jeudi 5 septembre 2019
Childhood's End - Arthur C. Clarke
Childhood's End (1953) recoupe les grands thèmes qui intéressent Clarke : la possibilité d'une société humaine plus ou moins utopique, libérée par la science des besoins matériels, mais, du coup, susceptible de sombrer dans un ennui existentiel (La Cité et les Astres, Les Chants de la Terre Lointaine), et l'évolution de l'intelligence (2001). Une race extraterrestre, les overlords, arrive sur Terre, mais sans autre ambition que de pacifier les turbulentes petites créatures que sont les humains. On s'en doute, ils ont des motifs cachés, qui pourraient avoir quelques conséquences pour notre espèce.
Les overlords façonnent donc une petite utopie qui, comme d'habitude chez Clarke, est un peu naïve. Clarke est persuadé que le summum de l'être humain, c'est lui-même, c'est à dire un esprit scientifique. Je ne suis pas forcément en désaccord, mais croire que les religions s'évanouiront soudainement quand des preuves logiques de leur fausseté seront révélée (comme si elles manquaient auparavant), c'est ne guère comprendre la nature humaine. Il fait beaucoup d'efforts pour montrer qu'il est très progressiste, mais c'est souvent risible : ainsi, dans sa petite utopie, les femmes restent toujours à la maison à faire la cuisine et du crochet pendant que les hommes vont travailler. Les overlords interdisent la cruauté envers les animaux, sujet qui leur tient à cœur comme peu d'autres, mais étrangement, pas de manger les animaux, de loin la forme de cruauté animale la plus répandue. De même, il ne semble pas exister sur la planète d'autres régions que l'Amérique et l'Europe.
Enfin bref. Ce qui fonctionne parfaitement, par contre, c'est son écriture de la puissante curiosité humaine. Les overlords s'entourent d'un épais secret, ils refusent même de révéler leur apparence, mais les petits humains sont avides de savoir (et le lecteur aussi). Certains personnages n'hésitent donc pas à comploter contre les overlords, malgré leur infériorité écrasante, que ce soit pour la simple connaissance ou la fierté de l'espèce, c'est à dire un désir d'être maitre de son destin. Le premier quart du roman se concentre là-dessus, et c'est excellent : on est aisément emporté dans cette quête de savoir contre ces envahisseurs/sauveurs à la fois surpuissants et bienveillants.
Le roman fonctionne un peu moins bien quand il s'agit du grand mystère derrière les agissements des overlords. Leur nom se révèle ironique : ils sont eux-mêmes assujettis à une forme de vie insaisissable et omnipotente, qui a pour projet de s'approprier tous les enfants humains pour les incorporer dans une sorte d'esprit de ruche. C'est un peu flou, et on se demande : si cette entité désire accumuler des êtres intelligents pour les incorporer à elle-même, pourquoi ne faire qu'une seule moisson ? En effet, l'humanité dépérit rapidement après cette récolte. Certainement, le temps n'étant pas un problème, ce serait plus efficace d'utiliser l'humanité comme un troupeau et de récolter un pourcentage de leurs jeunes sur le long terme, non ?
Si Clarke est évidemment athée, il me semble déceler dans cette trame une certaine nostalgie de la divinité. L'entité qui s’approprie l'humanité est l’équivalent d'un dieu, la moisson l'équivalent du jugement dernier, et l'ensemble donne à l'existence de l'humanité un sens plus vaste, plus large, que celui du simple chaos cosmique. C'est ce que semblent penser les divers personnages. Les overlords eux-mêmes, qui, on ne sait trop pourquoi, ne peuvent pas être utiles à l'entité de cette façon, semblent le regretter. La simple existence du corps et de l'esprit, l'évolution classique, ne leur suffit pas : ils sont en manque d'un sens plus large, et ils projettent de réparer leur handicap pour pouvoir, eux aussi, se faire absorber. Étonnant. Je suis tout de même plus amateur de la vision de l’ascension que l'on trouve dans 2001, c'est à dire sans cette étrange (et décevante, car c'est une fuite) solution à l'insatisfaction existentielle.
Malgré tout, Childhood's End convainc. L'avenir de l'humanité chamboulé, sur une grande échelle temporelle, d'une écriture qui rejette le superflu et titille toujours la curiosité. Je note en conclusion l'amusant clin d’œil à Flatland, Clarke mentionnant au passage, très naturellement, une planète gigantesque à la gravité tellement forte qu'elle est plate comme une feuille. Y vivent quelques créatures géométriques, elles aussi plates. Clarke se demande rapidement si elles connaissent l'existence de la troisième dimension. C'est un bon exemple de référence habile et pas du tout racoleuse (les pasticheurs lovecraftiens pourraient en tirer quelques leçons).
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire