C'est à peu près ce que décrit le sous-titre : Christopher Knight, à 20 ans, est parti sans vraiment de préparation habiter dans une forêt, à simplement quelques minutes d'un lac entouré par des bungalows et fréquenté par des randonneurs. Pendant 27 ans, il est resté planqué grâce à l'emplacement discret de son campement. Il se nourrit et se procure du matériel en dévalisant les maisons saisonnières qui font le tour du lac et le camp de vacance local. Il a une vraie éthique de voleur : ne prend que le nécessaire, ne force pas les portes violemment... Mais du coup, pendant des décennies, il devient une sorte de mythe, et certains des habitants de sentent privés de leur paix d'esprit. Et, détail fascinant : une fois Knight enfin attrapé et la vérité révélée, la majorité des habitants refuse d'y croire. Il semble que ce qui sort de leur système de croyance ne puisse exister.
L'auteur alterne entre des passages purement narratifs, très engageants, d'autres où il se met en scène pendant son enquête, et d'autres encore où il disserte sur la solitude et les ermites. La fin, qui évoque les difficultés de Knight à se réadapter à la réalité sociale, est touchante. L'aspect qui est certainement le plus fou, c'est façon dont Knight passe les hivers rigoureux du Maine, quand tout est enneigé et que la température fait régulièrement -20 et parfois -28. Il reste des mois entiers dans son campement, à endurer le froid, restant éveillé aux heures les plus froides de la nuit pour ne pas mourir d'hypothermie.
Élément important, sur lequel l'auteur ne se concentre à mon avis pas assez, c'est la dépendance de cet ermite à la culture humaine, c'est à dire à la communication qui ne soit pas directement interpersonnelle. Knight développe des goûts littéraires précis, il adore Dostoïevski et « lorsqu'il était à court de papier toilette, il déchirait parfois des pages des romans de John Grisham. » Il joue à Pokemon sur des Game Boy volées. Il passe énormément de temps à écouter la radio. Il est fan de Lynyrd Skynyrd. Ainsi l'ermite n'est pas si séparé du monde : comment réconcilier cette solitude absolue et cet attrait vers la culture humaine ? Je me demande si la seule option pour s'en défaire, c'est la foi religieuse ou mystique, trait caractéristique de nombreux ermites, mais pas de Knight.
L'une des raisons pour lesquelles il n'existe pratiquement plus de fidèles chrétiens solitaires – et il n'y en a plus depuis le début du XVIIIe siècle –, c'est leur crainte des autorités ecclésiastiques. Les ermites étaient des penseurs échappant à tout contrôle, qui réfléchissaient à la vie, à la mort et à Dieu. Quant à l'église, avec ses rituels solidement enracinés et ses méthodes d'enseignement misant sur la mémorisation systématique, elle n'approuvait pas les idées des ermites. Saint Thomas d'Aquin, prêtre italien du XIIIe siècle, affirmait que ces derniers pouvaient se montrer subversifs, rétifs à l’obéissance et à toute stabilité, qu'il valait mieux confiner de tels individus dans des monastères et les soumettre à des règlements et à des usages. (p.185)
270 pages, 2017, jc lattès
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