jeudi 29 juillet 2021

Under a White Sky: The Nature of the Future - Elizabeth Kolbert

Under a White Sky: The Nature of the Future - Elizabeth Kolbert

Elizabeth Kolbert est l'auteure de La sixième extinction, classique du genre que j'avais commencé sans le finir il y a des années. Dans Under a White Sky: The Nature of the Future, elle se penche sur un phénomène intrinsèquement lié à la sixième extinction : le contrôle du contrôle de la nature, ou comment les humains se retrouvent à devoir gérer par la technique leur tentatives foireuses de contrôler la nature par la technique. Notons aussi que Elizabeth Kolbert, pour chacun des chapitres (consacrés à des cas différents), va sur le terrain parler aux gens concernés. Et pourquoi "sous un ciel blanc ?" C'est la couleur que prendrait le ciel en cas de mise en place de vastes projets de géo-ingénierie solaire.

Le premier chapitre se penche sur l'artificialisation des rivières américaines (du genre changer leur sens ou les relier par des canaux) et des conséquences sur les populations animales. Ces espèces, en bonne partie, comme les carpes asiatiques, ont été introduites elles aussi artificiellement pour, à l'origine, contrôler les herbes aquatiques, devenues elles-mêmes incontrôlables à cause des rejets azotés de l'agriculture... Ainsi des portions de rivière sont littéralement électrifiées dans une tentative de contrôler les mouvements de ces poissons introduits par les humains pour gérer des problèmes causés par les humains. A noter que c'est le Printemps silencieux de Rachel Carson, livre fondateur de l'écologie, qui a popularisé cette idée de contrôle biologique : même avec les meilleurs intentions du monde, tripoter la complexité des systèmes naturels entraine toujours des conséquences imprévues. En plus des barrières électriques, l'auteure explore une myriade de tentatives de luttes toutes plus douteuses les unes que les autres, mention spéciale à la dernière : transformer les carpes en plats gourmets, quitte à les expédier au Vietnam pour transformation avant de les réimporter. Symbolique.

Le second chapitre s'intéresse à la Louisiane qui, a cause du contrôle du Mississippi, s'effondre sous les eaux. En effet, les crues naturelles du fleuve venaient apporter de la nouvelle "terre" pour compenser l’affaissement naturel de cette région sans guère de substrat rocheux. Or, les humains modernes n'aiment pas les crues, alors ils construisent des digues, ce qui entraine un affaissement général, ce qui entraine des inondations, contre lesquelles il faut de plus grosses digues... Les natifs du coin, eux, se contentaient de bouger au rythme de l'eau. Aujourd’hui, toutes les 5 minutes, la Louisiane perd l'équivalent d'un terrain de tennis. Des sommes et des efforts fantastiques sont dépensés pour "reconquérir" des terrains ridicules qui, de toutes façons, seront inévitablement engloutis de nouveau par l'océan sous peu. Des sommes et des efforts encore plus fantastiques servent à "recréer le phénomène naturel de sédimentation" à coup d'infrastructures colossales.

On quitte les rivières pour un petit trou d'eau paumé dans la Vallée de la Mort, le Devils Hole. C'est le seul endroit où vit une petite espèce de poisson, sans doute l'espèce vertébrée avec l'habitat le plus petit du monde. Les poissons de cette espèce pèsent peut-être 100 grammes en tout. Et, alors que les espèces disparaissent à un rythme alarmant autour du monde, des efforts considérables sont déployés pour protéger celle-là. L'auteure utilise un terme aussi amusant que dramatique  : espèce Stockholm. En passant, la nappe phréatique dont le trou n'est qu'un détail est si grande qu'elle a des marées. En plus des efforts passés, comme empêcher le pompage dans la nappe, un faux trou a été construit, comme pour Lascaux. A la fin de ce chapitre, l'auteure se livre à quelques songeries dans sa chambre à Vegas. Elle exprime un sentiment qui m'occupe presque en permanence ces temps-ci, alors je ne résiste pas à l'envie de la citer :

That night, my last in Nevada, I stayed on the Strip, at the Paris, in a room with a view of the Eiffel Tower. This being Vegas, the tower rose out of a swimming pool. The water was the blue of antifreeze. From somewhere near the pool, a sound system pumped out a beat that reached me, dull and throbbing, through the sealed windows of the seventh floor. I really wanted a drink. But I couldn’t bring myself to go back down to the lobby, past Le Concierge, Les Toilets, and La Réception, to find a faux French bar. I thought of the Devils Hole pupfish in their simulated cavern. I wondered: is this how they felt in their darker moments?

Ensuite, les coraux. Ils accueilleraient la diversité de vie la plus importante au monde, supérieure à celle de l'Amazonie (à surface équivalente). Bien sûr, ils sont foutus, mais plein d'apprentis-sorciers cherchent des "solutions". Dans des labos sont simulées les conditions que connaitront les océans dans le futur, et des croisements sont effectués entre coraux qui, dans la nature, ne vivent pas aux mêmes endroits. C'est sans compter les plans du genre fécondation des coraux par robots et brouillard artificiel pour leur faire de l'ombre, bref, toutes sortes de "amazingly imaginative innovation". L'auteure ne commente pas les déclarations de ce type, énoncées par les gens qu'elle rencontre.

En Australie, les énormes crapaud-buffles, introduits par les humains encore une fois dans un but foireux de contrôle biologique (contre des nuisibles de la canne à sucre), déciment la faune locale : ils sont toxiques, mais les animaux australiens, n'ayant pas évolué à proximité d'une telle bestiole, ne le savent pas. Ils mangent le crapaud (extrêmement abondant) et meurent. Donc, comment gérer ce problème crée par une tentative de gérer un problème ? La réponse est sincèrement stupéfiante : le génie génétique a désormais les connaissances nécessaires pour modifier génétiquement des populations entières d'animaux sauvages. Sans doute le truc que j'ignorais le plus dingue de tout le livre : j'avais déjà vu passer cette idée à propos des moustiques, où je crois elle ne va pas tarder à être appliquée à grand échelle, mais sans en comprendre toutes les implications. Il s'agit de forçage génétique : la capacité d'un gène à dépasser les 50% de chances de transmission et d'ainsi éliminer le gène concurrent. C'est un phénomène qui existe naturellement, mais il est désormais possible de créer un forçage génétique artificiel, dans ce cas en modifiant le gène qui provoque la toxicité des grenouilles (par exemple le remplacer par un gène de toxicité bien plus modérée). Ainsi on prend des crapauds, on modifie génétiquement leur descendance en remplaçant le gène cible par un autre (processus effectué sur l’œuf, c'est-à-dire avant la division cellulaire de l'embryon), puis une fois que ceux-ci sont grands, on les relâche. Ainsi, quand ils se reproduiront, ils transmettront à coup sûr le gêne artificiel au détriment du gène naturel, et sur le long terme, paf, contrôle génétique des populations sauvages. Et pour aller plus loin, l'idée de "suppression drive" : le forçage génétique d'un trait si délétère qu'il entraîne la fin d'une espèce, par exemple en forçant la transmission des chromosomes XY au lieu des XX, entrainant une descendance intégralement mâle. Cette idée est sérieusement envisagée pour des îles envahies par des souris (introduites par les humains) qui détruisent les populations d'oiseaux locaux. Jusqu'à présent, la méthode de lutte était le largage de grandes quantités d'anticoagulant par hélicoptère. Par contre, si quelques souris s'échappent...

Les chapitres suivants s’intéressent aux solutions de géo-ingénieries du type aspirer le carbone de l’atmosphère ou bloquer les rayons du soleil en injectant je ne sans quelles substances dans l’atmosphère. Le premier point, l'auteure l'explore, est complétement utopique, tant les procédés non seulement coûteraient indiciblement cher, mais surtout demanderaient eux-même énormément d'énergie, et d'où viendrait cette énergie ? Comme exploré d'une façon tout aussi utopique dans The Ministry for the Future par Kim Stanley Robinson, cette dernière idée, celle de la modification atmosphérique pour réduire l'intensité solaire, risque fort de devenir réalité, car il suffit qu'un seul pays se lance en solitaire. Ce procédé, même s'il fonctionnait sans conséquences négatives, ne changeraient rien aux causes du changement climatique. Ce ne serait qu'un palliatif temporaire qui, pour compenser le réchauffement, devrait être maintenu de façon permanente et exponentielle. Si jamais il prenait fin, pour une raison ou une autre, un réchauffement incroyablement brutal s'abattrait sur la Terre : tous les degrés de réchauffement remis à plus tard arriveraient d'un seul coup. On tient là un candidat sérieux sur la liste des Grands Filtres.

Et pour conclure, une idée sur l’origine des civilisations liée au climat. Avant l'optimal climatique qui a permis la naissance de l'agriculture il y 12000 ans environ, les températures variaient drastiquement et brutalement. Les cultures naissantes ne pouvaient pas donc jouir d'une stabilité suffisante pour durer dans le temps. Avec le changement climatique anthropique, d'une échelle sans précédent depuis l'extinction des dinosaures, c'est clairement la fin de cet optimal climatique : l'âge des migrations est de retour. Un chiffre pour saisir l'ampleur des modifications anthropiques : aujourd'hui, une molécule de CO2 sur trois présente dans l'atmosphère a été rejetée par les humains. Et ça grimpe, ça grimpe.

L’optimal climatique, ou l'âge des civilisations, mis en perspective.

2 commentaires:

  1. Belle chronique très détaillée et hélas ce qui s’est passé récemment en Louisiane vient nous rappeler la responsabilité humaine.

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