jeudi 28 mai 2020
Midnight in Chernobyl - Adam Higginbotham
Sur Tchernobyl, j'avais déjà lu La Supplication de Svetlana Alexievitch : une approche émotionnelle de la catastrophe, basée sur la restitution de témoignages. Midnight in Chernobyl (2019) d'Adam Higginbotham est très différent : on est face à un récit plus traditionnel, globalement chronologique et extrêmement détaillé. Ce qui fait la grande force de ce livre, c'est sa remarquable efficacité narrative, qui donne presque l'impression de lire un roman. L'auteur se sert des nombreuses personnes impliquées comme de personnages qui vivent la tragédie à travers leur propre subjectivité. Il y a quelques passages plus techniques, ou plus géopolitiques, mais l'écriture de Midnight in Chernobyl est remarquable tant elle met une narration quasi romanesque au service d'un essai au sujet dense et complexe, un peu comme dans La cité perdue de Z, lu récemment.
L'auteur décrit succinctement le fonctionnement d'un réacteur nucléaire et je suis loin d'avoir tout compris, ce qui suit n'est donc qu'un petit mémo bancal, d'autant plus qu'il existe des tas de types de réacteurs différents. Je retiens particulièrement l'idée que des réactions nucléaires sont possibles à l'état naturel, notamment dans des dépôts souterrains d'uranium dans lesquels de l'eau sert de modérateur (comme dans les réacteurs humains), c'est-à-dire, si j'ai bien compris, qu'elle ralentit les neutrons suffisamment pour lancer le processus de réaction en chaine. Dans un réacteur humain, il faut stabiliser le processus : si chaque fission crée moins de neutrons que la précédente, la réaction en chaîne ralentit, mais le danger inverse existe aussi et est plus dangereux. C'est grâce à une toute petite proportion de neutrons plus lents que la moyenne que les humains peuvent gérer ces processus extrêmement rapides. Des barres d'éléments qui absorbent les neutrons sont comme des "éponges" qui servent à ralentir la réaction en chaîne : plus ces barres sont plongées profondément dans le réacteur, plus elles ralentissent la réaction. Il faut donc un modérateur (eau, graphite...), des barres de contrôle et un refroidissement (eau, air...). Et par ailleurs, Prypiat, pour l'URSS, était un lieu de vie particulièrement agréable, car construit en pleine nature et choyé par le Parti grâce à son statut de ville modèle pour l'avenir du pays.
Les origines de la catastrophe se trouvent en bonne partie dans la culture globale de l'URSS. J'aime beaucoup cet exemple de l'inefficacité de cette centralisation à la fois surpuissante et impuissante : les données internes étaient tellement trafiquées en réponse à des exigences irréalistes que, pour savoir comment se portaient les récoltes du pays, le KGB est allé jusqu'à pointer ses propres satellites espions sur l’Ouzbékistan soviétique. Au fil du livre, on a l'impression que Gorbatchev essayait sincèrement de mener à bien sa politique de relative libéralisation, la glasnost, mais se heurtait à l'insurmontable inertie d'un système rouillé dont l'ampleur dépassait son chef officiel. Par exemple, non seulement les multiples incidents nucléaires étaient censurés, empêchant ainsi une estimation des risques réels et une correction de ces risques, mais même les incidents à l'étranger (Three Mile Island aux USA) étaient censurés, pour ne pas ternir la réputation de l'atome. Après l'accident, de nombreux responsables sont restés longtemps dans le déni tant la culture ambiante de gloire socialiste rejetait toute possibilité d'échec et de désastre. Les autorités locales pouvaient censurer d'elles-mêmes les problèmes pour ne pas avoir à les faire remonter le long de la chaîne de commande. Ainsi, les premiers signes internationaux de la catastrophe sont venus d'une centrale de Suède qui a détecté la radioactivité qui se déplaçait au fil des vents. La conception du réacteur de Tchernobyl était en faute, mais pour protéger les autorités scientifiques du pays et le mythe de la science toute-puissante, le blâme a été globalement reporté sur les individus qui travaillaient à la centrale : s'ils ont certes commis des erreurs sous la pression de la culture du travail aux objectifs irréalistes, ils n'ont fait qu'allumer par inadvertance la poudre métaphorique qui n'aurait pas dû se trouver dans le réacteur.
Autre chose marquante : il est frappant de constater l'ignorance globale ce qui se passait dans le réacteur dans les semaines après l'explosion du réacteur. Personne n'avait d'idée précise sur la question et les diverses réactions, qui incluaient notamment de creuser des tunnels sous le réacteur pour y faire passer des substances refroidissantes, étaient des coups de poker. Encore plus surprenant : après l'accident, dès 1987, les trois autres réacteurs de la centrale ont été remis en marche. Le dernier n'a été éteint qu'en 2000.
L'exploration scientifique des conséquences de l'accident est passionnante et les descriptions m'ont souvent fait penser aux jeux vidéos de la série Stalker. Les feuilles des arbres qui deviennent géantes, les épines des conifères dont la longueur est multipliée par dix... Quant à l'intérieur du sarcophage, les scientifiques y découvrent des formations extrêmement radioactives : les restes à peu près refroidis du magma qui se frayait un chemin destructeur hors du réacteur, après l'explosion. Je pense aussi à tous les marqueurs sensoriels des radiations, l'odeur d'ozone notamment, qui donnent à cet environnement une densité surréaliste.
En somme, 116000 personnes ont été évacuées et 600000 autres ont participé au travail de "liquidation", parfois quelques instants seulement, le temps d'absorber 25 rem. Ensuite, en 1989, quatre mois avant la chute du mur de Berlin, Gorbatchev annonce dans un discours qu'il n'interviendra pas si les peuples des satellites soviétiques choisissent l'indépendance.
Libellés :
Environnement,
Essais,
Histoire,
Récits de voyage/survie/guerre,
Société
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire