dimanche 20 janvier 2019

Lovecraft - 1934, 1935, 1936 - Dans l'abîme du temps, The Haunter of the Dark...


Esher - Concentric Rinds
Esher - Concentric Rinds

Suite et à peu près fin de ma lecture chronologique de l’œuvre de Lovecraft.

  • Dans l'abîme du temps (The Shadow Out of Time, écrit en nov 1934/publié en fev 1935)
Sans doute le dernier « grand » texte de Lovecraft. Le narrateur se fait pendant quelques années voler son corps par un membre d'une race d'êtres qui vivaient sur Terre il y a un paquet de millions d'années, pour qui le temps ne signifiait pas grand chose. Cet échange de corps est fascinant, que ce soi du côté du voleur, qui passe son temps parmi les humains a étudier et apprendre en essayant tant bien que mal de cacher sa supériorité, que du côté du volé, qui se retrouve dans le corps d'un alien dans une société étrangère et en compagnie d'autres êtres, venus des quatre coins de temps et de l'espace, qui eux aussi se sont fait emprunter leur corps. On retrouve la même structure de base que dans Le Tertre et Les Montagnes Hallucinées : une race supérieurement intelligente et plus ou moins décadente se révèle n'être pas une ennemie, mais juste une forme de vie très étrangère, proche cependant de l'humanité par sa forme d’intelligence et sa vie sociale. Et comme à chaque fois, cette race supérieure craint d'obscurs abîmes où se terre la véritable menace, encore plus inhumaine. La faille de Dans l'abîme du temps, c'est que sa première partie, qui évoque l'expérience de l'échange de corps et décrit la société des Yithien, est plus dense et captivante que la seconde moitié, où le narrateur va explorer les ruines de ce qu'il a connu dans ce qu'il s'imagine être ses rêves. Comme toujours, les protagonistes lovecraftiens se voilent les yeux jusqu'au bout, et c'est un peu grotesque à la longue, mais reste toujours aussi efficace pour étudier les limitations humaines. Une autre force de cette nouvelle, c'est qu'elle offre un nouveau regard sur toute l’œuvre de l'auteur : ces mystérieux génies de l'occulte, ceux qui écrivent les fameux ouvrages impies, peut-être savent-ils ce qu'ils savent parce qu'ils ont échangé leur corps avec un Yithien et ont ainsi eu accès à un savoir hors du temps. A moins qu'ils n'aient temporairement confié leur cerveau à des Mi-Go. Mais je m’égare. Dans l'abîme du temps évoque avec une force remarquable l'impuissance de l'homme face à une race pour qui les infinités du temps et l'espace ne sont guère plus qu'une ballade au parc. Mais même ces êtres craignent des horreurs plus coriaces qu'eux.

  • Le Défi d'Outre-Espace (The Challenge From Beyond, aout 1935, sept 1935)
Une petite chose étonnante. En effet, ce texte est une collaboration entre Lovecraft et d'autres amis écrivains, chacun écrivant un passage et laissant la suite aux autres. Les deux premières parties, de C. L. Moore puis d'A. Merritt, sont assez médiocres : un type trouve un objet bizarre dans la campagne, et c'est tout. Ensuite, Lovecraft arrive, et développe enfin l'affaire, en faisant une variation sur Dans l'abîme du temps. Du coup, ça ne fait vraiment pas très original, mais c'est quand même de très loin la partie la plus intéressante : il présente une nouvelle race extraterrestre qui arrive à se balader hors de sa galaxie en piquant les corps d'autres formes de vie. Évidemment, tout cela se sait grâce à d'antiques écrits traduits par un occultiste. Du Lovecraft classique, mais tout de même, j'aurais bien lu toute une nouvelle développant l'histoire qu'il esquisse ici. Ensuite vient le tour de Robert Howard, et là, changement de ton radical, il s'agit de tuer et conquérir. Pour conclure, Franck Belknap Long essaie de plier tout ça d'une façon pertinente mais très maladroite. Au final, un machin bizarre, mais fort intéressant. 

  • Le Journal d'Alonzo Typer (The Diary of Alonzo Typer, « collaboration » avec William Lumley, oct 1935/1938)
Une histoire de maison hantée classique. L'exploration de la maison et des ombres qui s'y cachent est relativement prenante, mais le manque de dénouent percutant achève de rendre cette nouvelle médiocre. 

  • The Haunter of the Dark (nov 1935/1936)
La dernière véritable fiction de Lovecraft. Un peintre et écrivain voit depuis son bureau un étrange clocher, et il décide d'aller l'explorer. Il y trouve un mal étrange, qui le poursuit. The Haunter of the Dark n'est pas particulièrement ambitieux : un homme solitaire, un bâtiment abandonné, un culte mystérieux, une créature venue d'ailleurs... Mais l'exécution est assez irréprochable. Ce qui frappe plus que jamais, c'est qu'on ne voit jamais la chose menaçante. Ni le narrateur ni qui que ce soit. Elle est entendue, sentie, pressentie, crainte, vaguement entraperçue dans l'obscurité. Le crescendo est habile, et atteint certainement son apogée dans cette scène où le narrateur, somnambule, se réveille en pleine nuit au sommet de l'église, plutôt que dans la fin. 

  • Dans les Murs d'Eryx (In the Walls of Eryx, « collaboration » avec Kenneth Sterling, jan 1936/1939)
Étonnamment, une nouvelle de science-fiction classique, qui se déroule dans le futur, sur Vénus. Mais c'est très mauvais. Un type part se balader seul, sans moyen de communication, dans un environnement clairement hostile, et décide tranquillement de s'engager dans un labyrinthe invisible. Mouais. On peut en retirer une petite exploration de l'expansionnisme sanglant, la nouvelle se concluant sur la mise en place d'une invasion massive et violente de Vénus. 

  • L'Océan de la Nuit (The Night Ocean, « collaboration » avec R. H. Barlow, été 1936/1939)
Un texte bizarre et inhabituel. Le narrateur est un peintre qui vient prendre du repos seul, au bord de la mer. Le ton est calme et mélancolique, il ne se passe vraiment pas grand chose. Le narrateur médite sur la solitude, le charme de l'océan, le côté hypnotisant des éléments, le dégoût inspiré par la ville balnéaire d'à côté. Il assiste à quelques évènements étranges : des silhouettes semblent surgir de l'océan et être liées aux récentes disparitions de nageurs. Des Profonds ? Peut-être. La nouvelle est plus tournée vers la méditation.

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