« Je n'arrive pas à rendre cette impression d'une chose à la fois tout à fait extraordinaire et tout à fait évidente, cette vitesse ahurissante de déjà-vu... »
Le mont Analogue (1939-44) de René Daumal est un court roman inachevé qui, malgré ce handicap, est aisément parvenu à m'emporter. Il faut dire que j'ai un faible pour la fiction à la fois brève, dense, foisonnante et stimulante. Daumal me semble être ancré dans une certaine époque où les expérimentations littéraires lorgnent du côté du surréalisme à la façon de Michel Bernados, Marcel Béalu, Daniel Drode ou encore Borges. J'ai un certain attrait pour les bizarreries de ce genre, mais elles semblent le plus souvent me décevoir en s'enfonçant dans une abscondité gratuite et une absurdité frustrante.
Heureusement, Daumal parvient à éviter ces écueils en maintenant constamment une narration limpide et une (relative) logique interne. L'idée, ce sont les « lois de l'analogie », science fictive qui permet à nos héros de trouver le mont Analogue : une montagne, eh bien, analogique. Derrière ce point de départ farfelu, on se retrouve donc avec une aventure à la structure classique : un petit groupe en quête d'un lieu mythique. C'est l’exécution qui rend le tout délicieux. La satire est légère mais permanente, et le narrateur s'efface pour laisser la place à Pierre Sogol, un génie polymathe, inventeur et montagnard. Ce personnage est une réussite totale, il incarne à merveille le ton malicieux, éparpillé et frénétique du roman. J'aurais envie de l'avoir comme compagnon de voyage. On en apprend un peu plus sur lui à l'occasion de quelques-uns des multiples récits insérés : son passage dans un monastère où, chaque jour, un moine doit en secret se faire tentateur, est particulièrement marquant. Le mont Analogue, que ce soit ou non la faute à son incomplétude ou à sa brièveté, n'est pas parvenu à se glisser profondément en moi sous la forme d'une impression précise et durable, mais le plaisir qu'il procure est plus immédiat : chaque page apporte de nouvelles surprises pétillantes et déborde d'une inventivité réjouissante.
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