vendredi 5 octobre 2018

Vies et doctrines des philosophes illustres - Diogène Laërce

Vies et doctrines des philosophes illustres - Diogène Laërce


Quel plaisir que de lire Diogène Laërce. C'est drôle, instructif, émouvant, fascinant. Il dresse les portraits de philosophes tantôt grotesques, tantôt admirables, il évoque leurs touchantes amitiés comme leurs rivalités parfois risibles, il se moque d'eux ouvertement ou montre discrètement son respect, et son exactitude d'historien est parfois hilarante. Ainsi, après avoir donné la longue liste des livres d'Aristippe, il mentionne: « Certains disent qu'il écrivit également six livres de diatribes, d'autres, dont Sosicrate de Rhodes, qu'il n'écrivit rien du tout. » (p.289) J'aimerais pouvoir reproduire toutes les réparties croustillantes, les dogmes plus ou moins douteux et autres morceaux de bravoure philosophique, mais ma petite sélection personnelle ne peut qu'être limitée. 

Tout d'abord, quelques extraits limpides d'une classification de la philosophie.
Parmi les philosophes, les uns furent dogmatique, les autres éphectiques ; dogmatiques sont tous ceux qui, à propos des réalités, affirment qu'elles sont compréhensibles ; éphectiques sont tous deux qui suspendent leurs jugements à leurs propos, en considérant qu'elles sont incompréhensibles. (Les septiques, en gros.) (p.74)
Il y a trois parties de la philosophie : la physique, l'éthique et la dialectique ; la physique a pour sujet le monde et les êtres qu'il contient ; l'éthique a pour sujet la vie et les affaires qui nous concernent ; la dialectique est la partie qui s'occupe des raisonnements mis en œuvre par les deux autres parties. (p.75)
Mentionnons Thalès, présocratique le plus ancien (ou pas loin), qui serait l'auteur du « Connais-toi toi-même » qui ornait le temple d’Apollon à Delphes.

A propos de Solon, qui, lui, serait l'auteur du « Rien de trop », aussi sur le temple d'Apollon.
Certains disent que Crésus, après s'être paré de tous ses atours et s'être assis sur son trône, lui demanda s'il avait déjà contemplé plus joli spectacle. Solon répondit : « Oui, des coqs faisans et des paons, car ils sont parés d'un éclat naturel et mille fois plus beau. » (p.99)
A propos d'Anacharsis.
Comme on lui demandant quels vaisseaux sont relativement sûrs, il dit : « Ceux qui sont en cale sèche ». (p.141)
Comme on lui demandait lesquels sont les plus nombreux, les vivants ou les morts, il dit : « Dans quelle catégorie ranges-tu ceux qui naviguent ? » (p.141)
A propos de Socrate.
Comme souvent, dans le cours de ses recherches, il discutait avec trop de violence, on lui répondait à coups de poing et en lui tirant les cheveux, et la plupart du temps il faisait rire de lui avec mépris ; et tout cela il le supportait patiemment. D'où vient qu'après qu'il se fut laissé battre à coups de pied, quelqu'un s'en étonnant, il dit : « Et si c'était un âne qui m'avait donné une ruade, lui intenterais-je un procès ? » (p.230)
Ayant invité à dîner des hommes riches, et Xanthippe en concevant de la honte, il dit : « Courage : car s'ils ont le sens de la mesure, ils s'adapteront ; mais s'ils ne valent rien, nous n'aurons pas à nous soucier d'eux. » (p.240)
A propos d'Aristippe.
« Mieux vaut mendier », disait-il, « qu'être sans éducation ; car si les mendiants manquent d'argent, les gens sans éducations manquent, eux, d’humanité. » (p.278)
Un jour qu'il faisait une traversée en direction de Corinthe et qu'il subissait les assauts de la tempête, il lui arriva d'éprouver de la frayeur. A qui lui dit : « Nous, les gens ordinaires, nous ne craignons pas, tandis que vous, les philosophes, vous êtes morts de peur ! », il répondit : « En effet, ce n'est pas pour une âme de même espèce que nous avons de l'inquiétude ». (p.278)
Il a dit que s'il recevait de l'argent de ses disciples, ce n'était pas pour le dépenser lui-même, mais pour qu'eux sachent à quoi il faut dépenser son argent. (p.279) 
Une différence clé entre les cyrénaïques et Épicure :
La suppression de la douleur, telle qu'elle est envisagée par Épicure, n'est pas un plaisir à leurs yeux, pas plus que l'absence de plaisir n'est une souffrance. Douleur et plaisir sont en effet tous deux dans le mouvement. (p.295)
A propos de Ménédème d'Erétrie.
Ayant entendu un jour quelqu'un prétendre que le plus grand bien c'est d'obtenir tout ce que l'on désire, il dit : «C'en est un beaucoup plus grand que de désirer ce qu'il faut ». (p.352)
A propos de Bion.
Comme on lui demandait un jour quel est celui qui est le plus angoissé, il répondit : « Celui qui veut atteindre le bonheur suprême ». (p.526)
Une parenté potentielle entre Socrate, les cynique et les stoïciens : Socrate → Antisthène → Diogène → Cratès → Zénon (p.657)

A propos d'Antisthène, qui ne manque pas de charisme.
Il conseillait aux Athéniens de décider par voie de vote que les ânes sont des chevaux. Comme eux trouvaient l'idée absurde, il leur dit : « Mais pourtant, chez vous, on devient stratège sans avoir rien appris ; il suffit d'un vote à main levée ! » A qui lui avait dit : « Il y a beaucoup de gens qui font ton éloge », il répliqua : « Qu'ai-je donc fait de mal ? » (p.686)
Le sage éprouvera des passions amoureuses, car il est le seul a savoir quelles personnes il faut aimer. (p.690)
Il mourut épuisé par la maladie ; à cette occasion, Diogène vint lui rendre visite et lui dit : « N'as-tu pas besoin d'un ami ? » Et un jour il vint chez Antisthène avec une petite épée. Comme ce dernier lui disait : « Qui pourrait me délivrer de mes maux ? », Diogène lui montra la petite épée et dit : « Ceci ». Mais Anthisthène reprit : « J'ai dit de mes maux, pas de la vie ». De fait il supportait avec assez peu de courage, semble-t-il, la maladie, tant il aimait la vie. (p.701)
A propos de Diogène. D'abord, un petit exemple de la rivalité qui opposait Diogène et Platon, chacun reprochant à l'autre son orgueil.
Un jour qu'il était là, complètement trempé, et que les gens autour de lui manifestaient de la pitié, Platon, qui se trouvait là, dit : « Si vous voulez le prendre en pitié, allez-vous-en ! », dénonçant par là son amour de la vaine gloire. (p.719)
« L'ignorant, s'il est riche, est », disait-il, « un mouton à toison d'or. » (p.722)
Comme on lui demandait pourquoi les gens font l'aumône aux mendiants et non aux philosophes, il répondit : « Parce que s'ils craignent de devenir un jour boiteux et aveugles, jamais ils ne craignent de devenir philosophes ». (p.729)
A des gens qui faisaient un sacrifice aux dieux pour avoir un fils, il dit : « Et ne sacrifiez-vous pas pour la sorte d'homme qu'il deviendra ? » (p.733)
Inscriptions faites sur le tombeau de Diogène par les habitants de Corinthe (je crois) où il a passé la fin de sa vie :
Même le bronze subit le vieillissement de temps,
mais ta renommée, Diogène, l'éternité ne la détruira point.
Car toi seul a montré aux mortels la gloire d'une vie
indépendante et le sentier de l'existence la plus facile à parcourir.
Faisons aussi honneur à Hipparchia, la seule femme philosophe à laquelle Diogène Laërce consacre un chapitre. Pour vivre en cynique avec Cratès, elle renonce à la richesse.

A propos de Zénon. Mentionnons aussi la lettre du roi Antigone, qui, impressionné par le philosophe, l'invite chez lui. On retrouve ce genre de cas, un roi invitant un philosophe, plusieurs fois dans l'ouvrage.
Ayant demandé à l'oracle ce qu'il devait faire pour vivre de la meilleure façon possible, le dieu lui répondit qu'il y arriverait s'il entrait dans la fréquentation des morts ; c'est pourquoi, ayant compris, il lut les ouvrages des Anciens. (p.790)
 A propos de la doctrine de Zénon et des stoïciens en général.
Ce que certains disent : que l'impulsion première chez les êtres vivants se porte vers le plaisir, les stoïciens montrent que c'est faux. Il disent en effet que le plaisir, s'il existe vraiment, est un résultat accessoire, quand la nature elle-même et en elle-même, après avoir cherché ce qui est en harmonie avec sa constitution, s'en saisit ; c'est de cette façon que les animaux dégagent un bonheur de vivre et que les plantes prospèrent. (p.846)
Parmi les êtres, ils disent que les uns sont bons, les autres mauvais, les autres ni bons ni mauvais. Sont bons les vertus, prudence, justice, courage, modération et les autres. Sont mauvais les contraires : sottise, injustice et les autres vices. N'est ni bon ni mauvais tout ce qui ne profite ni ne nuit, comme vie, santé, plaisir, beauté, force, richesse, réputation, bonne naissance et leurs contraires : mort, maladie, souffrance, laideur, faiblesse, pauvreté, mauvaise réputation, basse extraction et tout ce qui est de cette nature. Ces choses en effet ne sont pas des biens, mais des indifférents, de l'espèce des préférables. (p.854)
Ils disent que ce dont il est possible de faire bon au mauvais usage n'est pas un bien ; or il est possible de faire bon ou mauvais usage de richesse et santé ; richesse et santé ne sont donc pas des biens. (p.855)
Ils disent qu'il y a trois bonnes affections (eupathies), la joie, la défiance et l'aspiration. La joie, disent-ils, est opposée au plaisir, était un soulèvement raisonnable. La défiance est opposée à la crainte, étant une répulsion rationnelle. Le sage en effet n'éprouvera aucune crainte, mais marquera de la défiance. Au désir, ils disent qu'est opposée l'aspiration, qui est une tendance rationnelle. (p.861)
Chez Zénon et les stoïques, une sorte de monothéisme. Chaque entité du panthéon grec représenterait une extension de la divinité, qui serait la substance de tout. (p.876)

A propos de Denys le Transfuge, un stoïcien.
Denys le Transfuge a dit que la fin était le plaisir, à cause d'une circonstance pénible : une maladie des yeux ; souffrant en effet de façon intense, il hésita à dire que la douleur était un indifférent. (p.890)
Héraclite, auteur de De la nature, déposé au temple d'Artémis et devenu très populaire, répondant au roi Darius qui l'invite dans son palais.
Tous ceux qui se trouvent sur Terre sont bien éloignés de la vérité et de la justice : ils se soucient de leurs désirs insatiables et de leur soif d'honneurs, à cause de leur misérable démence. Pour moi, j'entretiens en moi l'oubli de toute mesquinerie, j'évite le rassasiement de toutes choses, qui est le compagnon habituel de l'envie ; et parce que je redoute l'éclat excessif, je ne saurais me rendre dans le pays des Perse, me contentant de peu selon mon idée. (p.1056)
A propos de Xénophane.
Empédocle lui ayant dit que le sage était introuvable, il lui répondit : « C'est normal, car il faut être sage pour pouvoir reconnaitre le sage. » (p.1062)
A propos de Pyrrhon, père du scepticisme, dont les doctrines sont plus que discutables, je retiens une anecdote.
Un jour qu'Anaxarque était tombé dans un marécage, il continua son chemin sans lui prêter main forte ; mais alors que certains lui en faisaient reproche, Anaxarque lui-même fit l'éloge de son indifférence et de son absence d'attachement. (p.1101)
Et j'extrais de ses doctrine une belle phrase.
Il ne faut pas supposer que ce qui nous persuade est vrai. (p.1128)
Diogène Laërce conclut sur Épicure, dont il nous offre les seuls textes que l'on possède. Je commence à être un peu épuisé, alors je relirai Épicure une autre fois. Mentionnons la lettre à Iomédé, où Épicure, mourant, souffrant, affirme à son ami que la douleur n’efface pas la joie qu'il éprouve au souvenir de leurs conversations. Je conclut sur la représentation du fastueux train de vie de ce philosophe du plaisir.
Il dit lui-même dans ses lettres qu'il a son content avec seulement de l'eau et du pain de froment, et il écrit : «Envoie-moi un pot de fromage, afin que je puisse, quand je le voudrai, faire grande chère. » (p.1245)
 1300 pages, troisième siècle (?), le livre de poche

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