La thèse principale de Thinking, Fast and Slow, c'est que l'esprit humain est divisé en deux parties très différentes, le Système 1 et le Système 2.
- Le Système 1 est instinctif. C'est la pensée rapide du titre, il ne demande pas d’effort particulier, c'est un peu l'état basique de notre esprit. C'est lui qui fait toutes les petites choses du quotidien, comme par exemple se repérer en marchant dans une rue que l'on connait, mais c'est aussi lui qui nous fait penser de façon basique et quotidienne. Il a facilement tendance a faire des erreurs de ce côté là.
- Le Système 2 est en gros ce qu'on appelle habituellement notre rationalité. C'est la pensée lente du titre. Il permet de faire des activités mentales complexes, mais il a tendance à s'effacer devant le Système 1. C'est lui qui fait la pensée active, comme courir sur un terrain difficile ou résoudre une énigme complexe.
Le livre invite à prendre du recul par rapport à ses mécanismes de pensée, non pas pour dénigrer le Système 1, infiniment précieux, mais plutôt pour apprendre à ne pas se laisser piéger par cette pensée instinctive et savoir quand il vaut mieux être prudent et passer du côté de la pensée complexe. Dans le corps du livre, Daniel Kahneman revient sur toute une vie de recherche pour développer sa thèse, mais aussi pour décrire des tas d'expérimentations qui offrent des cadres concrets dans lesquels constater les fonctionnements et dysfonctionnements de l'esprit. C'est globalement passionnant, bien qu'un peu long parfois. Et c'est très orienté vers l'humain en général, c'est à dire que l'objectif est plus de comprendre comment l'esprit humain fonctionne et pas pas pourquoi les esprits sont différents entre eux : j'aurais bien aimé un peu plus de contenu de ce côté là. Je vais essayer ensuite de relever quelques points particulièrement intéressants.
- La notion d'ego depletion : le Système 2, contrairement au Système 1, demande beaucoup d'effort et ainsi est sujet à la fatigue. L'esprit a une quantité d'énergie mentale limitée. Il semble que l'ingestion de glucose lutte contre cette perte d'énergie mentale. Ainsi, dans une étude sur des juges, on constate que leur gestion des dossiers est extremement différente en fonction du moment de la journée : il sont beaucoup plus sévères quand ils sont fatigués et n'ont pas mangé depuis longtemps. (p.42+)
- Le Système 1 a une pensée associative inconsciente. L'expérience la plus frappante consiste à placer, au-dessus d'une boite à dons pour du café gratuit, des images soit de fleurs, soit de paires d’œils humains (pas le visage, juste les yeux). Les gens donnent beaucoup plus d'argent pour leur café quand l'image est celle d’œils. L'idée à retenir, c'est que nos pensées sont en bonne partie forgée par des signaux contextuels dont on ne remarque pas l'influence. (p50-8)
- La répétition introduit l'aisance cognitive : c'est l'effet d'exposition. Ainsi, les expérimentations montre que la simple quantité d'exposition à un mot fictif permet de lui donner une connotation bonne ou mauvaise : un mot fictif croisé régulièrement sera vu de façon plus positive qu'un mot fictif rarement croisé. L'explication est biologique : pour survivre dans un environnement dangereux, un organisme doit être plus méfiant face à la nouveauté. C'est ainsi que la publicité fonctionne. (p.66+)
- L'humeur change notre façon de penser. Les émotions négatives nous séparent de nos intuitions, c'est à dire du Système 1, et privilégient une approche analytique, c'est à dire le Système 2. A l'inverse, la bonne humeur réduit la vigilance du Système 2. Encore une fois l'explication est biologique : la bonne humeur signale qu'il n'y a pas de menaces à proximité. (p.69)
- Le halo effet, alias cohérence émotionnelle exagérée. Il rend notre vision du monde et des gens plus cohérente que ne l'est la réalité. Par exemple, on ne juge pas chaque qualité d'une personne indépendamment. Si l'on apprécie quelqu'un, on aura un biais favorable sur ses qualités. L'esprit humain a tendance à faire des généralités hâtives. Petite phrase que j’apprécie : « You will often find that knowing little makes it easier to fit everything you know into a coherent pattern. » (p.82+) L'esprit va chercher des liens de cause à effet là où n'y a que du hasard. Et il n'est pas aisé de se défaire de cette illusion de schémas logiques inexistants.
- La loi des petits nombres. Quand on étudie des échantillons représentatifs de petits nombre, on a plus de chance de tomber sur un résultat qui sort de l'ordinaire. Ainsi, si l'on peut croire que les petites écoles ont de meilleurs résultats que les grandes, c'est parce que les petites écoles ont moins d'étudiants, et ainsi plus de probabilité d'avoir un niveau global plus élevé que la moyenne. Mais, surprise, les petites écoles sont aussi celles qui ont les plus mauvais résultats, pour la même raison : un petit échantillon a plus de chance de sortir aléatoirement de l'ordinaire. (p.116+)
- Les ancres. Un chiffre aléatoire mit en lien avec une question à tendance numérique a, inconsciemment, un effet majeur sur la réponse à cette question. L'ancre, même sans lien logique avec le problème, donne a l'esprit un point de référence. L'exemple parfait d'une ancre est le prix de départ d'une négociation : il sera difficile de trop s'en écarter. L'esprit agit de la même façon dans bien des contextes. (119+)
- L'esprit humain préfère les histoires cohérentes et détaillées plutôt que la logique statistique. L'esprit à tendance à transformer la plausibilité en probabilité. (p1.56+)
- « It is easier to construct a coherent story when you know little, when there are fewer pieces to fit into the puzzle. Our comforting conviction that the world makes sense rests on a secure fondation : our almost unlimited ability to ignore our ignorence. » (p.201)
- Ainsi, des études concernant les experts économiques et politiques démontrent que leurs prédictions n'ont globalement aucune validité : le hasard aurait fait mieux. Là où la spécialisation peut entrainer des prédictions valides, c'est dans les milieux moins chaotiques, où des schémas peuvent plus facilement apparaitre, comme la médecine. (p.219) (p.240)
- L'esprit humain est beaucoup plus sensibles aux stimulations négatives qu'aux stimulation positives. Encore une fois, explication biologique : réagir violemment à une menace mortelle immédiate est plus capital que réagir à un stimuli positif. Bon résumé : « A single cockroach will completely wreck the appeal of a bowl of cherries, but a cherry will do nothing at all for a bowl of cockroach. » (p.300+)
- Quand il s'agit d'évaluer bonheur ou douleur, l'esprit humain néglige la longueur de l'émotion au profit du pic émotionnel et de la fin de l'émotion. Ainsi, une douleur plus courte mais qui s’arrête brutalement restera dans la mémoire comme pire qu'une douleur similaire à laquelle on ajoute dix minutes de douleur décroissante. (p.383+)
Je vais m’arrêter là, mais il y a dans ce bouquin une impressionnante quantité de démonstrations crédibles pour démolir l'idée d'un être humain parfaitement rationnel. L'approche qui consiste à retracer les expériences scientifiques est assez difficile à contredire. Ce qu'il faut en retenir, c'est une méfiance par rapport à nos pensées instinctives : une vaste partie de nos actions, pensées et comportements dépend de choses dont nous n'avons pas conscience. Autant essayer d'en avoir conscience.
440 pages, 2011, penguin
Bonjour,
RépondreSupprimerPeut-être ceci pourrait-il vous intéresser…
https://www.youtube.com/watch?v=kBCDU_PnavQ
Cordialement