Je m'aventure à lire Judas Iscariote (et autres récits), un autre volume des œuvres de Léonid Andreïev, après Dans le brouillard (et autres récits) C'est aussi dans ce recueil-là que ce trouve le chef d’œuvre Lazare, déjà lu à part. Encore une fois, c'est de la littérature très russe et souvent difficile d'accès, mais quand ça fonctionne, ça fonctionne très, très bien.
Les Chrétiens (1905). Scène de procès. Les témoins sont des prostituées et l'une d'entre elle, à cause de sa profession, refuse de prêter le serment religieux. S’ensuivent chaos et confusion dans le tribunal face à un comportement aussi inhabituel. La têtue les met tous face à face avec l'hypocrisie religieuse. A la fois hilarant et tragique.
Judas Iscariote (1907). Une paraphrase biblique des derniers jours du Christ, avec un focus sur Judas. Judas est dépeint presque comme un fou, un bouffon, une sorte de Diogène qui lui aussi « cherche un homme ». Il semble mettre tous les autres personnages, apôtres compris, face à leurs propres hypocrisies. Ceci dit, malgré l'écriture toujours léchée, je ne suis pas certain d'avoir bien saisi le propos.
Les Ténèbres. Un jeune anarchiste, sur le point de commettre un attentat, traqué par les forces de l'ordre, se réfugie dans un bordel pour avoir un endroit où dormir. S’ensuit un huis clos entre le jeune homme, qui n'a jamais connu de femme, et une prostituée instable. Encore une fois, on oscille entre bouffonnerie et tragique. Les personnages ne semblent pas avoir d'identité stable, ils s'agitent de cette façon frénétique typiquement russe, et seul l'anarchiste, malgré les troubles qui l'assaillent, parvient à garder une stature noble. Finalement, comme c'est arrivé à Jésus dans la nouvelle précédente, les autres, les corrompus, les normaux, le sacrifient à cause de cette même noblesse qui le rend si étranger.
Extrait d'un récit qui ne sera jamais achevé (1907). Un texte court sur une révolution communiste : dans le foyer familial, les échos de la révolution transforment instantanément mari et femme. Ils en oublient presque leurs enfants et, exhalés, ils ne souhaitent que rejoindre les camarades. Percutant. Ivan Ivanovitch (1908) semble presque être un suite directe. Un jeune commissaire fier et obtus se fait capturer par des révolutionnaires et se retrouve obligé de travailler à l'élaboration d'une barricade. Son comportement est erratique, et, finalement, quand il se fait secourir par d'autres représentants de l'ordre établi, il passe sa colère et la frustration de l'humiliation sur un jeune révolutionnaire innocent.
La malédiction de la bête. Un texte difficile. Sorte de long monologue encore une fois erratique, confus, qui prend la forme d'une apologie/diatribe sur la ville. Le narrateur a une amoureuse, mais on se demande si sa relation d'amour/haine n'est pas avant tout avec la ville. Diablement bien écrit, comme d'habitude, mais hermétique.
Histoire des sept pendus. Un titre transparent. Cinq terroristes sont arrêtés avant de commettre un attentat. Comme il semble que ce soit de rigueur, ces trois jeunes hommes et deux jeunes femmes sont limpides et lumineux. Le sixième est un paysan inculte, qui a volé et assassiné son maitre, en plus d'une tentative de viol. Le septième est un bandit de grand chemin, fier et intense. Tous les membres de cette troupe doivent faire face à la mort, et tous s'y prennent différemment. On les suit en prison, dans l'attente, jusqu'au moment fatidique, enrobé d'un épaisse couche de normalité. Une belle étude de caractère dans le rapport à la mort.
Mes carnets (1908). Le long monologue d'un vieil homme qui a passé sa vie en prison. Si au début on peut le prendre au sérieux, on comprend rapidement que soit il ment allègrement, soit il n'a plus toute sa raison. Il prétend être un génie couplé d'un prophète, il prétend avoir des centaines d’admirateurs qui lui rendent visite, il prétend avoir inventé les judas des portes de la prison... L'écriture est à l'image du propos, assez prétentieuse, faussement modeste, inondée de dizaines de notes de bas de page. Finalement, malgré ces défauts, cet homme devient rapidement charismatique, on comprend que ses élucubrations sont une façon de lutter contre l'enfermement et la solitude, son carnet est un carnet de rêves et de fantasmes. On retrouve l’empreinte de Gogol et Dostoïevski dans cette demi-folie de l'enfermement où le fou est un Diogène qui crache une certaine vérité au visage des sains d'esprit. Finalement, tragiquement, il s'invente une vie totalement imaginaire, une vie dans laquelle la gloire l'attend derrière les murs. Mais même dans le fantasme il retourne dans la prison : malgré sa richesse rêvée, malgré sa gloire rêvée, il choisit de se récréer une prison... Excellent. Certainement mon texte préféré du recueil à part Lazare.
Mon portrait, joint à ce livre, rappellera à mon bienveillant lecteur cette mystérieuse particularité des peintres qui les incite très souvent à transposer leurs propres sentiments et même leurs propres traits physiques sur l’objet de leur création. C’est ainsi que, ayant rendu de façon étonnamment ressemblante la partie inférieure de mon visage, sur laquelle se conjuguent avec tant d’harmonie la bienveillance et une expression d’autorité et de dignité tranquille, K. a incontestablement mis dans mes yeux ses propres tourments et même son propre effroi. Leur regard fixe et figé, la folie qui scintille dans leurs profondeurs, la douloureuse éloquence d’une âme insondable plongée dans une solitude infinie – tout cela n’a rien à voir avec moi.
Le dernier texte, Le fils de l'homme, qui évoque aussi la folie relative d'un homme d'église, n'a pas su m’accrocher de la même manière. Cette fois, la confusion du protagoniste n'a causé que de la confusion chez le lecteur que je suis.
Des contrées qui me sont vraiment étrangères.S’y aventurer me paraît un peu casse gueule,mais faut voir. En attendant,ton billet est”diablement bien écrit”.
RépondreSupprimerMerci ! La littérature russe d'un certain âge regorge de pépites :)
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