samedi 9 mai 2020

Overshoot - William R. Catton Jr.


Mentionnons l'exemple brillamment choisi sur lequel William R. Catton Jr. ouvre son livre. Une communauté des bords de la Volga, en 1921, souffre de la famine : presque la moitié de la communauté en est mort, et les choses ne s'arrangent pas. Or, dans un champ voisin se trouve une pile de sacs de grains. Pourquoi ne pas manger ces grains pour survivre ? Car ces grains sont les graines du prochain semi. « Nous ne volons pas le futur », dit le vieux patriarche.

Overshoot (1982) William R. Catton Jr. fait beaucoup penser au rapport Meadows de 1972, alias Les limites de la croissance. On retrouve la même conclusion dans ces livres qui ne prennent même pas en compte les changements climatiques : à moins d'un changement radical et improbable dans les habitudes humaines, un effondrement civilisationnel est hautement probable. Et comme pour le rapport Meadows, lire ça aujourd'hui est parfaitement déprimant, car bien sûr, rien n'a changé, au contraire.

Le livre est peu redondant pour qui a l’habitude de lire de la littérature environnementale plus contemporaine, alors je l'ai souvent parcouru en diagonale, mais néanmoins il ne manque pas de concepts importants. Le principal, en bonne place sur la couverture, est celui de carrying capacity (j'utiliserai la traduction capacité biotique). Il s'agit simplement de la population maximale d'un organisme donné que peut faire subsister un milieu donné sur le long terme. Bien sûr, l'idée, c'est que l'être humain, grâce à la technique, croit s'être totalement séparé de la capacité biotique de son environnement. C'est la capacité biotique fantôme : des ressources disponibles sur un court terme qui donnent une illusion de prospérité infinie. Or, les techniques qui permettent d’échapper temporairement aux limites ne permettent pas de véritablement les élever, d'autant plus que ces mêmes techniques, tout en offrant une énorme capacité biotique temporaire, réduisent la capacité biotique réelle. 

Voilà ce qui est au cœur de ce bouquin. L'overshoot du titre, c'est le dépassement de cette capacité biotique. « La nature exigera une réduction de la domination humaine sur l'écosystème global. Les changements nécessaires sont si révolutionnaires qu'au contraire nous serons presque irrésistiblement tentés de prolonger et augmenter notre domination à tout prix. » En effet, c'est bien ce qui s'est passé depuis 1982 et très certainement ce qui continuera jusqu'à un décrochage involontaire des systèmes civilisationnels actuels.

Quelques idées séduisantes en vrac :
  • L'être humain ne peut exister que là où il est capable de remplacer l’énergie qu'il utilise pour vivre.
  • Selon ce principe, le Nouveau Monde, au moment de sa « découverte », était déjà plein.
  • L'être humain moderne est un chasseur-cueilleur de carburants fossiles, qui n'ont pas l’avantage de repousser en quelques mois.
  • Le lien étroit entre « progrès social » et situation environnementale.
  • Un des détails de cette notion : dans les situations de compétition intensifiée, chaque personne redoute d'être considérée comme superflue, et donc chaque groupe tente de rendre un autre groupe superflu pour libérer de l'espace.
  • En défense de Malthus : s'il avait tort de penser que l'être humain ne pouvait pas dépasser la capacité biotique de son environnement, ce dépassement n'est pas une preuve que cette croissance peut continuer indéfiniment.
  • En 1982 comme aujourd'hui, l'idée d'un abaissement partiel du niveau vie n'est pas une véritable solution, ce n'est qu'un petit délai.
Et pour conclure, des schémas qui sont presque les mêmes que dans Les limites de la croissance. Et pour cause : ils sont d'une efficacité dévastatrice. L'hypothèse A est déraisonnablement optimiste : il est probable que que la charge humaine ait déjà dépassée la capacité biotique de l'écosystème. Si l'hypothèse B reconnait néanmoins que la capacité biotique est dégradée par la charge humaine, elle oublie que le point de dépassement est certainement déjà passé et surestime drastiquement l’adaptabilité de l'humanité : c'est encore aujourd'hui le discours environnementaliste classique. L'hypothèse C reconnait que la charge humaine est déjà au-delà de la capacité biotique et qu'en conséquence un effondrement est inévitable, mais suppose la possibilité d'un rebond grâce à une « réparation » de la capacité biotique. On peut en douter : les stocks d'énergies fossiles ne vont pas réapparaitre et les dégâts environnementaux ne pas s'évanouir. Dans l'hypothèse D, la capacité biotique est séparée en deux en ajoutant l'idée de capacité biotique fantôme (temporaire) et l'hypothèse d'un rebond est improbable en raison de l'impossibilité de retrouver la capacité biotique fantôme une fois qu'elle est épuisée.

Overshoot -  William R. Catton Jr. capacité biotique carrying capacity

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