|
Goya - Saturne dévorant un de ses fils |
Suite de ma lecture chronologique de Lovecraft, commencée par ici :
- The Horror at Red Hook (aout 1925/1927)
Jusqu'à présent la seule nouvelle que je n'ai pas lu jusqu'au bout. C'est mauvais. Écrite par Lovecraft alors qu'il était à New York,
The Horror at Red Hook est extrêmement xénophobe, multipliant les descriptions peu flatteuses (c'est un euphémisme) d'immigrés divers. Mais ce n'est pas le principal problème : après tout, le racisme a grandement nourri l’œuvre de Lovecraft, notamment pour ce qui est du sentiment de paranoïa et d'isolation. J'ai même l'impression de trouver ici les germes de
The Call of Cthulhu : des gens éloignés de l'idée de civilisation, formant un réseau, et se souvenant de choses oubliées, interdites, horribles. Mais non, là, c'est juste que la narration est terriblement ennuyeuse et confuse.
Un nouvelle assez fascinante. Lovecraft n'est pas bien à NYC, et cela se sent : «
My coming to New York had been a mistake; for whereas I had looked for poignant wonder and inspiration in the teeming labyrinths of ancient streets that twist endlessly from forgotten courts and squares and waterfronts to courts and squares and waterfronts equally forgotten, and in the Cyclopean modern towers and pinnacles that rise blackly Babylonian under waning moons, I had found instead only a sense of horror and oppression which threatened to master, paralyse, and annihilate me. » Et, plus loin : «
But again I thought of the emptiness and horror of reality, and boldly prepared to follow whithersoever I might be led. » C'est assez éloquent pour se passer de commentaire. Sinon, la nouvelle est assez classique, mais étonnamment riche, avec un narrateur inadapté au monde social, un immortel qui finit mal, une sombre vision du futur et une créature des abysses.
- In the Vault (18 sept 1925/nov 1925)
Un fossoyeur paresseux se retrouve bloqué dans un tombeau et, pour sortir, empile des cercueils fraichement remplis. Une petite histoire macabre plutôt réussie et amusante. Le narrateur prévient au début que ce récit ne doit pas être vu comme « a grotesque phase of comedy ». Je suis pourtant tenté de le faire. D'ailleurs, l'histoire, qui me semble bien innocente, a été refusée par plusieurs magazines à cause de son côté glauque.
Une petite histoire macabre à l'ambition modérée qui accomplit très bien son objectif. Cherchant un appartement pas cher à New York, le narrateur se retrouve avec pour voisin un étrange médecin qui, grâce à un système de réfrigération, habite en permanence dans le froid. Or, le froid, c'est connu, est un bon conservateur. D'ailleurs, le médecin, en plus d'être fasciné par l'immortalité, est un peu pâle. Le mystère est vite deviné, mais le dénouement reste percutant grâce à la description joyeusement immonde de la lente décomposition de cet apprenti immortel privé de son froid salvateur.
- The Call of Cthulhu (aout-sept 1926/feb 1928)
Là, c'est du sérieux. C'est la troisième ou quatrième fois que je lis cette nouvelle (cette fois écoutée avec l'excellente version audio de
hppodcraft.com, que je ne saurais trop recommander, ainsi que leurs autres interprétations des nouvelles de Lovecraft, hélas peu nombreuses), et je suis toujours autant stupéfait par la puissance de ce texte. Voire de plus en plus stupéfait, d'autant plus que la lecture chronologique de Lovecraft permet de bien le situer et d’apprécier ses progrès en tant qu'écrivain. Si
The Lurking Fear m'avait semblé être une première étape importante, voici sans conteste la seconde. La puissance d'évocation qu'on y trouve est rarement égalée. A travers un patchwork de récits rapportés formant une habile accumulation et progression, se dessine une toile d'horreur qui englobe la Terre entière. Pas étonnant que l'araignée au centre cette toile, Cthulhu, se soit imposée comme la figure de proue d'un mythe moderne. La terreur ne vient pas d'une menace directe, d'un monstre qui rode derrière la porte, ou même au fond de la cave. La terreur est cosmique, c'est celle qui menace plus l'intégrité mentale que l'intégrité physique, plus les illusions d'importance de l'homme que son rythme biologique. Car l'humain n'est rien d'autre qu'une poignée de poussière jetée au vent, tout juste bon à servir de marionnette à des entités qui n'ont même pas besoin d'avoir conscience de lui pour écraser son embryon d'esprit. L'humain qui
sait pourrait vivre et oublier, mais sa faiblesse est trop insurmontable pour lui permettre ne serait-ce que l'indifférence. Ne reste que la paranoïa. Un classique parmi les classiques, qui sera lu pendant encore longtemps.
- Pickman's Model (sept 1926/1927)
L'horreur vue par un artiste. Pickman est un peu à la peinture ce que Lovecraft est à la littérature, et le narrateur, contrairement à d'autres, comprend l'attrait qu'il y a dans de telles représentations. Il n'y a pas de surprise : la première œuvre de Pickman évoquée est la représentation d'une goule dévorant un cadavre, et le titre de cette excellente nouvelle en révèle la fin. En effet, le peintre n'utilise pas que son imagination. C'est un réaliste.
- The Strange High House in the Mist (9 nov 1926/oct 1931)
Une nouvelle assez unique, à la frontière de l'onirisme. Au-dessus de Kingsport, sur une falaise presque inaccessible, pointe une maison, souvent cachée par le brouillard, qui est mystérieuse même pour le terrible vieillard (
The Terrible Old Man). Elle est au centre de bien des légendes. Un touriste entêté décide un beau jour d'aller s'y balader. Lovecraft, avec cette maison, parvient à créer un endroit vraiment marquant : une partie du vieux bâtiment dépasse au-dessus du vide, et c'est là que se trouve la seule porte. Le touriste, invité par le maitre des lieux, rentre par une fenêtre. Dans cette maison, les dieux se baladent comme dans une taverne, sauf certains, qui grattent à la porte mais ne sont pas autorisés à pénétrer. Quand il ressort, le touriste a laissé quelque chose derrière lui. Quoi donc ? La partie rêveuse et curieuse de sa personne, peur-être. On souhaite à cette partie de lui la meilleure des existences, dans l'étrange et haute maison.
- The Silver Key (nov 1926/1929)
On revient à Randolph Carter. Il a 30 ans, et le monde des rêves lui échappe. Il est contaminé par les normes sociales qui s'infiltrent dans son esprit, et il a appris à sourire avec condescendance face aux rêveurs. Mais il n'est pas satisfait, il se cherche, et c'est l'occasion de quelques passages particulièrement réussis de critique de la modernité. Il est septique face à ceux qui revendiquent du sens, que ce soit dans l'incarnation ou dans le désincarné. Mais, finalement, après un long cheminement, il parvient à renouer avec la magie de l'enfance et avec les contrées du rêve.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire