mardi 21 février 2017

La fabrique d'absolu - Karel Čapek



La traduction par Jean Danès de La fabrique d'absolu n'est, je crois, pas très récente. Il me semble que traducteurs ne se permettent plus ce genre de chose depuis un moment : « Souhaitant éviter de décourager les lecteurs français, le traducteur a francisé le nom des personnages et a adapté le cadre du début en le transportant à Paris, "pensant que Capek aurait agi ainsi s'il s'était adressé directement au public français".» Mouais. Déjà, c'est prendre les lecteurs pour des imbéciles en partant du principe qu'ils seraient déstabilisés par un roman ne se passant pas en France. Ensuite, cela introduit le doute en permanence. On se demande régulièrement si ce que l'on lit a un quelconque rapport avec l’œuvre originale. Enfin, passons.

Les fabriques d'absolu, ce sont de nouveaux types de réacteurs qui ont la capacité d’annihiler l'intégralité de la matière. Conséquence : ils libèrent ainsi l’essence divine contenue dans toute chose. Et cette essence divine, cet Absolu, n'a pas l'intention de rester inactif. L'Absolu, c'est Dieu en version gazeuse. Les effets se font rapidement sentir : conversions en masse, illuminations, miracles... On pourrait penser que le monde n'est pas prêt pour une telle technologie, mais l'industriel Bondy est au-delà de ce genre de détail. Ce qu'il voit, ce sont des réacteurs extrêmement performants, et donc des bénéfices renversants. Les réacteurs envahissent donc le monde, et l'Absolu avec lui.

C'est l'occasion pour le futur auteur de La guerre des salamandres de multiplier les situations croustillantes :
Oui, j'ai essayé toues sortes d'isolants imaginables pour empêcher l'Absolu de sortir de la cave : les cendres, le sable, les blindages d'acier, rien n'est efficace. J'ai essayé d'entourer toute la cave avec les œuvres complètes d'Auguste Comte, de Spencer, d'Haeckel, et de toutes sortes de positivistes. Pense donc que l’Absolu traverse même cela !
Alors que Dieu envahit le monde, la société humaine tremble sur ses fondations et Capek déploie tout son talent humoristique et satirique. Les religieux eux-mêmes ne sont guère enchantés de la venue d'un Dieu un peu trop réel, bien plus encombrant et difficile à gérer que celui, plus passif, dont ils avaient l'habitude. Petit à petit les hommes sombrent dans la fièvre de la piété, et si pendant un moment on peut imaginer un monde uni dans la bonté, la réalité se révèle toute autre :
– Je le dis pour la deuxième fois : décampez, ou bien, au nom du Seigneur, je démolis votre baraque.
– Et vous, dit Jean Binder, rentrez chez vous, ou bien, au nom du Seigneur, je vous casse la figure.
Eh oui ! Chacun s’approprie un petit morceau de la divinité et est persuadé de l'avoir toute entière. Dans la seconde partie du roman, c'est la guerre. La guerre totale. Capek a d'ailleurs un peu tendance à s'éparpiller. Si auparavant on restait vers Paris (donc Prague en version originale) avec quelques personnages récurrents, Capek passe ensuite à une échelle mondiale. Du coup, les chapitres n'ont que peu de liens entre eux et il est plus difficile de suivre et d’apprécier la situation. Malgré ce petit regret, La fabrique d'absolu n'est est pas moins une fable débordant d'intelligence et d'humour, une satire brillante des phénomènes religieux. Ceux-ci ayant tendance à ne guère changer au fil des époques, le roman de Capek possède une puissante dimension intemporelle.

222 pages, 1922, éditions ibolya virag

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