Un titre un peu trompeur, puisque Les guerres du climat a, dans son étude des conflits futurs, une approche vraiment très large, sociologique et historique. Ainsi on passe sans doute plus de temps tourné vers le passé et le présent, et ce mélange des temporalités n'est pas désagréable. Un point important est que le changement climatique ne va pas simplement créer des violences, il va décupler les violences déjà existantes : l'exemple du Darfour est employé comme un modèle de ce qui risque de se développer.
A propos de l’émigration qui, les zones proches de l'équateur devenant de plus en plus inhabitables, va drastiquement augmenter : « La solution idéale [pour les gouvernements occidentaux] consisterait à repousser les frontières de l'Europe jusqu'en Afrique et d'empêcher les candidats à l'immigration de quitter leur continent. » (p.19) Il y a déjà des initiatives dans ce sens. Ainsi, la violence est délocalisée dans les pays où il y a déjà le plus de violence.
Harald Welzer passe beaucoup de temps à analyser les situations de violence de passé pour comprendre la facilité avec laquelle l'être humain peut changer de bases morales. A propos de la Shoah :
L'acte de tuer lui-même était considéré comme une tâche qui était nécessaire, mais causant aux hommes des difficultés considérables, parce que cela ne correspondait pas à l'image qu'ils avaient d'eux-mêmes que de tuer des êtres sans défense et, en particulier, des femmes et des enfants. Mais, précisément parce qu'ils pouvaient se sentir comme des hommes souffrant de la tâche qu'ils pensaient être obligés d'accomplir, ils parvenaient à concilier leur image morale de « braves types » avec leur travail atroce. (p.28)
C'est précisément cette souffrance qui leur a permis de ne jamais ce sentir des meurtriers, ni sur le moment ni par la suite, dans l'après-guerre. Ils étaient en mesure d'insérer leurs actes dans un cadre référentiel qui faisait sens. Cette capacité de mettre en place de telles références - je tue au nom d'une fin supérieure, je tue pour les générations à venir, je tue autrement que les autres, ce travail ne me fait pas plaisir - est une modalité psychologique qui rend les hommes capables de faire les choses les plus inimaginables, de faire absolument n'importe quoi ; à la différence de ce qui se passe chez les êtres vivants non doués de conscience, le comportement humain n'est pas limité par l'instinct ou les dispositions innées. Les hommes existent dans un univers social, et c'est pour cela qu'on devrait effectivement considérer que tout est possible. (p.38)L'auteur évoque l'opinion que ces violences ne sont en aucun cas une « rechute dans la barbarie », mais bien « la conséquence logique de tentatives modernes pour établir l'ordre et résoudre les problèmes ressentis par les sociétés. » (p.35)
Juste en passant, un aspect auquel on (ou plus tôt je) ne pense guère à propos de la montée des eaux : plus les océans se réchauffent, plus l'eau se dilate, augmentant ainsi le phénomène de montée. Alors certes, la dilatation est extrêmement légère, mais sur de telles quantités d'eaux, on atteint aisément les dizaines de centimètres avec de fortes hausses de température.
A propos de la facile banalisation de la violence : les individus peuvent rejoindre des mouvements violents non pas parce qu'ils partagent leurs idéologies, mais pour de simples avantages pratiques. Exemples : un intellectuel allemand acceptant le nazisme dans l’intérêt de sa carrière universitaire, ou un Hutu allant massacrer des Tutsi simplement pour échapper à la misère. « Dans cette mesure, l'exercice de la violence, dans la perspective des exécuteurs, peut avoir des causes beaucoup plus concrètes qu'on ne le voit en parlant de "folie raciste", de "purification ethnique" ou de "génocide".» (p.97)
Sur le terrorisme :
Non seulement ce sont les moyens et les cultures modernes de communication qui rendent possibles le terrorisme actuel, mais c'est l'exigence de liberté adressée à l'individu par la modernisation qui provoque la plus violence modernisation contre la modernité. (p.184)On arrive au cœur de la thèse de l'auteur : la difficulté pour l'homme de se faire une image objective de la réalité. Ainsi, une idée qui illustre la difficulté de croire aux potentiels changements brutaux :
Plus un risque est indiscutable, plus grande est la dissonance et plus il est nécessaire de la réduire par l'indolence, le refoulement ou le refus. On vivrait mal, sinon, avec des dangers incontrôlables. (p.220)Plus loin, un concept important :
Shifting baselines, c'est ainsi que les psychologues de l'environnement nomment le phénomène fascinant qui consiste en ce que les hommes considèrent toujours comme « naturel » l'état de leur environnement qui coïncide avec la durée de leur vie et de leur expérience. Les changements de leur environnement social et physique ne sont pas perçus dans l’absolu, mais toujours seulement de façon relative à leur point d'observation. (p.225)Exemple frappant : des pêcheurs. Les jeunes pécheurs trouvent normal qu'il n'y ait pas de poisson près des côtes : ils ne considèrent pas qu'il y a réduction drastique des populations, contrairement à leurs grand-parents, qui s'en rendent compte. Les jeunes pensent que seulement deux espèces ont disparues, alors que les vieux en citent onze. (p.226) Les jeunes ne pensent pas à la disparition : ils pensent simplement que ces poissons n'ont jamais existé dans leur coin.
Et, pour les réalités sociales, les changements de réalité subjective peuvent être encore bien plus brefs. La normalisation se fait à une vitesse ahurissante. Exemple : la valorisation de l'attentat suicide chez certaines population, alors que le coran interdit le suicide. (p.244)
Sur le mythe du progrès et les moyens de changer de direction :
Pour commencer, le problème du réchauffement est né de l'emploi irréfléchi de la technique, et donc toute tentative pour le supprimer par un « meilleur » emploi de la technique fait partie du problème et non de la solution. (p.274)
La question des modes et des possibilités de survie future est une question culturelle, et, comme telle, elle est à rapporter à la forme à donner à notre société et au monde où nous vivons. (p.277)
Les stratégies individualistes de lutte contre le changement climatique ont avant tout des fonctions sédatives. Le niveau de la politique internationale ne permet d'envisager des changements qu'à très long terme. Reste donc, comme champ d'action, culturelle, le niveau moyen, celui de notre propre société, et par conséquence le travail démocratique sur cette question : comment veut-on vivre à l'avenir ? (p.282)Je vais laisser ça en conclusion.
300 pages, 2008, gallimard
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