Je connais Kim Stanley Robinson à travers son pavé le plus fameux, Mars la Rouge, premier tome d'une colossale trilogie sur la terraformation de mars. Je me réjouissais de le voir s'éloigner un peu de ce techno-utopisme pour se frotter à des problèmes très immédiats dans The Ministry for the Future (2020). Et ça commence vraiment très bien, très fort. Le premier chapitre narre une vague de chaleur en Inde en 2025 (si je me souviens bien). Pas n'importe quelle vague de chaleur : une « wet-bulb », « Température au thermomètre-globe mouillé » (oui c'est moins percutant en français). C'est-à-dire que la chaleur, en conjonction avec une humidité très élevé, rend complètement impuissant le système humain de refroidissement par transpiration. En somme, les humains cuisent sur place. 20 millions de morts pour cette seule vague de chaleur. Cette introduction n'est pas frappante qu'à cause de ce chiffre : la narration est excellente. On vit l'évènement à travers Franck, venu faire un peu de bénévolat au mauvais endroit au mauvais moment, et c'est haletant, c'est le cas de le dire.
Après cette intro qui met en confiance, les choses se développent. Le Ministère mondial du futur est crée, basé en Suisse, et on fait connaissance avec Mary, patronne de la jeune institution. Évidemment, changer le monde n'est pas chose aisée, surtout qu'il faut avant tout changer sa propre vision du monde. Frank, devenu militant après avoir survécu à la vague de chaleur, kidnappe Mary pour essayer de lui faire comprendre l'urgence de la situation. C'est la seconde meilleure scène du roman après l'intro et elle a le mérite de mettre sur le devant de la scène un thème tristement fascinant : l'éco-terrorisme. En effet, le changement ne se fera pas sans violence.
Problème : c'est l'apogée du roman, et on vient à peine de l’entamer. Déjà, d'un point de vue narratif, il est consternant que la scène la plus percutante (la vague de chaleur en Inde) soit la première du roman. Vraiment, il n'y a par la suite rien, strictement rien, qui rivalise en intensité. Il y a bien quelques petits désastres, mais ils semblent bien pâles en comparaison. Même chose pour les personnages, qui vivent leur scène la plus importante pendant cet enlèvement. Ensuite, plus on avance dans le roman, plus tout devient superflu : Frank et Mary sont toujours là, mais leur trajectoire ne va strictement nulle part, ce qui n'empêche pas Kim Stanley Robinson de leur consacrer des dizaines, des centaines de pages. On a même droit à trois scènes de randonnée dans les Alpes qui n'apportent rien à la narration.
Si la narration The Ministry for the Future devient d'une consternante platitude, c'est révélateur d'un problème plus large : il s'agit d'un roman utopique. Difficile de créer des tensions dans un roman utopique. Qu'est-ce que j'entends par utopique ? Déjà, juste pour être clair, je n'ai rien contre l'optimisme. J'ai lu des tas de livres sur les questions environnementales, et ceux-ci, conjugués à mon expérience personnelle, me mènent à certain pessimisme concernant l'avenir de la civilisation à moyen terme, mais je suis néanmoins ouvert à toutes sortes d'hypothèses argumentées, surtout dans un roman. Pourtant, The Ministry for the Future dépasse le simple optimisme. Entre peut-être 2025 et 2050 (il n'y a pas de dates claires) Kim Stanley Robinson envisage que tous, absolument tous les problèmes anthropiques seront non seulement réglés, mais que tout sera mieux qu'avant. Le réchauffement climatique ? Réglé ! On fait même baisser le taux de CO2 dans l'air. La pollution ? Il n'en est pas question. Des tensions religieuses, des conflits armés, des guerres de l'eau ? Rien de tout ça. Il n'est pas du tout question de religion d'ailleurs. La pression démographique ? Pas de souci, contrairement à ce qu'indiquent tous les chiffres aujourd'hui, la population va diminuer. Crises migratoires ? Mais non, ça se passera bien, les centaines de millions de migrants resteront un peu dans des camps tout confort avant que les pays "développés" les accueillent les bras ouverts en leur garantissant un travail et même une petite rente. Ah, et la plupart des pays deviennent de gentils socialismes démocratiques. Tout cela sans renoncer à l'industrie de masse : gros projets de géo-ingénierie aux pôles, "internet des animaux", résurrection des mammouths laineux, énergies "renouvelables" à volonté sans le moindre problème... (Voir La guerre des métaux rares, Drawdown) Mais dans quel monde vit Kim Stanley Robinson ?
Alors je ne veux pas tout jeter, loin de là. L'exploration de l'éco-terrorisme est intéressante et j’apprécie l'insistance de l'auteur sur les règles économiques mondiales qui, par exemple, font que les grandes institutions monétaires sont des maitres de la planète implicites. Si les deux personnages principaux deviennent rapidement soporifiques, j’apprécie la multitude de points de vue secondaires, souvent narrés à la première personne sans qu'on sache exactement qui s'exprime : ça fonctionne bien pour élargir considérablement le propos. Et, en général, il y a pas mal de bonnes idées. J’apprécie aussi le focus sur l'agriculture régénérative (avec agroforesterie et permaculture) clairement présentée comme la seule voie possible (voir La fin de l'alimentation, Introduction à la permaculture, Edible Forest Gardens).
Quoi qu'il en soit, malgré d'un côté des qualités certaines et de l’autre des faiblesses narratives impardonnables, Kim Stanley Robinson ne convainc pas. Quand on présente un futur aussi radical, il faut soit le faire à une échelle temporelle plus réaliste, soit s'assurer que son utopisme est 100% justifié, ce qu'il est généralement difficile de faire avec l'utopisme... Pour l'instant, Kim Stanley Robinson me semble être un énième vendeur d'espoir, l'inventivité en bonus. « Ne vous inquiétez pas, tout ira bien — avec du blockchain en prime ! »
Je n’avais pas trop accroché à sa trilogie,j’ai lu ensuite New York 2140,bien aimé.
RépondreSupprimerMais pour rebondir sur cette chronique je partage ton scepticisme sur le monde futur,tel que le voit Stanley Robinson.Bien inspiré celui qui pourrait dire de quoi sera fait demain,la planète étant déjà bien mal en point.
Oui, je n'ai lu que le premier tome de la trilogie de Mars tant c'était pesant.
SupprimerJe sais que Robinson a écrit d'autres livres sur les questions environnementales, je me demande s'il y a un ton différent...
J’avoue avoir abandonné peut-être à tort, la lecture de Robinson beaucoup trop rébarbative et ces descriptions qui n’en finissent pas.
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