Plus jeune, enthousiasmé par Le meilleur des mondes, j'étais tombé en librairie sur ce petit livre. J'ai cru que c'était un roman, et la quatrième de couverture est habillement ambiguë sur le sujet. La suite est facile à prévoir : déçu, m'attendant à totalement autre chose, je n'ai lu quelques pages avant de le poser dans un coin où il est resté pendant des années.
En fait, cet essai de 1958 examine la propagande et la manipulation des masses comme des individus par les structures de pouvoir. Chose étrange, Huxley donne dès les premières pages l'impression de ne même pas avoir relu son roman original avant de prendre sa plume (« J'ai oublié la date exacte des événements rapportés dans ma fable... »), ce qui ne l’empêche pas de le citer plus tard. Enfin, pourquoi pas. Il est fort intéressant de lire les inquiétudes d'Huxley concernant l'avenir. Une bonne partie de son argumentation tient compte de la surpopulation à venir, les difficultés qu'elle entrainerait encourageraient la montée des régimes totalitaire. Sans compter bien sur que les masses sont bien plus aisément manipulables que les individus, et qui dit surpopulation dit plus de masses. Huxley, contrairement à bien des auteurs de SF, est extremement septique quand à l'avenir spatial de l'humanité, qui permettrait de limiter la croissance démographique. A juste titre, comme l'histoire l'a démontré jusqu'à maintenant. Ses considérations sur la vie urbaine n'ont guère pris d'age :
La vie urbaine est anonyme et pour ainsi dire abstraite. Les êtres ont des rapports non pas en tant que personnalités totales, mais en tant que personnifications de structures économiques ou, quand il ne sont pas au travail, d'irresponsables à la recherche de distraction. Soumis à ce genre de vie, l'individu tend à se sentir seul et insignifiant ; son existence cesse d'avoir le moindre sens, la moindre importance.On croirait lire Houellebecq. Pour Huxley, l'homme n'est un animal que « modérément grégaire », et il s'inquiète des excès d'organisation qui tendent à aller contre cette nature. Il se souvient quand, pendant son enfance, les hommes portaient des haut-de-formes et prenaient des trains, regardant de haut les violences et les misères du monde, pour quelques années plus tard subir et commettre des atrocités lors de la Grande Guerre. Ainsi l'idée de progrès est bien légère, et ce genre de chose arrivera à nouveau. Pour Huxley, la propagande n'est ni bonne ni mauvaise : il y a la rationnelle et l’irrationnelle. Il décrit longuement les méthodes de propagande en démocratie, qui se mêlent intimement avec le marketing, et en dictature, qui peuvent prendre des formes bien plus radicales. Les exemples ne manquent pas et me font voir avec une nouvelle lumière la longue séance de torture de 1984, aussi bien du coté des techniques de torture et de suggestion mentale que du celui du pouvoir autoritaire et de sa recherche de l'uniformité. Cette exploration de la suggestibilité humaine est assez captivante. Huxley s'inspire par exemple de l’hypnose et des placebos pour démontrer la vulnérabilité de l'esprit aux illusions, et se demande quel impact cette suggestibilité a sur les notions de liberté et démocratie.
Quand il en vient aux pistes à explorer pour le futur, Huxley se montre d'un environnementalisme qui, s'il avait été appliqué à l'époque, nous arrangerait bien aujourd'hui :
Que faire ? De toute évidence, diminuer le plus vite possible la natalité jusqu'à un point où elle n'excède pas la mortalité. En même temps, il nous faut augmenter le plus vite possible la production de denrées alimentaires, instituer et mettre à exécution un plan mondial pour la conservation des sols et des forêts, créer pour nos combustibles actuels des produits de remplacement, si possible moins dangereux et moins vite épuisés que l’uranium...Huxley conseille aussi la décentralisation des pouvoirs : la démocratie ayant montré ses limites avec le régime nazi, il part du principe que de petits groupes autonomes sont bien moins vulnérables à la « dictature par référendum ». Huxley consacre également de longs passages à l'hypnopédie et à la suggestion subliminale, qui l'inquiétaient beaucoup. Il voyait par exemple les politiciens du futur s'en servir massivement. Que ses hypothèses se révèlent pertinentes aujourd'hui ou non, ce petit Retour au meilleur des mondes n'en est pas moins captivant. A lire pour qui s'intéresse à la manipulation des esprits.
154 pages, 1958, pocket
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