Dans ce court essai, Jung propose un point d'entrée dans sa pensée relativement grand public. Et c'est tout à fait passionnant. Dans sa vision de l'inconscient, il affirme clairement qu'il n'y a pas de règles générales d'interprétation : chaque esprit étant unique, il faut adapter son questionnement à chaque esprit.
D'abord, pour accepter l'importance de l'inconscient, il faut sortir de l'illusion de la conscience totale :
Notre perception de la réalité comporte des aspects inconscients. D'abord, même lorsque nos sens réagissent à des phénomènes réels, à des sensations visuelles ou auditives, ils ont été transposés du domaine de la réalité dans celui de l'esprit. Et dans notre esprit, ils deviennent des réalités psychiques, dont la nature ultime n'est pas connaissable (car la psyché ne peut pas connaitre sa propre substance). (p.32)Ainsi, si les rêves forment une porte d'entrée idéale dans l'inconscient, Jung se méfie de la technique d'interprétation libre des rêves de Freud qui, selon lui, éloigne trop de la réalité psychique si difficile à saisir : « Seulement les images et les idées qui font manifestement partie du rêve doivent être utilisées pour son interprétation. Le rêve porte en lui-même ses limites. » (p.45)
Ces quelques mots sur le rôle des rêves me semblent peut-être les plus importants de tout le livre :
La fonction générale des rêves est d'essayer de rétablir notre équilibre psychologique à l'aide d'un matériel onirique qui, d'une façon subtile, reconstitue l'équilibre total de notre psychisme tout entier. C'est ce que j'appelle la fonction complémentaire (ou compensatrice) des rêves dans notre constitution psychique. (p.75)De façon amusante, j'ai pu faire l'expérience de cette vision des rêves très récemment. Depuis plusieurs mois, je refoulais la nécessité d'aller voir ma dentiste. Puis je fais un rêve où il m'arrive des trucs pas très sympas au niveau des dents. Deux jours plus tard, je prends rendez-vous.
Jung accorde beaucoup de valeurs aux symboles et archétypes qui, selon lui, sont inhérents à l'être humain, et il le justifie plutôt bien :
Tout comme le corps humain est une collection complète d'organes dont chacun est l'aboutissement d'une longue évolution historique, de même devons-nous nous attendre à trouver dans l'esprit une organisation analogue. Pas plus que le corps, il ne saurait être un produit sans histoire. Et par « histoire », je ne veux pas parler de celle que l'esprit construit en se référant consciemment au passé par le moyen du langage et d'autres traditions culturelles. Je veux parler du développement biologique, préhistorique et inconscient, de l'esprit dans l'homme archaïque, dont la psyché était encore proche de celle de l'animal. (p.116)Sur la même idée :
L'idée d'une plante ou d'un animal qui s'inventeraient eux-mêmes nous ferait rire. Pourtant beaucoup de gens croient que la psyché, ou l'esprit, se sont inventés eux-mêmes et furent ainsi leur propre créateur. En fait, l'esprit a atteint son stade actuel de conscience comme le gland se transforme en chêne, comme les sauriens se sont transformés en mammifères. De même qu'il s'est développé pendant fort longtemps, il continue encore, en sorte que nous sommes poussés par des forces intérieures aussi bien que par des stimuli extérieurs. (p.140)Ainsi, Jung pense « qu'en général, l'on a d'abord agi, et que c'est bien plus tard que quelqu'un s'est préoccupé de savoir pourquoi. » (p.130)
Ce qui est valable pour l'individu peut s’appliquer aussi aux groupes :
Nous considérons les complexes personnels comme une compensation d'attitudes naissant d'une conscience unilatérale et pervertie. De même, les mythes de caractère religieux peuvent être interprétés comme une sorte de thérapeutique mentale dirigée contre les souffrances et les sujets d'inquiétude qui affligent l'humanité : la faim, la guerre la maladie, la mort. (p.135)Or, à l'époque moderne, l'homme occidental est privé de cette « thérapeutique mentale ». Il se persuade qu'il n'en a plus besoin, mais est-ce bien vrai ? C'est pour Jung un point capital :
L'homme moderne ne comprend pas à quel point son « rationalisme » (qui a détruit sa faculté de réagir à des symboles et à des idées lumineux) l'a mis à la merci de ce monde psychique souterrain. Il s'est libéré de la « superstition » (du moins il le croit) mais ce faisant, il a perdu ses valeurs spirituelles à un degré alarmant. Ses traditions morales et spirituelles se sont désintégrées, et il paie cet effondrement d'un désarroi et d'une dissociation qui sévissent dans le monde entier. (p.161)Et pour conclure, sur le mythe d'un futur idéal, que ce mythe soit religieux (paradis, paix intérieure par la communion avec Dieu), politique (abolition communiste de l'Histoire, paix universelle grâce au libre échange) ou technologiste (immortalité physique et virtuelle) :
La vie est un champ de bataille. Elle l'a toujours été et le restera toujours. S'il n'en était pas ainsi, la vie s'interromprait. (p.148)
180 pages, 1964, folio
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