mercredi 21 novembre 2018

Le royaume - Emmanuel Carrère

Le royaume - Emmanuel Carrère


J'ai abandonné au bout de 400 pages sur 600. Au début, j'ai beaucoup aimé. Emmanuel Carrère évoque son rapport ambigu à la religion chrétienne, et cette petite plongée dans ses doutes quotidiens, sur fond de son métier d'écrivain, est plaisante. Il a eu une période chrétienne, plus tôt dans sa vie. C'est à mes yeux un mystère : comment peut-on être athée, avoir une révélation, quelques années de bigotisme aiguë, pour au final redevenir calmement agnostique ? Ça tombe bien, c'est un mystère aussi pour l'auteur. Mais, vraiment, je m’interroge : face aux retournements et chamboulements internes de Carrère, j'ai l'impression que mon esprit fonctionne très différemment, que je suis incapable d'une telle mobilité, que ma personnalité est bien plus stable, seulement sujette à une complexification progressive, à l'ajout successif de nuances plutôt qu'à de brusques retournements.

J'aime aussi sa position de curiosité vis à vis de la religion, notamment quand il se demande si c'est une bonne idée d'aller dans une croisière chrétienne dans une optique anthropologique. Je m'y reconnais : moi-même, totalement athée, j'adore aller farfouiller dans des monastères, découvrir cette foi qui me semble si étrange, et je suis même aller me fourrer au mont Athos, dans la république monastique du même nom. Il passe ensuite le reste de son récit à recréer l'époque proto-chrétienne, en s'intéressant particulièrement à la figure de Paul, qui par sa conversion brutale est un peu son alter-égo. Et c'est prenant, cette approche d'un écrivain qui entreprend de recréer l'histoire avec fidélité, certes, mais sans renier le goût de la fiction, en assumant parfois de combler les trous. Et, vraiment, c'est instructif, j'ai l'impression d'en ressortir avec une image bien plus claire de ce bassin méditerranéen d'il y a un peu moins de 2000 ans. Dommage qu'à la longue, la structure devienne plus confuse, la chronologie plus floue, et que l'ensemble finisse par sembler inutilement démesuré, entaché par les intrusions de plus en plus lourdes de l'auteur, notamment ces longues pages où il retranscrit un échange avec sa femme à propos d'une vidéo porno. 300 pages excellentes, mais un profond sentiment de lassitude par la suite.

Habitués que nous sommes aux religions récentes que le christianisme et l'islam, nous pensons qu'il fait partie de la nature d'une religion, que c'est même sa raison d'être, de promettre à ses adeptes une vie après la mort, et s'ils se sont bien conduits une vie meilleure. Or c'est faux, aussi faux que de penser qu'une religion est par nature prosélyte. Grecs et Romains croyaient les dieux immortels, pas les hommes. « Je n'existais pas. J'ai existé. Je n'existe plus. Quelle importance ? », lit-on sur ne tombe romaine. Ce qui leur tenait lieu d'au-delà, et qu'ils appelaient les Enfers, les Anciens se le représentaient comme un lieu souterrain où les ombres des hommes trainent une sorte de semi-vie, ralentie, comateuse, larvaire, à peine conscience d'elle-même. Ce n'était pas un châtiment d'écher là, c'était la condition commune des morts. (p.229)
Les lieu de culte dans le monde gréco-romain étaient de petites entreprises privées le temple d'Isis d'une ville n'avait pas plus de rapport avec le temple d'Isis d'une autre que n'en ont, mettons, deux boulangeries. Un étranger pouvait en dédier un à une divinité de son pays comme il ouvrirait, aujourd'hui, un restaurant de spécialités exotiques. Le public tranchait en y allant ou non. Si un concurrent survenait, ce qui pouvait arriver de pire est qu'il détourne la clientèle - comme on reprochait à Paul de le faire. Les juifs, sur ces questions, étaient déjà moins décontractés, mais ce sont les chrétiens qui ont inventé la centralisation religieuse, avec sa hiérarchie, son Crédo valable pour tout le monde, ses sanctions pour qui s'en écarte. (p.190)

600 pages, 2014, folio

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