mardi 17 septembre 2019
One - David Karp
Une dystopie d'une sobriété rare, sobriété qui d'ailleurs est un peu le point noir. One (1953) se déroule dans un futur indéterminé, un futur qui ressemble fortement à l'Amérique contemporaine au moment de l'écriture. Technologiquement, rien de neuf. Mais socialement, si. Burden vit dans l’État, un mélange entre l'état providence et le totalitarisme communiste classique. On a l'impression d'être dans les débuts d'une société qui mènera petit à petit à celles d'Anthem d'Ayn Rand ou de Nous de Zamiatine, où plus personne ne parle à la première personne. Petit à petit, l'individualité est grignotée au profit de la conformité, que tous soient semblables, que tous se noient dans l’État pour que règnent stabilité et intégration. Burden, donc, comme tout protagoniste de roman dystopique qui se respecte, est tout d'abord relativement intégré, mais ne va pas tarder à se faire piétiner par la machine.
On retrouve là, comme dans Le Meilleur des mondes, une société assez ambiguë. C'est à dire qu'il n'y a pas de guerre, que le niveau de vie est élevé et qu'une bonne partie des gens sont certainement satisfaits, sincèrement satisfaits. David Karp ne va pas aussi loin qu'Huxley dans sa brillante ambiguïté, mais les choses sont toujours plus grises quand le protagoniste a un choix à faire entre un conformisme confortable et une rébellion honnête mais potentiellement suicidaire. Le lien est peut-être encore plus fort avec 1984, puisque tout le roman de Karp semble être une variation sur la fin de celui d'Orwell, c'est à dire cette séance de torture qui a pour objectif de briser la volonté du protagoniste.
Burden semble être un bon citoyen, il est même espion d'état : il écrit chaque jour un rapport sur les potentielles hérésies qu'il voit autour de lui. Mais, inconsciemment, c'est un hérétique, c'est à dire un individualiste. Il a son égo, et il y tient. Il refuse de se noyer dans la multitude, il se croit supérieur à la majorité. Une fois ce secret découvert, les serviteurs de l’État vont entreprendre de le briser mentalement. Si cette mécanique est assez hypnotique par son côté arbitraire et implacable, il faut bien avouer que les longs entretiens entre Burden et son redresseur de torts sont, eh bien, un peu longs. Ça manque franchement d'intensité narrative. D'autant plus que le propos n'a pas très bien vieilli : la façon dont les bourreaux retournent l'esprit de Burden et lui effacent la mémoire presque en claquant des doigts n'est pas crédible. Il est trop bien traité, et pendant trop peu de temps, pour que le lecteur ne reste pas incrédule. Bref, One, malgré une véritable ambition, échoue à captiver narrativement, surtout en comparaison avec les romans cités ci-dessus, ou avec Le Zéro et l'infini d'Arthur Koestler par exemple.
Le fin mot de l'histoire, ce que Karp veut laisser à son lecteur, c'est que malgré la destruction de l'esprit de Burden, son égo profond est toujours là. Cette force étrange, fière et insatisfaite, est inhérente à la condition humaine, et vouloir s'en débarrasser est un vain fantasme. Après tout, plus le monde social est normé, plus l'anormalité est probable. L'avide, l'insatisfait, l'anormal, est un rouage inévitable de la normalité.
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Malgré tes réserves, ça donne assez envie.
RépondreSupprimerEt malgré mes réserves, je conseille. Pas un chef-d'œuvre, mais ne manque pas de valeur, surtout pour amateurs de dystopies
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