The Triumph of Seeds (en français Le triomphe des graines, 2015) de Thor Hanson s'intéresse aux mystères des graines, qui, on peut le dire, sont à la base de l'alimentation humaine. C'est un livre accessible, qui pèche un peu par cette accessibilité d'ailleurs : peut-être un peu trop d'anecdotes personnelles et un contenu balancé en vrac. N’empêche, il y a là-dedans de quoi passionner, comme l'atteste le pavé ci-dessous.
Une graine contient trois éléments basiques :
- L’embryon de la plante
- Le tégument (la peau ou couche protectrice)
- Un tissu nutritif
Le volume d'une graine sèche peut être décuplé par l’absorption d'eau, ce qui permet une forte croissance en volume sans véritablement créer de nouveaux tissus : les tissus secs se contentent d'absorber l'eau et de gonfler. Ainsi, la graine, au début du moins, n'a pas par exemple à créer des racines par division cellulaire : elle fait simplement gonfler les tissus qu'elle possède déjà, ce qui ne consomme pas d'énergie. Le tissu nutritif est très dépendant des conditions dans lesquelles la plante grandit : par exemple, les graines d'avocats sont très riches car les jeunes pousses doivent faire face au milieu hautement concurrentiel et privé de soleil qu'est une jungle. Même chose pour les graines de cacao : leur richesse vient d'un impératif environnemental. A l'inverse, les plantes de prairie par exemple ont accès plus facilement à la photosynthèse et peuvent avoir des graines moins riches.
Un exemple sur l'omniprésence dans la vie humaine des produits à base de graine : la gomme du guar (un haricot) est essentielle au procédé qu'est l'extraction d'hydrocarbures par fracturation hydraulique... Le guar est devenu tellement précieux qu'il pouvait atteindre jusqu’à un tiers des coûts d'extraction par fracturation hydraulique.
Les graines sont apparues au Carbonifère (-360/286 millions d'années). Avant, les spores étaient la méthode de reproduction dominante. La dominations des spores au carbonifère est peut-être due à un biais de préservation : les plantes à spore vivant dans des marais, elles ont laissé une quantité disproportionnée de fossiles. Alors que les spores avaient besoin d'eau pour que spores mâles et femelles se rencontrent, les premières plantes à graine ont commencé à conserver sur elles les spores femelles. Quand le spore mâle arrivait sur les parties femelles de la plante, celle-ci se retrouvait avec un « œuf » fertilisé et pouvait continuer à le faire croître. Ainsi ces plantes n'avaient plus besoin d'un milieu liquide pour faire le lien entre gamètes mâles et femelles, un coup de vent pouvait faire l'affaire, leur donnant un énorme avantage en milieu sec. De plus, la plante ayant eu le temps de faire croître l’œuf (la graine), celui-ci a l'opportunité de gagner une certaine indépendance nutritive (les tissus nutritifs) et une protection (la peau de la graine). D'où la domination progressive des graines sur les spores.
Les graines développent donc la capacité de tenir le coup face au temps : le record d'ancienneté pour une graine ayant germée est actuellement détenu par une graine de dattier vieille de 2000 ans. La dessiccation est le facteur capital de cette durabilité, mais aussi toutes sortes de mécanismes hautement complexes et mal connus, comme la capacité non seulement de détecter l'eau, mais de détecter la quantité précise et optimale d'eau dont la plante a besoin pour sa croissance. Les cellules des graines ont donc cette capacité très rare de pouvoir regagner leur structure à l'aide d'eau après avoir été longtemps sèches. D'ailleurs, il existe un animal, une petite crevette, dont les œufs partagent cette capacité.
L’œuf se retrouvant donc dans une graine parfois lourde, le vent n'est pas forcément le moyen de propagation optimal : les animaux viennent alors jouer un rôle capital. De nombreuses graines ont coévolué avec les rongeurs notamment. La peau/carapace des graines a évolué pour obtenir un « temps de transport » idéal : les animaux qui mangent les graines ne doivent pas pouvoir les ouvrir trop facilement, sans quoi ils les mangeraient sur place et ne les déplaceraient pas, mais la graine ne doit pas trop leur résister, sinon ce ne serait pas rentable pour eux de s'y intéresser. Ainsi, idéalement, un rongeur chope une graine sous/sur la plante qui la produit et va ensuite se planquer un peu plus loin pour la manger : s'il perd une graine en chemin ou s'il se fait prendre par un prédateur, hop, la graine a été déplacée dans un endroit potentiellement nouveau et fertile. Coévolution, donc : graines et animaux se rende service mutuellement et sont en même temps dans une perpétuelle course à l'armement (efficacité des dents et résistance des graines). On retrouve la même coévolution pour les fruits : les fruits, comme les pétales colorées qui attirent les pollinisateurs, sont des pièges mutuellement bénéfiques : l'animal est nourri et en échange il transporte les graines ailleurs. Quand le fruit n'est pas mûr, c'est que les graines ne sont pas prêtes : la plante repousse donc les gourmands avec un fruit acide ou amer.
Les épices existent car les plantes produisent diverses substances chimiques pour protéger leurs graines des prédateurs indésirables. Par exemple, le piquant du piment pourrait servir à repousser un champignon : les piments se font plus piquants dans les régions humides, c'est-à-dire là où ils sont plus vulnérables au champignon. C'est aussi pour cette raison que les épices sont de bons préservatifs pour les plats humains. C'est exactement leur rôle dans la nature : lutter contre bactéries, microbes, champignons, prédateurs... La caféine, par exemple, est toxique pour les escargots et limaces, ou pour certains champignons, entre autres indésirables. La caféine est un insecticide naturel. Mais la caféine, comme d'autres substances protectrice, est coûteuse à produire pour une plante, couteuse en nitrogène notamment. Ainsi la plante recycle sa caféine : elle est fabriquée dans les tissus les plus vulnérables, les jeunes feuilles, pour repousser les prédateurs, puis est transférée vers les graines quand celles-ci grandissent, car ce sont les graines qui deviennent la priorité de la plante. Et, paradoxalement, la caféine empêche la graine de germer : ainsi, pour germer, le jeune grain de café commence par déployer racines et feuilles par absorption d'eau et gonflement, puis, une fois ces pousses loin de la graine et de la caféine inhibitrice, elle peut commencer la division cellulaire. Mais la caféine de la graine n'a pas fini d'être utile : elle sert d'herbicide à proximité immédiate de la pousse ! La caféine dans le pollen, à bonne dose, peut aussi servir à rendre les pollinisateurs addicts.
Autre anecdote sur le café et ses influences sur la civilisation : jusqu'au 17ème siècle, à l'époque où le café s'implantait, la bière et autres boissons fermentées étaient incroyablement répandues, avec une consommation moyenne de 300 ou 400 litres par an par personne (contre aujourd'hui 74 litres pour un anglais et 107 pour un allemand). Le café produisant des contextes sociaux très différents des contextes alcoolisés, qui sait ce qu'on lui doit ? Commencer sa journée à la bière ou au café ne peut manquer de produire des journées différentes.
Une autre substance capitale pour les humains doit son existence aux graines : le coton. Ces filaments extrêmement fins ont évolué pour propager les graines : ils donnent une accroche au vent et permettent aux graines de voler vers de nouveaux horizons, et ils permettent aux graines de flotter sur l'eau, leur offrant là un autre moyen de voyager.
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