vendredi 16 décembre 2016
Meccania le Super-État - Owen Gregory
Meccania est une pure dystopie. C'est à dire que c'est un roman qui s'attache essentiellement à décrire une société. On peut à peine parler de personnages, la plupart étant interchangeables et servant avant tour à exposer la structure sociale de Meccania. Bref, ici, pas de personnage principal oppressé qui va essayer de conquérir sa liberté pour ensuite échouer. Du coup, ce n'est pas un roman à mettre entre toutes les mains : c'est souvent très aride. Même en étant un grand amateur de dystopie, il y a quelques passages, pendant de longues conversations abstraites sur Meccania, qui sont un peu pénibles à traverser.
Mais à part ça, Meccania le Super-État est une lecture captivante. Procédé classique, un étranger vient à Meccania, en 1970 (le roman date de 1918), pour découvrir ce pays. Ce pays, comme tous les autres du roman, possède un nom fantastique, mais personne n'est dupe : c'est l'Allemagne. Une Allemagne totalitaire, au sens le plus fort du mot. Dans Meccania, il y a mechanical. Et pour cause : l'individualité est niée et confondue avec un État tout puissant. On pense bien sur au régime fasciste italien, au régime nazi et au communisme, mais ce qui m'a particulièrement sauté aux yeux, c'est la ressemblance avec ce que j'ai vu/lu sur la Corée du nord. Culte de personnalité, bien sûr. Un dirigeant décédé et divinisé, possédant sa statue aux dimensions colossales, devant laquelle il convient de se recueillir. Un puissant militarisme, avec rappels constants que Meccania est entouré d'ennemis qui cherchent à lui nuire (ce qui rappelle la position de l'Allemagne avant la WW1). De rares visiteurs, comme le narrateur, qui ne sont jamais laissés libres un seul instant. Quand ils ne doivent pas remplir des formulaires infinis, ils sont entre les mains de guides spécialisés qui récitent d'un air convaincu les mérites de leur patrie. Et face à toute interrogation, l'argument clé est que Meccania est en avance culturelle, intellectuelle et technologique sur les autres pays et que, en conséquence, le visiteur n'est pas assez intelligent pour comprendre. Tous les meccaniens avec lesquels le narrateur à l'occasion de parler sont de magnifiques exemples de servitude volontaire. Ils croient ce qu'ils racontent, ils croient en la perfection de leur système, parce qu'ils n'ont jamais rien connu d'autre, parce qu'ils ont été formatés dans ce sens, sans aucune chance d'apercevoir d'autres possibilités. Et il faut bien dire que, d'une certaine façon, Meccania fonctionne à merveille. Il n'y a aucune pauvreté, pas de crime. Et aucune liberté. Le département du temps, par exemple, gère la vie quotidienne de tous les citoyens. Chacun doit tenir un carnet détaillant toutes ses activités de la journée, demi-heure par demi-heure, ne laissant aucune place à toute démarche personnelle. Tout est géré par l'état, y compris la vie culturelle. Par exemple, le théâtre et la visite de musées sont obligatoires. Et tout art ne servant pas l'esprit meccanien est banni. L'art doit être utile, parler d'un sujet précis. Les chef-d’œuvre du théâtre, à Meccania, ont pour titre Acide Urique, Efficacité, Le Triomphe de Meccania, La Futilité de la Démocratie... Autre invention remarquable d'Owen Gregory : la pathologisation de la dissidence. Toute personne se défiant de l'esprit meccanien ne peut être que malade, et ainsi doit être enfermée à vie, à moins de renier ses convictions et de s'offrir tout entier au super-état.
Au milieu de toutes ces coquilles vides qui font office de personnages ressortent deux personnalités. Celle de Kwang, observateur ayant passé quinze années en Meccania. Pour parvenir à percer la carapace de cette société, c'est le temps qu'il faut y passer, en faisant semblant d’être convaincu, en rédigeant des livres de propagande à double sens : un meccanien y verra l'apologie de son pays, un étranger sera horrifié par un système aussi autoritaire et glacial. Kwang est un mélange entre un agent double et un lanceur d'alerte, et l'on ne peut qu’être touché par le sacrifice de tant d'années de sa vie dans le noble but d'informer le reste du monde du danger que représente ce régime totalitaire. Autre figure marquante, celle de ce vieil idéaliste, enfermé dans un asile, refusant de renier son hérésie : « Je reste ici parce que je ne suis qu'un prisonnier - dehors je serais un esclave. »
Meccania, comme toute bonne dystopie, est d'une intemporalité frappante. Comme le narrateur quand il revient en France après six mois à Meccania, quand on n'y est pas confronté, on a vite tendance à imaginer comme impossible ce genre de société. Et pourtant...
283 pages, 1918, L'île oubliée
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