Un essai d'histoire globale, dans la même veine que De l'inégalité parmi les sociétés de Jared Diamond ou Sapiens de Yuval Noah Harari, auteurs qui sont d'ailleurs cités. On retrouve pas mal d'informations déjà croisées dans ces ouvrages. La densité du machin est impressionnante, au risque que parfois ça fasse une simple liste de faits, ou reste un peu superficiel quand on aborde l'époque contemporaine. Néanmoins, un livre riche, ambitieux et, je le redis, vraiment dense. Je tente ci-dessous d'en extraire quelques points.
Tout d'abord, la façon la plus limpide de voir l’évolution humaine en quelques lignes : la diviser en grandes étapes. Laurent Testot en distingue ici sept. (p.19)
- Révolution biologique (-3 millions d'années). Homo apparait, bipédie, alimentation omnivore...
- Révolution cognitive, ou symbolique (entre -500000 et -40000). Feu, art et langage. Sapiens élimine les autres Homo.
- Révolution agricole (-10000).
- Révolution morale (-500). Empires et religions qui se veulent universels.
- Révolution énergétique, ou industrielle (1800). Sapiens brule des carburants fossiles, bienvenue dans l’Anthropocène.
- Révolution numérique (2000).
- Révolution évolutive ?
Un élément des cycles climatiques naturels de la planète auquel on ne pense guère : la tectonique des plaques. Par exemple, quand les plaques des deux Amériques commencent à se percuter il y a environ 3,5 millions d'années, elles bloquent de vastes courants marins qui ne peuvent plus disperser la chaleur, ce qui contribue à de petits âges glaciaires. (p.33) Mais aussi, à l'occasion de ce choc tectonique, les faunes des deux Amériques entrent en contact : c'est le Grand Échange interaméricain, qui serait le plus grand bouleversement biologique sur Terre depuis la fin des dinosaures, les placentaires du nord remplaçant les marsupiaux du sud. (p.34)
L'idée que les espèces pouvaient disparaitre est relativement récente (18ème). Jusque là, le monde était fixe, stable, créé par Dieu. (p.50)
Autre idée surprenante : l'Amazonie, qui il y a 12000 ans était plus une savane, aurait été fertilisée par les excréments de la mégafaune locale. Mais comme l'humanité a plus tard exterminé toute mégafaune, elle aurait ainsi éliminé les principaux fournisseurs de fertilisants naturels. (p.69)
Pause vocabulaire. Qu'est-ce qu'un cliquet malthusien ? « Règle imposant une limite à la croissances de populations, voulant que chaque innovation technologique ou nouvelle agricole améliorant la productivité entraînent une croissance démographique telle que les bouches supplémentaires dévorent le surplus. Le système retombe alors dans ses équilibres initiaux. » (p.453) Cette règle aurait été à peu près valable jusqu'au 20eme, où l'humanité a surmonté ce problème pour s'en trouver d'autres.
La taille des êtres humains est très variable, et une « simple crise économique » peut la modifier. Trois facteurs qui influent sur la taille :
- Le travail des enfants. « Si un enfant travaille pendant ses eux périodes de croissance, courant de sa naissance à ses 6 ans, puis de ses 9 ans à ses 13 ans, son squelette se tasse et il se plus petit. »
- L'alimentation, bien sûr. Le corps s'adapte à ce qu'il a. « Cette adaptation se transmettra, par épigénétique, aux générations suivantes. »
- D'éventuelles parasitoses, qui sont plus présentes en cas de sédentarité, car l'humain vit alors proche de ses propres déchets.
Avant l’effondrement presque simultané de l'empire romain et de la Chine des Han à partir du troisième siècle, un autre effondrement du même genre a eu lieu à la fin de l'âge du bronze, vers -1100. Il touche l'empire Hittite (Turquie), l'Assyrie, les Kassites (Babylone), Mycènes... L'Empire égyptien s'en sort à peu près. (p.112) La cause principale ? Un léger refroidissement climatique, probablement
La Genèse comme métaphore du passage de l'état de chasseur-cueilleurs à la sédentarité : « Eve et Adam, le plus bel homme ayant jamais existé puisque fait de la main de Dieu lui-même, croquent le fruit de connaissance, se rêvent un instant les égaux de Dieu et sont expulsés du paradis. Fini le farniente dont jouissaient les chasseurs-cueilleurs, oubliée la distribution gratuite de nourriture par glanage dans le jardin que Dieu leur avait confié. Leurs descendants devront gagner leur pitance à la sueur de leur front. » (p.116)
Si l'on sait que la majeure partie de la population autochtone de l'Amérique du Nord a été décimée sans même que les blancs ne s'en rende compte par des maladies, la même chose est arrivée à l'Amérique du Sud : « le bassin de l'Amazonie hébergeait une population de 5 à 10 millions d'habitants, équivalente à celle de la péninsule ibérique à cette époque. » (p.195) On compte environ 60 millions en tout sur les deux Amériques (chiffre très incertain). Mais « au cours du 16eme siècle, les population amérindienne s’effondrent à moins de 10% de leurs effectifs initiaux. Avec elles disparaitrait plus du huitième de la population mondiale. C'est le seul moment, depuis la révolution agricole amorcée il y a 10000 ans, où la lente mais inexorable montée de la densité de gaz carboniques dans l’atmosphère, reconstituée à partir des carottages de glace effectués aux pôles, accuse une chute marquée. Des dizaines de millions d’Amérindiens agonisent, cessent de bruler des végétaux. » (p.197) Et, aussi, ce sont les occidentaux qui ont apporté les vers de terre aux Amériques : avant, ils avaient dû être exterminés par une glaciation. Ils contribuent à la décompositions des feuilles mortes, qui sans eux forment une tapis sur le sol, et ainsi une nouvelle végétation de broussailles se développe. (p.220)
Mais pourquoi les Amérindiens n'avaient-ils guère de maladies dans leur coin ?
- La première réponse, déjà évoquée chez Jared Diamond, c'est le fait que la domestication animale était aux Amériques très peu présente, notamment à cause de l'extermination rapide d'une mégafaune peu habituée à se méfier de frêles bipèdes. Or, beaucoup de germes viennent de la promiscuité avec d'autres espèces.
- La seconde, c'est le « sas de stérilisation sibérien ». Pour arriver aux Amériques, il a fallu passer par la Sibérie, où la plupart les germes n'ont pas survécu au froid. (p.204)
Autre évènement du même genre, l'explosion du volcan Tambora en 1815 en Indonésie. L’éruption a des effets très puissants car elle a lieu près de l'équateur, ce qui maximise « la dispersion planétaire des débris atmosphériques. » (p.326) Pendant plusieurs années, la masse de matière éjectée aurait eu une influence majeure sur la climat mondial : refroidissement de 1 à 7 degrés, pluies, colorations étranges du ciel... Détail amusant, c'est à ce moment que à Percy et Mary Shelley sont près de lac Léman et que Mary prépare son roman Frankenstein, dont l'ambiance gothique et orageuse aurait pu être inspirée du climat de cette époque.
Encore une événement au potentiel destructeur considérable : les tempêtes magnétiques causées par les orages solaires. Il y en a une en 1859, la tempête de Carrington. L'activité du soleil illumine la nuit, mais surtout, le réseau télégraphique est bousillé. La probabilité d'un tel accident ? « Une ou deux occurrences par millénaire. » (p.330) Mais je devine que ce genre de mesures n'est pas très fiable. Si quelque chose de similaire se reproduisait, les conséquences seraient majeures, notamment sur les centrales nucléaires.
Laurent Testot critique la position de Jared Diamond (sans doute exposée dans Effondrement, que je n'ai pas encore lu) selon laquelle la civilisation de l'île de Pâques s'est plus ou moins suicidée par écocide (p.334). Il évoque plutôt l'arrivée des Européens, les germes apportés et la mise en esclavage de la population pascuane. Selon lui, plutôt un génocide venu de l'extérieur qu'un écocide intérieur. Point de vue a garder en tête pour quand je lirai Effondrement.
Seconde pause vocabulaire. Exaptation : « Ce processus est l'inverse de l'adaptation. S'adapter, c'est apprendre à gérer un nouvel environnement pour mieux l'exploiter, ou en tout cas y survivre. S'exapter, c'est subir un environnement qui vous modifie indépendamment des stratégies que vous allez déployer pour le soumettre. » (p.377) L'auteur utilise ce mot pour les produits du progrès technologique qui se sont rendus indispensables.
Les perturbateurs endocriniens : « Ils ont pour particularité d'interférer avec les hormones. Une exposition à une infime quantité de ces produits peut exercer des effets dévastateurs, selon le moment où elle a lieu. Par exemple lorsque les cellules sont en phase de division, particulièrement lors de l’embryogenèse, ils exerceront des effets décisifs en matière de fertilité, de différenciation sexuelle, de fonctionnement du système immunitaire... Car les hormones régulent le vivant comme un pilote dirige un véhicule. » (p.405) Exemple : la communauté Amérindienne des Aamjiwnaang près des Grands Lacs au Canada, qui subit une pollution particulièrement intensive. « De 1994 à 1998, il leur est né 82 garçons pour 100 filles » et « la situation a encore empiré entre 1999 et 2003 avec 53 garçons pour 100 filles. » (p.406) Autre conséquence plus générale : la baisse rapide de l'âge de la puberté. « Aux USA, l'âge moyen des premières règles est ainsi passé de 17 ans au milieu du 19eme siècle à 14 ans au milieu du 20eme. Il flirte aujourd'hui avec les 12 ans. » Et chez les hommes : « Les analyses montrent, depuis un demi-siècle et partout sur la planète, une décroissance du nombre de spermatozoïdes de 1,5 à 2% par an. » (p.407)
Le taux de concentration du CO2 dans l’atmosphère était, depuis dix millénaires environ, à 260 ppm (parties par millions). 1958 : 300 ppm. 2013 : 400 ppm. « Pour retrouver de telles concentration dans le passé, il faut remonter trois à cinq millions d'années en arrière, lorsque les australopithèques arpentaient la savane africaine. Les températures moyennes du globe étaient alors de 3 à 4 degrés plus élevées, les pôles plus chauds de 10 degrés, le niveau des mers plus haut, peut-être de 20 à 30 mètres. » (p.418)
En conclusion :
Il faut admettre que le capitalisme est un mythe parmi d'autres, avec ses thèmes récurrents qui constituent autant d'éléments d'un rêve artificiel : la croissance économique guérit les sociétés de leurs maux et garantit le plein-emploi ; le libre échange optimise les intérêts privés et permet à chacun de mieux vivre ; les États étant présumés moins compétents que le secteur privé, il faut sabrer les services publics et en confier les structures aux firmes... (p.423)Ah, et j'y pense après coup, mais j'aime beaucoup le résumé que l'auteur fait de l’épicurisme en se basant essentiellement, je crois, sur De la nature de Lucrèce. (p.139) Condensé, mémorable et séduisant :
- L'univers n'a pas de créateurs, il est infini, de même que le temps.
- La vie est gouvernée par le hasard.
- Le propre des êtres vivants est d'être doté de libre arbitre, et leur nature fait qu'ils sont issus d'une évolution aléatoire.
- L'humanité est transitoire, elle disparaitra un jour.
- Les premiers hommes ne connaissaient ni le feu, ni l'agriculture. Comme les animaux, ils utilisaient des cris inarticulés et des gestes pour communiquer, avant d'inventer le langage.
- L'âme meurt avec le corps, il n'y a pas de vie après la mort.
- Toutes les religions sont des illusions, destinées à asservir les hommes.
- La vie ne vaut d'être vécue que si elle est consacrée à la poursuite de bonheur.
- Le monde est fait d'atomes, particules élémentaires invisibles, élémentaires et insécables.
- Le vide sous-tend l'univers entier.
- La matière est éternelle, mais ses formes sont transitoires, ses composants connaissent un cycle désagrégation-reconstitution.
430 pages, 2017, payot
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire