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mardi 12 avril 2022

Vivre avec la terre III - Créer une microferme - Perrine & Charles Hervé-Gruyer

Vivre avec la terre III - Créer une microferme - Perrine & Charles Hervé-Gruyer

Troisième et dernier volume issu de l'expérience de la ferme du Bec-Hellouin, après le premier et le second. Je vais faire un bref résumé avant de conclure sur l'ensemble.

On commence avec un sujet particulièrement coriace et captivant : la reproduction des plantes, et comment bien la comprendre pour pouvoir faire ses propres graines. Le chapitre sur la production de semences est de la très bonne vulgarisation scientifique, et je ne vais pas en relever des passages ici, tant l'ensemble est déjà hautement condensé. C'est sans doute le passage le plus dense des trois tomes, tant il s'agit de saisir des notions précises de botanique et de génétique, et il faudra que je relise plusieurs fois ce chapitre en intégralité pour espérer me rentrer tout ça dans le crâne.

Notons simplement les avantages de la production locale traditionnelle de semences :

  • Avec le temps les variétés s'adaptent aux conditions spécifiques d'un lieu précis.
  • Les plantes cultivées ont (où plutôt avaient) l'occasion et le temps de coévoluer avec leurs bioagresseurs locaux.
  • Les variétés traditionnelles n'étaient pas sélectionnées pour nécessiter des engrais, mais pour être simplement fertilisées avec fumier et compost. 

En somme, moins de rendement mais plus de résilience. Or 75% de la diversité génétique des plantes a été perdue entre 1900 et 2000. La majorité des variétés a disparu. Aujourd'hui, l'uniformisation règne, et, pour les légumes, une majorité des graines utilisées sont des hybrides non reproductibles. De plus, les variétés modernes sont sélectionnées pour dépendre de conditions idéales qui nécessitent pesticides, herbicides, fertilisants, irrigation... Les auteurs ont pris conscience de leur totale dépendance aux producteurs de graines, et ont donc décidé de travailler à gagner plus d'autonomie, tout en soulignant que la production de certaines semences est très complexe. 

Quant aux pesticides, il semblerait qu'à cause de l'adaptabilité des ravageurs, leur efficacité ne soit pas si claire. Aux USA, l'usage de pesticides à augmenté de 3300% (!) depuis 1945 sans pour autant diminuer les pertes de récolte totales. Pourquoi ?

  • Les monocultures n'existent pas dans la nature : elles sont inévitablement une opportunité pour les ravageurs.
  • L'artificialisation (pas d'arbres, de haies, de mares...) ne permet pas la survie de tous les animaux auxiliaires qui régulent normalement les ravageurs.
  • Le sol lui aussi est artificialisé (travail mécanique intense, engrais chimiques, pesticides...), ce qui affaiblit les plantes.
  • Les variétés sélectionnées pour leur productivité le sont au détriment de leur rusticité.

Le bio industriel, sauf concernant l'usage de molécules chimiques, ne résout pas vraiment ces problèmes. Pour favoriser les auxiliaires régulateurs, c'est simple : richesse et diversité écologique.

Il y a donc des avantages à créer des variétés locales, et les auteurs font de même avec les moutons : créer une race locale adaptée aux conditions de leur ferme. Les moutons d'Ouessant sont bien rustiques, mais trop petits. Ils les ont donc croisé avec une race de moutons à viande, ce qui a fonctionné, sauf que les moutons avaient gardé un trait indésirable des Ouessant : n'avoir qu'un agneau par an. Un nouveau croisement a été fait avec les Shetland, une race rustique qui peut avoir deux petits par portée : succès. Les descendants de ces croisement sont relativement autonomes et agnèlent seuls.

Les auteurs expérimentent aussi avec la traction animale, pour les légumes de garde et ceux pour lesquels la demande est très forte (pommes de terre, poireaux, oignons...), mais aussi  pour produire du blé. Si les légumes sont rentables, le blé est purement expérimental : son coût de production est énorme comparé à celui de l'agriculture classique. Là aussi les auteurs créent leur propre variété de blé. Ils sèment un mélange d'une trentaine de variétés anciennes, à forte diversité génétique, sur 1500m². Chaque année une partie de la récolte sert au semis suivant. L'objectif est, en quelques années, d'arriver à un blé adapté aux conditions locales : les variétés adaptées prospèrent, les autres régressent, et en même temps elles s'hybrident à hauteur de 5% par an.

Il est aussi question du blé "de jardin". Il s'agit de s'inspirer d'un savoir antique en bonne partie perdu, c'est donc très expérimental. Le fait est que la Chine et l’Égypte antiques nourrissaient de vastes populations sans combustibles fossile... avec des rendements parfois bien supérieurs à ceux d'aujourd'hui, aussi bien en terme de grains par épi qu'en quintaux par hectare. Comment est-ce possible ? Si les techniques étaient certainement multiples, il semble que les grains pouvaient être plantés un par un, très espacés et régulièrement buttés et sarclés, ce qui favorise le tallage (capacité des céréales à donner plusieurs tiges et épis à partir d'un seul grain). En France, Marc Bonfils se serait livré à des expériences de ce genre. Je précise que ce point est un peu flou, mais c'est une piste à explorer pour se préparer un monde post-pétrole.

Ensuite, j’apprécie les chapitres sur l'outillage et la construction. Ceux dédiés à la création d'une microferme sont stimulants mais un peu vagues. Je regrette que le dernier chapitre conclue sur un quasi mysticisme avec en prime accroyoga et dance autour d'un mandala de fleurs en se tenant la main. Heureusement, la brève conclusion qui suit nous laisse sur l’évocation des problèmes profonds qui sous-tentent tout le livre et lui donnent sa valeur : le désastre climatique et environnemental qui est en cours et qui va façonner l'avenir proche de l'humanité. La seule énergie propre, c'est l'énergie biologique. Il n'y a pas d'espoir dans une course en avant technicienne basée sur la foi.

Ceci dit, je voudrais citer l'avant-dernier paragraphe de cette conclusion et le commenter un peu.

Nous sommes de plus en plus nombreux à prendre conscience qu'une vision matérialiste de l'existence nous ampute d'une part essentielle de nous-mêmes. Prendre soin de la Vie sous toutes ses formes, se sentir relié à la nature, à ses sœurs et ses frères humains, à son être profond, donner le meilleur de soi pour une cause qui nous dépasse : n'est-ce pas là l'essence de toutes les formes de spiritualité ?

Je ne partage pas cette perspective dualiste. La modernité que vilipendent les auteurs n'est pas synonyme de matérialisme. Le matérialisme, c'est une perspective philosophique qui ramène tout à la matière, pour laquelle il n'y a rien au-delà de la matière. A l'inverse, la spiritualité tend à trouver une vérité au-delà de la matière, et il me semble qu'ici il ne s'agit pas simplement de la vie de l'esprit humain : donc une vérité qui donc flirte inévitablement avec le religieux. Or, la modernité a sa part de spirituel : comment appeler autrement la foi dans le progrès, la religion du marché ou l'espoir que la technique et l'ingéniosité résoudront tous les obstacles ? De la même façon, le futur écologique qu'appellent les auteurs est profondément matérialiste : n'est-ce pas matérialiste que de vouloir des conditions de vie saines, un écosystème durable, un avenir pour ses enfants et des sensations plaisantes à travers un lien avec la nature ? Bref, cette opposition matérialisme/spirituel ne me semble pas pertinente. Pire que ça, en tant que dualisme réducteur, elle me semble nuisible.

Pour finir, quelques mots sur l'ensemble de ce pavé de 1000 pages. La forme aurait gagné à un peu plus de retenue (moins de pages blanches, des photos plus sévèrement sélectionnées) et on peut reprocher au fond d'être parfois un peu vague, la faute à l'énormité de ce qui est exploré. Pour cette même raison, certains chapitres sont nécessairement moins intéressants que d'autres. Malgré tout, ces trois tomes de Vivre avec la terre réussissent là où c'est le plus important : ils donnent des perspectives pratiques sérieuses, crédibles et documentées pour amortir les chocs qui nous attendent dans le futur proche. Il est très appréciable que l'ensemble soit basé sur une expérience personnelle, intime : c'est ce qui permet de croire en ce qu'on lit, la condition nécessaire pour accorder notre confiances aux auteurs sur des sujets aussi lourds et complexes.

samedi 2 avril 2022

Vivre avec la terre II - Cultures vivrières et forêts-jardin - Pierrine & Charles Hervé-Gruyer

Vivre avec la terre II - Cultures vivrières et forêts-jardin - Pierrine & Charles Hervé-Gruyer

Après un excellent premier tome : la ferme du Bec-Hellouin, second tome, le plus massif. Toujours un peu trop d'illustrations pleine page, et les 50 pages de tableaux sur les légumes ne sont pas un modèle d’ergonomie ni d'économie de papier, mais, le plus important, toujours un contenu riche, dense et passionnant.

On commence avec la butte de culture permanente, qui a pour avantage d'augmenter la profondeur du sol. Sa permanence fait qu'elle n'est jamais piétinée ou tassée, et que l'ajout de compost et de mulch contribue année après année à créer une terre qui gagne en fertilité. De plus, en densifiant les cultures sur ces buttes, on peut réaliser ses amendements de façon plus dense. Les buttes étant surélevées, leur réchauffement est favorisé au printemps et le ressuyage du sol est favorisé (la perte de l’excédent d'eau au printemps). Les auteurs avancent que les potagers plus traditionnels, où les rangs de cultures sont séparées par des allées, ne sont la plupart du temps pas justifiés : tout cet espace serait nécessaire avant tout aux bêtes de trais et aux machines, pas aux plantes. En resserrant les cultures, on augmente l’efficacité globale et on réduit les besoin de désherbage, qui peuvent se faire à la main. L'idée est que les feuilles des légumes se touchent quand ils atteignent les 3/4 de leur développement, afin de former une "canopée". De plus, dans le cas des buttes rondes, la courbe offre un espace de culture supérieur à un simple sol plat. Notons que les pommes de terre, qui nécessitent de "détruire" la butte à la récolte, et les courges, qui prennent beaucoup de place, ne sont pas forcément adaptées aux buttes. Sur les buttes rondes, il n'est pas question d'utiliser des semoirs mécanique et l'usage de voiles de forçage est limité (ce qui n'est guère un problème pour l'amateur). Dans les climats très chauds, la butte n'est pas une bonne idée car elle favorise l'évaporation, et mieux vaudrait cultiver au contraire en creux. Mais on n'en est pas encore là en France.

La morale générale est de faire aussi petit et aussi soigné que possible. Il ne faut pas créer une plus grande surface que celle que l'on est capable d'entretenir et de désherber, ne jamais semer dans un sol qui n'est pas impeccable (décompacté, fertilisé, sans adventices). Le désherbage régulier, quand les adventices sont encore très jeunes, est capital.

La butte permanente n'est pas une invention : son usage est répandu depuis des millénaires. Mais, bien sûr, elle n'est pas compatible avec la mécanisation. Les buttes rondes ne doivent pas être trop hautes, pour éviter le ruissellement de l'eau et des graines. Idéalement, les allées sont paillées pour limiter les adventices, ce qui peut nécessiter l'apport, 3 fois par an, d'une grande quantité de biomasse. Et en échange les allées peuvent produire plusieurs centimètres de compost par an. Lors de la création de la butte, ne pas oublier de bien décompacter le sol. Les buttes elles aussi sont quasiment toujours muchées, sauf peut-être quelques semaines au printemps, voire un ou deux mois, pour réchauffer la terre et réaliser des faux semis. Avant nouveau paillage et pendant ces semaines d'exposition, plusieurs sarclages superficiels pour tuer les adventices et casser la croute de battance. Les planches plates sont utilisées notamment pour les semis directs, avec semoir pro, et ce sont elles qui dominent sous la serre. Notons que les auteurs déconseillent l'apport de bois dans les buttes. D'après leur expérience, les bûches remontent avec le temps et les pointes de la grelinette se plantent dedans. Dans la nature, le bois se décompose en surface et les organismes qui causent cette décomposition vivent en aérobie. Dans les pays d'Afrique, cette technique fonctionne grâce aux termites.

Les apports de paillage et de compost n'apportent pas immédiatement des nutriments : les nutriments sont libérés progressivement par les organismes du sol et seront utiles sur le moyen terme. L'idée est de maintenir la présence de tous les stades de décomposition pour une assurer une fertilité dans l'immédiat comme sur la durée. Les auteurs n'utilisent pas d'engrais classique. Comme n'y a pas encore d'étude scientifique approfondie sur les apports de fertilité par la biomasse, le dosage se fait encore à l'instinct et à l'expérience.

Afin de relativiser l'idée d'autofertilité, je note la composition du substrat à semi de la ferme : 40% de substrat bio du commerce, 40% de compost maison tamisé et mûr, et 20% de sable de rivière. Je ne crois que le sable de rivière soit une ressource renouvelable.

Au Bec-Hellouin, les arrosages sont très modérés : après les semis et repiquages, en quantité stable mais modérée pour stimuler la croissance profonde des racines, et en période de sécheresse. Il leur arriverait, certaines années, de ne pas arroser hors semis et jeunes plans, sans doute grâce à la combinaison mulch et richesse organique du sol. Leurs planches plates sont équipées de tuyaux d'arrosages au goutte à goutte. Les bons outils pour le travail pro à la main ne sont pas monnaie courante, et ils prennent le temps de conseiller sur ces questions. Je ne noterai ici que la nécessité, pour les récoltes notamment, d'un bon sécateur à lames longues, souvent mentionné.

Le gros morceau suivant est l'association des cultures. Comme pour la forêt-jardin, l'idée est d'optimiser en associant des végétaux complémentaires, pour des raisons très pratiques. Notons que les plantations se font en quinconce, et que s'il s'agit bien de densifier, quitte à ce que certains légumes soient plus petits que la norme, il y a évidemment un juste milieu à trouver. Il s'agit aussi de remettre en question l'idée que les légumes auraient toujours besoin du plein soleil, et, plus compliqué, de prendre en compte les différences parfois considérables entre les nombreuses variétés d'une même plante. Les associations sont un facteur important dans l'efficacité au mètre carré de la ferme du Bec-Hellouin (mais pour les amateurs, ne pas oublier l'avantage considérable que représente leur grande serre).

Quelques avantages de cette pratique des associations :

  • Feuillages variés et donc optimisation de la captation des rayons du soleil
  • Plus de protection du sol contre le soleil, qui stérilise les premiers centimètres du sol
  • Optimisation de l'espace : un légume qui pousse en hauteur accompagne d'autres qui couvrent le sol
  • De même pour les systèmes racinaires : un système profond et un système superficiel ne sont guère en concurrence pour l'eau et les nutriments
  • La densité favorise un microclimat moins venteux et plus humide, où les écarts de températures sont moins élevés
  • Les différents végétaux créent des barrières physique et chimiques pour les ravageurs
  • Les fixateurs d'azote peuvent être utiles aux autres plantes
  • L’augmentation de la biomasse produite par mètre carré donne de quoi faire plus de much
  • Plus de masse racinaire signifie plus de fertilité après décomposition
  • La richesse des micro-organismes est favorisée
  • La variété augmente la résilience
  • Bien menées, les associations offrent un plus fort rendement par unité de surface
  • Et c'est plus agréables pour les humains

Notons aussi les inconvénients : essentiellement une complexification du système qui laisse la place à plus d'erreurs possibles (compétition, manque d'espace..). Les auteurs ne manquent pas de préciser que certaines tentatives ont été des catastrophes. Des tableaux offrent un classement des plantes par famille, taille des systèmes foliaires et racinaires, et durée du cycle de culture. Une bonne idée est aussi de définir dans chaque association une culture prioritaire, au profit de laquelle les autres peuvent être récoltées en avance si besoin. Le repiquage facilite les choses, en donnant de l'avance à un légume particulier, et il s'agit aussi de semer de façon décalée. De nombreux exemples d'association viennent ensuite illustrer ces principes, mais gardons en tête que si ce n'est pas une science exacte, loin de là, il s'agit pourtant de ne pas faire les choses à la légère et de bien songer à tous les facteurs. Un exemple simple : ail et mâche. C'est comme une simple culture d'ail, sauf qu'on plante de la mâche entre les pieds d'ail. La mâche est récoltée à la moitié du cycle de l'ail, ce qui libère l'espace pour la croissance de l'ail.

Je prends le temps de commenter l'association peut-être la plus connue : la milpa (courge-maïs-haricot). Plutôt que de semer les 3 ensemble en terre, comme j'ai eu l'occasion de le faire, voici le procédé pratiqué par les auteurs : repiquage de plants de maïs, un mois plus tard désherbage et semi des haricots (alors que les maïs font déjà 40 cm), et deux semaines plus tard repiquage des courges, qui vont couvrir le sol. Encore deux semaines plus tard, désherbage et paillage, et le tout en aidant les haricots à grimper sur le maïs avec l'aide de piquets de palissage. Par la suite, la biomasse est utilisée en paillage. On voit donc comment un système complexe doit être géré bien plus finement qu'en semant simplement 3 graines ensemble. Je note aussi le compagnonnage facile de la courgette et du maïs : comme une simple plantation de courgette, mais avec du maïs en bonus.

Sur la culture en toutes saisons : il s'agit de planter assez tôt ses légumes d'hiver pour réaliser l'essentiel de leur croissance quand il y a encore assez de soleil. Par ailleurs, les légumes supportent mieux le gel à l'état de jeune pousse qu'adulte. Et, encore fois, choisir les variétés pertinentes à la saison et la localisation de culture. Si les serres non chauffées n'offrent qu'une protection marginale face au gel (en fin de nuit la température n'est supérieure que de 1 ou 2 degrés à la température extérieure), ce qui compte pour la croissance des végétaux, c'est la température moyenne, qui elle est bien plus élevée. Les serres facilitent aussi le palissage, qui peut multiplier les rendements par 3 pour les tomates et les concombres. Les végétaux souffrent plus du dégel que du gel, il faut donc éviter les montées de température rapide après un gel. Donc, ventiler la serre tôt dans ce cas. Les eaux de pluie récupérées du toit de la serre peuvent y servir de batterie thermique. D'ailleurs, les auteurs ont même installé des petites marre dans leur serre. La présence du poulailler dans la serre contribue sensiblement à la réchauffer. Par exemple, les vignes de la serre qui poussent près du poulailler sont plus précoce d'une dizaine de jour que celles plus éloignées.

Les couches chaudes, faites avec une quarantaine de centimètres de fumier, réchauffent les jeunes plants posés dessus et toute la serre avec. Cette technique est aussi un héritage des maraichers parisiens, elle a été abandonnée avec le déclin de la traction animale et la raréfaction du fumier, puis par l'abondance d'énergie fossile à bas coût. Les couches chaudes peuvent aussi fonctionner dehors, surtout avec un voile de forçage. Attention : l'abondance de jus de fumier peut tuer les arbres à proximité. La couche chaude n'offre pas que de la chaleur, mais aussi, selon son niveau de décomposition par la suite, du paillis et un riche compost.

Les pommes et poires sont les légumes les plus évidents à conserver sans transformation, et quand on on cultive à la fois variétés précoces et tardives, il est possible de longuement étaler la récolte. La sélection variétale est une fois de plus capitale. Je note aussi la présence d'un petit chapitre sur un sujet particulièrement intéressant pour l'amateur : les légumes vivaces. Concernant les aromatiques (sauge, menthe...), je note quelles sont tout à fait utilisables et même bénéfiques en mulch, ce que j'aurais pas eu le réflexe de faire.

Ensuite, on arrive au dernier gros morceau : les forêts-jardin et leurs variantes. C'est l'un des axes majeurs de leur recherche, mais, évidemment, ça prend du temps pour obtenir des données. Concernant l'agroforesterie, rappelons que par exemple une production de blé + noyer offre 36% de gain de productivité par rapport à une production en parcelles séparées. Pour les fruitiers, une attention encore plus aiguisée est à donner aux variétés à cause de la complication des greffes. Les fruitiers basse-tige ne sont pas à privilégier dans une perspective long-terme (ils s'épuisent plus vite), et les haute-tige permettent plus aisément d'intégrer des animaux. Les auteurs soulignent aussi l'importance du paillage au pied des fruitiers, surtout quand ils sont jeunes, pour augmenter les chances de reprise, limiter les arrosages et globalement augmenter la vitesse de croissance d'un facteur de 1,5. Ne pas oublier non plus que pour maintenir une productivité optimale, un fruitier, ça se taille.

Il y a aussi un chapitre sur les haies, détruites pour la plupart au cours des dernières décennies, et je ne vais pas lister ici leurs très nombreux avantages. D'ailleurs les haies peuvent aussi servir de fourrage animal, ou être des haies fruitières. L’agroforesterie est une vielle tradition européenne (oliveraies, châtaignerais...).

  • Les prés-vergers sont la combinaison d'arbres et d’animaux, qui bénéficient de l’abri des arbres et pour lesquels les fruits tombés constituent une source supplémentaire de nourriture. Les animaux détruisent ainsi les parasites au passage. Pour l'arbre, la concurrence de l'herbe est réduite et les excréments fertilisent. Cependant, il vaut mieux protéger les arbres des gros animaux.
  • Les vergers maraîchers combinent arbres et légumes, et permettent ainsi une optimisation de l'énergie solaire. C'est particulièrement valables pour les légumes qui tolèrent l'ombre.

Les forêts-jardin sont quand à elles divisées en deux versions :

  • La forêt-jardin intensive a une forte productivité mais demande beaucoup d'entretien. C'est la forêt-jardin "idéale" de Martin Crawford, avec différentes strates, de nombreux arbustes et couvre-sols. Les études réalisées au Bec-Hellouin pointent vers une viabilité économique de ce système, viabilité essentiellement portée par les baies et les plantes couvre-sols. Les baies sont souvent greffées sur de petits troncs pour faciliter les récoltes et libérer l'espace au sol. Une bâche biodégradable est utilisée pour maitriser les plantes au sol. Les allées sont paillées et décaissées. Les auteurs voient dans ce système, encore balbutiant en occident, une piste d'avenir.
  • La forêt comestible produit moins mais nécessite peu d'entretien. Elle est probablement à plus grande échelle, la strate herbacée est donc, à moins de beaucoup de main d’œuvre, incontrôlable, et si les plantes naturelles (orties, fougères...) peuvent néanmoins service de mulch, des animaux peuvent être utilisés pour garder le contrôle. On peut aussi semer des légumes à basse maintenance, comme des courges, ou introduire des pérennes.

mercredi 16 mars 2022

Vivre avec la terre I - Permaculture, écoculture : la nature nous inspire - Pierrine & Charles Hervé-Gruyer

Premier tome d'une masse de 1000 pages par les fondateurs de la ferme du Bec Hellouin en Normandie, ferme qui s'est retrouvée être en France à l'avant-garde des pratiques agricoles écologiques, à petite échelle, et pour l'instant marginales. (Ou peut-être juste la plus médiatisée, mais passons.) De plus, cette ferme a l'avantage d'être le sujet de diverses études scientifiques. La permaculture, on connait, quant à l'écoculture, c'est une création des auteurs qui recoupe fortement la permaculture, mais se veut plus pratique et concrète.

Commençons par quelques réserves. Sur la forme, on peut regretter la présence parfois abusive de photos de pleine page qui n’apportent pas grand-chose, et le fait que chaque nouvelle partie est introduite par une double page blanche, ce qui cause au moins 34 pages blanches sur les trois tomes. Et sur le fond, je regrette quelques passages qui parlent de "mandalas de fleurs", d'une vague "énergie", de "pensée positive", etc. Ceci dit, c'est chipoter : l'ensemble est riche, pragmatique et solide scientifiquement. Après avoir fini ce premier tome, j'ai hâte de me jeter avidement sur le second.

Déjà, notons que les auteurs, sans être catastrophistes, sont clairement dans une perspective d'effondrement. En somme, si on continue comme ça, effondrement, si on arrête tout, effondrement. Ils choisissent de ne quasiment pas utiliser d'engins motorisés, de rester aussi low-tech que possible, etc., même si la frontière est toujours arbitraire : ils indiquent à un moment avoir tout de même un petit tracteur dont le moteur sert à activer un broyeur à végétaux, et les serres sont une obligation pour rester viable économiquement. D'ailleurs, cette viabilité économique est centrale : avec une surface de maraîchage qui ne dépasse pas quelques milliers de mètres carrés, ils sont rentables et ont créé des emplois permanents. Études à l’appui, ils affirment que sur 1000m² (dont une moitié sous serre) ils produisent autant de légumes (en valeur) que sur un hectare mécanisé, le tout en partant d'un sol ingrat. Impressionnant. A l'inverse de l'agriculture intensive classique dépendante aux engrais de synthèse non renouvelables, qui appauvrit et à long terme détruit les sols, leur approche construit un sol riche et sain, le tout en monopolisant moins de terres et en étant bien moins dépendant au pétrole. 

Un bref résumé des pratiques circulaires de la ferme du Bec Hellouin :

Plus de sol → plus d'eau → plus de végétaux → plus de pluie → plus de végétaux → plus d'animaux → plus de sol

La capacité d'un sol à absorber l'eau de pluie augmente avec sa richesse en matière organique, qui agit comme une éponge. Il y a aussi une corrélation entre la teneur en matière organique et la pluviométrie : des sols riches en matière organique font pousser une végétation plus dense, et l'évapotranspiration des plantes est l'une des causes principales des pluies. Cette logique est contraire à celle de l'agriculture contemporaine, qui "ignore" le sol et nourrit les plantes avec des intrants de nutriments solubles et directement assimilables. J’apprécie la perspective du sol comme "système digestif" : les organismes du sol rendent les éléments du sol biodisponibles pour les plantes.  De plus, un sol sain ne doit pas être compacté, pour favoriser la croissance des racines et la teneur en oxygène, importante pour les divers micro-organismes. Ainsi une densité racinaire forte favorise les micro-organismes du sol. Le carbone entre dans le cycle du vivant via la photosynthèse : les végétaux utilisent l'énergie du soleil pour transformer le CO2 atmosphérique en carbone organique (sucres/glucose) et en oxygène. La rupture des chaines de carbone par les micro-organismes du sol, rupture qui rend les nutriments accessibles aux plantes, s’appelle la minéralisation.

Les racines sont l'un des facteurs qui enrichissent le sol : un arbre perd en moyenne 30% de ses racines chaque année et celles-ci retournent au sol, en plus de l'aérer en "creusant". La macrofaune du sol consomme ces racines et aère elle aussi le sol, ce qui augmente sa capacité à absorber l'eau. Les lombrics, quant à eux, enrichissent le sol avec leurs déjections extrêmement fertiles. De plus, les organismes vivants stockent les nutriments dans leur corps, ce qui évite la perte de ces nutriments par lessivage. Ils "rendent" les nutriments à leur mort. Je note, page 97, la présence du tableau du rapport C/N (carbone/azote) des différentes matières, auquel je me référerai probablement souvent à l'avenir.

Quelques détails sur le fonctionnement des plantes. La photosynthèse (CO2 in, O2 out) n'a lieu que le jour, mais la respiration (O2 in, eau et CO2 out, production d'énergie) le jour et la nuit : c'est pourquoi une plante dégage de l'oxygène pendant le jour et en absorbe pendant la nuit. Tant que la plante croît, l'équilibre est en faveur de la photosynthèse, donc de l’absorption de CO2. Quand la plante meurt, le carbone est progressivement libéré dans le sol et l’atmosphère. La plante transpire et perd de l'eau quand elle ouvre ses stomates pour absorber le CO2 nécessaire à la photosynthèse. En cas de manque d'eau, la plante ferme ses stomates et donc ne peut plus effectuer d'échange gazeux : la photosynthèse est impossible, la croissance s’interrompt. Dans le même ordre d’idée, le vent favorise l'évaporation de l'eau. Donc, si le vent est certes bon pour assainir les feuillages, les végétaux ferment leurs stomates face à trop de vent et donc interrompent la photosynthèse.

Les auteurs mentionnent leurs erreurs initiales de conception :

  • Déjà, le trop grand éparpillement de leurs terres, qui nuit à l'optimisation.
  • La trop grande ambition en surfaces de maraichage. Ils les réduisent chaque année pour optimiser. Le cœur intensif de la ferme, qui crée plusieurs emplois, ne fait que 1,2 hectares, et seulement 1000m² sont cultivés intensément en maraichage
  • Trop de diversité initiale dans les cultures, ce qui encore une fois réduit l'optimisation. On peut avoir une végétation riche et variée sans chercher à cultiver des centaines de variétés, comme ils ont tenté initialement.

Toujours dans l'idée de jouir des avantages d'un système complexe, chaque zone qui n'est pas cultivée intensément fournit néanmoins de nombreux services :

  • Forêt-jardin : fruits et autres plantes comestibles, pâturage occasionnel, brise-vent, source de biomasse, source de biodiversité
  • Mares : source d'eau pour l'arrosage mais aussi par capillarité, contribue à des microclimats avantageux (inertie thermique de l'eau et réfléchissement des rayons solaire), biomasse, (roseaux, consoude et même vase), abrite grenouilles et crapauds qui bouffent les limaces, élevage de poisson, plaisir esthétique et loisir
  • Pré-verger : pâturage, bois à fourrage, fertilité (déjections des animaux), force de travail des animaux de trait

Point capital : le but est de tendre vers l'autofertilité. Sur un terrain de par exemple 1 hectare, on cultive intensément 1000m² à la main, et on utilise la biomasse, déjections, etc. des 9000 autres m² pour nourrir le sol des zones de culture intensive. Dans les faits, il n'y a cependant pas de raison de se priver d'intrants qui viennent des alentours (fumier, BRF...), et la ferme du Bec Hellouin en profite abondamment, ce qui encourage à relativiser l'autonomie réelle possible.

Quelques rappels des problèmes de l'agriculture classique :

  • L'érosion éolienne des sols nus
  • L'érosion hydrique de sols tassés ou déstructurés
  • La lixiviation : l'entraînement par l'eau de pluie des ions minéraux dans les terres pauvres en matières organiques
  • La tendance à la croissance perpétuelle des besoins en engrais chimiques car ces mêmes engrais nuisent à la santé du sol
  • Les problèmes de santé humaine causés par les pesticides

Ainsi les auteurs évoquent la Haute-Normandie, qu'ils connaissent bien. Le taux de matière organique de la terre des plateaux en monoculture classique est tombé à 0,8% : les sols ne se tiennent plus, l'érosion est importante, et ces terres se retrouveront bonnes à rien en cas de manque d'engrais de synthèse. A l'inverse, les pratiques encouragées par les auteurs sont celles-ci : sol presque toujours couvert, apport de matière organique plutôt que d'engrais (donc construire un sol riche et sain), travail minimal du sol, agroforesterie, pas de produits chimiques...

Le paillis, ou mulch, est une version anthropisée de la litière qui recouvre et nourrit le sol dans la nature. Les vertus sont nombreuses : protection du sol contre le soleil, l'assèchement, la compaction, régulation de la température et de l'humidité, compostage en place, moins de désherbage, enrichissement de la vie du sol... Les auteurs préconisent de ne pas cultiver (en buttes permanentes) une surface supérieure à celle que l'on est en mesure de pailler. Les allées entre les buttes peuvent aussi servir de lieu de compostage en place, spécialement pour les paillis carbonés, plus abondants, qui quelques années plus tard peuvent être transférés sur les buttes. Ainsi 20 centimètres de paillage annuels (qui provient essentiellement du terrain lui-même) peuvent créer un ou deux centimètres de sol. Notons aussi l'utilisation d'un hache-paille, type d'ancien broyeur à végétaux dénué de moteur, devenu difficile à trouver. Autre option : avoir à disposition un billot de bois et un hachoir pour débiter rapidement la biomasse de type tige épaisse.

A propos de compost, je noterai surtout de choix de composter les adventices en graines à part : un compostage réussi est supposé tuer les graines, mais ça ne fonctionne pas toujours. Ce compost "sale" sert cependant au repiquage des courges, qui s'en contentent joyeusement. De même, le compost humain des toilettes sèches est utilisé seulement pour les arbres. Les poules, quant à elles, s'intègrent très bien à un système de compostage : elles apprécient l'abondance de vers et l’enrichissent de leurs déjections. Les buttes permanentes sont surtout dédiées au repiquage et semblent se contenter du paillage, l'essentiel de compost va donc aux planches permanentes plates destinées aux semis directs.

De l'importance du point de départ.

Les questions de biochar, de thé de compost et autres cultures de micro-organismes ne me semblent pas essentielles, mais je note néanmoins l'affirmation suivante, frappante si fondée : un substrat de rempotage comprenant du biochar inoculé en micro-organismes permettrait une croissance jusqu'à 3 fois plus rapide des jeunes plants.

En plus de toutes les qualité de cette approche de l'agriculture, n'oublions pas les capacités de séquestration du carbone organique, de très loin supérieures à celles de l'agriculture conventionnelle.