J’ai déjà lu Dune quand j’étais préado, à l’époque où je m’enfilais les classiques les plus connus de la SF, comme Fondation ou Hypérion. Mais contrairement à ces deux séries, Dune n’a pas su retenir mon attention : le premier tome m’a laissé une impression mitigée, et je me suis arrêté au milieu du troisième sur six. Après relecture, je suis content de m’y être replongé : non seulement j’ai beaucoup plus apprécié le roman que la première fois, mais, surtout, je crois comprendre pourquoi je l’ai plus apprécié.
Je ne vais pas faire le résumé de Dune : la planète-désert, les gros vers des sables, la superdrogue qu’est l’épice, les tribulations du jeune Paul et de sa famille face aux machinations des vils Harkonnen… D’ailleurs, avec le recul, il est frappant de constater l’influence que Dune a probablement eu sur Star Wars : un jeune héros avec des capacités surnaturelles, un lien familial avec l’antagoniste, un fort manichéisme, un focus sur des planètes exotiques et leurs créatures, des combats qui se font à l’épée parce que c’est cool, et plus généralement, l’univers plus typé science-fantasy que science-fiction.
Mais cette trame, au-delà de la structure basique (péripéties, complots, parcours du héros…) est indéniablement très riche. L’aspect qui m’avait le plus déstabilisé, quand j’étais plus jeune, était la considérable importance de la religion dans Dune. C’est d’autant plus complexe que la religion est traitée d’une façon double, voire contradictoire. D’un côté, la religion apparaît comme une mascarade au service des puissants. Le Bene Gesserit (un ordre mi-scientifique mi-mystique) complote depuis des millénaires et, à travers une vaste entreprise de sélection génétique, a pour objectif de créer une sorte de surhomme. Le Bene Gesserit utilise aussi la religion comme arme : sur Dune, ils ont implanté des siècles auparavant toute leur mystique, et Jessica, mère de Paul et membre du Bene Gesserit, va pouvoir se servir de toutes ces croyances implantées pour parvenir à une position de pouvoir parmi les autochtones. Mais, d’un autre côté, toute cette religion est vraie, puisque Jessica a vraiment des pouvoirs surnaturels (causés à la fois par un entraînement intensif et par les effets de l’épice) et puisque son fils Paul devient véritablement un surhomme, un messie. D’ailleurs, ce caractère « vrai » de la religion est mis en avant par les facilités que rencontre Paul : quand il doit dompter un ver, il attire comme par hasard le plus gros ver jamais vu, quand il a besoin d’une tempête pour l’aider à attaquer ses ennemis, c’est comme par hasard une tempête d’une puissance extrêmement rare. Alors, accomplissements miraculeux d’un véritable messie ou simplement facilités narratives de la part de l’auteur pour créer des scènes épiques ? Je penche pour la dernière hypothèse.
D’après mes souvenirs, le côté mystique de Dune gagne en importance au fil des tomes, mais je crois que mon jeune moi avait simplement été rebuté par cette abondance de religion sans saisir, malgré la place considérable qu’elle occupe, et le caractère franchement pénible des nombreux rituels arbitraires qui ponctuent la narration, qu’elle est avant tout dépeinte comme à la fois un outil du pouvoir et un besoin existentiel pour les peuples. Les « miracles » accomplis par l’entraînement, l’épice et la sélection génétique peuvent s’expliquer scientifiquement (même s’ils ne le sont pas toujours dans la narration), mais au final, ce sont les humains qui fabriquent ces « miracles » au service de leurs intérêts politiques ou psychologiques, et j’apprécie cette plongée dans la realpolitik de la religion. De même, le cliché narratif de la « prophétie », qui semble au premier abord n’être rien de plus qu’un poncif éculé, s’explique au fil de la narration par ces manipulations à grande échelle.
Autre aspect qui avait frustré la version plus jeune de moi : Dune est plus de la science-fantasy que de la science-fiction. Ce qui intéresse souvent dans la SF, c’est un ordre social différent, bizarre, inhabituel, utopique ou dystopique, bref, un ordre social qui n’est pas familier, qui nous projette dans l’inconnu. À l’inverse, dans Dune, malgré quelques factions exotiques, l’ordre social est incroyablement classique : il y a un empereur qui domine tout le monde et des nobles qui dominent chaque planète avec leur famille. On est dans une société féodale, où les puissants règnent sans partage, ont des esclaves, font des duels à l’arme blanche et complotent pour s’emparer du trône. D’ailleurs, tous les personnages sont des membres de l’élite. Même Chani, l’amoureuse de Paul, est la fille du chef des autochtones. On ne sort jamais vraiment des cercles du pouvoir et des puissants. Quand j’étais plus jeune, j’avais une faim avide de nouveauté, j’ai donc été déçu par cet ordre social apparemment classique. Aujourd’hui, non seulement j’ai été plus capable d’apprécier les subtilités qui font la richesse de l’univers de Dune, mais peut-être plus important encore, mon expérience du réel a ancré en moi un profond doute envers le progrès social. Ce que je veux dire, c’est qu’une société à la fois féodale et technologiquement supérieure à la nôtre ne me semble plus une notion si grotesque.
Sur le plan de l’écriture, il y a quelques facilités, notamment au début, les personnages disent des choses qu’ils savent déjà pour le seul bénéfice du lecteur, c’est un procédé un peu gros. Par exemple, au début de la troisième partie, les personnages évoquent immédiatement le temps qui s’est écoulé depuis la partie précédente, mais bien sûr, c’est artificiel, cette information n’est destinée qu’au lecteur. Frank Herbert essaie aussi de faire passer l’idée que Paul est incroyablement intelligent, il insiste beaucoup là-dessus, il le répète très souvent, mais c’est loin d’être toujours convainquant. Pas facile d’écrire une intelligence surhumaine, et il ne me semble pas qu’Herbert y parvienne. Par contre, j’ai noté un procédé qui, lui, fonctionne : Herbert fait beaucoup d’ellipses entre ses chapitres, et ça contribue à densifier l’univers et la narration en laissant des choses en arrière-plan, et en créant de la curiosité.
Au final, difficile de nier les qualités de Dune. À un premier niveau de lecture, c’est un roman dense, riche en rebondissements, en passages héroïques, en machinations diaboliques… D’ailleurs, sur le plan des machinations diaboliques, les passages qui se concentrent sur les méchants Harkonnen sont particulièrement croustillants. Et à un second niveau de lecture, Dune explore des thématiques variées d’une façon souvent habile, la religion notamment, mais aussi le rapport extractiviste à l’environnement. Au début, j’étais assez sceptique face à cet univers quasi-féodal et ces histoires éculées de familles nobles et de « prophéties », mais il y a indiscutablement de la matière sous ces poncifs.
lundi 16 août 2021
Dune - Frank Herbert
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