mercredi 2 janvier 2019

Lovecraft - 1922, 1923, 1924 - Herbert West–Reanimator, The Lurking Fear, The Rats in the Walls...

Illustration Loïc Muzy


Suite de ma lecture chronologique des œuvres de Lovecraft, commencée par là :

H.P. Lovecraft - Nouvelles de 1917, 1918, 1919 - The Tomb, Dagon, Beyond the Wall of Sleep, Polaris...
H.P. Lovecraft - Nouvelles de 1920 et 1921 - The cats of Ulthar, Celephaïs, From beyond, The picture in the house, The nameless city...

  • Hypnos (écrit en mars 1922/publié en mai 1923)
Deux hommes explorent les mystères du sommeil jusqu'à y trouver des secrets qui auraient dû rester inconnus. Encore une fois, cette nouvelle, assez mineure, est handicapée par la caractère extrêmement flou et indistinct de la menace. Mais elle parvient néanmoins à dresser un tableau marquant : celui d'hommes qui ont peur du sommeil, et qui ont raison d'en avoir peur.

  • What the Moon Brings (5 juin 1922/mai 1923)
C'est clairement un rêve retranscrit à l'écrit, très court et très oubliable.

  • Azathoth (juin 1922/1938)
Un fragment d'un texte jamais terminé. Lovecraft y dépeint une vie citadine triste et morne où le protagoniste doit passer ses journées à faire un travail abrutissant pour le soir se perdre dans l'observation des étoiles. C'est étonnant : les textes de Lovecraft sont habituellement assez éloignés des basses nécessités matérielles comme l'argent ou le travail. Mais, finalement, ça fait sens : c'est en réaction à la triste réalité que ses personnages s'égarent dans l'exploration soit de l'onirisme, soit des territoires sombres et occultes.

  • The Horror at Martin's Beach (« collaboration » avec Sonia Green, juin 1922/nov 1923)
Après que des pêcheurs aient tué une étrange créature océanique (qui ressemble à un profond), une sorte de vengeance va s'accomplir sur Martin's Beach. La nouvelle parvient fort bien à suggérer une menace sans la montrer : des hommes se font tirer lentement dans l'océan, et se révèlent incapables de lutter. 

  • Herbert West–Reanimator (oct 21-juin 22/feb-juil 22)
De loin la nouvelle la plus longue jusqu'à présent. Parue de façon épisodique, elle est handicapée par ce format : chaque chapitre commence par un résumé des précédents, et se présente un peu de la même façon : Herbert West accomplit d'horribles expériences en vue de réveiller les morts, ça tourne mal, et son assistant raconte. Ici, on pense inévitablement à Frankenstein, mais l'horreur, véritablement présente, notamment quand une des créations de West dévore un enfant, se teinte d'une touche de grotesque. Comment ne pas esquiver un sourire quand ce cadavre décapité se ballade avec sa tête dans une valise ? Le personnage de West est une variante sur les obsessionnels souvent mis en scène par Lovecraft : celui-ci va encore plus loin que les autres dans la froideur, il poursuit aveuglément son but au mépris de toute éthique. On est bien loin des tortures morales de Frankenstein : plus de religion, simplement une vision mécaniste du monde. La vie ? Un courant électrique à travers des masses de viande. 

  • The Hound (oct 1922/feb 1924)
On sent bien que cette nouvelle fait suite à Herbert West–Reanimator. Les protagonistes y sont aussi de grands amateurs de profanation de cimetières. Mais, contrairement à West, ils n'ont pas d'objectif scientifique : simplement des objectifs esthétiques. Malgré, comme souvent, une menace trop floue pour vraiment captiver, The Hound marque grâce à ses personnages dégoutés du monde, blasés par toutes choses, qui ne trouvent leur plaisir que dans la contemplation des cadavres, l'odeur de putréfaction, la beauté d'un crâne. 

  • The Lurking Fear (nov 1922/jan-avr 1923)
Une nouvelle qui m'avait beaucoup marqué à ma première lecture, il y a peut-être plus d'une décennie. Sans doute parce que, moins familier avec l'art de la narration, je n'avais pas vu venir sa chute qui, aujourd'hui, me semble assez évidente (à moins que ce soit simplement ma mémoire qui me trompe). Publiée elle aussi en épisodes, elle n'en souffre pas : il n'y a pas de résumés au début de chaque chapitre. Dans un coin de campagne paumé où les locaux, isolés, perdent petit à petit tout contact avec la civilisation, un énorme massacre a lieu, et le narrateur va enquêter. Même si ses potes se font décimer, ce qui offre quelques scènes mémorables, il continue. Je me souvenais très bien de ce moment où son acolyte du moment jette un coup d’œil par une fenêtre, puis reste immobile, l'air de rien, jusqu'à ce que le narrateur se rapproche et constate qu'il est mort, et que quelque chose vient donc de passer juste là lui dévorer le visage. La chute, celle qui m'avait surprise à ma première lecture, s'était gravée en moi : la vision d'une facile dégénération de l'humain. Nous nous gargarisons de notre science, de notre esprit, de notre supériorité face aux autres animaux, mais que viennent quelques siècles d'isolation, et voilà la machine humaine retombée plus bas que le chien, plus bas que la taupe, l’orgueilleux roi de la Création n'est plus rien d'autre qu'une vilaine bête, un monstre des abysses. The Lurking Fear a un rapport taille/qualité qui me pousse à dire que c'est, jusque là, une des meilleures nouvelles de Lovecraft, une étape importance dans son œuvre.  

  • The Rats in the Walls (aout-sept 1923/mars 1924)
Un récit qui commence de façon très classique, avec un narrateur revenant dans le manoir de ses ancêtres, et dont la famille semble depuis longtemps cacher de noirs secrets. La première moitié est toujours assez convenue, avec des apparitions quasi fantomatiques de rats. Mais ensuite, quand le narrateur et ses potes s'engouffrent dans les profonds souterrains sous la demeure, les choses sérieuses commencent. Là-dessous se cachent des océans d'ossements humains, traces d'un culte antédiluvien. On ne comprend pas exactement les détails, mais ici, le flou fonctionne : c'est que le narrateur et ses potes sont tellement choqués qu'ils n'ont plus le désir de savoir. Ce qu'ils perçoivent est trop pour les sensibilités humaines, mieux vaut tout enterrer. Par contre, le narrateur, entrainé par l'héritage inconnu qui coule dans ses veines, ne peut pas résister à la puissance de ces choses anciennes. La digue de la raison cède, et laisse place aux rats dans les murs, c'est à dire à la bête antique dans l'esprit humain. 

  • The Unnamable (sept 1923/1925)
L'histoire en elle-même est bien peu originale – deux amis agressés dans un cimetière par une créature – mais la façon dont elle est mise en scène mérite quelques mots. Carter (probablement Randolph Carter) est un écrivain de fantastique, un alter-ego de Lovecraft. Mais son ami, avec qui il est tranquillement en train de papoter au milieu des tombes, est un septique, un homme pour qui les artistes doivent simplement représenter le réel. Carter entreprend donc d'essayer de le convaincre de la réalité de certaines choses innommables. On s'en doute, il en sortira convaincu.

  • The Festival (oct 1923/1925)
Un homme arrive à Kingsport pour participer à un étrange festival dont il ne sait rien sinon que par sa présence ici il respecte la volonté de ses ancêtres. Mais il se retrouve dans un Kingsport fantomatique, irréel, où un exemplaire du Necronomicon traine sur une table et où des silhouettes encapuchonnées le guident jusque dans les tréfonds de la terre où, comme dans The Rats in the Walls, subsistent de vastes espaces dédiés à des cultes anciens. Le narrateur, dans la grande tradition lovecraftienne, refuse son héritage, car le savoir qu'il sent venir le terrifie. Il reprend conscience dans le Kingsport moderne. Cette dissociation entre les deux Kinsport est assez troublante, mais je suppose que c'est le but. Et la conclusion, une citation du Necronomicon, évoque efficacement les secrets des profondeurs et fait son petit effet :  « Great holes secretly are digged where earth's pores ought to suffice, and things have learnt to walk that ought to crawl. »

  • Imprisoned with the Pharaohs (feb 1924/mai-juil 1924)
Étonnamment, cette nouvelle est un cas de ghostwriting au profit du magicien Harry Houdini et publié dans Weird Tales. Écrit à la première personne, le récit commence par longuement balader le lecteur au Caire, de façon très documentée, certes, mais un peu vaine. Par contre, les choses sérieuses commencent quand le narrateur (Houdini) est bloqué dans les tréfonds d'une pyramide. Enveloppé par les ténèbres, il se laisse emporter par ses fantasmes et est témoin des rituels d'un sombre culte qui survit dans les profondeurs. Classique, mais bien mené. On dirait une version plus raffinée de The Nameless City.

  • The Shunned House (oct 1924/1937)
Une classique histoire de maison hantée qui, comme il me semble que c'est assez souvent le cas, est affreusement longue à se mettre en route. Pendant plus de la moitié de la nouvelle, assez volumineuse, le narrateur se contente de déballer l'historique de la maison et de faire des allusions à ce qui va suivre. La dernière partie, quand enfin il se confronte au problème, est plaisante : Lovecraft arrive bien à communiquer le sentiment qu'il ne s'agit d'un classique fantôme au vampire, mais de quelque chose de différent, d'indicible. Dommage qu'il faille autant de texte pour en arriver là. 

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