Affichage des articles dont le libellé est Zweig Stefan. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Zweig Stefan. Afficher tous les articles

lundi 31 juillet 2023

La Confusion des sentiments - Stefan Zweig

La Confusion des sentiments - Stefan Zweig

Un autre roman court de Stefan Zweig, particulièrement excellent ; le concept est simple et brillamment exécuté. Notre narrateur, jeune étudiant dissipé, fait la rencontre d'un professeur qui le fascine et il se laisse prendre sous son aile. Cependant, ce prof est homosexuel. Ce n'est jamais dit clairement pendant la majorité du récit, mais bien entendu, le lecteur comprend très rapidement, à l'inverse de notre narrateur, tout benêt, complètement neuneu. Innocenté par sa jeunesse et sa sincérité, il se laisse emporter par les élans et les marrées de cette relation qu'il ne comprend pas, étranger qu'il est à ses propres émotions, sentiments et désirs.

Bien entendu l'écriture de Zweig fait des merveilles, mais plus profondément, il façonne une véritable tension qui naît et se déploie au fil du récit. C'est en partie une tension connue, classique, celle de la relation amoureuse frustrée, à priori impossible. Au début, on s'amuse de notre narrateur, et on rigole devant certaines phrases qu'on peut interpréter sexuellement (bon ça ce n'est peut-être que moi). Puis les enjeux grimpent, on prend plus au sérieux la situation tragique de l'homosexuel coincé dans une société où il est impossible de vivre ouvertement l'homosexualité, jusqu'à un final brillant qui parvient à tout expliciter en quelques pages sombres et saillantes. Je suppose qu'en 1927, c'était d'autant plus édifiant, mais même aujourd'hui, La Confusion des sentiments n'a aucunement à rougir du portrait qui y est dressé de l'homosexualité et de sa répression — répression venue de l'extérieur comme de l'intérieur.

samedi 2 septembre 2017

La pitié dangereuse - Stefan Zweig


La pitié dangereuse - Stefan Zweig

Dans une ville de province, un jeune officier se met soudain à fréquenter le château d'une famille riche. Là, il fait connaissance d’Edith, une jeune femme de 17 ans. Mais Edith a les jambes paralysées, et le narrateur l'ignore : il commet une gaffe en l'invitant à danser et la plonge en larmes. Suite à cette gaffe, il se prend de pitié pour Edith, et elle se prendra d'amour pour lui, amour sans espoir.

Ce qui impressionne, c'est à quel point Zweig parvient à imprégner tout son roman du thème qui lui donne son titre. La pitié du narrateur et ses conséquences désastreuses est la plus évidente, certes. Mais la majorité des personnages se comportent de la même façon, à des échelles variées. Il laissent leur pitié influer de façon considérable leur existence, le plus souvent en encourageant les illusions d'autrui. Et plus dure sera la chute. La fluidité et l'intelligence de l'écriture de Zweig ne sont plus une surprise, mais l'évocation de l'ennuyeuse vie de caserne du narrateur est particulièrement marquante, d'autant plus que c'est cette vie qui explique sa fascination pour le cadre raffiné, aisé et féminin qu'il trouve chez Edith et son père. Pourtant, Zweig est plus habitué des histoires coutres, et on a parfois l'impression que dans La pitié dangereuse les choses s'étirent un peu trop. On se surprend à se lasser des faiblesses du narrateur, du chantage au suicide de cette peste d'Edith, et de voir venir de très, très loin, l’inévitable fin dramatique. Rien cependant qui puisse empêcher de s'embarquer avec Zweig dans cette brillante analyse du sentiment qu'est la pitié. Et les dernières pages offrent un changement de ton rafraîchissant, quand le narrateur, après avoir connu la Grande Guerre et ses horreurs, se retrouve porteur d'une nouvelle et triste maturité.

348 pages, 1939, Grasset

jeudi 23 février 2017

Amok / Angoisses - Stephan Zweig


Zweig amokstephan zweig angoisses


Deux nouvelles de Zweig qui se distinguent par leur remarquable sens du suspense.

Amok nous emmène aux Indes, et avec un tel personnage principal, médecin croupissant dans un avant-poste isolé, on se croirait presque chez Conrad. Voilà qu'un beau jour il est visité par une femme qui cherche à avorter. Il est frappé par l'amok : une folie furieuse qui va le faire courir après cette femme comme un possédé. Il est sensible à la force de cette inconnue, à sa fierté, sa froideur métallique. Angoisses est aussi le parcours de quelqu'un qui court droit dans le mur : une femme mariée, de la bonne société, qui après une petite aventure se retrouve victime d'une maitre-chanteuse. Cette nouvelle est presque difficile à lire tant elle est chargée de tension : on assiste au ralenti à un naufrage, on a envie de hurler des conseils au protagoniste pour l'aider, mais rien n'y fait. Dans ces deux récits Zweig impressionne par son talent romanesque. Il y a la construction habile et la maitrise du suspense, mais aussi la force de ces personnages aux prises avec un univers qui n'a que faire de leurs besoins réels. Un médecin coincé dans un coin morbide, une femme qui cherche à avorter avant le retour de son mari, une autre qui tente de protéger son confort de bourgeoise... Ces deux personnages féminins sont poussés jusqu'à la mort par une morale publique implacable pour avoir osé être un peu libérés, ne serait-ce qu'un instant. Et dans les deux cas les hommes, bien qu'emplis d'une certaine bienveillance, s'y prennent comme des pieds pour leur venir en aide.

Remarquons que Folio, pour profiter autant que possible du filon Zweig en vendant ses nouvelles à l'unité, parvient presque à doubler le volume de ces éditions en ajoutant préface, chronologie et bibliographie.

Amok, 100 pages, 1922, folio
Angoisses, 108 pages, 1913, folio

samedi 9 juillet 2016

Le monde d'hier - Stefan Zweig


Le monde d'hier - Stefan Zweig

Le monde d'hier est une autobiographie. Mais Zweig ne parle guère de sa vie personnelle. On se saura rien de sa vie de famille, ni de son éducation amoureuse. Zweig se concentre sur le monde qui l'entoure. Même quand il évoque son enfance, ce n'est pas tant pour détailler sa vie que pour analyser l'assurance de l'Europe avant la guerre, un système éducatif aussi rigide qu'hypocrite ou encore le puissant tabou entourant tout ce qui touche à la sexualité. Puis Zweig grandit, voyage, devient un écrivain reconnu, s'engage pour l'unité de l'Europe. Quand il parle de ses amitiés, il est très marquant de constater à quel point le monde de l'art semblait petit à cette époque, du moins pour qui peut se permettre de naviguer entre les capitales. Rilke, Hofmannsthal, Rodin, Valery, Freud, Romain Rolland, Wells, Joyce... Certains étaient juste des rencontres, d'autre des amis de longue date. Et Zweig enchaine ainsi les portraits. Que dire, sinon que c'est passionnant ? Et au-delà du climat intellectuel, c'est l'état de toute l'Europe qui est décrit. La Grande Guerre, le chaos économique de l'inflation, la montée du national-socialisme... Et Zweig, pacifiste convaincu, chassé de son Autriche natale, désespère. On sent venir son suicide. Pour dire les choses simplement, Le monde d'hier est une merveille. D'un point de vue littéraire, c'est brillant. J'avais presque envie de pleurer vers la fin tant Zweig parvient avec tact à transmettre sa peine d'exilé, sa souffrance à voir le monde sombrer dans la violence. Et d'un point de vue documentaire, c'est tout aussi brillant. J'ai l'impression d'avoir doublé ma compréhension du vingtième siècle à la lecture de ce livre. Impression certainement illusoire, mais qui en dit beaucoup sur l’efficacité d'un tel mélange de talent littéraire et d'analyse historique.

506 pages, le livre de poche

mercredi 15 juin 2016

Vingt-quatre heures de la vie d'une femme - Stefan Zweig


Vingt-quatre heures de la vie d'une femme - Stefan Zweig

Une nouvelle sur les passions amoureuses, subites et inattendues, qui peuvent d'un coup bouleverser des vies bien rangées. Une femme aisée de la bonne société, un sens de l'honneur très développé, un incontestable goût pour la vertu... Et soudainement arrive le jeune homme le plus charmant qui soit, venant réveiller en ces femmes la puissance vitale depuis longtemps, non, depuis toujours muselée et endormie. Le narrateur, qui rapporte ces histoires, se garde bien de tout jugement, contrairement aux couples mariés dont la réaction à de tels événements est assez délicieusement décrite : « Les deux couples d'époux (...) refusèrent avec un mépris véritablement offensant d'admettre l'existence du coup de foudre, où ils ne voyaient qu’une folie et une fade imagination romanesque. » Et encore : « Malgré eux, les deux maris prétendirent que leurs propres femmes échappaient à la possibilité de tels risques et de telles chutes. » Stefan Zweig est vraiment une mine pour les éditeurs : plein de nouvelles dans le domaine public, assez populaires pour se vendre à des centaines de milliers d'exemplaires, à publier dans une multitude de petits volumes indépendants. Mais il faut reconnaitre que cette mine, malgré sa surexploitation, m'a l'air très authentique. Ce n'est pas du toc.

Seuls peut-être des gens absolument étrangers à la passion connaissent, en des moments tout à fait exceptionnels, ces explosions soudaines d'une passion semblable à une avalanche ou à un ouragan : alors, des années entières de forces non utilisées se précipitent et roulent dans les profondeurs d'une poitrine humaine. Jamais auparavant (et jamais par la suite) je n'éprouvai une telle surprise et une telle fureur d'impuissance qu'en cette seconde où, prête à toutes les extravagances (prête à jeter d'un seul coup dans l'abîme toutes les réserves d'une vie bien administrée, toutes les énergies contenues et accumulées jusqu'alors), je rencontrai soudain devant moi un mur d'absurdité, contre lequel ma passion venait inutilement buter.

125 pages, 1927, le livre de poche

mardi 14 juin 2016

Clarissa - Stephan Zweig

Clarissa - Stephan Zweig

Je n'ai appris qu'après l'avoir terminé que Clarissa est un roman inachevé, retrouvé en 1981. Ce n'est pas très honnête de la part des éditeurs d'oublier d'indiquer ce détail sur la quatrième de couverture, ou même quelque part à l'intérieur du livre. Surtout que cela se ressent fortement. L'histoire de Clarissa et de son siècle commence de façon intéressante, et Zweig m'a particulièrement impressionné par la petite galerie de personnages qu'il fait interagir avec Clarissa. C'est presque comme si Clarissa n'était qu'un support pour nous permettre de les découvrir. Son père, notamment, est assez fascinant. Militaire obsédé par les chiffres et les statistiques, il devient timide et maladroit quand il s'agit des rapports humains. On sent toute sa bonne volonté se heurter à sa nature sobre et rigide. La toile de fond est celle des misères de l'Europe avant et pendant la première guerre mondiale, et là aussi Zweig assure. La guerre du point de vue d'une jeune femme, puis d'une jeune mère, avec différentes opinions sur la situation de la part des personnages secondaires. Le thème de maternité solitaire, de l'enfant sans père, est au cœur du roman, mais comme pour le reste, on se heurte à un mur inévitable : c'est un livre inachevé. Ainsi, à la fin, on a vraiment l'impression de lire un résumé. Les années défilent à une vitesse folle, et comme la vie de Clarissa, il faut bien le dire, n'est pas des plus passionnantes, cela crée un effet étrange. C'est comme si l'auteur avait perdu espoir en son personnage, se disant « pfff, quelle vie chiante a cette Clarissa, allez, on va en finir rapidement. » Et du coup, c'est un peu déprimant. Pas vraiment un livre à livre quand on n'est pas déjà un amateur affirmé de Zweig. Et s'il vous plait, chers éditeurs, quand un roman est incomplet, précisez-le.

188 pages, le livre de poche

samedi 11 juin 2016

Le joueur d'échecs - Stefan Zweig


Le joueur d'échecs - Stefan Zweig

C'est la première fois que je lis Stefan Zweig, et je dois dire que je suis plus que convaincu. Le joueur d'échecs a vraiment le potentiel de plaire à tout le monde. C'est une histoire d'échecs, bien sur, et, ça tombe bien, j'aime les échecs. Par contre, pas besoin de maitriser ce jeu pour apprécier le récit. Après tout, c'est l'histoire de deux champions et de leur duel. Le narrateur et ses compagnons, amateurs éclairés, sont eux-même un peu largués par le génie des deux hommes. L'un d'eux, le champion du monde, est un imbécile pour tout sauf pour le jeu. Antipathique, mais plus que brillant une fois face à une plateau de soixante-quatre cases. L'autre est au premier abord plus mystérieux, avant qu'il ne conte son histoire. Pendant la guerre, retenu par les SS en isolement total, il était sur le point de perdre la raison, par privation sensorielle. (Parenthèse : sur le thème de la privation sensorielle, je ne peux oublier une scène du Cardinal du Kremlin de Tom Clancy, lu quand j’étais gamin, où ce procédé est utilisé de façon bien plus extrême pendant la guerre froide. Cette scène semble presque une suite logique du Joueur d'échecs.) Mais, miracle, le prisonnier met la main sur un petit livre recensant 150 parties de maitres d'échecs. Et pendant des mois, c'est tout ce qu'il a pour s'occuper l'esprit. On imagine la suite.

C'est une histoire d'échecs, donc. Mais aussi un récit à suspense, un récit de duel acharné, un récit de guerre, et, peut-être l'aspect le plus important, à mes yeux en tout cas, un sombre récit psychologique à la Edgar Poe, explorant avec une habilité remarquable les frontières de la folie. Les deux hommes, chacun à sa façon particulière, sont obsédés par le jeu. L'un s'y livre entièrement avec une froide détermination, l'autre cherche à l'esquiver comme un addict craignant sa propre faiblesse. Brillant.

95 pages, 1943, le livre de poche