samedi 27 octobre 2018

Le syndrome de l'autruche - George Marshall


Le syndrome de l'autruche - George Marshall

Un bouquin fort intéressant qui a une approche originale du changement climatique : il essaie de comprendre pourquoi c'est un problème que nous mettons de côté avec une aisance déconcertante, malgré son importance critique. George Marshall va à la rencontre de pas mal de climato-sceptique et autres climato-négationistes, puis il s'attaque à l'aspect psychologique du problème, et enfin propose quelques solutions avant de, dans les dernières pages, faire un rapide résumé du triste avenir probable. J'ai toujours du mal à trouver des chiffres sur l'élévation du niveau des mers : Marshall parle de 10 mètres pour une augmentation de 4° vers 2060, avec une augmentation qui pourrait aller jusqu'à 8° à la fin du siècle. Pas la peine de préciser que la civilisation humaine telle qu'on la connait, dans de telles conditions, aurait un visage bien différent.

Avant de relever des points intéressants de façon chronologique, notons que Marshall semble vouloir prendre exemple sur la religion pour repenser la communication autour du changement climatique. Et on le comprend : les religions, ça marche plutôt bien. Mais je ne peut m'empêcher de penser que c'est bien naïf : les religions sont des négations de la réalité qui offrent de l'espoir, alors que l'environnementalisme est une (tentative de) compréhension de la réalité qui peut difficilement offrir autre chose que de sombres perspectives.

Petit point sur le biais de confirmation : la tendance à privilégier les preuves qui étayent nos connaissances, idées et croyances. C'est à dire que ce ne sont pas tant les faits qui forment les opinions, mais les opinions qui offrent un cadre interprétatif des faits. (p.41)

Un autre biais, le biais de disponibilité : la tendance à se forger une opinion par rapport aux informations les plus accessibles. Celui-là fait surestimer l'importance des événements proches et empêche de se projeter dans le passé ou l'avenir. (p.42)

« L'attitude adoptée face à la question du changement climatique est devenue un code social,au même titre que le contrôle des armes à feu : un moyen rapide de savoir qui fait partie de notre groupe et partage nos inquiétudes. » (p.56) C'est la tendance innée qu'a l'être humain à la pensée tribale : les opinions ne sont pas tant forgées sur la réalité que sur le besoin de créer une communauté aux croyances communes qui s'opposent aux croyances d'autres communautés.

Autre facteur : l'effet de témoin. « Plus le problème est connu par d'autres (supposons-nous), plus nous faisons abstraction de notre bon sens et observons les comportements autour de nous pour savoir comment réagir. » (p.61) « Ainsi, si vos opinions sur le changement climatique diffèrent des opinions socialement admises, vous vous retrouvez à mesurer deux risques : celui, vague et hasardeux , du changement climatique et celui, certain et très personnel, de la transgression de la norme. Nous finissons souvent par décider qu'il vaut mieux ne pas évoquer le sujet, même avec nos proches. » (p.63)

« Pour les conservateurs, le problème du changement climatique est tombé à pique pour remplacer l'épouvantail du communisme qui avait si longtemps mobilisé leurs forces. » (p.77) Ainsi la position de climato-négationiste a un avantage clair : elle a un ennemi, l'écolo gauchiste. Alors que sensibiliser sur le changement climatique est ardu : l'ennemi, ce sont les habitudes des sociétés dans lesquelles nous vivons. « Pour faire changer les choses, il faut des mouvements sociaux. Pour qu'il y ait des mouvements sociaux, il faut des cibles physiques, ou un produit, ou un lieu qui puissent faire l'objet de boycott, de blocus, d'occupation. Et pour qu'un récit d'occupation fonctionne, il faut un opposant. » (p.85)

Marshall va papoter avec Daniel Kahneman, l'auteur du fascinant Thinking, fast and slow, qui ne se révèle guère optimiste. Je sélectionne deux problèmes. (p.105+)
  • Notre cerveau est fait pour surtout réagir aux problèmes immédiats et irréfutables. Le changement climatique ne répond pas à ce critère. 
  • Répondre au changement climatique impliquerait d'accepter des baisses du niveau de vie : or, notre cerveau déteste les pertes encore plus qu'il n'aime les gains. 
« Une question devient problématique si elle ne porte que sur des pertes et non sur des gains. Et elle est problématique si ces pertes sont à long terme et non à court terme. Et elle est problématique si elle apparait globalement incertaine. Le changement climatique est une fusion presque parfaite de ces trois facteurs. » (p.106)

Marshall évoque la réponse inverse à celle du militant écolo moyen : le bright-sidind. Voir le changement climatique comme une opportunité, porté par une foi intense dans les capacités humaines. On y retrouve beaucoup les courants libertariens, et l'auteur évoque Sustainia, une sorte de fantasme technologiste surréaliste porté par des riches et puissants. Par exemple : « On peut ainsi lire sur les plaquettes d'information brillantes de Sustainia l'histoire d'un héros du futur, Prabhu, un entrepreneur capitaliste travaillant dans le domaine des panneaux solaires et basé à Seattle, qui se rend à une réunion d'affaire dans son avion solaire (...). A Sustainia on peut entendre des phrases telles que : "Inutile de culpabiliser sur la quantité d'énergie utilisée - vous savez qu'elle est non polluante."» (p.246) Et comme le dit Marshall, ce genre de position, étant, on peut le dire, du déni, « promeut un mode de vie ambitieux et énergivore, tout en ignorant entièrement les profondes inégalités, la pollution et les déchets nécessaires pour permettre ce mode de vie. » (p.248)

Pendant qu'on est sur le déni à dimension surréaliste, mentionnons la visite de l'auteur chez Shell, où, pour des raisons de sécurité, on le presse de faire attention à ses lacets et de bien tenir la rambarde dans les escaliers, pour ne pas se blesser. (p.291) Et il est bien dans des bureaux : pas sur une station pétrolière. L'esprit humain peut faire de sacrés pirouettes pour se donner bonne conscience.

Un problème dans le débat sur le changement climatique : le débat est concentré sur les émissions (de gaz, surtout) et pas sur l'origine de ces pollutions, à savoir l'extraction de combustibles fossiles. Ainsi, se prendre la tête sur l'émission de gaz ne mènera pas à grand chose si rien ne change à l'origine du cycle.

Fait fascinant : les études comportementales signalent que les parents ne se préoccupent pas plus du changement climatique, mais moins. Avoir un enfant encouragerait à mettre en place des stratégies d'évitement et de déni pour ne pas faire face au futur réaliste. (p.311)

400 pages, 2014, actes sud

2 commentaires:

  1. Sur une thématique proche, je vous suggère aussi la lecture du livre "Le syndrome de la grenouille" d'Ivar Ekeland chez Odile Jacob (ou comment cuire s'en s'en apercevoir, en douceur... à feu doux).
    (s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola

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