vendredi 21 décembre 2018

Lovecraft - Nouvelles de 1917, 1918, 1919 - The Tomb, Dagon, Beyond the Wall of Sleep, Polaris...


Dagon, illustration de Mario Zuccarello
Dagon, illustration de Mario Zuccarello.

M'intéressant depuis assez longtemps au jeu de rôle L'Appel de Cthulhu, et essayant d'organiser dans un futur proche quelques parties où je prendrais le rôle du MJ, j'ai été envahi d'une soudaine envie de renouer avec Lovecraft, dont j'ai lu voire relu à peu près toute l’œuvre depuis mon adolescence. Mais cette fois, je vais faire les choses bien : lire ses écrits en VO et par ordre chronologique d'écriture. J'utilise comme source cette liste. Je pars du principe que la chronologie indiquée, parfois étonnamment précise, est globalement exacte.

  • The Tomb (écrit en juin 1917, publié en mars 1922)
Une nouvelle d'un fantastique assez classique. Un jeune homme solitaire et amateur de livres est obsédé par une mystérieuse tombe, au point d'aller y passer toutes ses nuits. Petit à petit la frontière entre le réel et le fantasmée se fait plus floue : le garçon est-il troublé par sa vie oisive et ses lectures inappropriées ? Ou est-il vraiment possédé par l'esprit d'un de ses ancêtres ? On a envie d'y chercher la touche Lovecraft, qu'on peut trouver peut-être du côté de la mince frontière entre le sommeil et l'éveil, mais c'est la seconde nouvelle qui vraiment pose les bases.

  • Dagon (écrit en juillet 1917, publié en novembre 1919)
Le voici, le prototype parfait de l'histoire lovecraftienne. Un homme seul, isolé sur une barque en plein océan, se retrouve sur de vastes terres soudainement émergées, venues des profondeurs. Sur ces terres, il n'y a rien, si ce n'est des poissons morts. Il marche pendant des jours, jusqu'à trouver une construction ornée de fresques qui semble prouver qu'au font de l'océan vit une race ancienne, étrange, inconnue. Et là, l'homme voit surgir des flots une créature immense, incompréhensible. Il fuit, se fait recueillir par un bateau, mais devient fou. A moins qu'au contraire il ne perçoive trop clairement les horreurs qui menacent d'engloutir l'humanité. C'est court, diablement efficace, et tout y est. L'humain est confronté à sa petitesse, il tente un coup d’œil craintif dans les vastes replis du réel, et ce qu'il y voit le brise à jamais.

  • A Reminiscence of Dr. Samuel Johnson (écrit mi-1917, publié septembre 1917)
Là, par contre, je reste de marbre. Un homme vieux de plus de 200 ans (mais ce n'est pas le sujet) déblatère sur de grands personnages qu'il a connu il y a longtemps. Vite, nouvelle suivante. 

  • Polaris (écrit mi-2017, publié décembre 1920)
Lovecraft introduit la partie onirique de son œuvre. Un homme se fait emporter pendant ses nuits dans un autre monde. D'abord spectateur, il en vient à mener là-bas une vie parallèle, qui supplante la première. Il considère à la fin sa vie terrestre comme un rêve, dans lequel des créatures ombrageuses lui disent que le monde dans lequel il veut retourner n'existe pas. Un très beau texte, court et touchant. On sent la complainte de l'homme tourné vers l'imagination et l'abstraction qui ne trouve pas sa place. 

  • Beyond the Wall of Sleep (écrit début 1919, publié octobre 1919)
Un développement du concept de Polaris. Un homme simple d'esprit est amené dans un asile car des rêves particulièrement intenses le rendent violent. Un aliéniste, qui croit que les rêves cachent une certaine réalité, s'intéresse à son cas. Il finira par lier contact avec une entité dont la nature n'est pas claire et qui lui donne un aperçu d'une autre forme de vie, spatiale, intemporelle. Cette nouvelle m'avait marqué. Encore une fois, c'est un aperçu insaisissable de la vaste partie du réel qui reste hors de portée de l'humain. C'est à la fois mélancolique, car cette distance infranchissable est effroyablement limitante, et optimiste, car l'univers se révèle n'être ni pleinement indifférent ni tout simplement vide. 

  • Memory (1919/1923)
Un texte minuscule qui évoque la brièveté de l'humanité face à l'immensité du temps. 

  •  Old Bugs (été 1919/1959)
Une nouvelle qui n'est pas du fantastique. Apparemment écrite pour un ami qui voulant tenter l'alcool avant la prohibition, elle met en scène un homme terriblement alcoolique qui tente d'empêcher les jeunes de commencer à boire. Le ton est juste comme il faut, et les deux personnages principaux, celui du vieil ivrogne à qui il reste une touche de grandeur et celui du jeune naïf qui cherche l’expérience à la Rimbaud, forment une mécanique bien huilée. 

  • The Transition of Juan Romero (16 sept 1919/1944)
Une nouvelle lovecraftienne classique mais peu mémorable. Un mystère enfouit sous la roche, dans une mine d'or, et un mélange du rêve et du réel, mais mis en scène sans élément particulièrement marquant. Lovecraft fera beaucoup mieux avec le même point de départ par la suite. 

  • The White Ship (oct 1919/nov 1919)
On revient au Lovecraft onirique, et avec brio. The White Ship est un excellent voyage dans les contrées du rêve, où le temps semble ne pas exister, où se cachent les éléments de leurs esprits que les humains rejettent, où le bonheur est possible. Mais, même ici, il est difficile de se contenter de ce qu'on possède, et à vouloir pousser trop loin, le réveil est inévitable. Et, en comparaison, la réalité est une tempête où le navire qui nous guide si aisément dans nos rêves ne peut que sombrer. 

  • The Doom that Came to Sarnath (3 dec 1919/juin 1920)
Dans un univers indéterminé, la civilisation humaine fait la rencontre de l'altérité. Une race étrange existe a proximité, et l'extermination est la seule solution. Mais l'humanité est fugace, et ces êtres auront leur revanche. Un texte au bon fond, mais mal exécuté : l'essentiel est une description peu passionnante de la ville de Sarnath. 

  •  The Statement of Randolph Carter (dec 1919/mai 1920)
Première apparition du personnage récurrent qu'est Randolph Carter, et parfait exemple d'une philosophie de la fiction d'horreur : moins on en montre, plus c'est efficace. En effet, tout est laissé à l'imagination du lecteur. Même si la formule ne peut pas être répétée à l'infini (et, chez Lovecraft, elle ne le sera pas), elle fonctionne très bien ici. Retour de l'idée que l'esprit humain n'est pas fait pour contempler certaines vérités, et première mention des ouvrages oubliés qui recèlent un savoir cauchemardesque et deviendront un cliché du genre. 


  • The Street (dec 1919/fin 1920)
L'histoire d'une rue d'une ville américaine. Comme dans The Doom that Came to Sarnath, le côté très descriptif est rapidement lassant. Mais surtout, c'est incroyablement patriotique et xénophobe. De méchants étrangers terroristes veulent nuire à la belle Amérique, mais l'esprit de la rue, qui apparemment aime beaucoup son glorieux pays, les en empêche. Assez consternant. 


  • The Green Meadow (« collaboration » avec Winifred V. Jackson, 1918-19/1927)
Une variante sur le thème du manuscrit trouvé qui sait accrocher le lecteur : un manuscrit écrit en grec, rédigé sur un journal fait d'une matière indéfinissable, est retrouvé... dans une météorite ! La suite est un peu plus classique. Le narrateur raconte son arrivée dans un monde inconnu, et conclut sur son ascension à une forme de vie pas tant supérieure que différente. Le texte aurait été inspiré par un rêve de l'amie de Lovecraft, et je veux bien le croire : c'est d'un flou typiquement onirique, une réplique subtilement altérée du monde de l'éveil.

2 commentaires:

  1. Lovecraft… Plusieurs tentatives, je m'y suis à chaque fois cassé les dents…

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    1. Quel dommage ! Je recommande deux très courtes nouvelles, pour goûter tranquillement à Lovecraft : Dagon, fidèle à l'image classique de l’œuvre de Lovecraft, et le Bateau Blanc (ou alors Celephaïs) pour un onirisme moins connu. Et La couleur tombée du ciel, pour de l'horreur pure. Trouvables aisément sur le web en format pdf.

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