieuse. Dans l'état, cette succession d'explorations scientifiques absurdes sans liens les unes avec les autres ne parvient pas à laisser de forte impression. C'est de la junk food (de qualité) pour nerd.

Tout en gardant exactement le même style, le même ton, je ne peux m'empêcher de penser que des bouquins plus structurés, avec un fil narratif, qui exploreraient thèmes et idées sur un temps plus long, seraient plus marquants. Par exemple une histoire absurde de la conquête spatiale jusqu'au au futur lointain, un absurde voyage dans le passé, une absurde quête de pouvoir dans le monde contemporain, etc. Enfin, j'ai bien conscience que c'est vouloir autre chose que ce que Munroe a activement choisi de faire. Et il fait ce qu'il veut, ça lui réussit bien assez.

Je ne prend que seule note : vous connaissiez le Kīlauea lava cricket ? Endémique à Hawaï, cette bestiole n'a été observée que sur de la lave volcanique récemment solidifiée. On ne la trouve que sur ces roches nues, où elle se nourrit de débris transportés par les vents causés par la chaleur. Une fois que la végétation reprend ses droits, la bestiole disparait, attendant une prochaine éruption pour se montrer à nouveau.

lundi 7 juillet 2025

The Urgency of Interpretability - Dario Amodei

John Martin - Manfred et la sorcière des Alpes
 

Un autre article très récent (avril 2025) de Dario Amodei, le patron d'Anthropic. Encore une fois, je précise que je n'ai pas d'opinion tranchée sur l'avenir des IA et des LLM. Quel que soit l'avenir de ces technologies, c'est passionnant, comme une injection de SF dans le quotidien. Sur ces mêmes questions, voir AI 2027 et Machines of Loving Grace.

Dans le fabuleux monde des grands modèles de language (LLM), l'interprétabilité consiste à comprendre le fonctionnement interne de ces systèmes. C'est potentiellement un enjeu considérable, car avec la compréhension vient non seulement la possibilité du contrôle, mais aussi de nouvelles opportunités de recherche et de développement.

Dario Amodei souligne que ce manque de compréhension est assez inédit dans l'histoire de la technologie informatique.

If an ordinary software program does something—for example, a character in a video game says a line of dialogue, or my food delivery app allows me to tip my driver—it does those things because a human specifically programmed them in.  Generative AI is not like that at all.  When a generative AI system does something, like summarize a financial document, we have no idea, at a specific or precise level, why it makes the choices it does—why it chooses certain words over others, or why it occasionally makes a mistake despite usually being accurate.  As my friend and co-founder Chris Olah is fond of saying, generative AI systems are grown more than they are built—their internal mechanisms are “emergent” rather than directly designed.  It’s a bit like growing a plant or a bacterial colony: we set the high-level conditions that direct and shape growth, but the exact structure which emerges is unpredictable and difficult to understand or explain.  Looking inside these systems, what we see are vast matrices of billions of numbers

Cette nature émergente rend difficile la prédiction des comportements des IA. 

Au-delà des questions de sécurité, Dario Amodei mentionne que l'interprétabilité permettrait de déterminer si les IA sont de simples pattern-matchers ou des créatures possédant ce qui s'approche d'une conscience. Personnellement, je ne suis pas certain que la frontière soit claire entre les deux : quand un humain converse, les mots ne sont pas choisis par une conscience décidante ; dans une certaine mesure, les mots apparaissent, sont générés, selon des enchainements logiques, probabilistiques. Il en va de même pour la pensée.

La discipline qui consiste à tenter d'ouvrir la boite noire que sont les réseaux de neurones artificiels s'appelle spécifiquement interprétabilité mécaniste. L'auteur en retrace brièvement l'histoire, avant d'évoquer les pistes actuelles qui permettent au domaine de progresser. Je cite quelques passages.

We quickly discovered that while some neurons were immediately interpretable, the vast majority were an incoherent pastiche of many different words and concepts.  We referred to this phenomenon as superposition,  and we quickly realized that the models likely contained billions of concepts, but in a hopelessly mixed-up fashion that we couldn’t make any sense of. The model uses superposition because this allows it to express more concepts than it has neurons, enabling it to learn more.  If superposition seems tangled and difficult to understand, that’s because, as ever, the learning and operation of AI models are not optimized in the slightest to be legible to humans.
The concepts that these combinations of neurons could express were far more subtle than those of the single-layer neural network: they included the concept of “literally or figuratively hedging or hesitating”, and the concept of “genres of music that express discontent”.  We called these concepts features, and used the sparse autoencoder method to map them in models of all sizes, including modern state-of-the-art models.  For example, we were able to find over 30 million features in a medium-sized commercial model (Claude 3 Sonnet).  Additionally, we employed a method called autointerpretability—which uses an AI system itself to analyze interpretability features—to scale the process of not just finding the features, but listing and identifying what they mean in human terms.
Finding and identifying 30 million features is a significant step forward, but we believe there may actually be a billion or more concepts in even a small model, so we’ve found only a small fraction of what is probably there, and work in this direction is ongoing.  Bigger models, like those used in Anthropic’s most capable products, are more complicated still. 
Once a feature is found, we can do more than just observe it in action—we can increase or decrease its importance in the neural network’s processing. The MRI of interpretability can help us develop and refine interventions—almost like zapping a precise part of someone’s brain. Most memorably, we used this method to create “Golden Gate Claude”, a version of one of Anthropic’s models where the “Golden Gate Bridge” feature was artificially amplified, causing the model to become obsessed with the bridge, bringing it up even in unrelated conversations.
L'objectif le plus important de l'interprétabilité étant probablement de pouvoir faire un scan des modèles afin de détecter des "maladies" (des mésalignements) et pouvoir les corriger. 

Une simple phrase pour résumer :
We are thus in a race between interpretability and model intelligence.  

vendredi 27 juin 2025

Machines of Loving Grace - Dario Amodei

John Martin - Les plaines du Paradis
 

Dario Amodei est le CEO d'Anthropic, société fondée après son départ d'OpenAI en 2021. Dans cet essai publié fin 2024, il développe une vision optimiste d'un avenir proche modelé par l'avènement de l'IA puissante, pour reprendre son terme. En somme, selon lui, l'IA puissante permettrait de condenser 100 ans de progrès techniques en 5 à 10 ans.

Il est très tentant de simplement balayer ces propos en n'y voyant rien d'autre que de l'auto-promotion. Ce serait raisonnable. Ceci dit, si jamais on accepte la possibilité du postulat de départ (l'inclusion d'une future IA puissante dans les affaires humaines), j'ai trouvé ses perspectives plutôt sensées et mesurées. Il y a un biais d'optimisme, certainement, mais j'ai apprécié la façon dont il sépare les potentialités de l'IA en deux blocs. D'un côté, il y a la pure science, et ses applications pour le bien-être matériel humain, notamment via la médecine. L'optimisme semble très raisonnable sur ces questions (si on accepte qu'une accélération massive de la croissance n'accélère pas de même le choc avec des limites physiques indépassables). Malgré les doutes idéologiques ou les rejets purement obscurantistes, les humains ont tendance, globalement, à accepter les avancées technologiques qui les arrangent. Ensuite, il y a les questions sociales et sociétales. Là, c'est plus délicat. Dario Amodei confronte ces problèmes sans trop les esquiver :

Unfortunately, I see no strong reason to believe AI will preferentially or structurally advance democracy and peace, in the same way that I think it will structurally advance human health and alleviate poverty. Human conflict is adversarial and AI can in principle help both the “good guys” and the “bad guys”. If anything, some structural factors seem worrying: AI seems likely to enable much better propaganda and surveillance, both major tools in the autocrat’s toolkit. It’s therefore up to us as individual actors to tilt things in the right direction: if we want AI to favor democracy and individual rights, we are going to have to fight for that outcome. I feel even more strongly about this than I do about international inequality: the triumph of liberal democracy and political stability is not guaranteed, perhaps not even likely, and will require great sacrifice and commitment on all of our parts, as it often has in the past. 

Revenons un peu vers les questions purement scientifiques. Le concept de « liberté biologique » m'a beaucoup rappelé la façon dont les membres de la Culture, la société galactique d'abondance développée par Ian Banks, peuvent librement changer de sexe ou synthétiser toutes sortes de drogues directement dans leur corps. D'ailleurs, Iain Banks est clairement une influence majeure, il est fortement cité en conclusion.

De même, l'idée que l'état de base de l'humain moyen pourrait être grandement amélioré. Pourquoi refuser d'augmenter l'occurrence de moments de révélation, d'inspiration, de beauté, d'amour, de paix, etc. ? J'ai retrouvé là un mouvement vers l'impératif hédonistique (bouquin captivant que je recommande chaudement). 

Sur les questions de neuroscience, à peu près tous les problèmes humains seraient compris et soignés, mais je note surtout le rôle potentiel des réseaux neuronaux artificiels. Leur compréhension est un enjeu majeur dans la course après l'alignement des IA, mais l'idée ici est qu'il est bien plus facile de réaliser expériences et observations sur des réseaux neuronaux artificiels que sur leur équivalent charnel, et les gains scientifiques réalisés dans l'artificiel serviraient dans le charnel.

Un concept fascinant : la leçon amère. En gros, historiquement, les chercheurs en IA ont eu tendance à chercher à reproduire les mécanismes de la pensée humaine — ou du moins leurs interprétations nécessairement limitées de la pensée humaine — pour créer des IA. Cette piste, bien que satisfaisante intellectuellement, s'est toujours heurtée à des impasses. Ce qui a prouvé son efficacité, c'est d'exploiter la loi de Moore : la capacité de calcul augmente drastiquement avec le temps, et aucune des tentatives pour répliquer les mécanismes de pensée humaine ne peut rivaliser avec ce développement de la puissance de calcul brute, et l'utilisation de cette puissance de calcul pour permettre au système d'apprendre par lui-même.

The bitter lesson is based on the historical observations that 1) AI researchers have often tried to build knowledge into their agents, 2) this always helps in the short term, and is personally satisfying to the researcher, but 3) in the long run it plateaus and even inhibits further progress, and 4) breakthrough progress eventually arrives by an opposing approach based on scaling computation by search and learning. The eventual success is tinged with bitterness, and often incompletely digested, because it is success over a favored, human-centric approach. 

Une superbe phrase pour résumer cette perspective : « We want AI agents that can discover like we can, not which contain what we have discovered. » 

Dans le cadre légal, l'IA puissante pourrait améliorer grandement l'application de la justice, pas forcément en remplaçant les humains et leurs biais, mais en fournissant aux humains une image aussi parfaite que possible de l'objectivité pure, une simple connaissance de la réalité. 

Le dernier gros morceau, exploré encore une fois par Iain Banks et de nombreux autres auteurs de SF, concerne la question du sens. J'apprécie que Dario Amodei mentionne que le sens vient avant tout du contact humain. Il y aurait tant à dire sur les perspectives qui s'ouvrent ainsi via l'IA puissante, mais il admet aussi que c'est incroyablement difficile à prédire. Après tout, les valeurs humaines ont considérablement changé et évolué dans les millénaires passés. Le fait est que Deep Blue n'a pas empêché les humains de toujours jouer aux échecs.

In any case I think meaning comes mostly from human relationships and connection, not from economic labor. People do want a sense of accomplishment, even a sense of competition, and in a post-AI world it will be perfectly possible to spend years attempting some very difficult task with a complex strategy, similar to what people do today when they embark on research projects, try to become Hollywood actors, or found companies. The facts that (a) an AI somewhere could in principle do this task better, and (b) this task is no longer an economically rewarded element of a global economy, don’t seem to me to matter very much.

Pour finir, j'ai trouvé au milieu de toutes ces grandes idées l'ébauche d'un produit aisément marketable à court terme : un "coach AI" qui connaitrait chaque personne mieux qu'elle même, étudierait nos interactions et fournirait de l'aide au quotidien. C'est, entre autres choses, ce qu'essaient de produire les grosses boites d'IA ces temps-ci, notamment en fantasmant sur un nouvel objet physique qui serait encore plus révolutionnaire (et rentable) que le smartphone.

mercredi 12 mars 2025

La vie simple - Samuel Lewis

La vie simple - Samuel Lewis

Ce livre, aux éditons Ulmer, est un condensé des autres livres auto-publiés par Samuel Lewis. On y retrouve beaucoup de dessins similaires, qui souvent détaillent les mêmes choses, mais des dessins refaits pour l'occasion. Donc d'un côté c'est un peu décevant car déjà vu, et d'un autre c'est un nouveau regard bienvenu tant le sujet est captivant et la méthode pour l'explorer (le dessin) plaisante et efficace. Cette fois, on a aussi droit à du texte, rédigé par Gareth Lewis, le père de Samuel, qui vient expliciter et développer le propos, ainsi qu'à quelques belles photos.

L'autonomie, un acte politique

C'est par ce thème que s'ouvre le livre. A propos de la résistance lors de l'occupation nazie : « Selon les anciens, cette résistance s'est bâtie sur le fait qu'ils vivaient de la terre, cultivaient leur potager et leurs céréales, et coupaient leur bois. Ils jouissaient ainsi d'un haut degré d'autonomie qui leur procurait la liberté de faire ce qu'ils croyaient être juste. Vers la fin de la guerre, quand l'état de droit s'est effondré, certaines personnes ne s'étaient pas rendues en ville ni n'avaient fait de courses pendant 6 mois d'affilé. » On peut débattre de cette perspective (par exemple, la liberté viendrait-elle au contraire d'un rapport de force qui nécessite accumulation de puissance ?), mais je la trouve néanmoins pertinente.

De plus, il est question à travers la quête d'autonomie non pas d'un triste renoncement, mais « d'une réaffirmation du droit à un niveau de vie élevé et des produits de haute qualité ». Sans parler des questions d'écologie et de limites globales : « De manière générale, les jardins d'aujourd'hui ne sont plus aussi productifs et utiles qu'autrefois, ils "consomment" davantage qu'ils ne créent de réels bénéfices ». En effet, il est facile d'acheter plus de valeur (machines, carburant, plastique...) qu'on en produit. Il va également sans dire qu'autonomie ne signifie pas autarcie et que lien humain et spécialisation restent capitaux à échelle locale.

Ce que je retiens

Ci-dessous, diverses notes prises pendant la lecture, sans répéter ce que j'ai déjà évoqué dans mon compte-rendu des autres livres de Samuel Lewis.

  • La non-nécessité des amendements d'origine animale. En me rapprochant progressivement de l'agriculture, la découverte de la place de l'animal à la campagne a été une révélation : l'animal exploite des zones spécifiques (incultes, en pente, etc.) ainsi que des ressources souvent peu utiles (les restes pour les poules, l'herbe pour les ruminants, etc.) et produit en échange non seulement nourriture (protéinée) mais aussi du fumier, outil capital pour produire de l'alimentation végétale de façon durable. Ici, cette vision que j'avais développée est (partiellement) remise en question : l'autonomie alimentaire semble être atteinte sans animaux domestiques, une bonne moitié du terrain étant consacrée au foin, qui fait office d'amendement, c'est-à-dire de fumier. Je m'interroge cependant : l'alimentation des Lewis semble être pauvre en gras et protéines. Est-ce que haricots, noisettes et autres graines suffisent ? Sûrement, mais j'aimerais en savoir plus à ce sujet.
  • Les arbres sont la pierre de voute. Ils découpent la campagnes en petits champs gérable à échelle manuelle. Ils apporte fertilité aux champs par leurs feuilles mortes et par la décomposition de leurs racines quand ils sont coupés. Les champs sont travaillés en été, et les arbres en hiver. Les arbres sont la façon la plus efficace de convertir l'énergie solaire en nourriture et en matériaux de base. L'auteur offre la perspective suivante, qui m'a captivée : « Où que l'on soit, il est relativement aisé de se procurer de la nourriture, mais par le passé, si les réserves de combustible s'épuisaient, les villes et les villages devaient être abandonnés. » Ainsi il conseille de planter plus d'arbres à but combustibles qu'à but nourricier. Ceci dit, c'est dans une perspective de forte autonomie, donc de cuisine au bois.
  • Trop de nourriture l'été. C'était un principe clé des climats à saisons marquées : comment convertir l'abondance de l'été/automne en stocks pour l'hiver/printemps ? C'est une invitation à repenser le potager pour qu'il soit productif toute l'année. Je le note ici car, pour me simplifier la vie, j'ai choisi de ne faire que des cultures d'été et de mettre le potager en pause l'hiver, mais j'aimerais réussir à développer un système étalé sur toute l'année adapté à mes conditions : travail déjà prenant à la pépinière, zone de potager trempée en hiver, etc.
  • Habiter un terrain, pas une maison. Si on passe plus de temps en extérieur qu'en intérieur, on n'a pas besoin d'un intérieur aussi complexe, et on peut vivre avec moins d'argent. Sans compter le bien-être que procure le contact permanent avec le végétal et l'animal (sauvage). « En terme de qualité de vie, il vaut mieux avoir un petit terrain et être entouré de voisins jardiniers que de vivre seul sur un grand terrain. »

Je note l'usage de bois dur (cœur de chêne) pour réaliser le coin qui vient s'enfoncer dans le haut d'un manche de hache et caler ainsi la partie métallique.

Je note des précisions sur l'utilisation des fagots, « ressource oubliée de la campagne » : bois à bruler pour chauffage, cuisiner, four à pain, mais aussi bois pour pour réaliser des clôtures, des brise-vent, et bois pour créer des chemins praticables au sol en zones imbibées. D'ailleurs, les tas de bois peuvent être protégées à la chaume.

Et la récolte de sarrasin sur 600m² : 70kg. Encore une fois, est-ce beaucoup ou peu, je ne sais pas, mais élément important de l'autonomie alimentaire à petite échelle, sans aucun doute.

samedi 1 février 2025

The resilient farm and homestead (revised edition) - Ben Falk

Un livre que j'ai déjà lu, en version numérique, dans son édition précédente, dans lequel Ben Falk évoquait ses 10 années d'expérience de gestion d'un lieu de vie rural. Aujourd'hui, réédition fortement révisée, expurgée et développée, après 10 ans d'expériences supplémentaires. Cette fois, je me le suis procuré en version physique. Et pour moi, c'est bientôt 3 ans passés à vivre dans un cadre qui ne mérite sûrement pas les qualificatifs de farm ou même homestead, mais qui s'en rapproche.

Rappelons que c'est un bouquin long, dense, inégal, qui évoque autant une philosophie de vie que les moyens pratiques de pratiquer cette vie. L'auteur est parfois bavard, ou un peu trop flou, mais il n'empêche que qui est intéressé par ces sujets (moi par exemple) ne peut manquer d'en retirer de la substance. Mentionnons que l'auteur gagne sa vie entant que consultant en design de homestead, et que, avec sa compagne et leur fils, il produisent eux-mêmes 75% de leur nourriture. J'aurais aimé un peu plus de recul sur l'idée de résilience et la dépendance à technique : l'auteur prépare tout à fait sagement le déclin de la ressource pétrolière, par exemple, mais imagine-t-il la vie sur sa ferme sans voiture, tracteur, tronçonneuse ? A quel point serait-ce tenable ? C'est peut-être un peu hors-sujet, car prospectif, mais quitte à parler de résilience, autant aller jusqu'au bout.

Un mot sur la fameuse (ou malfamée) permaculture, terme qui est encore cher à Ben Falk : « Permaculture can be thought of as applied disturbance ecology. » Dans le sens où l'idéal du naturel n'est qu'un idéal, et que humain n'est qu'un organisme parmi tant d'autres occupé à façonner l'environnement à son avantage. L'objectif ici étant de façonner de façon durable, soutenable, plutôt que destructive et insoutenable.

Un mot sur l'idée de complexité biologique alliée à une simplicité technologique : « Resilience is greatest when living aspects of a system are complex, diverse, and connected, while the nonliving aspect of the system are simple. This is rooted in the fact that technical systems are constantly prone to entropy and are always moving towards failure, whereas living systems actually ted to build higher levels of order in time. »

Sur la gestion des herbages, et leur caractère précieux. Je retrouve des éléments que j'évoquais récemment : « You only build soil as deeply as you can get plant roots to penetrate, so the taller you let your yard or pasture grow before it's cut or grazed, the more soil you're making. » Ben Falk évoque à cette occasion les difficultés rencontrées pour créer des pâturages de qualité à partir de friches. Finalement, une solution miracle et intemporelle : le brulis, suivi d'une intervention plus moderne : le semis des espèces à fourrage désirées. D'ailleurs, à propos des semis d'engrais verts, je retiens l'idée suivante : faire des semis légers mais fréquents au lieu d'un unique semis, plus sensible aux aléas.

Toute la partie sur les swales, ou baissières en français, me laisse encore sceptique. C'est sûrement une question d'adaptation aux conditions locales. Le but est de récolter et de retenir l'eau sur le site, mais pour moi, sur mon terrain au sol pour l'essentiel lourd, argileux et hydromorphe, le défi serait plutôt d'évacuer l'eau pendant les trois quarts de l'année et de la retenir pendant seulement un quart de l'année. Pourtant, Ben Falk semble évoquer des conditions de sol proches des miennes. Ce qui ne fait en revanche guère de doute : dans ces contions de sol lourd, planter les arbres sur des buttes (buttes crées justement avec la terre sorties pour faire les baissières et placée immédiatement parallèles à elles) est pertinent afin de limiter l'asphyxie racine tout en créant une zone plus successible de garder l'humidité pour les racines (la baissière, ou fossé, justement). Donc les swales seraient-elles essentiellement utiles dans un objectif autant de plantation d'arbres (fruitiers et autres) autant que de gestion de l'eau ? C'est ce que je crois comprendre.

Ben Falk consacre quelques pages tout à fait pertinentes à l'obsession de la propreté et la perte de temps et de ressources qu'elle représente, surtout dans un contexte de travail de la terre quotidien. Fun fact : je ne me lave pas les cheveux, jamais, vraiment, et tout va bien, ils ont l'air parfaitement normaux et passent tous les examens des curieux qui viennent les regarder de près.

Selon l'auteur, un rapport sensé et soutenable avec l'environnement n'est possible que dans un cadre de « responsabilité directe » où chacun a directement à subir les conséquences de ses actions. C'est limpide : si survie et bien-être dépendent directement des actes accomplis au quotidien dans l'environnement, alors non seulement il serait insensé d'avoir un rapport destructeur avec cet environnement, mais en un sens, et c'est moi qui l'ajoute, ce serait impossible. Enfin, dans l'idéal : l'Histoire ne manque pas d'exemples de civilisations plus ou moins grandes épuisant les ressources qui leur permettent d'exister. Néanmoins, sont désirable connexion intime et long-termiste avec un lieu.

La partie consacrée à l'élevage et l'éducation d'enfants dans ce contexte de homestead est également hautement pertinente. Ne pas supposer qu'un enfant ne peut pas faire telle ou telle chose, mais l'accompagner dans ses envies naturelles, vers l'expérimentation et donc, nécessairement, l'échec. Accepter une part de risque, car ce n'est qu'en sortant de sa zone de confort qu'on apprend, tout en offrant support permanent. Savoir renoncer à une part de contrôle. Montrer plutôt que simplement expliquer. J'apprécie la longue liste fournie de savoirs concrets, du genre qu'on apprend pas à l'école et que je suis encore très loin de maitriser, alors qu'un enfant élevé dans un contexte comme celui de Ben Falk pourrait les maitriser avant l'adolescence.

Je vais terminer sur la longue liste d'éléments que Ben Falk évoque afin de maintenir et promouvoir la santé. Encore une fois, c'est pertinent. Sans détailler ses arguments, je vais voir comment je m'en sort.

  • Temps libre et spontanéité. Oui, c'est pour moi une priorité depuis longtemps, et j'y suis plutôt parvenu. Globalement, je fais ce que veux. Du moins, je jouis d'un niveau de liberté que suppose supérieur à celui de la grande majorité de la population.
  • Mouvement. Oui, je suis très actif physiquement. Je travaille beaucoup en extérieur, avec des plantes, avec mes muscles et mon agilité autant (ou presque) qu'avec mon esprit et mon raisonnement. C'est bien.
  • Hygiène du sommeil. Je m'en sors bien. Je m'endors très facilement, je fais régulièrement des nuits complètes, même si je souffre parfois d'insomnies. J'écris par exemple ce compte-rendu après une nuit de 3 heures. C'est un problème sur lequel je travaille activement ces temps-ci.
  • Temps en extérieur. Oui, beaucoup. 
  • Manger modérément / jeûner. J'ai commencé à m'intéresser à la nutrition il y a peut-être 10 ans et j'ai beaucoup travaillé à améliorer mon hygiène alimentaire et à dépasser mes addictions. Je reconnais les vertus du jeune intermittent, ou occasionnel, mais au contraire j'ai tendance à manger un peu trop et selon un rythme qui ne me convient pas toujours. La raison est sociale : on vit à quatre. Je vais travailler à me réapproprier mes rythmes alimentaires, qui incluent aisément le jeune intermittent.
  • Amour, connexion, beauté. Oui. Le social, c'est peut-être le plus important, difficile et délicat de tous ces éléments !
  • Exposition au soleil. Oui, et je reconnais son importance. Travailler plus souvent dehors en sous-vêtement, peut-être ?
  • Calme, réflexion, gratitude. Oui. Je m'en sort bien sur ce plan-là, d'une façon assez innée.
  • Créativité et travail manuel. Oui. Le projet de pépinière fruitière est justement une façon de marier ces deux éléments.
  • Temps personnel. Oui, même en vivant à quatre. J'ai tendance à en vouloir encore plus, mais je connais mes prédispositions et je préfère lutter un peu contre celles-ci.
  • Partage et entraide. Oui, à mon sens. Je suppose que certains pourraient me qualifier d'égoiste, mais mon approche du partage est peut-être la suivante : un regroupement d'égoistes épanouis dont les aspirations convergent et s'entremêlent.
  • Non addiction aux médias. Voilà bien un point auquel je ne peux répondre oui. Je suis accro à la stimulation, et bien que je passe l'essentiel de mon temps dehors, je suis surconnecté. Il y a des inconvénients, mais aussi des avantages.
  • Détox tous les jours. A partir de ce point, et pour les suivants que je ne vais pas évoquer, Ben Falk parle de notions de santé plus générales et envers lesquelles j'émets parfois des doutes (par exemple cette idée de détox utilisée à tort et à travers). Ceci dit, l'essentiel est juste : esquiver autant que formes les diverses formes de pollution inventées par la modernité (sans renier les miracles techniques et médicaux de cette même modernité) tout en privilégiant le contact permanent avec la nature et le naturel, pour des raisons de santé autant physiques que mentale.

dimanche 27 octobre 2024

Ils ont domestiqué plantes et animaux - Prélude à la civilisation - Jean Guilllaume

Ils ont domestiqué plantes et animaux - Prélude à la civilisation - Jean Guilllaume

Un gros pavé au sujet extrêmement large. D'un côté c'est incroyablement dense, bourré d'informations et d'anecdotes, mais d'un autre, ça parle de tant de choses variées (le néolithique, l'archéologie, la génétique, les animaux, toutes les plantes comestibles...) que la profondeur est parfois sacrifiée et j'ai souvent été frustré. Par exemple, pour les arbres fruitiers, chaque essence n'a même pas droit à une page, et certaines sont expédiées en quelques lignes. Ceci dit, c'est incontestablement une somme sur le sujet, rédigée par un passionné renseigné. Ci-dessous, quelques notes.

Malgré les progrès en génétique, il est parfois difficile de trouver les ancêtres sauvages de certaines plantes cultivées. Il est possible que celles-ci aient disparu, notamment par des causes humaines. Dans d'autre cas, la plante aujourd’hui cultivée descend d'une hybridation improbable, ou d'une poignée de plantes mutantes qui n'auraient pas pu se développer à l'état sauvage mais possédaient des caractéristiques intéressantes pour les humains.

L'auteur cite trois théories historiques pour expliquer la naissance de l'agriculture. Ces théories sont des idées intéressantes mais qui, à mon sens, sont globalement dépassées et ne prennent pas en compte le fait que l'agriculture est née en plusieurs endroits du globe à peu près au même moment, et des endroits aux conditions différentes. L'explication la plus crédible est : le hasard de la stabilité climatique hors-normes durant l'holocène a offert le cadre nécessaire à la forcément longue, aléatoire et souvent involontaire sélection génétique, et ce en même temps que des hasards évolutionnaires, géographiques, culturels, etc., permettaient aux humains d'en tirer profit.

Voici les trois autres théories historiques évoquées :

  • La vision de notamment Darwin, qui imaginait un progrès technique, notamment avec le feu et l'écriture. Avec cette théorie, la technique la sédentarité précèderait l'agriculture. C'est clairement une simplification face à une réalité plus complexe ; on sait que dans des environnements adaptés, la sédentarité est possible sans agriculture, notamment via la pêche. On peut aussi penser que l'agriculture a été la cause de l'écriture, car elle créait le besoin de prendre des notes sur des stocks, mais aussi car elle permettait une plus forte densité de population, propice au développement culturel.
  • La théorie qui imagine la religion à l'origine de l'agriculture : l'agriculture et la domestication auraient eu des fonctions avant tout symboliques. Je ne suis pas convaincu, sans pour autant nier le rôle de l'aspect symbolique.
  • La théorie qui voit dans l'augmentation démographique une cause du développement de l'agriculture. Encore une fois, sans nier que plus il a de population, plus il y a de progrès technique et plus il y a des pressions fortes qui s’exercent, je ne suis pas convaincu. Je vois plus le mouvement inverse : l'agriculture naissante permettant une démographie croissante, les proto-agriculteurs pouvant ainsi concurrencer avantageusement les nomades, qui eux sont bien plus limités par les conditions environnementales.

Sans s'en rendre compte, nos ancêtres sélectionnaient un nombre réduit de traits génétiques particuliers. Un exemple intéressant est celui-ci. Chez les fruits, l'hypertrophie des parties comestibles est sélectionnée : par exemple, chez la pomme, les individus ayant moins de graines et un plus gros péricarpe étaient sectionnés, le péricarpe étant l'enveloppe comestible. C'est exactement le même processus qui a été à l'œuvre avec la sélection des poules pondeuses, avec la sélection d'un gros albumen (le "blanc" d'œuf).

Un détail sur le chien : il ne serait pas vraiment descendant du loup, dont les tentatives modernes de domestication ont toutes échouées, mais plutôt du chacal ou du coyote, canidés qui ont naturellement tendance à s'approcher des lieux de vie humains pour y chercher de la nourriture.

Pour conclure, une théorie psychologique sur l'anxiété que j’apprécie beaucoup : l'anxiété serait causée par (entre autres choses bien sûr) la tension présente à niveau fondamental chez l'humain, et plus largement chez tout être vivant, entre la recherche de sécurité et la contrainte de diversité. Idéalement, on ne mange que des aliments qu'on connait bien et dont on sait qu'ils ne sont aucunement toxiques, mais en même temps, pour s'adapter à un milieu changeant, il faut bien tester de nouvelles choses... On voit comment cette idée peut s'appliquer à quasiment toutes les parties de l'existence.

vendredi 19 juillet 2024

Le génie du sol vivant - Bernard Bertrand & Victor Renaud

Le génie du sol vivant - Bernard Bertrand & Victor Renaud

Je n'ai aucun doute que les auteurs ont des tas de connaissances et des décennies d'expérience. Ceci dit, comme pour la plupart de mes lectures précédentes aux éditions Terran, à savoir De greffes en greffes, la forêt fruitière et L'urine, de l'or liquide au jardin, j'ai trouvé ce Génie du sol vivant mauvais au point d'être quasi illisible.

Je crois ne pas exagérer en disant qu'il y a dans ce livre plus de points d'exclamation et de points de suspension que de simples points. Le style rappelle celui d'un soixantenaire complotiste qui poste de longues tirades incohérentes sur Facebook (« Et dans ce domaine, la science n'explique pas tout, voilà qui dérange beaucoup ! »). Ne parlons même pas de la construction, qui fait toujours aussi vrac, ni du travail de mise en page, clairement amateur, ni des très, très nombreuses coquilles. On fait face à une suite de micro paragraphes sans liens sémantiques clairs et à un propos très général et confus. Les auteurs tapent sur la science, semblant confondre la science et les applications de la science, tout en se revendiquant de personnages douteux comme Jean-Marie Pelt

Quelques exemples pour évoquer, justement, le sérieux scientifique du livre. Je cite :

L'azote est très présent dans l'atmosphère, puisqu'il représente 78,11 % de sa masse totale, contre 20,953 % pour l'oxygène, 0,934 % pour l'argon, alors que le taux de carbone n'est que de 0,038 %. Pour l'azote, cette masse représente en permanence plus de 45 000 tonnes de matières premières dont peuvent bénéficier directement l'écosystème et ses habitants...

Si je comprends bien (et ce n'est pas évident), ils affirment qu'il y a 45 000 tonnes d'azote dans l'atmosphère. C'est n'importe quoi. Et pas besoin d'avoir une thèse en physique pour remarquer que c'est bien, bien trop bas. Il faudrait multiplier ce nombre par quelque-chose comme 80 milliards pour s'approcher du bon nombre. Sacrée marge d'erreur.

Ensuite, leur expérience pour prouver l'efficacité de différents types de paillage. Ils installent 3 lots de 2 courgettes (c'est peu mais admettons), le premier avec un mulch d'adventices, le second avec un mulch de BRF, le troisième avec un mulch épais de racines et déchets verts grossiers de type ronce. Le troisième lot produit plus, ce qui confirme leur propos. Ou pas : ce test est absolument risible, puisqu'alors que le premier lot avait précédemment hébergé choux et poireaux, et le second des pommes de terre, le troisième accueille sa première culture après en plus toute une année de paillage riche. Alors oui, le sol qui n'avait pas été appauvri (et au contraire enrichi) l'année précédente produit plus. Sans blague.

Allez, un dernier point. Je cite, en vous épargnant les retours à la ligne entre chaque phrase :

La théorie commune partage le monde vivant en deux règnes : animal et végétal. Sauf que voilà, il y a des êtres vivants rebelles dont on considère qu'ils ne rentrent pas dans ces cases-là. Et patatras, des siècles de certitude qui s'écroulent... Bref, on cherche toujours la place des bactéries, actinomycètes, mycètes (les fungus, ou champignons), mais aussi des algues, dans le règne du vivant !

Juste : non. Évidemment, la science est en perpétuel mouvement et de nouvelles connaissances viennent en détrôner ou complexifier des précédentes, mais là, on n'est pas loin du pur mensonge obscurantiste. La « théorie commune » s'accorde actuellement sur une classification à sept règnes et développe une vision complexe et détaillée de l'évolution de ces différents règnes.

Je m'arrêterai là.

lundi 8 juillet 2024

Je sème des engrais verts - Pascal Aspe

Je sème des engrais verts - Pascal Aspe

Je n'attendais pas grand-chose de cette collection aux livres très fins, mais là, il y a tellement peu de contenu qu'on se demande à quoi ça sert de faire un livre. Ça fait 80 pages remplies essentiellement de photos superflues. Il n'y a que 9 engrais verts détaillés (pas la féverole par exemple) et leur description est anémique. La construction de l'ouvrage est douteuse, avec par exemple deux parties différentes portant le même titre ("Attirer les auxiliaires") pages 23 et 59.

L'auteur mentionne dès l'intro broyage et enfouissement des engrais verts, et répète ces conseils par la suite, sans les détailler. Broyer comment ? Pourquoi ? Et pourquoi enfouir ? Pourquoi ce ne serait pas assez bien de laisser l'engrais vert en surface, laissant ainsi faire la décomposition naturelle et paillant par la même occasion ? Il conseille aussi de laisser les sols argileux à nus l'hiver, pour que le gel brise les mottes. Pourquoi pas, mais quand on va ainsi à l'encontre d'une règle permaculturelle qui à priori fait sens (ne jamais laisser les sols à nu), il faut prendre le temps de détailler. Pas un mot sur le couchage des engrais verts.

Ci-dessous, quelques notes, à commencer par un rappel du rôle des engrais verts :

  • Décompacter et aérer le sol via leurs racines
  • Protéger contre l'érosion, le tassement et le soleil
  • Enrichir le sol (tant que les engrais verts sont laissés en place)
  • Empêcher les adventices de se développer

La matière organique qui se décompose suit deux voies : la minéralisation (court terme, notamment l'azote) et l'humification (long terme, notamment le carbone). Les engrais verts non seulement peuvent prélever les nutriments en profondeur pour les restituer à la surface, mais ils empêche aussi le lessivage des nutriments en les employant. Je note pour les semis d'automne la pertinence de mélange seigle et vesce ; la moutarde (bonne pour extraire le phosphore des roches) et le sarrasin pour le printemps et l'été. Les légumineuses, plus lentes, sont surtout semées en automne. Ne pas hésiter à semer les engrais verts de fin d'été/automne parmi les cultures précédentes (courges, tomates).

mardi 25 juin 2024

Prendre soin de son sol - Emmanuel Bourguignon

Prendre soin de son sol - Emmanuel Bourguignon

Un petit bouquin assez bien fait. Je vais quand même me plaindre un peu avant de prendre quelques notes. Il y a, encore une fois, trop de photos de pleine page qui ne servent à rien à part faire joli, et une relecture supplémentaire aurait été nécessaire. J'aurais aimé que l'auteur aille plus loin sur la science du sol, peut-être à la place des derniers chapitres qui reviennent sur des généralités que la plupart des gens lisant ce livre connaitront déjà. Sinon, le titre et le sous-titre décrivent avec justesse ce qu'est le livre, qui se parcourt avec plaisir. Et oui, Emmanuel Bourguignon est bien le fils de.

Un aperçu des types de sol communs chez nous :

  • Luvisols : un sol en profondeur nettement plus argileux que les limons de surface. Anciens et polyvalents.
  • Cambisols : absence d'horizons distincts d'humus, d'argile, etc., hormis un horizon organique très superficiel. Issus de dépôts éoliens, colluviaux ou de rivières. Texture équilibrée, recherchés pour l'agriculture.
  • Leptosols : très superficiels, riches en cailloux, peu d'horizons, cultivés seulement via terrasses.
  • Chernozems : jeunes, très riches en humus sur une importance épaisseur, très recherchés, berceaux du blé ukrainien et du midwest.
  • Podsols : climats froids et humides, sableux, ph faible, matière organique piégée.

Les constituants minéraux sont généralement divisés entre sables, limons et argiles (du plus gros au plus petit). Quelques détails sur les argiles. Issues de la dégradation des roches, sables et limons, c'est le stade ultime de la dégradation du monde minéral. Cette dégradation est soit d'origine physico-chimique, soit d'origine biologique, les racines et des plantes et les microbes sécrétant des acides organiques qui leur permettent de dissoudre les roches, sables et limons pour y prélever des éléments nutritifs. Lors de cette dissolution, la silice, le fer et l'aluminium sont peu prélevés et forment les argiles, avec l'oxygène. La variabilité de l'espace entre les feuillets d'argile confère une capacité d'hydratation et donc de gonflement plus ou moins importante.

Électriquement, les argiles sont chargées négativement (excès d'électrons par rapport aux protons) : c'est ce qui leur donne la capacité de stocker dans le sol des nutriments dont les formes ioniques sont chargées positivement. C'est la capacité d'échange en cations (CEC), une mesure indiquant la capacité de stockage des éléments nutritifs dans le sol. Les cations sont des ions à charge positive qui viennent donc se lier à l'argile. Une CEC élevée indique que le sol peut retenir une plus grande quantité de cations, ce qui est globalement bénéfique pour la fertilité du sol. Les argiles sont donc essentielles pour la retenue les nutriments. Les cations servent de liens positifs avec les particules d'agiles (négatives) et les particules d'humus (négatives), formant ainsi le complexe argilo-humique. C'est la faune du sol qui synthétise l'humus.

Là où la minéralisation est une simplification des molécules organiques qui, en présence d'oxygène, sont réduites en minéraux, la plupart du temps à l'aide d'enzymes par les microbes qui se nourrissent au passage. Les minéraux qui en résultent sont utilisables par les plantes. A l'inverse, l'humification est un processus de complexification : la matière organique se transforme et se stabilise en humus, immobilisant ainsi les matières minérales. Le processus serait dominé par les champignons basidiomycètes.

La cellulose est la molécule organique la plus abondante sur Terre, constituant la majeure partie de la paroi cellulaire des plantes, et principale source de carbone déposée au sol. C'est un réseau de molécules de glucose reliées les unes aux autres. Facile à décomposer par des microbes qui produisent l'enzyme cellulose, elle se décompose rapidement à la surface des sols. Lorsque les végétaux sont riches en azote, la cellulose devient facilement fermentescible ; c'est pourquoi la cellulose est la matière organique fraiche qui assure la nutrition des plantes quand elle est décomposée par les microbes et se minéralise. La minéralisation est donc très rapide quand le rapport C/N est faible. La minéralisation est aussi favorisée par l'oxygénation du sol (le labour par exemple), ce qui provoque aussi une perte du carbone du sol dans l'atmosphère. Toute pratique agricole qui favorise l'aération du sol favorise donc aussi une perte en carbone du sol.

La lignine est présente dans tous les végétaux mais surtout dans les tissus lignifiés du bois. Elle permet aux plantes d'élaborer des structures rigides et est beaucoup moins facile à décomposer. Ce sont les champignons qui s'y attaquent, surtout les "pourritures blanches", des basidiomycètes. L'humification est bien plus importante quand c'est de la lignine qui est décomposée, ce qui n'émet que très peu de gaz carbonique par rapport à la minéralisation.

Les plantes ne peuvent se nourrir qu'en solution, donc le nitrate, par exemple, doit être dissout dans de l'eau pour qu'une plante puisse l'assimiler. De même, les argiles ont besoin d'être hydratées pour restituer des éléments nutritifs. En revanche, si trop d'eau et absence d'oxygène, le sol va devenir anaérobie et former gley, de couleur bleu-gris. 

Dans le sol, la respiration des plantes forme du dioxyde de carbone : moins un sol est aéré, plus il aura de dioxyde de carbone et moins il aura d'oxygène.

Quelques points plus pratiques. L'auteur recommande de ne jamais remettre un légume au même endroit avant 4 ans, et de ne jamais faire des planches occupées par un seul légume. Sur l'utilisation des céréales comme engrais verts : elles ont des besoins nutritifs plus faibles que les légumes, leur décomposition en masse a un effet allélopathique négatif sur les adventices, leur système racinaire fasciculé structure et aère le sol, elles injectent beaucoup d'exsudats racinaires dans le sol.

Un mot sur les amendements calcaires (carbonate de calcium) qui servent à faire remonter le pH d'un sol acide : le carbonate de calcium se dissout dans le sol pour libérer l'ion calcium qui pourra aller se loger dans le complexe argilo-humique ou enrichir la solution du sol, causant un déplacement et un lessivage des ions hydrogène qui, en monopolisant les pôles négatifs du complexe argilo-humique, causent l'acidification du sol.

lundi 17 juin 2024

L'arbre, au-delà des idées reçues - Christophe Drénou

L'arbre, au-delà des idées reçues - Christophe Drénou

Un bouquin bien sympa, organisé en une centaine de fausses affirmations que l'auteur s'empresse de corriger. A moins d'être déjà un professionnel aguerri de l'arbre, nul doute qu'il y a bien des choses à apprendre. Ci-dessous, quelques notes en vrac.

La greffe naturelle entre racines serait assez fréquente, et point frappant : on peut observer certaines souches de résineux coupés qui continent à pousser, nourries par les racines de leurs congénères, formant ainsi une sorte de bourrelet, le cambium poussant autour d'un tronc ligneux qui n'est plus là. 

La plus grande partie de la masse d'un arbre est techniquement de la matière morte, y compris l'aubier. Sont "vivants" le cambium, le parenchyme (tissus stockant de réserves), des cellules voisines des éléments conducteurs de la sève descendante  (les cellules compagnes du phloème), les feuilles et les extrémités en croissance des tiges et racines. De plus, les cellules vivantes sont bien plus légères que celles devenues ligneuses. Mais les cellules "mortes" jouent néanmoins des rôles cruciaux : transport des sèves brutes et élaborées, soutien mécanique de l'édifice et protection contre les agressions climatiques ou biotiques.

On connait le rôle important que les champignons jouent pour les arbres, avec la mycorhize notamment, mais la quantité de champignons est encore une fois supérieure à ce qu'on pourrait croire : au niveau des feuilles (la phyllosphère), un arbre peut accueillir des centaines d'espèces fongiques. Elles peuvent même vivre dans les feuilles. La plupart ne seraient pas pathogènes, et beaucoup joueraient un rôle positif sous forme de mutualisme (entraide), par exemple en limitant les attaques d'insectes avec certaines substances. Rappelons que dans la mycorhize (myco = champignon, rhize = racine), l'arbre donne des sucres synthétisés par photosynthèse en échange d'eau et de nutriments recueillis par le champignon. D'ailleurs, tous les arbres auraient des mycorhizes. Les seules plantes qui y échapperaient seraient les plantes aquatiques, qui n'ont aucune difficulté à absorber directement l'eau et les éléments nutritifs dissous car elles n'ont pas de cuticules cireuse qui empêche les pertes d'eau par évaporation chez les plantes terrestres. Quelques autres espèces n'ont pas de mycorhizes, parce qu'elles ont été sélectionnées par l'humain (le blé) ou parce qu'elles sont pionnières (giroflée, chénopodes, renouée, sarasin). Il y a aussi les champignons saprotrophes, qui se nourrissent de la matière organique morte et minéralisent la matière organique, la rendant ainsi de nouveau disponible pour les arbres.

Les gourmands sont plutôt appelés suppléants : comme ce nom l'indique, ils servent de réserve de branches prêtes à prendre le relai, par exemple en cas de descente de cime ou de branche cassée. La sénescence d'un arbre va avec l'incapacité à produire des suppléants vigoureux.

Le duramen n'est pas la cause du vieillissement du bois, au contraire, il nécessite une intense activité métabolique (obturation des vaisseaux, synthèse d'extractibles comme tanins, gommes et cires, réacheminement des substances nutritives vers l'aubier). L'arbre dépense plus d'énergie pour la transformation de l'aubier en duramen que pour son maintien. La mort du bois n'est pas la cause de la création du duramen, mais sa conséquence. Le duramen sert en fait moins au support de l'arbre que l'aubier, car c'est en périphérie du tronc, donc au niveau de l'aubier, que les forces de tension et de compression sont les plus fortes. Le duramen a un rôle de défense contre les pathogènes, vu qu'il est bien moins riche en substances nutritives. Plus un arbre augmente en volume, plus il dépense une quantité croissante d'énergie pour le maintient des cellules vivantes, notamment celles de l'aubier. Il doit donc accroitre sa surface foliaire pour produire de l'énergie, mais, problème : un gros édifice présente bien plus de volume par rapport à sa surface qu'un petit édifice de même forme (même problème qu'avec le refroidissement des gros animaux). Le duramen sert donc à adapter la quantité d'aubier à la surface foliaire disponible. A terme, si le duramen est exposé aux éléments, il peut se dégrader sans tuer l'arbre, et l'arbre peut même faire des racines dans la matière organique à présent disponible qui était son duramen. 

La chute des feuilles n'est pas directement induite par le froid, puisque même les arbres tropicaux perdent leur feuilles (d'ailleurs d'une façon non saisonnière : certaines parties d'un arbres peuvent êtres défeuillées à un moment et d'autres non). La caducité du feuillage est, dans les régions à saisons, essentiellement déterminée par le raccourcissement des jours.

C'est la taille des vaisseaux de circulation de la sève qui détermine en bonne partie la résistance d'un arbre au gel : plus les vaisseaux sont grands, plus les bulles d'air pigées dans la glace pendant l'hiver sont grosses et entravent la circulation. Ainsi les résineux ont des taux d'embolie quasi nuls à cause de leurs vaisseaux très fins, ce qui explique leur tolérance au gel.

Au printemps, avant la poussée des feuilles :

  • La poussée racinaire : elle correspond à une eau en surpression au niveau des racines. Les racines développent des millions de minuscules poils qui absorbent l'eau du sol. Cette entrée d'eau, alors que toute sortie est impossible faute de transpiration foliaire, crée une surpression qui chasse les bulles d'air dans l'aubier. C'est la montée de sève.
  • La production précoce de vaisseaux : quand les vaisseaux on un trop grand diamètre (essences à bois à zones poreuses comme les chênes) la poussée racinaire est insuffisante pour résorber l'embolie hivernale. Les arbres fabriquent de nouveaux vaisseaux pour contourner les bulles d'air. 

Et le cycle hivernal :

  1. Préparation à la dormance : à la fin de l'été, l'arbre produit des feuilles atrophiées, courtes, épaisses et dépourvues de pétiole. Ce sont les écailles qui protègent le bourgeon pendant l'hiver. Sous les écailles, les cellules se divisent intensément pour produire une partie de la pousse de la saison suivante.
  2. Entrée en dormance : déclenchée surtout par la diminution de la durée du jour. Les cellules ne se divisent plus et les inhibiteurs de croissance s'accumulent dans les bourgeons. Les feuilles des espèces caduc tombent.
  3. Endurcissement : quand les températures baissent, l'amidon stocké en en fin d'été est en partie hydrolysé pour dans libérer le cellules des sucres solubles qui un pouvoir antigel. Cette étape ne fonctionne qu'en cas de baisse progressive de la température.
  4. Levée de la dormance : la quantité de froid accumulé pendant l'hiver lève progressivement la dormance.
  5. Reprise de la croissance : fin de la dormance, mais début de la quiescence, qu'on pourrait qualifier d'attente attentive, là où la dormance serait un sommeil. Puis, plus les conditions deviennent favorables, plus les pousses préformées l'année précédente s'allongent et provoquent l'ouverture des bourgeons. Les divisions cellulaires reprennent.

Rappelons aussi que la matière constituant les arbres provient essentiellement de l'atmosphère. Le sol fournit 13 des 16 éléments indispensables aux arbres sous forme d'ions minéraux. Seuls le carbone, l'hydrogène et l'oxygène proviennent de l'air et de l'eau, mais dans un arbre adulte, le carbone constitue l'essentiel, et on ne trouve que quelques kilos de minéraux en tout.

Les jeunes rameaux sans feuilles ont de la chlorophylle sous l'écorce et sont capables de photosynthèse pendant 1 à 5 ans, et à degré non négligeable par rapport aux feuilles. Ils perdent cette capacité plus l'écorce s'épaissit.

Hop, concluons sur un petit schéma qui évoque les trois outils utilisés par l'arbre pour l'ascension de la sève :

L'arbre, au-delà des idées reçues - Christophe Drénou

vendredi 5 avril 2024

Vers une vie simple - Edward Carpenter

Vers une vie simple - Edward Carpenter

Le bandeau vend un « Thoreau anglais », mais honnêtement, si on recherche du Thoreau, mieux vaut relire Walden. Ce n'est pas mauvais, pas du tout, mais l'intérêt est avant tout historique. C'est en somme un recueil de pamphlets socialistes, libertaires et vaguement chrétiens qui critiquent les mœurs de l'aristocratie de l'époque (1880 environ) et les inégalités sociales qui la servent. En prime, l'auteur promeut la révolution imminente et le monde utopique qui s'ensuivra, où chacun pourra avoir sa maison et son lopin de terre, où la propriété privée n'existera plus, où tous les logements seront possédés par l'État, où les dirigeants devront avoir une forte expérience du travail physique et concret, etc.

Tout ça n'a pas très bien vieilli. Les idées sur la vie simple sont un peu gâchées par ce très fort enrobage idéologique qui leur donne une dimension assez naïve. Ceci dit, il y a de belles pages. Le texte sur les mœurs des bourgeois de manoirs est certainement le plus réussi littérairement : Edward Carpenter dépeint avec couleur la vie paralytique et anémique de ces propriétaires et actionnaires qui s'empêtrent dans une débauche de passivité et de normes absurdes, pendant que les domestiques, eux, sont plus en contact avec la vie et en meilleure santé que leurs maitres atrophiés.

J'ai aussi apprécié le texte sur le commerce, où l'auteur, qui reprend une petite ferme, se retrouve derrière le comptoir au marché, ce qui modifie complètement sa perspective sur le rapport à la nourriture et à son prix. Le chapitre qui critique le crédit et les dividendes est également bienvenue, car il parvient à rappeler d'une façon claire cette notion classique du socialisme de l'époque : l'ouvrier, poussé par l'impossibilité d'obtenir des moyens de production (machines trop chères et terres déjà toutes possédées) n'a d'autre choix que de vendre sa force de travail et bien se faire rouler au passage, dans le sens où la majorité des gains de son travail ne lui revient pas, mais file vers les actionnaires.

Pour une perspective plus moderne et désabusée sur ces thèmes, je recommande L'année sauvage de Mark Boyle.

dimanche 24 mars 2024

Créer un jardin-forêt - Patrick Whitefield

Créer un jardin-forêt - Patrick Whitefield

Allez, encore un bouquin sur la belle et ancienne idée qu'est le jardin-forêt. Celui-là n'est pas mal du tout. Je l'ai un peu lu en diagonale, mais seulement parce que j'ai déjà parcouru pas mal de livres sur le sujet. Son principal défaut est sans doute d'être écrit par un anglais : toutes les informations et les données se réfèrent à l'Angleterre. Et même si le climat est proche, même si l'éditeur a essayé d'apporter des infos, ça reste très présent. A noter aussi que c'est un livre très sobre visuellement : pas de grandes photos couleur en pleine page, non non, juste des colonnes de textes avec quelques schémas et illustrations. La partie sur les fruitiers est très bien. En revanche, je suis toujours aussi sceptique à propos de la couche basse du "jardin-forêt", c'est-à-dire la couche herbacée ou légumière. Gérer la couche herbacée, c'est beaucoup, beaucoup plus compliqué que gérer les arbres ou mêmes les arbustes. Je vais relever quelques points.

La "maladie de replantation" : au fil de la vie d'un arbre (fruitier), toutes sortes de parasites se développent dans le sol, mais l'arbre a le temps de grandir et de venir costaud. Or, si après sa mort on replante un jeune fruitier similaire au même endroit, celui-ci se retrouverait face à tout un écosystème parasite. Donc, pas bien. L'auteur recommande d'attendre 15 avant la replantation d'un fruitier, ce qui me semble énorme.

Je note que le saule, malgré son air mignon, est extrêmement vigoureux et compétitif.

On connait les fixateurs d'azote, je relève en plus la catégorie des "accumulateurs dynamiques", dont la consoude est la star : ce sont les plantes qui sont bonnes pour extraire les nutriments du sol. Les légumineuses font l'affaire aussi, et les plantes sauvages à racine pivotante. 

Une qualité des grenouilles (en plus de celles qui vont de soi) : elles mangeraient les limaces. Les coccinelles quant à elles, adoreraient les tiges d'ortie pour hiverner : encore une bonne raison pour une grande diversité au jardin.

Sur le binage : tout retournement de sol, aussi mineur soit-il, ramène de nouvelles graines à la surface.

Les capucines rampantes comme couvre-sol au potager, avant la maturité des légumes principaux.

Je note le caraganier de Sibérie comme arbuste fixateur d'azote comestible.

dimanche 18 février 2024

De sève et de sang - Julia Hill

De sève et de sang - Julia Hill

Il y a bientôt 30 ans, Julia Hill a passé deux ans dans un séquoia géant au nord de la Californie pour empêcher sa destruction par une grosse compagnie qui avait l'habitude de raser ces écosystèmes pour transformer et vendre le bois. Il est frappant de constater à quelle point cette histoire bien réelle est... romanesque. Une héroïne idéaliste qui se retrouve soudainement dans une position d'improbable renommée, une grosse société tellement vile qu'on la trouverait trop caricaturale dans un film, un lieu de vie à la Tarzan, des combats dans la forêt et même dans les arbres entre militants écologistes et ouvriers armés de tronçonneuses, de colossales tempêtes qui mettent en péril la jeune femme, des hélicoptères géants qui viennent la menacer, les écœurantes machinations des grands patrons, etc.

Romanesque, et finalement plus triste qu'inspirant. Aujourd'hui, la forêt de séquoias géants ne représente que 5% des 8 095 km² initiaux, et même l'arbre qu'a défendu Julia Hill au milieu du désert des coupes rases y est passé, d'une certaine façon : il a été tronçonné aux deux tiers après tous ces évènements. Un acte de vandalisme, peut-être, mais je suis très tenté d'y voir un message des quelques puissants qui s'enrichissent ainsi :  « Toute résistance est impossible. N'essayez même pas, ça ne sert à rien. »

Plutôt que d'embrayer sur l'écologie, l'effondrement ou je ne sais quoi du genre, un mot sur la perspective religieuse de Julia Hill. C'est une croyante, une dévote, elle multiplie les prières et interprète le monde selon un prisme magique incohérent : elle voit partout et à postériori ses prières exaucées sans pour autant appliquer la même perspective aux évènements négatifs, elle lit des signes de Dieu dans les évènements du quotidien, ce genre de chose. A mes yeux, c'est de la pure démence moyenâgeuse. Je pourrais multiplier les citations de ses bondieuseries, mais bon. Ce qui me frappe encore une fois, c'est à quel point cette démence est... adaptative. Son interprétation magique et mystique du réel lui offre un soutien psychologique et lui donne l'étincelle pour accomplir des choses qui la font avancer dans le monde social et physique d'une façon avantageuse. Ce n'est pas une découverte pour moi, bien sûr, mais c'est une autre chose qui m'attriste : rencontrer quelqu'un d'aimable, de respectable, d'intelligent, et découvrir que cette personne est en même temps complètement irrationnelle à un niveau fondamental. Je comprends le pourquoi, mais j'ai du mal à m'y faire.

jeudi 14 décembre 2023

Agriculture de régénération - Mark Shepard

Agriculture de régénération - Mark Shepard

Un assez gros bouquin, à la fois passionnant et frustrant. La perspective globale, sur l'agriculture de régénération, est bien entendu charmante : agroforesterie, pensée à long terme, cultures ligneuses, etc. Il y a même, Ô joie, un long passage chiffré sur le modèle de cultures ligneuses associées à de l'élevage envisagé, mais, mais... tous ces chiffres sont théoriques. Pourquoi, alors que justement, l'auteur a une ferme de 42 hectares où il met en pratique ses idées ? Pourquoi rester dans la théorie, dans l'idéal ? Pourquoi ne pas parler des cas concret que, je n'en doute pas, il fréquente et façonne tous les jours ? C'est plus que frustrant : ça sème le doute sur la valeur de ce qui est présenté.

On l'a déjà vu ailleurs, mais j'aime la façon dont l'auteur évoque la valeur des cultures pérennes par rapport aux annuelles, qui nécessitent chaque année travail du sol et mécanisation lourde, ainsi que souvent sols exposés susceptibles de s'éroder. Le pérenne, c'est résilient. Ça vit longtemps, en demandant très peu de travail. Ça stabilise les sols. Et, en comparaison des céréales, les plantes pérennes sont juste plus riches nutritionnellement. J'aime aussi les anecdotes pertinentes sur sa jeunesse, notamment cet épisode, en 1973, où le pétrole a cessé de couler à flot aux USA. Soudain, paf, l'essence est rationnée, de plus en plus rationnée, et la vie change drastiquement. Il me semble probable que je connaisse des situations similaires de mon vivant.

Une autre anecdote que j'adore, datant de quand l'auteur, tout jeune, travaillait pour un vieux producteur de pommes. Un producteur qui se souvenait du temps où on ne vaporisait aucun produit chimique. Comme conseil sur la taille, le vieux ne dit au jeune qu'une seule chose : « tailler de façon à laisser un rouge-gorge passer sans que ses ailes ne touchent les branches, mais si on peut jeter un chat dans l'arbre sans qu'il s'accroche à une branche, c'est qu'on a trop taillé ». Excellent ! D'ailleurs, la taille est en partie faite par les vaches (et les chevreuils, certes) qui paissent entre les arbres, mangeant au printemps les feuilles tombées à l'automne, tondant l'herbe, et fertilisant le verger. Donc, fertilité, et moins de maladies, puisque la tavelure n'a plus les feuilles tombées pour de maintenir. De plus, l’élagage des vaches maintient les branches des arbres à 1 mètre et demi, ce qui isole les branches des spores de la tavelure qui passent l'hiver au sol. On laissait naturellement chuter 50% des pommes à jus, forcément les moins belles, et ensuite on récoltait les autres. A la cueillette, on laissait tout simplement tomber au sol les pommes infestées ou abimées. Ensuite, on pouvait choisir, avant le pressage, les plus belles pommes pour les commercialiser en tant que pomme à couteau (si la variété est adaptée bien sûr). Sans réfrigération ni pasteurisation, le jus de pomme ne pouvait pas se conserver plus de quelques jours, donc la plus grande partie était fermentée, pour faire cidre ou vinaigre, qui lui-même servait à conserver toute sorte d'autres aliments. Ensuite, on lâchait dans le verger les porcs, qui se régalaient des pommes déclassées laissées au sol, porcs qui éliminaient ainsi les larves des nuisibles. Pas mal, non ?

L'auteur, en parlant de sa ferme, évoque les cultures étagées, notamment sa vigne verger, où la vigne grimpe sur les fruitiers. Apparemment, il faut bien tailler tous les ans pour maintenir la pénétration du soleil. Ce serait rentable, et je veux bien y croire, mais encore une fois : pas de photo, pas de schéma, pas de chiffres. Plus que frustrant. Quand on fait un truc à la fois aussi cool et excentrique, ça mérite des détails.

Pour ce qui concerne la gestion des cheptels, j'aime beaucoup le micromanagement rationnel qui est proposé. Sur une petite parcelle, d'abord les veaux, les plus fragiles, puis on les mène sur un nouveau pâturage et on amène les vaches allaitantes, puis les vaches taries. Ensuite, place aux porcins, qui mangent les fruits divers ; l'auteur recommande les anneaux nasaux pour limiter le fouissement qui risque d'abimer la parcelle. Puis viennent les dindes, qui mangent les herbes et graines restantes. Puis les moutons, qui mangent les plantes vivaces qui ont repoussé depuis les vaches. Puis les poules, qui font un peu l'office de mini dindes, et se régalent des insectes qui trainent dans les bouses des animaux précédents. Et enfin les oies. (Puis les chèvres pour les agriculteurs les plus courageux.)

On y arrive enfin : l'exemple concret (mais en fait non, idéalisé) d'une vaste culture de pérennes associées (les chiffres sont pour 4000m²). Je ne vais pas trop m'y appesantir, mais on y trouve : châtaigniers, groseilliers, framboisiers, vignes, pommiers, noisetiers, et quelques animaux qui pâturent dans l'ensemble. J'aime ça, vraiment, et je trouve que ça fait sens, mais... ça n'est pas un exemple tiré de l'expérience de l'auteur. C'est une idéalisation. Par exemple, plus d'un cinquième des calories produites par ce système viendraient des groseilliers. Est-ce que ça fait sens ? Commercialement, peut-être, je ne sais pas. Mais comment faire cohabiter animaux et plus de 500 groseilliers ? C'est quoi le budget clôture ? Et de quel moment de la vie de ce système sont tirés ces chiffres ? Les petits fruits peuvent-ils vraiment vivre sous des châtaigners matures ? Bref, pourquoi ne pas plutôt parler de façon aussi détaillée des systèmes qui sont vraiment sur les 42 hectares de la ferme de l'auteur ?

Sur la notion de keylines, alias baissières (je crois), les lignes de niveau plantées d'arbres qu'on voit bien sur la photo aérienne en couverture, je m'interroge : peut-on vraiment parler de ce concept sans parler de type de sol ? Selon le caractère plus ou moins drainant ou hydromorphe du sol, je soupçonne que faire des baissières à l'aveugle peut avoir des conséquences très négatives. Je note aussi que, concernant les cultures d’annuelles en association avec les arbres, l'auteur vante la nécessité de la sous-soleuse, qui, tirée par un tracteur musclé, vient ameublir le sol tout en « taillant » les racines des arbres qui viendraient sinon concurrencer les cultures moins pérennes. Ah, et le mot de la fin : « La clé de la solvabilité de votre ferme est de faire baisser les coûts de production. »

dimanche 10 décembre 2023

Pollinisation, le génie de la nature - Vincent Albouy

Pollinisation, le génie de la nature - Vincent Albouy

J'avais déjà un tout petit livre très sympathique du même auteur, Vincent Albouy, à propos de la pollinisation. On y trouvait les bases, et celui-là va plus loin. Globalement, c'est pas mal du tout, joliment illustré, et riche en toutes sortes d'infos passionnantes malgré des passages moins captivants.

On sait que pour favoriser la diversité génétique et éviter l'équivalent de la consanguinité, les plantes ont toute sorte de techniques. Le plus courant de ces mécanismes consiste à décaler le moment de la maturité sexuelle des organes mâles et femelles d'une même fleur : chez le pommier les ovules sont matures avant les étamines, l'inverse chez le tournesol, etc. Ainsi des individus différents d'une même espèce ont tendance à avoir chacun un timming particulier afin de favoriser la fécondation avec autrui. Le noisetier, monoïque, a ainsi une floraison asynchrone entre fleurs mâles et femelles pour éviter l'autofécondation. (Le noisetier a une autre stratégie : fleurir avant l'apparition des feuilles pour favoriser la dispersion du pollen via le vent.) L'auto-incompatibilité se joue aussi à coup d'hormones qui défavorisent les grains pollens avec une génétique trop proche de a fleur réceptive. Mains certaines fleurs (le colza par exemple) désactivent ce mécanisme de sûreté en cas d'absence de pollinisation croisée, histoire de s'auto-féconder en dernier recours : c'est mieux que rien.

Les pucerons se nourrissent de la sève élaborée, riche en sucres et pauvre en protéines. Comme ils ont besoin de la même quantité de protéine que de sucre, ils rejettent le sucre liquide dans leurs déjections, d'où la bizarrerie des déjections très nutritives.

Composition des grains de pollen, qui ont deux noyaux :

  • Exine : particule externe qui protège les deux cellules, et cause les allergies.
  • Noyau génératif : noyau de la cellule reproductive qui se mélangera avec le noyau de l'ovule.
  • Noyau végétatif : noyau de la seconde cellule du grain de pollen, non génératrice.
  • Pore : ouverture via laquelle le grain de pollen émettra un tube, ou germera, pour amener le noyau génératif vers l'ovule.

Il y a tout un tas de choses sur les comportements extraordinairement riches et complexes façonnés par l'évolution. Pour les plantes, l'appât visuel et l'appât odorant sont deux stratégies (potentiellement liées) pour attirer différents pollinisateurs. Des fleurs de grande taille, spécialisées dans l'appât visuel, n'émettent aucune odeur (coquelicot, liseron, digitale) ; à l'inverse, la vue est accessoire pour d'autres, qui attirent surtout les animaux nocturnes avec leur senteur (tilleul, chèvrefeuille, jasmin).

Autre exemple parmi d'autres stratégies bizarrement élaborées, certaines fleurs (ici de la famille des arum) sont architecturées de façon à piéger les insectes à l'intérieur, après les avoir piégés avec leur odeur. Il s'agit de s'assurer qu'ils restent suffisamment longtemps pour bien féconder. Pendant ce temps, la fleur les nourrit, puis elle les relâche pour que les insectes continuent leur pollinisation.

Si l'abeille mellifère est une spécialiste en tant qu'espèce, elle serait une spécialiste à l'échelle individuelle, chaque abeille se spécialisant dans un type de fleur afin d'optimiser sa production. Seules les exploratrices, 5% des butineuses, seraient touche-à-tout.

La plante, elle, est écartelée entre deux pressions contraire : attirer les mellifères et repousser les prédateurs. Il faut donc avoir une structure et des substances chimiques qui empêchent de trop se faire bouffer, tout en câlinant les mellifères, sachant que ces bestioles ne font parfois qu'une, notamment quand on parle des coléoptères. Le radis illustre ce genre de tension évolutive : il peut avoir des fleurs de diverses couleurs. Les fleurs jaune et blanches sont plus butinées, et donc produisent des graines en plus grand nombre et de meilleure qualité, que les roses ou les mauves, qui elles produisent des substances toxiques qui les protègent des herbivores. Il y a de nombreuses façons d'être un être vivant fonctionnel.

Et en ce qui nous concerne nous, humains, les butineurs ne sont pas aussi indispensables à la pollinisation qu'on l'imagine parfois. De nombreuses plantes parmi les plus importantes pour l'alimentation humaine sont fécondées avant tout par le vent : les céréales à 100%, les légumineuses en bonne partie, les légumes aussi, ainsi que les plantes à huile... Les plantes les plus vulnérables sont les produits stimulants, puis les noix, et et les fruits. Évidemment, le déclin des pollinisateurs reste extrêmement problématique : même pour les plantes qui se débrouillent aussi partiellement avec le vent (d'ailleurs : vent et insectes, l'évolution a favorisé des comportements multiples pour assurer la résilience), les pertes seraient massives. Je note, page 125, le passionnant tableau qui indique l'importance de la dépendance de 30 cultures à la pollinisation animale, de 0% pour les céréales à 95% pour les courges en passant par 65% pour la plupart des fruitiers. Détail amusant : même pour une culture aussi connue que l'amandier, qui aux USA dépend grandement de l'importation de centaines de milliers de ruches pour la fécondation, les études scientifiques ne parviennent pas à être unanimes quant à sa dépendance à la fécondation par les insectes par rapport à la fécondation par le vent.

mercredi 29 novembre 2023

80 clés pour comprendre les sols - J. Balesdent, E. Dambrine, J-C Fardeau

80 clés pour comprendre les sols - J. Balesdent, E. Dambrine, J-C Fardeau

Un petit livre sympa pour s'initier à la question des sols, mais sa structure en 80 questions le fait, justement, manquer de structure. Certaines questions semblent aussi un peu hors sujet. Je prends quelques notes, il y a de quoi.

La page peut-être la plus intéressante est celle qui détaille en profondeur la composition d'un sol, ici un sol limoneux. Pour résumer, dans 1 mètre cube : 520 litres de solide + 480 litres de vide (ce jour-là remplis de 320 litres d'eau, reste donc 160 litres d'air). Ce qui fait, sans trop détailler :

  • 1325 kg de minéraux (grains de quartz, argiles, oxydes de fer...)
  • 20 kg de matière organique (peptides, protéines, sucres...)
  • 5 kg d'êtres vivants (racines, rhizomes, bactéries, champignons, puis insectes...)

Le temps que prend la formation du sol dépend grandement des conditions climatiques et de la nature des roches locales, mais en moyenne les plantes et les intempéries fabriquent 1 mm de sol par siècle. Pour faire 1 cm, il faut donc 1000 ans. Les roches-mères se divisent en 3 catégorie :

  • Les roches magmatiques (basalte via volcans, granit via remontée lente du magma)
  • Les roches sédimentaires, formées par l'accumulation de matériaux (calcaire via squelettes de coraux et coquillages, ou argiles, schistes et sables par érosion des continents)
  • Les roches métamorphiques, formées par la recristallisation des autres types après un passage en profondeur et donc l’exposition à chaleur et pression (gneiss...)

Les argiles sont des particules extrêmement petites, qui offrent proportionnellement beaucoup de surface : c'est pour cette raison qu'elles ont la capacité d'absorber de grosses quantité d'eau. De plus, en raison de leur structure cristalline, les argiles ont tendance à être couvertes de charges électrostatiques, surtout négatives, et donc d'absorber toute sorte d'éléments nutritifs et de matières organiques. Notons qu'il y a des types d'argiles très différents et que ces propriétés ne sont pas valables pour toutes.

Le sol retiens les éléments nutritifs de 3 façons :

  • Par charge électrique. Les ions positifs de la plupart des nutriments sont retenus par les sols généralement chargés négativement, mais pas les ions positifs, comme le nitrate. 
  • Sous forme d'atomes constituant les matières organiques (N, S et un peu P), qui seront libérés par la biodégradation.
  • Les minéraux constituant le sol (mais pas N) sont abondants mais peu solubles.

Comment les sels s'accumulent-ils dans le sol ? En plus de l'origine maritime liée à la montée des eaux et la baisse du niveau des nappes phréatiques trop pompées, deux raisons : 

  • De façon naturelle : si l'évapotranspiration de l'eau (via les plantes ou directement du sol) est supérieure à la pluviométrie, les excès de sels ne peuvent plus être drainés ou lessivés et donc s'accumulent.
  • De façon anthropique : l'irrigation apporte juste assez d'eau pour les plantes (eau qui sera évapotranspirée), mais pas assez pour lessiver les sels apportés avec cette même eau.

Ah, et les haies comme coupe-vent : l'intérêt, ce n'est pas que d'éviter le vent lui-même, mais toute l'évapotranspiration qu'il cause. L'eau consommée par les haies est plus que compensée par ce rôle protecteur.

Certaines plantes adaptées à des milieux humides ont une belle astuce pour éviter l'asphyxie racinaire, comme les roseaux, les carex ou le riz : il y a à l'intérieur de leurs racines un tissu creux qui sert à faire circuler l'air.

lundi 20 novembre 2023

La biodiversité amie du verger - Evelyne Leterme

Clairement une référence. De Evelyne Leterme, j'avais déjà lu son livre sur la greffe, celui sur la taille, et surtout le superbe pavé sur les fruits retrouvés. Ici, on fait face à une sorte de synthèse de 35 ans d'expérience, presque un mémoire. C'est très large sans aller trop loin dans la technique, riche en informations, et les nombreuses photos présentes ont le bon goût d'être utiles au propos. Mes quelques notes ne sont qu'un aperçu, on est vraiment face à un livre dense.

Le constat est à nouveau dressé : le mouvement d'uniformisation des surfaces agricoles, qui a vu disparaitre nombre d'arbres et de haies, a eu des conséquences négatives, notamment sur l'érosion. Evelyne Leterme remonte un peu le temps, évoquant la domestication progressive des espèces fruitières au fil des millénaires, l’augmentation du calibre et de la qualité des fruits, sans compter leur adaptation à de nouvelles régions, et dresse un portrait des nombreuses pratiques qui voyaient les arbres cohabiter avec les cultures céréalières, potagères et viticoles. Les arbres drainaient l'eau trop abondante en saison humide, favorisaient la remontée de l'eau en saison sèche en décompactant le sol, assuraient une abondance de matière organique, protégeaient du vent ou du soleil et offraient des récoltes supplémentaires, sans compter du bois d’œuvre ou de chauffe.

On pense aux vergers multi-étagés : vignes, fruitiers, céréales et légumes pouvant cohabiter, du moins à une échelle non industrialisée. En Espagne, c'est la huerta, qui voit les vergers d'olivier associés aux cultures potagères variées, et en Italie la coltura promiscua, où sur les coteaux escarpé cohabitent diverses strates pour optimiser l'espace et limiter l'érosion à l'aide des racines des fruitiers.

La vigne, notamment, a souvent été cultivée en lien avec les arbres, parfois à la façon d'une haute et étroite haie accrochée à des arbres en rang, à l'époque où elle n'était pas encore menacée par la plupart des maladies modernes qui l'affligent. Les traitements chimiques contribuent à renforcer les monocultures, dont celles de la vigne, car le traitement adapté à une espèce est souvent néfaste à une autre.

Evelyne Leterme s'attache beaucoup à la haie fruitière, jusqu'à peut-être aller un peu loin dans une rationalisation arbitraire : un fruitier, 5 arbustes d'une même espèce rabattus, un fruitier, 5 arbustes d'une autre espèce, etc. Je retiens cependant ce rythme global de la haie fruitière traditionnelle, que j'espère bien pouvoir mettre en pratique dès que nous aurons pu nous débarrasser de notre horrible et énorme haie de cyprès. On y retrouve une production fruitière et une véritable fonction de haie, mais c'est sûr qu'il vaut mieux rabattre régulièrement la strate arbustive pour que l'air et la lumière puissent continuer à circuler. Il y a moyen d'adapter le système pour garder une partie de la strate arbustive pleinement productive avec grenadiers, noisetiers, amélanchiers, etc. Les haies contribuent à maintenir une très forte diversité de faune où les ravageurs ont tendance à être naturellement limités par la présence de leurs prédateurs. Il convient donc de créer sa haie en songeant à la diversité des ressources (abri, nourriture, fleurs, pollen...) qu'elle offre à la faune. Il faut différent types de feuilles, de bois, de fleurs, de fruits... En même temps, il ne faut pas idéaliser ces systèmes, certains ravageurs auront toujours des pics d'activité.

On le sait, mais Evelyne Leterme le rappelle : la diversité variétale est importante pour éviter la consanguinité et permettre l'adaptation des espèce fruitières à un avenir incertain. Par exemple, sur 500 variétés commerciales de pommiers, la majorité est issue de seulement 10 variétés, notamment la Golden qui a une part démesurée dans la génétique des pommes commerciales. Ah, et ne pas oublier, pour notre terrain très argileux : l'importance des risques d’asphyxie racinaire, facteur trop souvent négligé car hors de portée des yeux.

La biodiversité amie du verger - Evelyne Leterme