J'ai du mal à comprendre pourquoi La cité des permutants (1994) semble être le roman le plus populaire de Greg Egan : je l'ai trouvé très, très inférieur à Isolation (1992) et à Schild's Ladder (2002). Il échoue sur les parties essentielles : la trame narrative et l'idée hard SF centrale.
Déjà, il y a quasiment pas d'enjeux. Pendant la moitié du roman, on suit des personnages qui font des expériences en réalité virtuelle sans comprendre où on va. Certes, l'univers est riche en bonnes idées, qui tournent pour la plupart autour de ces scans du cerveau qui permettent aux riches de continuer à vivre dans des mondes virtuels. Quelles sont les conséquences éthiques, morales et légales ? Comment s'occuper quand on est immortel dans le virtuel ? Comment vivre quand on peut littéralement choisir ce qu'on est, quand on peut modifier à volonté ses désirs et ses pulsions, quand on peut manipuler sa propre psyché comme un programmeur manipule un logiciel ? Et, plus loin dans le roman, comment porter sur ses épaules le poids de l'infini et les pouvoirs démiurgique d'un Dieu ? Bref, ce sont ces aspects-là du roman qui font qu'on s'accroche.
Les personnages sont pour la plupart antipathiques, la narration est à la fois trop vague, trop éparpillée et trop longue, mais le pire, c'est le concept central : non seulement il est gros comme une maison, mais surtout, Greg Egan ne s’embarrasse guère d'explications. En résumé, tout programme informatique qui serait "éteint" continuerait en fait à tourner quelque part dans la trame de l'univers, et donc, il suffirait de créer un monde virtuel pour que, comme par magie, il se mette à tourner dans la "poussière de l'univers" et profite de capacités computationnelles proches de l'infini. Dans l'absolu, pourquoi pas, mais Greg Egan ne parvient absolument pas à convaincre que ce qu'il raconte tient debout, ne serait-ce que dans les règles propres au roman. On a l'impression qu'il n'essaie même pas. Pareil pour le personnage qui porte le projet, censé avoir été réincarné 26 fois d'une façon franchement incompréhensible.
Le niveau est un peu relevé dans le dernier tiers, quand on explore enfin Permutation City, la ville virtuelle qui existe magiquement dans l'éther. Les créateurs se font dépasser par leur création : une espèce intelligente, née dans un univers de poche via des règles physiques et biologiques simulées. D'une façon qui encore une fois n'est absolument pas assez expliquée pour qu'on y croie, cette espèce, par la force de ses déductions logiques, refaçonne la nature du virtuel où vivent les humains. Vraiment, les grands concepts explorés dans La cité des permutants sont plus que bancals, et je ne crois pas que ce soit faute de comprendre la science sous-jacente — au contraire, il me semble que ces concepts sont bien moins solides et argumentés que ceux qu'explore Greg Egan dans les deux autres romans cités plus haut.
Le seul personnage sympathique et dont j'ai apprécié suivre les pérégrinations est Peer, assez riche pour se faire virtualiser mais trop pauvre pour jouir d'un haut niveau de vie dans le virtuel. Membre de l'auto-proclamée nation solipsiste, il explore toutes les possibilités du virtuel pour tenter d'y trouver une once de sens. De plus, faute d'argent, il ne peux pas se payer la puissance de calcul pour "tourner" à la même vitesse que les riches : son temps subjectif est donc 60 fois plus lent que celui du réel, contre 17 fois plus lent pour les élites. Puis, quand il s'embarque avec sa copine en passager clandestin dans Permutation City, il va expérimenter de nouveaux niveaux de solitude qu'il affrontera en s'imposant des passions arbitraires et aléatoires. Ça change des éplorations interminables des autres personnages.
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