La guerre des métaux rares (2018) de Guillaume Pitron est un excellent contrepied à la littérature environnementaliste classique : il a une approche éminemment pratique et géopolitique. Quand Guillaume Pitron aborde tout de même les grands thèmes du progrès et de la civilisation, c'est à travers le prisme des métaux rares et terres rares, ressources qui risquent d'être au vingt-et-unième siècle ce que le pétrole était au vingtième. Enfin, en plus du pétrole : le remplacement n'est pas pour tout de suite. On est donc face à un livre très terre à terre, presque productiviste, c'est-à-dire que l'auteur ne remet jamais vraiment en question la course en avant civilisationnelle ni d'ailleurs l’extractivisme. Cette demi-mesure fait parfois un peu soupirer, mais finalement, les conclusions brutales de l'auteur sont mises en valeur par sa relative modération globale : impossible de l'accuser d'être un écolo irrationnel.
Les métaux rares sont la base ce que l'auteur appelle la « transition énergétique et numérique » : ils sont indispensables au fonctionnement de tous nos machins électroniques mais aussi aux sources d'énergie dites renouvelables. Ils servent notamment à fabriquer des aimants au rapport poids/puissance impossible autrement. On les retrouve dans bien d'autres secteurs.
Le premier gros problème de ces matériaux concerne leur méthode d'extraction : comme ils sont extrêmement rares, il faut pour les récupérer démolir des quantité énormes de roches et utiliser des tas de produits chimiques. Pour l'instant, la plupart de cette pollution directe est délocalisée en Chine ou autres pays dits émergents. Le rêve de la dématérialisation est parfaitement illusoire, car cette « transition numérique » exige toujours plus de matières premières et d’électricité. Pour un objet de type smartphone, l'objet lui-même ne représente que 2% des déchets générés par sa fabrication. Pour une puce de 2 grammes, 2 kilos de déchet. Ainsi, une voiture électrique n'est pas moins polluante qu'une voiture classique :
Une voiture électrique générerait, durant l’ensemble de son cycle de vie, trois quarts des émissions carbone d’une voiture carburant au pétrole. Et plus les capacités des voitures électriques vont augmenter, plus l’énergie nécessaire à leur fabrication et les gaz à effet de serre générés lors du processus vont croître. [...] « Les véhicules électriques peuvent être techniquement possibles, mais leur production ne sera jamais soutenable d’un point de vue environnemental. »Sans compter le remplacement des batteries de centaines de kilos, qui s'usent plus vite que le reste. En somme, ce changement vers les énergies dites renouvelables encourage encore une « croissance » globale et dévorante :
Soutenir le changement de notre modèle énergétique exige déjà un doublement de la production de métaux rares tous les quinze ans environ, et nécessitera au cours des trente prochaines années d’extraire davantage de minerais que ce que l’humanité a prélevé depuis 70 000 ans.Ainsi, pour l'éolien et le solaire :
Prenons le cas des éoliennes : la croissance de ce marché va exiger, d’ici à 2050, « 3 200 millions de tonnes d’acier, 310 millions de tonnes d’aluminium et 40 millions de tonnes de cuivre 5 », car les éoliennes engloutissent davantage de matières premières que les technologies antérieures. « À capacité [de production électrique] équivalente, les infrastructures […] éoliennes nécessitent jusqu’à quinze fois davantage de béton, quatre-vingt-dix fois plus d’aluminium et cinquante fois plus de fer, de cuivre et de verre » que les installations utilisant des combustibles traditionnels, indique M. Vidal. Selon la Banque mondiale, qui a conduit sa propre étude en 2017, cela vaut également pour le solaire et pour l’hydrogène, dont « la composition […] nécessite en fait significativement plus de ressources que les systèmes d’alimentation en énergie traditionnels ».Passons rapidement sur les problèmes géopolitiques : en délocalisant toute leur production vers une Chine bon marché, l'occident à en somme donné au géant chinois les clefs de sa prospérité. La Chine peut, quand elle le souhaite, serrer les vis et contrôler le marché, sujet particulièrement tendu quand on connaît l'importance des métaux rares pour le matériel militaire. La Chine, pour récupérer son retard, a voulu attirer l'industrie et la technique étrangères à n'importe quel prix sociétal et environnemental. Du point de vue de la croissance, c'est un succès : la Chine s'achemine tranquillement vers la position de première puissance mondiale. Quand ses demandes internes en métaux rares seront devenues inférieures à sa production interne, le reste du monde devra se relancer dans l’extractivisme. C'est déjà le sujet de nombreuses tensions : la quête d'un acheminement fiable en matières premières.
Dans cette perpétuelle course en avant un nouveau problème surgit : le coût croissant de l'extraction. Ainsi, la limite à l'extraction ne serait pas quantitative (quantité de ressources) mais énergétique (quantité d'énergie requise pour extraire les ressources). Et pour bien réaliser l'ampleur et la vitesse de cette course en avant :
Si le PIB mondial persiste à croître au rythme annuel de 3 %, comme il l’a fait ces vingt dernières années, il va doubler entre aujourd’hui et 2041. Autrement dit, suivant cette logique, tout ce qui s’édifie, se consomme, se troque et se jette à l’instant où vous lisez ces lignes va être, en gros, multiplié par deux en moins d’une génération. Il y aura deux fois plus de tours d’immeubles, d’échangeurs autoroutiers, de chaînes de restauration, de fermes des Mille Vaches, d’avions Airbus, de décharges électroniques, de centres de stockage de données… Il y aura le double de voitures, d’objets connectés, de Frigidaires, de fils barbelés, de paratonnerres…Pour conclure : les énergies dites renouvelables exigent non pas une cessation de l’extractivisme, mais un extractivisme des métaux rares à la place de celui du pétrole, le tout dans un contexte de croissance. L'auteur conseille à l'occident de se réintéresser aussi vite que possible à l'extractivisme minier, quitte à assumer des pertes financières, pour pouvoir maintenir une indépendance en matières premières et contrôler les cadres environnementaux. « Rien ne changera radicalement tant que nous n’expérimenterons pas, sous nos fenêtres, la totalité du coût de notre bonheur standard. » Je comprends et j’apprécie cette idée. Cependant, il me semble que c'est une réaction un peu molle après un exposé aussi apocalyptique. Stupéfiant à quel point les sociétés humaines semblent manquer d'alternatives : l'auteur mentionne au passage qu'il ne faudrait tout de même pas se faire anticapitaliste, et il conclut en rappelant que, tout de même, il ne soutient pas la décroissance. Frappant.
De mon côté, plus je lis sur ces sujets, plus je crois toucher à la bonne solution du paradoxe de Fermi : les formes de vie dominantes façonnées par un processus évolutionnaire pourraient avoir une incapacité inhérente à l'auto-modération, car cette incapacité est la cause même de leur domination. Si une espèce s'extrait partiellement de son écosystème, elle se met à le voir comme un ressource et cette perspective permet un progrès fulgurant mais éventuellement fatal.
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