samedi 13 octobre 2018

Aventures chez les transhumanistes - Mark O'Connell


Aventures chez les transhumanistes - Mark O'Connell

Le titre n'est pas un mensonge : ce bouquin est vraiment rédigé comme une aventure. Mark O'Connell part à la rencontre de divers acteurs du mouvement transhumaniste, il parle avec eux, les suit dans leurs activités et trace une peinture très vivante de leur foi. Aussi, l'auteur fait pas mal de digressions littéraires, accumulant les citations sans doute un peu superflues, dissertant longuement sur ses angoisses existentielles pas toujours très palpitantes. Ceci dit, Aventures chez les transhumanistes se lit souvent comme un bon roman. On est scotchés tant les personnages décrits sont incroyables et les situations surréalistes. Dans cette idéologie qui fleurit notamment en Californie, les maitres du technocapitalisme mais aussi nombre de croyants indépendants courent après l'immortalité et la singularité, l'« émancipation totale des lois de la biologie ». (p.14)

Les références à la science-fiction ne sont bien entendu pas attendre. A la Cité et les astres de Clarke puis, bien évidemment, à 2001, mais aussi à Karel Capek, inventeur du mot robot. La fiction crée la réalité en donnant envie de la rendre réelle.

Certains font congeler leurs corps, ou juste leurs têtes, espérant que dans le futur la science les ressuscite ou que leur esprit puisse être transféré dans une machine.
L'un des postulats centraux de la cryonie peut se résumer ainsi : la mort réelle, la vraie, ne survient pas au moment où le cœur cesse de battre, mais quelques minutes plus tard, quand les cellules du corps et ses structures chimiques se désintègrent au point qu'aucune technologie ne pourra les restaurer. (p.39)
Et certains vont même jusqu'à suggérer de conserver toutes les têtes de tous les morts de la planète, pour les préserver de la mort. Pour contrer les réflexes instinctifs qui s'élèvent contre ce genre de projets, l'interlocuteur de l'auteur évoque Leon Kass et la notion de « sagesse de la répugnance », qui serait une illusion à dépasser. (p.46) Et dans ce monde incroyable, mêmes les animaux de compagnie de ces transhumanistes ont une assurance de cryonisation. (p.48)

J'aime cette idée, empruntée à un article de John G. Daugman, selon laquelle la vision qu'a l'homme de son rapport corps/esprit est influencée par la technologie qui l'entoure :
Les technologies hydrauliques de l'Antiquité (pompes, fontaines, clepsydre) ont joué un rôle-clé dans l'apparition des concepts grecs et romains de pneuma et d'humeurs. De même, pendant la Renaissance, le fonctionnement de notre organisme a souvent été comparé a un mécanisme d'horlogerie. Plus tard, Freud s'est inspiré des grandes innovations de la révolution industrielle - moteur à vapeur, énergie hydraulique - pour bouleverser notre représentation de l'inconscient. Aujourd'hui, la métaphore en vigueur est celle de l'esprit perçu comme un outil de stockage et de traitement des données, une série de lignes de code fonctionnant grâce au processeur du système nerveux central. (p.76)
Aussi, l'idée que l'immortalité par la machine étant très onéreuse, les hommes du commun voulant devenir immortel devraient accepter de subir une invasion publicitaire de leurs perceptions, voire même une modification des lignes de codes (ou équivalent) composant leurs esprits dans le but d'induire des comportements bien précis, comme consommer un produit en particulier. (p.77)

Les transhumanistes considèrent l'IA comme une menace bien supérieure à celle du changement climatique. D'ailleurs, il suffit d'écouter parler Elon Musk pour s'en convaincre. Pour comprendre une potentielle menace IA, plutôt qu'une entité consciente, mieux vaut imaginer une intelligence extrême tellement obsédée par son but (exemple : détruire le cancer) qu'elle accomplirait trop bien sa tache (dans cet exemple, en tuant toute créature biologique pouvant avoir le cancer).

Quant au transhumanisme en tant que religion, certains passages sont consternants. Je retiens particulièrement ce révérend persuadé que « les formes avancées d'IA devraient être converties à la chrétienté. » (p.238)

Alors, des précurseurs ou des représentants actuels de l'éternelle hubris humaine ? Qui sait. On verra. Pour conclure sur un point de vue personnel : tous ces milliardaires qui prétendent que l'immortalité, ou du moins l'extension de la vie humaine, bénéficiera à tous : ils mentent. A moins de se lancer dans une conquête spatiale impossiblement démesurée, ou de réguler dystopiquement les naissances comme dans Futu.re, l'immortalité ne peut, sauf peut-être à très long terme, bénéficier qu'à une petite caste d'élites.

261 pages, 2016, l'échapée

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