Isolation, ou Quarantine en VO, publié en 1992, est le premier vrai roman de hard SF de Greg Egan. Il met un certain temps à se développer. On plonge tout d'abord dans un futur cyberpunk relativement familier en compagnie d’un détective privé qui doit enquêter sur une disparition. À priori, banal et pas très palpitant. Heureusement, en attendant que la trame se déploie, l’univers relève l'intérêt. Déjà, un artéfact à priori alien isole le système solaire du reste de l'univers (R.C. Wilson reprendra l'idée dans Spin). Pourquoi ? Pour l'instant, mystère. Ensuite, des mods neuronaux permettent toutes sortes de contrôle du la psyché : être calme et rationnel quand on est un policier en service, s'endormir à volonté, combler le manque d'un être aimé décédé...
Au tiers du roman, notre narrateur se fait implanter de force un mod de loyauté : voilà que, soudain, un conglomérat d'entreprise qu'il ne connaissait pas jusque-là devient la chose la plus importante au monde pour lui, de façon la plus sincère possible. Qu'est-ce que la liberté dans un tel contexte ? Ce n'est pas le seul mod qui vient explorer le thème de l'auto-détermination, et cet aspect du roman m'a profondément enthousiasmé. Les modifications de la personnalité causées par les mods, volontaires ou subies, sont-elles fondamentalement différentes des évènement aléatoires, du mélange inné/acquis, qui fait de chacun ce qu'il est ? Greg Egan prend le temps d'explorer ce concept en profondeur, avec quelques vrais écarts philosophiques, et c'est peut-être ma partie favorite du récit.
Puis, vers la moitié du roman, on l'attendait et la voilà : paf, physique quantique. Cette fois, c'est plus simple que dans Shild's Ladder : si pas mal de détails sont restés un peu confus, j'ai aisément compris l'essentiel (mais qu'on me pardonne mes explications foireuses — je n'ai aucune base sérieuse sur ces sujets). En physique quantique, le principe d'incertitude indique qu'a un niveau fondamental, les particules n'ont pas d'état stable : différents états coexistent (que l'on exprime sous forme d'une fonction d'onde), et ce n'est que quand on les observe qu'elles se figent en un état unique. Greg Egan extrapole sur la base de ce principe et le rend valable avec les humains, qui, à un moment de leur évolution, auraient évolué la capacité de figer leur champ d'observation en un état unique ; la nature de l'univers ayant originellement été la coexistence d'une infinité d'états. Donc, en observant l'univers, les humains déciment une quantité hallucinante de potentialités, d'où l'intervention alien : ces "aliens" seraient des êtres qui existent dans la complexité totale des états parallèles, et donc il est naturel qu'ils cherchent à empêcher l’effondrement des réalités que provoquent par inadvertance les humains.
Wow ! Ce concept est captivant. Ensuite, la trame tourne autour de la prise de contrôle de ce champ des possibles, grâce à un mod basé sur le cerveau d'une personne qui sort de l'ordinaire : si le mod permet tout d'abord à celui qui le possède de sélectionner l'état d'un atome, notre narrateur se retrouve par la suite à pouvoir sélectionner n'importe quel état concernant n'importe quoi. C'est-à-dire que toute chose ayant une certaine probabilité d'arriver, aussi infime soit-elle, il lui est possible de sélectionner l'une des infinités de réalités parallèles où la chose désirée arrive, quitte à ce qu'une infinité de ses moi parallèles soient effacés une fois qu'il fait s’effondrer les potentialités vers le résultat souhaité.
En revanche, pas besoin d'avoir un prix Nobel de physique pour comprendre que c'est un peu gros, c'est-à-dire que l'auteur va tellement jusqu'au bout de son idée qu'on accepte plus de le suivre pour l'expérience de pensée que parce qu'on y croit narrativement. Ainsi, dans son dernier quart, le roman m'a poussé dans un certain détachement et sa fin a eu bien moins d’impact que les quelques grosses révélations qui essaiment le récit. Ceci dit, ça reste excellent, et j'aime le parallèle que Greg Egan fait entre sa physique quantique maison et le quotidien de chacun : si, pour nous, chaque décision est la mort d'une autre vie qui aurait pu être la nôtre, pour le narrateur de Quarantine, ce problème devient littéral.
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