vendredi 2 octobre 2020

Shrine


Il y avait longtemps que je n’avais pas goûté à ce genre de plaisir. Shrine a tout d’abord la grande qualité d’être gratuit alors qu’il a tout à fait la stature suffisante pour exiger une offrande pécuniaire. On est face à une conversion de Doom, l’original ; c’est-à-dire que tout l’emballage est différent, mais qu’immanquablement on retrouve le moteur et le feeling de Doom.

Ce que j’aime dans ce type de jeux, et là où Shrine excelle, c’est la simplicité. Tout d’abord, pas la moindre prétention narrative. Les jeux vidéos sont un média où raconter une histoire est intrinsèquement difficile, et il me semble que mieux vaut un minimalisme absolu plutôt qu’une trame pitoyable, vue et revue mille fois. Ainsi, en laissant de côté l’histoire, il devient possible de se focaliser sur l’ambiance, l’atmosphère : finalement, c’est un moyen narratif efficace à sa façon et qui, surtout, a le mérite de fusionner avec l’interactivité propre aux jeux vidéos. Ainsi, dans Shrine, comme d’habitude, on incarne on vague protagoniste très coriace qui massacre des ennemis à la pelle. C’est l’enrobage qui contextualise. Ici, l’esthétique volontairement primitive fait des merveilles : les armes sont des choses biomécaniques sorties de chez Giger et les créatures aux formes vagues et aux mouvements saccadés sont inquiétantes et indéfinissables. Finalement, on reste au niveau technique où l’imagination a encore beaucoup de travail à faire : tout ne lui est pas servi sur un plateau sous prétexte de « réalisme ».

Alors, qu’en tire mon imagination ? Les environnements oscillent entre forêts sombres, falaises abruptes et dédales médiévaux cauchemardesques avant de s’enfoncer petit à petit dans un fantastique horrifique plus abstrait. Le thème unificateur, c’est celui de la religion : dès le début, les monstres pratiquent un culte incertain, ils ont leurs chapelles, leurs églises, qui sont nombreuses. Plus loin, on trouve des tombes chrétiennes, puis les églises deviennent cathédrales. On en arrive même à affronter ce qui ressemble des crucifix flottants enrobés de chair. Au cœur d’une faste bibliothèque, un autel duquel jaillit un bourdonnement entêtant nous téléporte par surprise dans un autre plan où se révèle une nouvelle entité de cette cosmologie sur laquelle plane l’ombre de Lovecraft : un ange monstrueux, ou un monstre angélique, qui émet des sons d’orgue en essayant de nous exterminer. L’adversaire final, c’est un dieu ancien qui se repose dans son bosquet irréel. J’apprécie beaucoup ce choix : à la fin des jeux, la tentation est souvent de proposer au joueur des environnements particulièrement hostiles ou impressionnants. Ici, ce dieu inconnu a choisi de vivre dans une forêt, avec de l’herbe et des arbres. Un être maléfique peut-il vraiment faire un tel choix ? On est donc ramené à Lovecraft et à son absence de manichéisme : ce dieu n’est pas mauvais, il est juste différent, et lui aussi aime méditer sous les arbres, au cœur de son paisible bosquet. C’est un affrontement difficile et il nous est arrivé deux fois de nous entre-tuer : alors que je viens tout juste d’infliger le coup de grâce à cet ancien dieu, l’un de ses projectiles tournoyants me frappe et m’achève. J’ai envie de voir là la véritable fin de Shrine : pas de victoire, pas de triomphe, juste une destruction mutuelle. Il me semble que c’est adapté.

Au final, j’en retire l’impression d’une forme de vie inhumaine intiment liée au christianisme : soit elle est à l’origine du christianisme terrien, soit elle se l’est approprié. Évidemment, ce genre d’ambiance est tout à fait dans mes cordes : je me suis régalé. Notons aussi la valeur de bande-son, très atmosphérique, souvent brisée par le vacarme assourdissant des armes, mais sachant aussi se faire plus rythmée quand il le faut.

Je parle de l’esthétique et de l’atmosphère, car c’est avant tout ce que je recherche, mais il faut faire honneur à Shrine : le gameplay est lui aussi d’une redoutable efficacité. Primitif, bien sûr, mais tendu et intense. Parfois frustrant, notamment à cause des animations des ennemis qui sont difficilement lisibles, mais rien de trop grave. Les niveaux utilisent la classique recette des portes fermées et des clés à trouver sans jamais devenir labyrinthiques. Ils savent se renouveler et les combats ont su frapper là où il faut pour stimuler les glandes appropriées dans mon cerveau : j’étais absorbé, scotché, pendant un peu plus des deux heures que dure le jeu.

Shrine est disponible gratuitement ici et .

Très récemment est sorti Shrine 2 : c'est la même chose en plus long et plus développé, toujours gratuit. Le jeu sera peut-être arrangé avec le temps, mais malgré ses qualités indéniables, j'ai été bien moins charmé. Le développeur (qui n'a pas encore 20 ans) a clairement voulu densifier sa création, mais c'est au prix de la pureté. Les nouveaux mécanismes, comme le système d'armure ou les ennemis contre lesquels certaines armes sont particulièrement efficaces, en conjonction avec le manque chronique de munitions et un level design plus labyrinthique, rajoutent des petites frictions permanentes qui, en s'accumulant, me rappellent que, quand même, les jeux vidéos m'emmerdent. Notons aussi le symbolisme moins subtil : dès le début, il y a des crucifix dans tous les coins, même sur les ennemis. Ceci dit, je n'ai joué à Shrine 2 que pendant un peu plus d'une heure, il a peut-être plus à offrir si je me motive à aller plus loin.

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