vendredi 23 décembre 2016
1984 - George Orwell
'Listen. The more men you've had, the more I love you. Do you understand that ?'
'Yes, perfectly.'
'I hate purity, I hate goodness ! I don't want any virtue to exist anywhere, I want everyone to be corrupt to the bones.'
'Well then, I ough to suit you dear. I'm corrupt to the bones.'
'You like doing this ? I don't mean simply me : I mean the thing in itself ?'
'I adore it.'
Quand ai-je lu 1984 pour la première fois ? Il y a dix ans ? Probablement plus. J'étais très jeune, et 1984 m'avait beaucoup marqué. Et après relecture en version originale, le roman d'Orwell est toujours aussi efficace. Une structure simple, limpide, un univers glaçant et des tas d'idées captivantes, on comprend l’influence colossale qu'il a pu avoir. Le parcours de Winston Smith est d'une clarté remarquable : de citoyen moyen rebelle dans son esprit il va devenir rebelle par les actes avant de se faire choper, torturer, et d’abandonner au Parti son identité intérieure. Il y a une limpidité qui m'a fait penser à d'autres classiques comme La machine à explorer le temps ou 2001. C'est une structure presque musicale, épurée autant que possible, que l'on sent destinée à traverser les époques.
Parmi les concepts marquants, commençons par la doublepensée. Doublethink means the power of holding two contradictory beliefs in one's mind simultaneously, and accepting both of them. C'est bien évidemment un procédé parfaitement commun dans la vie quotidienne de toute époque. Par exemple : avoir un animal de compagnie, aimer les animaux et être révolté par toute cruauté envers eux, mais avoir dans son assiette à chaque repas un bout de cadavre d'animal. Ou encore : être un écologiste convaincu, savoir qu'en France la pollution de l'air serait responsable de 48000 morts par an, mais ne jamais effleurer l'idée de vivre sans voiture. Mais toute l'horreur du système politique de 1984, l'Ingsog (pour English Socialism), vient du fait que la doublepensée est non seulement parfaitement identifiée, mais encouragée. Savoir en même temps que le Parti ment et que Parti dit la vérité. Autre idée : Newspeak. Une idée qui est restée ancrée en moi depuis ma première lecture de 1984 il y a bien longtemps. Le langage est la pensée. Ne pas connaitre un mot, c'est ne pas connaitre ce qu'il représente, c'est un concept en moins dans l'éventail des possibles. Ainsi est l'objectif du Newspeak : établir un nouveau langage simplifié à l’extrême, un langage qui empêcherait à la source toute pensée dissidente en annihilant les concepts de liberté, d'individualité, d'histoire... Et même si de vagues impressions suggérant ces concepts peuvent naitre dans un esprit particulièrement alerte, que peut-il faire de ces impressions s'il n'a pas de mot pour les exprimer et les mettre en ordre ?
And even if we chose to let you live out the natural term of your life, still you would never escape from us. What happens to you here is for ever. Understand that in advance. We shall crush you down to the point from which there is no coming back. Things will happen to you from which you could not recover, if you lived a thousand years. Never again will you be capable of ordinary human feeling. Everything will be dead inside you. Never again will you be capable of love, or friendship, or joy of living, or laughter, or curiosity, or courage, or integrity. You will be hollow. We shall squeeze you empty, and then we shall fill you with ourselves.
Il ne s'agit pas de nier l'importance et la qualité de 1984, mais il ne serait pas amusant d'en parler sans être un peu critique. Déjà, l'échelle de la surveillance généralisée mise en œuvre par le Parti semble souvent totalement surréaliste. Des micros dans la campagne, sérieusement ? Une société qui n'est même pas foutue de produire suffisamment de lames de rasoir pourrait quadriller toute la campagne de systèmes de surveillance électroniques ? Question de priorité, répondra-t-on. En effet l'inefficacité chronique de cette société semble être volontaire. C'est un autre point qui me semble douteux. Par exemple, dans Meccania, roman qui a certainement inspiré Orwell, l'idée du gaspillage volontaire de ressources est aussi évoquée. Il faut maintenir le peuple occupé, même par du travail inutile, d'où l'importance de l'état de guerre permanent (ou dans le cas de Meccania la préparation à l'état de guerre) pour créer artificiellement du travail. Mais là où la société de Meccania est un succès technique abolissant toute pauvreté, celle de 1984 a juste l'air pathétique, en permanence au bord de l'effondrement. Or, une dystopie vraiment terrifiante est une dystopie qui, même au lecteur le plus critique, peut sembler, par certains cotés, bonne. Désirable. 1984 est une dystopie 100% mauvaise. Sérieusement, le Parti est à un niveau de pure malveillance digne du Mordor. Et si, par exemple, Winston Smith avait un train de vie convenable ? S'il bénéficiait de bons soins médicaux pour son ulcère, s'il avait des divertissements plaisants, serait-il aussi susceptible d'éprouver de la rébellion ? On peut se poser la question.
Ainsi 1984 est une dystopie confortable. C'est à dire que le mal, aussi puissant et terrifiant soit-il, vient de l'extérieur. Winston, dès le début du roman, est en rébellion. C'est un être suffisamment moyen pour que n'importe quel lecteur puisse s'identifier à lui. Winston est oppressé. Winston est une victime du système. Big Brother est donc devenu l'image par excellence de cette force oppressive et menaçante. Big Brother est l'état quand il écoute nos conversations téléphoniques, Big Brother est facebook quand il stocke et revend toutes nos informations... Mais le danger ne vient pas tant d'un telescreen qui espionne par la force et délivre fièrement sa propagande sans possibilité d’être éteint, mais au contraire du désir volontaire, de l'envie profonde d'allumer un tel écran et de s'y abandonner. Ceci est évidemment écrit par un occidental, un français de 24 ans, et il ne fait aucun doute que l'identification à la vision d'Orwell varie grandement ailleurs dans le monde. Prochaine étape : relire Le meilleur des mondes.
250 pages, 1949, penguin books
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