Si mon enfance a été relativement urbaine (petite ville), j’ai eu la chance d’avoir un accès régulier à une maison de campagne familiale : fabrication de cidre maison, vaches devant la terrasse, écureuils dans les arbres, poiriers contre les murs… Après la mort de mon père puis la sénilité de ma grand-mère, les deux seuls qui entretenaient régulièrement le terrain, la maison a été délaissée jusqu’à être vendue. Mon expérience de l’agriculture reste très basique, limitée essentiellement à un séjour de deux semaines dans une ferme suisse, au cœur des montagnes proches de Bâle, au cours de l’été 2016. Il m’a rapidement semblé que quelque chose ne tournait pas rond, dans cette ferme, et j’ai vite compris : ce n’était pas une ferme de production, mais une ferme financée par le gouvernement dans le but de « préserver la biodiversité locale », si je me souviens bien. Le jeune couple qui s’en occupait ne chômait pas pour autant, mais il planait sur l’ensemble une impression d’artificialité : s’ils pouvaient avoir un peu de tout sans se spécialiser, c’était parce qu’ils n’avaient pas d’obligation à la production, c’est-à-dire qu’ils ne formaient finalement qu’une pseudo-ferme. Ainsi, quand je désherbais les myrtilliers bio (ce qui d’ailleurs m’a bien fait comprendre d’où venait la différence de prix entre bio et non bio) ou ramassais les jolies baies violettes, je mangeais au passage la moitié de la production, car quelle importance ? Ils n’en avaient pas besoin.
Une autre révélation n’a pas tardé à suivre : ce couple était pratiquant de la biodynamie, une pseudo-science, ou, pour citer Wikipédia, un « système de production agricole magique ». (Note : en magasin bio, les produits Déméter, très répandus, sont produits selon ces principes.) Par exemple, ils enterraient sous leurs champs des crânes d’animaux. En soi, ce n’est pas une mauvaise pratique : il faut nourrir la terre et les os sont sans doute une bonne source de nutriments. Mais est-ce qu’ils plantaient les os pour nourrir la terre ? Oh, non. C’était pour canaliser les « énergies cosmiques ». Face à mes interrogations, je n’ai eu droit qu’à un « ça marche ! » avant de laisser tomber le sujet, n’étant pas totalement dépourvu de tact. Outre l’exaspérante confusion entre corrélation et causalité, je n’ai pas pu creuser plus loin et il ne fait aucun doute que cet obscurantisme ne s’arrête pas là. Mais bref. J’ai eu du mal à tenir le coup socialement et j’ai fini le séjour à passer mes journées seul dans la forêt, occupé à construire la clôture des chèvres.
Cette longue introduction simplement pour préciser mon mélange d’intérêt et de méfiance envers les pratiques agricoles, ou plus globalement naturalistes, que l’on peut qualifier de marginales. Mettons tout de suite cette interrogation de côté : à part peut-être quelques pages sur les « motifs naturels », et encore, c’est chipoter, il n’y a dans cette Introduction à la permaculture (1991) écrite par Bill Mollison, l’un des fondateurs du mouvement, pas le moindre penchant à la pseudo-science. Certes, on n’est pas noyé sous les références, c’est avant tout du savoir expérientiel, mais le tout m’a semblé tout à fait sérieux et rationnel. On sent aussi la véritable présence d’une démarche scientifique, notamment dans les mots des préfaciers, bien qu’évidemment la science du vivant soit encore souvent insaisissable.
La permaculture est plus qu’une simple méthode d’agriculture, c’est un vrai projet de société : autant dire que ce volume est très, très dense. D’ailleurs, le dernier tiers, qui se penche sur des techniques spécifiques dans des contextes eux aussi spécifiques de façon synthétique m’a un peu perdu : trop de choses lointaines survolées théoriquement. Dans l’ensemble, c’est globalement passionnant et élevé par les dizaines de schémas et dessins qui, en plus d’aider à faire comprendre les concepts, rendent la lecture hautement ludique.
L’idée centrale, c’est celle de la complexité : pas de monoculture, pas de gazon stérile, pas de maison pavillonnaire, mais des systèmes conçus pour embrasser la complexité de la nature et en tirer profit. On est pas pour autant dans une relation utopique avec une nature sacrée : la démarche est, dans une certaine mesure, productiviste. Il s’agit d’autosuffisance alimentaire et, pour les producteurs à plus grande échelle, de diversification et d'amélioration des techniques. Des notions de base : « ne jamais laisser le sol nu » et « ne jamais labourer profondément les sols ». Bref, ne pas faire des choses qui n’existent pas à l’état naturel. Pour couvrir le sol, on retrouve partout la notion de « mulch », terme assez vague qui peut inclure divers matériaux faisant office de couche protectrice du sol. Pour travailler la terre sans la labourer, on peut utiliser des animaux, comme les poules et les cochons, qui la farfouillent et y laissent leurs déjections nutritives, ou la technique fascinante du sous-solage, qui consiste à décompacter la terre avec des tranchées profondes mais fines qui permettent le développement des échanges entre le sol et la surface.
J’apprécie tout particulièrement l’importante cruciale donnée à la conception de la maison et à son emplacement sur le terrain. Tout un tas de facteurs sont pris en compte : répartition des zones d’activité, gestion de l’eau, de l’énergie, de l’ombre, du vent, du soleil, distance avec les diverses cultures, risques d’incendies, gestion du gel, conception de serres… Et, par exemple, pourquoi n’ai-je jamais entendu parler auparavant du concept d’ombrière végétale, qui en plus d'offrir de l'ombre sert à réguler la température intérieure ? Maintenant, j’ai envie d’avoir un jardin rien que pour faire une grande ombrière avec des vignes et des kiwis. Une bonne partie des concepts décrits s’adresse à des gens qui comptent vivre de l’agriculture sur un terrain plus vaste qu’un simple jardin, mais, finalement, peu importe la taille du terrain : les idées centrales restent applicables. Il y a mêmes quelques paragraphes sur les vergers de fenêtre. Et c’est tout simplement intéressant en soi : par exemple, l’air froid vu comme un fluide qui s’accumule dans les plats et les creux, et auquel il faut laisser des passages libres pour ne pas voir ses cultures geler, est enthousiasmante. Même chose pour les barrages : il est improbable que je me retrouve un jour à façonner des « barrages de crête » ou des « barrages de col », mais la théorie est chouette. L’ensemble développe chez le lecteur novice une perception plus aiguë du terrain et des alentours de maison, même quand, comme moi, on n’a pas de maison (j’ai plein de maisons dans ma tête).
Introduction à la permaculture de Bill Mollison porte bien son titre d’introduction : le lecteur qui cherche des conseils pratiques détaillés n’y trouvera peut-être pas son compte, mais celui qui est en quête d’un foisonnement d’idées et de concepts sur le rapport complexe entre l’humain et son environnement devrait s’y plaire. Maintenant, j’ai envie de lire Permaculture: A Designers' Manual, du même auteur, qui rentre plus en détail sur plus de longueur, mais la version papier est complètement hors de prix et je ne suis pas certain d’être assez motivé pour m’enfiler le pdf sur écran.
Je laisse ci-dessous deux photos de pages plus illustrées que la moyenne pour transmettre visuellement ce qu’est l’expérience de lecture (cliquer pour agrandir).
lundi 28 septembre 2020
Introduction à la permaculture - Bill Mollison
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